L’artiste, cet objet obscur inexistant

[Il était une fois la terrorie - chapitre 2, partie 1]

paru dans lundimatin#398, le 9 octobre 2023

« Quand un ou une artiste, croyant à la nécessité existentielle, adhère à une commande, il ou elle appelle ceci « l’inspiration ». Les médias et la bourgeoisie, dont l’artiste est souvent composant, appelle ça : « expression ». L’état, lui, appelle cela « programme ». ( Par exemple : de type "subvention" ). Le capitalisme, plus profondément, appelle ça : « état des audiences ». Tous s’entendent, enfin, à nommer ceci : « œuvre d’art » - du moment où l’œuvrant et l’œuvré demeurent, eux ainsi que le champ de dissémination de l’œuvre, dans un statu quo sociopolitique. »

• À mesure de son éducation à l’état et aux états de marchés, l’obligeant à une surproduction d’expression, l’artiste est, avant toute forme d’art, un étier transactionnel.

• Son devenir est d’être continûment l’agent convoyeur et passif de politiques culturelles dont les commandes sont, par lui, prises en charge. Avec ou sans son consentement.

• Les politiques culturelles, servant à instiller des dynamiques de gouvernance à l’intérieur même du processus créatif - c’est-à-dire acclimater la création aux considérations gouvernementales - répondent à des cahiers des charges dont l’état est, lui même, le convoyeur : transporter et livrer la marchandise esthétique, théorique et stratégique d’une entité supraétatique qui tient à demeurer seule agissante (en sa forme optimale) sinon coactive (en ses compositions).

• Le rôle stratégique de l’artiste, dans les agencements de la petite ou grande industrie du marché, est d’abstraire des commandes politiques que les pouvoirs massifs (le capital) passent auprès de l’art via le canal étatique et sa capacité légale.

• L’annexion de l’artiste et du processus artistique, par la bourgeoisie technico-capitaliste, réside dans le fait d’obtenir de lui son adhésion éthique. C’est-à-dire dénaturer, en lui, ce qui restait de processus créatif incontrôlé et de dynamique réflexive, en les transmuant en processus de commande d’opinion sur tel ou tel objet (physique ou théorique).

• L’objet produit, puis transporté localement par l’état, puis légitimé par la bourgeoisie technico-capitaliste est enfin manufacturé par l’artiste. Tout ceci se fait de manière impersonnelle.

• Au fur et à mesure que l’artiste répond aux commandes de l’état et des politiques gouvernementales et culturelles, il automatise ses connexions avec les logiques du marché, jusqu’à ce que celles-ci lui deviennent constitutives. La machinerie est ainsi programmée sous forme d’auto-injonction, car sur le plan mental, l’art lui est suggéré par une nécessité qui n’est pas la sienne.

• Ainsi, artistiquement parlant, les entités capitalistes, prises comme maillages des logiques marchandes, se mettent en mouvement pour produire un contexte objectivant une œuvre d’art. L’Etat se fait le relais légal de cela ; il gouvernementalise la commande et édite un cahier des charges dont il est entendu qu’il sera ainsi. L’artiste accueille, formalise et occupe ainsi et par ceci l’espace où il est le moins permis d’agir ou de penser même à minima ce qu’il ou elle fait. « Requête active » → « Transport et légitimation » → « Reaction passive ». Soit « X agit » → « Y réagit » →« Z est agi ».

• L’artiste, par conséquent, n’a plus aucune prise sur ce qui constituait encore son champ d’action, à savoir prendre au sérieux le monde quitte à le tourner au ridicule.

• Prendre au sérieux le monde est une démarche à laquelle on a substitué progressivement la notion d’« artiste engagé•e ». Or, dans ce champ de passivité précédemment circonscrit, l’artiste ne peut être engagé•e d’aucune manière agissante, ni d’ailleurs d’aucune manière que ce soit, ayant une réelle portée politique, poétique, philosophique ou méditative. Il ou elle ne peut qu’adhérer, seul•e ou en groupe.

• Quand un ou une artiste, croyant à la nécessité existentielle, adhère à une commande, il ou elle appelle ceci « l’inspiration ». Les médias et la bourgeoisie, dont l’artiste est souvent composant, appelle ça : « expression ». L’état, lui, appelle cela « programme ». ( Par exemple : de type "subvention" ). Le capitalisme, plus profondément, appelle ça : « état des audiences ». Tous s’entendent, enfin, à nommer ceci : « œuvre d’art » - du moment où l’œuvrant et l’œuvré demeurent, eux ainsi que le champ de dissémination de l’œuvre, dans un statu quo sociopolitique.

• Les artistes, qu’ils assument ou soient pris•es en otage dans ce rôle, ne se solidarisent que dans un statu quo sociopolitique. C’est ainsi qu’à titre d’exemples : 1 - les syndicats d’artistes décidant de faire grève pour augmentation d’émoluments, le font par psittacisme bourgeois, à l’intérieur de leur champ de passivité. 2 - ce qu’on appelle fautivement « activité » artistique s’implante souvent à proximité de lieux d’urgence politique et sociale (telles des ONG à côté de tentes de réfugié•es) à fins de dépolitisation de l’urgence en question.

• L’art des artistes professionnels - l’art comme exécution machinique de cahiers des charges - recouvre ce qu’il y a d’évident et d’inévitable dans les luttes par une pellicule esthétique, prédisposant celles-ci à l’échec, car les soumettant au goût, aux intérêts supérieurs de classes et à l’adhésion. En d’autres termes, les subsumant, comme par rabattage, aux champs somme toute bourgeois de l’acceptation, de l’intégration et de l’assimilation, dans un ou des états de données.

• Cette subsumation et cette assimilation sont appelées pernicieusement « solidarité ».

• Or, il n’y a de solidarité que celle, plus difficile, cherchant plus bas qu’elle-même.

• Les classes bourgeoises, à part dans de rares cas historiques et concernant la petite bourgeoisie, se sont toujours solidarisées vers le haut des structures de pouvoir, sinon à leur hauteur.

• Les solidarités de classes « à hauteur », qu’elles soient artistiques ou autres, s’appellent « faire corps » ou « corporatismes ».

• Les corporatismes produisent des réagencements de la bourgeoisie, maintenant les pouvoirs étatiques et leur permettant, sans cesse, de transporter et de légaliser des commandes.

• l’Artiste est donc absorbé par des changements d’échelle qui ne lui laissent d’autre existence que celle de prête-nom pour la fabrication d’objets transactionnels de pouvoir. Ceci a été, par exemple, le cas de la quasi totalité des artistes durant les années 90, en Afrique du nord, qui participaient des logiques antiterroristes par une adhésion éradicatrice (de type "extermination du barbu") ou relevant de la mathématique de la suspicion (de type complotiste "qui-tue-quiste"). Celle-ci existe ailleurs sous forme d’humanisme interventionniste, de laïcisme éradicateur et de droit à vouloir l’oppression de communautés entières au nom des vertus éclairées de l’esprit. À cet effort de soumission absolue des populations au gouvernementalisme, l’artiste professionnel a participé par son corporatisme, sa mise à disposition mentale, corporelle et politique.

• Les états de type democratico-totalitaires, c’est-à-dire dictatoriaux, les nôtres, ont toujours eu un programme, programmant l’art, le média, l’opinion et le pouvoir de manière sensible et attenante.

• « Le fascisme n’est pas empêcher de dire, mais obliger à dire ». Tout le temps, au sujet de tout, partout. C’est pourquoi, à l’intérieur des arènes expressives et des champs d’expression organisés, il n’existe aucune différence entre artiste, journaliste, commentateur, égérie, publicitaire ou communiquant.

• L’Artiste, par conséquent, tel que le sens commun le conçoit, n’a jamais existé.

Il était une fois la Terrorie constitue une sorte de fil-rouge. Il réunit un ensemble de matières autour des nœuds névralgiques de la pratique, de la concentration et de la transformation des pouvoirs. Ces matières abordent les angles et les saillances des méthodes de gouvernance, des techniques de gouvernementalité, de surveillance, contrôle, vigilance…
Les monstres de l’inconscience sociale émergent dans ces espaces blancs, ces zones critiques de transformation des puissances, de leurs basculements : là où par un désir habile, on documente la chimère.

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