« L’OUROBOROS »

Une nouvelle revue lyonnaise de luxe communal

paru dans lundimatin#272, le 26 janvier 2021

Il vient de sortir le premier numéro d’une revue de poésie, philosophie, art plastique, critique littéraire et cinématographique… d’un véritable « luxe communal », en belle couleur jaune « Gilet Jaune » -en toute conscience de cause commune. Une invitation audacieuse au contact sensuel avec l’écrit et l’expression plastique, à contre-courant du virtuel régnant.

Les éditeurs ouvrent les pages de leur « ardente revue » à la présentation de travaux « sans exercer la moindre censure idéologique ». Ils comptent avec un même « élan créateur » de tous les participants à cette aventure, que –disent-ils : « nous voulons, pour notre part –la part du feu-, résistant voire révolutionnaire. Ainsi soufflons-nous résolument sur les braises, pour faire croître un feu créateur et purificateur… ». L’équipe de la rédaction, localisée à Lyon, et les contributions au premier numéro sont largement inspirées par l’héritage de Max Schoendorff (1934-2012), peintre et créateur en 1978 du Centre international de l’estampe URDLA, et son bulletin trimestriel « …ça presse ». Il était avec Jacques Wajnsztejn, Gzavier, moi et quelques autres complices lyonnais(es) à la base de l’éphémère initiative « Journées critiques » il-y-a une dizaine d’années. Voilà une revue qui garde la perspective ouverte à des horizons enflammés dans de temps de glace [1].

Dietrich Hoss

Édito :

Portrait d’une revue en feu, annoncer la couleur.

« Quand on veut que tout change, on appelle le feu. »
Gaston Bachelard,La Psychanalyse du feu

Voici que pointe enfin labelle Teste d’or de notreOuroborosdès longtemps annoncé !

Une puissante gestation de deux années – certes déjà plus longues que les onze mois qu’a passés Gargantua dans le ventre françois de sa mère – mais qui nous ont paru plus longues encore que lesquatre-vingts ans de Lao Tseu « le Vieux » dans la matrice de sa mère l’Antique Chine. Les disputes & les épines par bouquets, inhérentes aux projets collectifs, ont d’abord nourri l’animal. Mais c’est finalement un second projet, totalement renouvelé autour de la figure totémique de Max Schoendorff - notre revue étant résolumentmaxiste–, surgi du feu créateur et rendu possible par la belle collaboration et le soutien sans faille de Jean-Claude Silbermann, qui a remporté la réattribution d’une généreuse Bourse de la Fondation suisse Jan et Vera Michalski. Il nous a fallu redéfinir presque intégralement le premier projet :nous étions, pour notre part, essentiellement attachés à ne pas nous enfermer dans le monde clos d’une revue de spécialistes, pour favoriser une pleine ouverture, plus artistique et plus philosophique, jointe à une exigence & à une « radicalité » réaffirmées.

Nous désirons mettre en œuvre une revue décidément flamboyante, allergique aux vieilleries réchauffées à l’infini ! Le Feu est pourle philosophe présocratique Héraclite d’Éphèse, et ce, dès le VIe siècle avant notre ère, le principe divin de toutes choses, indissociable du grandPolémos(la « Guerre » et toutes les formes de « polémique ») et du jeu des contraires (Jour et Nuit, Vivant et Mort, A-l’unisson et Chacun-dans-son-ton…) qui régit la vie du kosmos entre deuxekpurôsis,deux grands embrasements…

Le Feu, décidément le Feu !

Certains tièdes ne manqueront pas d’ironiser sur l’ensemble vide qui signe la typographie de notreOuroboros,et dont la naïveté nous condamnerait à l’échec. C’est oublier que, derrière le cercle vicieux et le diallèle sceptique, s’enroule déjà le cercle vertueux, riche de l’infinité des possibles. Car, le slash du symbole doit annuler aussi le vide dela tiédeur. NotreOuroboros en flammes tourne à la fois en ses deux sens contraires, « sans queue ni tête », diront certains, et pourtant bicéphale, avide de jouer, avide de jouir, de créer – à l’instar de « l’enfant » d’Ainsi parlait Zarathoustra  : unserpent circulaire (faussement fermé) et pourtant ithyphallique jusqu’à l’évanouissement, ravi !

Les mêmes tièdes, très entraînés, nous répéteront aussi à satiété, petite musique bien trop à la mode à notre goût, que le temps n’est pas à la plainte ni àla révolte. Nous serions « en guerre », mais contre le virus-écran roulant de çà de là, boule munie de pseudopodes, et semant maladie et mort sur son passage.

Fléau certes redoutable, mais qui n’est pas le seul et cache bien d’autres laideurs : une société malade, forêt d’injustices et forêt de mépris, dont l’écran de fumée laisse bien voir ses ignoblesdessous que constituent le pouvoir de la « phynance » et le « friquisme », écrasant sans sursaut les fameux 99 % , et plus encore les sans-voix, les sans-nom, parfois « sans dents », paraît-il…

Parmi eux, les illustres « Gilets jaunes » dont nous partageons la couleur - en témoigne notre couverture -, population de travailleurs massacrés s’ils osent protester : yeux et mains payant l’impôt du courage. Un mépris de classe bien-pensant voudrait finir de les écraser, celui d’une population plus « cultivée », qui s’identifie naïvement à l’élite jupitérienne, qui pourtant, à son tour, n’a pour elle que dédain, puisqu’elle n’a en général ni son pouvoir ni son capital fantastiques... Ne ruisselle en effet pas l’argent promis, ruissellent au contraire les cascades des régressions, du mépris et le danger de la haine. Il est pourtant de plus en plus de « crétins » au sein de cette fameuse élite, explique Emmanuel Todd, de plus en plus d’intelligence en bas de l’échelle sociale.

Dans ce contexte délétère (et dans cette société, où vivre c’est vendre, voiresevendre) que nous reste-t-il à dire, à porter et à donner à voir, au milieu des terres à demi brûlées de laCulture qu’un certain Monsieur Riester hantait de sa transparence trouble et docile, avant que la trop voyante Madame Bachelot ne délaisse les émissions « grand public « , d’aucuns diront « bas de gamme », pour venir, à la surprise générale, occuper à contre-emploi ce poste prestigieux.

Bien entendu, les participants de cette modeste, mais ardente revue, ne sont pas tenus de partager notre perspective : nous avons à cœur de présenter ici leur travail sans exercer la moindre censure idéologique. Nous sommes tous pris dans le même « élan créatif », que seulement nous voulons, pour notre part - la part du feu - résistant, voire révolutionnaire. Ainsi soufflons nous résolument sur les braises, pour faire croître un feu créateur etpurificateur, et non pas unfeu uniquement destructeur (à l’inverse de celui du capitalisme s’acharnant à réduire en cendres lesconquissociaux des travailleurs français).…

Cette référence au feu est fondamentale pour un serpent que nous voulons à « Teste d’Or », puisque Or et Feus’enracinent dans la même intuition originaire. Richesse autant qu’annulation prometteuse, le feu exige d’être nourri avec le « pabulum ignis » des alchimistes, comme l’explique Bachelard dansLa Psychanalyse du feu (nous serons de ceux qui préfèrent amplement Bachelard à Bachelot), unpabulumqui se déroule ici au fil des pages, dans la multiplicité des contenus, et la diversité des approches : philosophie, poésie, arts plastiques, critique littéraire et cinématographique etc. etc...La confrontation et lefrottement « pyroménal » des contraires donnent à cetOuroboros, nous l’espérons, son dynamisme foncier : artistes confirmés et jeunes talents, minimalisme et foisonnement baroque, fureur sexuelle et dépassement de la violence, venin du crotale qui rampeet envol du Serpent à Plumes, terre & air, feu et eau, l’eau étant « une flamme mouillée » selon l’intuition prophétique d’Héraclite, père de la dialectique.

« Tout ce qui ne se consume pas pourrit ». (Roger Caillois,L’Homme et le Sacré.)

Dont acte.

A Lyon, la nuit du 4 août 2020

Odile Nguyen-Schoendorff, directrice de publication,

& Yann Serra, rédacteur en chef

[1Revue bi-annuelle « L’Ouroboros-A teste d’Or » N°1, sous parrainage de Jean-Claude Silbermann avec quelque trente de ses encres de Chine « héroïques », créées en 2019 sous le nom d’Une voie limpide qui, nous espérons, s’ouvre à nous… ; coédition Association de la revue L’Ouroboros/Edition A plus d’un titre, avec le soutien de la Fondation Jan Michalski, 4e trimestre 2020, 222 p., 111 illustrations en blanc-noir et couleurs.

Prix du numéro 25.-Euros (frais de port inclus), abonnement (deux numéros) 50.- Euros, (abonnement de soutien à partir de 70.- Euros), règlement par chèque à l’ordre de « Revue L’Ouroboros » en ajoutant vos coordonnés, adresse postale : 320 rue Duguesclin, 69007 Lyon, mail : ouroboros.dard@gmail.com

Pour le moment la revue est seulement disponible en librairies à Lyon. Elle est présente sur Facebook, page : « Revue Ouroboros ».

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