Koutouzov : pour une stratégie destituante aujourd’hui

Contre la profusion vertigineuse de discours décrétant l’urgence de l’action.

paru dans lundimatin#249, le 29 juin 2020

"Ceux-là même qui dénoncent l’état d’exception permanent, n’hésitent pas à répéter les mêmes slogans, les mêmes appels que les « décideurs », qui œuvrent, sans vergogne et sans paravent désormais, pour la « Grande Restauration »..."
Or, "Être à la hauteur de l’événement aujourd’hui, dans ce monde humain que nous savons désormais déjà fini, n’est-ce pas plutôt ne rien faire, radicaliser notre inactivité imposée ?"
par Stéphane Hervé et Luca Salza

Quant au comte Rostoptchine, qui tantôt faisait honte à ceux qui s’en allaient, tantôt faisait évacuer les administrations, tantôt distribuait des armes inefficaces à des bandes d’ivrognes, tantôt levait des icônes, tantôt interdisait au métropolite Augustin de faire partir les reliques et les icônes, tantôt réquisitionnait tous les véhicules particuliers de Moscou, tantôt faisait transporter sur cent trente-six chariots le ballon que construisait Leppich, tantôt laissait entendre qu’il incendierait Moscou, tantôt racontait qu’il avait mis à feu sa propre maison et, dans une proclamation aux Français, leur reprochait solennellement d’avoir saccagé son orphelinat ; tantôt s’attribuait la gloire de l’incendie de Moscou, tantôt la rejetait, tantôt ordonnait au peuple de faire la chasse à tous les espions et de les lui amener, tantôt lui reprochait de le faire, tantôt expulsait de Moscou tous les Français, tantôt y laissait Mme Aubert-Chalmet, centre de toute la colonie française, tandis que sans raison particulière il faisait arrêter et emmener en exil le vieux et respectable directeur des postes Klioutcharev ; tantôt rassemblait le peuple pour aller aux Trois Monts se battre contre les Français, tantôt, pour se débarrasser de ce peuple, lui livrait un homme à massacrer et filait lui-même par la porte de derrière ; tantôt disait qu’il ne survivrait pas au malheur de Moscou, tantôt écrivait dans des albums des vers français sur la part qu’il prenait à cette affaire – cet homme ne comprenait pas la signification de l’événement qui s’accomplissait, mais voulait seulement faire quelque chose, étonner quelqu’un, accomplir un acte d’héroïsme patriotique ; comme un gamin, il jouait avec l’événement grandiose et inéluctable qu’étaient l’abandon et l’incendie de Moscou, et de sa petite main s’efforçait tantôt d’activer, tantôt de freiner le cours de l’immense torrent populaire qui l’emportait avec lui.
(L. Tolstoï, La Guerre et la Paix, trad. E. Guertik, tome II, pp. 357-358).

Alors qu’il vient de décrire la guerre guerroyée – les Russes ont abandonné le champ d’honneur après la bataille de Borodino (7 septembre 1812) et les Français, conduits par leur brave Empereur, s’acheminent pour prendre Moscou – Tolstoï nous offre un tableau saisissant de ce que cette guerre provoque à l’arrière. Le comte Rostoptchine, le gouverneur militaire de Moscou, s’attelle avec fougue et abnégation à la défense de la ville. Depuis quelques mois déjà, il ne cesse de produire des affiches pour alerter la population des avancées de l’armée de Napoléon en Russie. Quand les événements s’enchaînent, il multiplie les actions. Elles ont beau se contredire les unes avec les autres, ce qui compte est le mouvement, l’agitation dirions-nous : il faut donner l’impression de faire, il ne convient surtout pas de demeurer inerte face à l’abandon de Moscou.

Moscou est, en effet, « déserte », un « événement invraisemblable » s’est produit.

Après Borodino, l’armée russe a décidé de ne pas défendre la ville et s’est retirée dans l’arrière-pays. Les habitants de la ville sont logiquement partis. De plus, des incendies commencent à ravager Moscou. Quand Napoléon entre en ville, il n’y a aucune députation pour l’attendre. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Aucune négociation n’est possible : « la question de savoir si l’on serait bien ou mal sous l’administration française à Moscou ne pouvait se poser. On ne pouvait vivre sous l’administration française ». Au nom de cet intraitable, les Moscovites abandonnent leurs biens, se dispersent hors de la ville, la désertent au sens propre du terme. Cette désertion de masse est commandée par le feld-maréchal Koutouzov, l’inventeur d’une stratégie de retraite face à l’avancée de la Grande Armée napoléonienne. « Inventeur » est probablement un nom trop fort, Koutouzov, en réalité, ne prononce presque pas de mots, il ne définit ni n’esquisse aucune stratégie. Il se moque même des stratèges. Koutouzov est présenté justement comme l’opposé de Rostoptchine. Si le gouverneur prêche l’action, Koutouzov se distingue par l’inaction. Si Rostoptchine est vif, énergique, Koutouzov s’endort pendant les conseils de guerre, marche d’un pas mal assuré, n’a aucune contenance sur un cheval, ne voit presque rien avec son seul œil. Il est toujours distrait, fatigué. Un feld-maréchal inactif est une figure, avouons-le, inhabituelle. Tolstoï semble prendre un plaisir particulier à décrire ce vieil homme. À travers lui, il veut surtout nous conduire à réfléchir aux attitudes à avoir face à l’événement. Quand un grand événement se produit, quand l’Histoire se matérialise, quand on la voit passer devant nous, pour reprendre les mots d’un Allemand célèbre, que faire ? En l’occurrence, il s’agit de savoir qui, entre Rostoptchine et Koutouzov, saisit l’événement. Le narrateur pose la question et donne la réponse. L’activisme du comte Rostoptchine n’est pas à la hauteur de ce qui se passe : le comte se pense comme un homme qui peut agir dans l’histoire, peut intervenir dans l’histoire, peut faire, alors que l’abandon, la désertion, le non-faire que « personnifie » Koutouzov, dans ce cas précis, sont, selon le narrateur, la seule réponse possible face à l’Histoire. « Patience et temps » : c’est en répondant en des termes « désœuvrés » à la question « Que faire ? » que Koutouzov élabore une stratégie victorieuse face à Napoléon.

Confinés chez nous pendant plus de deux mois, dans un autre type de « désert », au lieu de Camus et d’Agamben, nous avons préféré lire Tolstoï. Nous ne pensons pas que les événements récents soient saisis si nous en restons aux angoisses existentielles, si nous nous contentons de réfléchir à l’émergence d’un gouvernement par le mensonge consenti et à la pérennité, par ailleurs détestable, de l’état d’urgence. Du fait de l’enchaînement chronologique fortuit avec les mouvements sociaux de l’hiver, cette période nous pose d’abord de nombreuses questions de stratégie politique. La lutte n’est pas finie. Car, derrière le narcissisme des différents blogs ou journaux de confinement, derrière les justifications des interdictions et des traçages pour le salut de tous, derrière les données prétendument objectives énumérées par des experts en santé publique, en épidémiologie, en virologie, en microbiologie, en infectiologie, en n’importe quoi (s’il y a eu une grande victime durent cette période, c’est bien l’idée même d’objectivité – personne n’y croit plus), se trament encore des enjeux politiques. Et quelles sont les personnes qui ont été contraintes à continuer à se rendre sur leur lieu de travail, pour un salaire misérable ? Alors, bien sûr, on leur a promis des primes, mais à quelles conditions ! On leur a cédé une reconnaissance sociale, dit-on dans les médias, comme si un « merci » appliqué à un portrait souriant, tel qu’il est apparu sur la une d’un grand quotidien du Nord, pouvait suffire à faire d’eux des citoyens d’honneur. D’ailleurs, ils ont déjà disparu. Tout recommence enfin, se sont exclamés, soulagés, les commentateurs. Mais la hantise de la grève pointe déjà.

À notre grand étonnement, dans une conjoncture historique favorable à l’arrêt du système, à la grève justement, nous avons pu lire les affiches, les textes, les proclamations de divers Rostoptchine de l’époque moderne qui nous poussaient à « agir ».

Liberté, liberté... liberté ! Disaient-ils. Il est nécessaire d’agir. Contrer l’état d’exception. Manifester, se manifester. Sortir. Ne sommes-nous plus le « peuple des terrasses », se demandaient-ils, ébahis ? Et l’école, ce haut lieu de l’émancipation, pourquoi est-elle encore fermée ? C’est le destin de nos enfants qui est en jeu. Il est nécessaire, urgent, vital de recommencer la vie, fût-elle une vie inutile, sans sens, soumise à la loi de la valeur, la vie que nous connaissons avant l’irruption du virus. Nous avons dû lire des kilomètres de lignes de ces Rostoptchine indignés. Ils veulent se battre – par la plume, certes, n’exagérons pas non plus – ils s’agitent, ils nous invitent à bouger pour ne pas sombrer dans l’inactivité, dans le désert.

De tous les côtés, une agitation verbale, une surenchère analytique, une profusion vertigineuse de discours décrétant l’urgence de l’action. Ceux-là même qui dénoncent l’anormalité du pouvoir, l’état d’exception permanent, n’hésitent pas à répéter les mêmes slogans, les mêmes appels que les « décideurs », de ce côté-ci de la planète et de l’autre, qui œuvrent, sans vergogne et sans paravent désormais, pour la « Grande Restauration », la reprise et l’accélération du modèle économique et social qui dominait avant le confinement [1]. Faut-il que reparte la « Bullshit Economy », s’interrogeait il y a un mois David Graeber ? Faut-il encore se vouer à « ce secteur à la con » constitués de « tous ces gens [managers, consultants en RH et télémarketing, administrateurs, gestionnaires…] dont le boulot, en somme, consiste à vous convaincre que leur boulot ne relève pas de l’aberration pure et simple » [2] ? Tout est reparti bien sûr (Graeber n’était pas dupe), et les plans de relance, aussi miraculeux que la multiplication des pains, s’accompagnent d’autres plans, sans doute élaborés par ces mêmes consultants trop longtemps oisifs, plans de licenciement, de réorganisation, de modernisation… Et les menaces, les chantages abondent. Faut-il vraiment suivre les règles de cette économie à la con, et promouvoir sa propre agitation inutile ?

Être à la hauteur de l’événement aujourd’hui, dans ce monde humain que nous savons désormais déjà fini, n’est-ce pas plutôt faire comme Koutouzov, c’est-à-dire continuer à ne rien faire, radicaliser notre inactivité imposée ? Laissons Rostoptchine s’agiter et les consultants être aberrants.

Nous ne pouvons plus respirer dans ce monde à cause d’un virus, à cause de la pollution atmosphérique, à cause de la violence étatique, à cause d’une chaleur toujours plus oppressante, à cause de l’explosion de quelques engins ou d’une usine classée Seveso. Nous le savons tous et toutes. Nous vivons dans cette fin, dans le délai de cette fin. Ce n’est pas l’affaire de quelques prophètes. Tout le monde le voit, tout le monde le sait. C’est peut-être cela la nouveauté. L’épidémie en cours nous l’apprend d’une manière irréversible : nous vivons dans la catastrophe. La catastrophe n’est pas pour demain, comme nous le répètent nos dirigeants pour exiger de nous ce qu’il appelle « des adaptations » (gagner moins, travailler plus) ou pour nous culpabiliser sur nos habitudes. Nous y sommes. Cette fois-ci, c’est un virus qui révèle le désastre. C’est, en réalité, tout un système, social, politique, économique, moral, qui est en crise profonde, qui nous « étouffe ».

Pourquoi alors faire comme si de rien n’était ? Se battre, lutter, faire... Pour quoi ? Pour le monde de hier ? Pour les bouchons en ville ? Pour les métros bondés ? Pour un ciel pollué d’avions ? Pour une école qui depuis trente ans au moins n’est plus ascenseur de rien ? Pour mourir la face contre le sol sans air dans les poumons ? Pour quelques centimes d’euros d’aumône sur le salaire de ceux, parmi nous, qui ont été les plus exposés au virus ?

Malgré une production au ralenti, nous n’avons manqué d’aucun bien matériel pendant la crise. Le système « sur-produit » en toute évidence. Face à ce Napoléon, avançant toujours vers l’avant, produisant sans cesse, notre stratégie consistera-elle à lui opposer un autre activisme ?

Nous avions appelé à une « grève Charlot » quand le mouvement social a explosé en France avant l’épidémie [3]. Nous croyons à la grève comme geste d’arrêt total, arrêt du système, de sa machine et machinerie. Il y a encore une leçon à tirer de ces mois passés (décidément, l’inaction se révèle riche de savoirs) : cette machine soi-disant incontrôlable peut cesser de se mouvoir, il suffit de le vouloir. Le confinement n’a-t-il pas réaffirmé indirectement la puissance politique de la grève, à laquelle peu croyaient encore ?

Continuer à ne rien faire, après l’épidémie, veut dire continuer cette grève, la radicaliser, car cette fois-ci l’événement concerne véritablement tout le monde. Au lieu de crier au scandale pour la perte de notre chère liberté, nous devons saisir l’occasion, saisir le temps. « Temps et patience ». C’est cela une pensée stratégique. Nous devons transformer le confinement en une grève. En sachant que seule une grève – arrêt total de tout, arrêt d’un monde – peut nous sauver. Toute activité est désormais inutile, voire criminelle.

Retirons-nous pour ne pas participer malgré nous (en les contestant) aux grands raouts qui commencent ou se profilent, organisés par tous les corps institués (États, partis, médias) pour réfléchir au monde d’après, pour ne pas prendre part involontairement au contrôle social, en retrouvant les fameux décrocheurs, « perdus » pour l’institution scolaire, qui les perçoit comme des ombres inquiétantes irrécupérables, pour ne pas céder du terrain, des formes et des moments de vie, des gestes sans valeur marchande, que le capitalisme de captation tentera de piétiner peu à peu, pour sortir de l’hédonisme consumérisme qu’on teinte de convivialité et d’être-ensemble. Écoutons le président Macron et suivons littéralement sa foireuse métaphore belliqueuse. N’a-t-il pas dit qu’en ne faisant rien dans « l’arrière-front, nous aidions à la victoire » ? Eh bien, prenons-le aux mots, mais inversons les lignes. Luttons par l’inaction.

Il ne sert à rien d’imaginer des actes positifs, ou pire héroïques, pour contrer l’Histoire. Nous prônons plutôt l’évitement, l’esquive. Nous nous ne battons pas pour un contre-pouvoir, mais pour affirmer le vide du pouvoir. Comme Koutouzov, nous reculons. Nous reculons car le capitalisme continuera à avancer et les marchés de la distance (télé-enseignement, télé-médecine, télé-consulting, télé….) s’ouvrent à cause de cette épidémie. Mais nous ne réfugions pas dans des cabanes en forêt, tels des ermites ou des utopistes. Nous disparaissons du jeu, mais nous sommes là, prêts à ne rien faire. Se retirer fait partie de la guerre, comme nous l’a appris un autre grand général déserteur, Spartacus. C’est parce qu’il ne cessa de se retirer dans son errance désœuvrée, ne voulant rien mais exigeant tout, que le pouvoir de l’oligarchie romaine vacilla, et c’est parce qu’il fut contraint par ses compagnons à la lutte frontale qu’il fut vaincu, nous enseigne Plutarque. L’inaction est dangereuse, car elle n’est pas privative, car elle fait sentir la pulsation infinie du monde. C’est dans l’inaction que se perçoit la multitude des formes d’existence, que s’invente d’autres mondes. L’inaction est intolérable pour le pouvoir. Personne n’en veut, ni les Empereurs, ni les Etats-majors, ni les Rostoptchine, ni les experts, ni le médias. Contre ceux-ci, nous devenons des soldats de l’échec. Un échec néanmoins gagnant.

Qui a arrêté la marche triomphale de Napoléon, sans toutefois gagner ? Qui arrêtera l’épouvantable restauration en acte ?

La retraite devient, en effet, la stratégie de la victoire. Aussi l’arrêt de la production/destruction est-il un geste politique, autonome. Ce n’est plus un pouvoir mort qui nous confine. C’est nous qui décidons d’arrêter tout. Seuls repartent joyeusement au travail ceux pour qui vivre signifie combler sans cesse un manque, pour qui l’inaction est une puissance privative, est synonyme d’impuissance, comme ces créateurs et ces savants qui ont souffert de ne pas produire de la valeur, à la manière d’un manager qui n’a pu produire ses rapports. Nous, nous continuons à lire et à écrire, à faire du jardinage, nous jouons aux échecs avec nos enfants, faisons sortir nos vieux des Ephad. Nous tissons d’autres liens sociaux, comme ceux créées par les brigades de secours populaire, d’autres manières d’exister. Alors que le pouvoir nous invite à faire, à dépenser, à être comme avant, nous choisissons de ne rien faire. Nous sauvons le monde et nos vies. Imaginez un peu la tête des commentateurs politiques, imaginez un peu la tête des ministres, comme Mme Pénicaud qui nous supplie de dépenser rapidement l’argent économisé pendant le confinement, imaginez un peu la tête des patrons et de leurs managers, des consultants zélés, des administrateurs et autres comptables, si personne ne participe à l’effort de la « reprise ». Une gigantesque grève de l’existence paralysant tout, continuant de paralyser tout. Imaginez un peu leur tête, à tout ce beau monde du Fouquet’s, à ces représentants de la fantoche « start-up nation », à tous les productivistes, si on continue à ne rien faire...

Ils ressembleront à ce pauvre bougre de Napoléon quand il entra à Moscou et ne trouva personne. Son armée ne put même pas faire sa belle marche triomphale, comme à l’accoutumée. Une terrible situation l’accabla : le « ridicule ». Existe-t-il une arme plus puissante contre les puissants ? Une armée conquérante, après des mois de combats acharnés, s’empare d’une ville, mais personne n’est là ! Son chef n’a droit à aucun acte de soumission. C’est alors que Napoléon perd tout le génie militaire qui l’a rendu immortel, que sa fameuse armée cesse d’être une horde compacte et devient un ramassis de brigands. De l’autre côté, en revanche, les Russes, dans cette stratégie de l’évitement, redeviennent un peuple. Un peuple en lutte. En effet, la stratégie de Koutouzov est la conséquence de la volonté farouche qui émerge anonymement, sans raison, sans déclaration, des viscères de tout un peuple.

Nous aussi, en continuant notre exil, en radicalisant notre non-faire, nous redevenons un peuple, un peuple-Chveik, un peuple de l’insoumission, non négociable, du refus absolu.

Après les incendies de Moscou et le départ définitif des Français, des bandes s’organisent pour harceler la Grande Armée durant sa fuite. Denisov, Dolochov sont des silhouettes d’anciens maquisards. Ce sont les chefs d’une guerre partisane, les premiers exemples héroïques d’une guerre de libération. Des formes de « résistance » s’organisent aujourd’hui aussi, face à la stupidité et la nocivité du pouvoir. Mais, comme Koutouzov, nous espérons sortir de la dialectique ami/ennemi, pouvoir/contre-pouvoir. Koutouzov ne veut jamais attaquer, il doit se battre contre ses généraux aspirant à la gloire. Arrêtez-vous, ce n’est pas la peine. Ne cherchez pas la guerre. Nous sommes là. Un point c’est tout. Koutouzov comprend que la victoire découlera de cette détermination. C’est une détermination issue de la volonté terrible de tout un peuple : le peuple se manifeste dans ce refus même. Plus précisément : c’est ce refus qui crée le peuple.

Afin de caractériser ce refus, d’expliquer le geste de retraite des Russes, Tolstoï parle d’un « acte négatif » qui a réuni le peuple et chassé les Français. C’est un mot admirable. Koutouzov est, malgré lui, malgré ses galons, un nom de cette stratégie destituante.

Dans ce temps-ci, il y a une prolifération de ce genre d’« actes négatifs » en dépit de toutes les injonctions du pouvoir à se mobiliser, malgré tous les Rostoptchine. Un peuple/non peuple s’esquisse même. Il n’a aucune intention de participer aux tentatives de restauration. Il est prêt à s’éloigner, à déserter, pour tenter de vivre encore, vraiment. Camarades, continuons à nous démobiliser.

[1Voir Alain Brossat, Alain Naze, L’épouvantable restauration globale, cf. https://ici-et-ailleurs.org/contributions/actualite/article/l-epouvantable-restauration

[2David Graeber, « Vers une bullshit economy », Libération, 27 mai 2020.

[3Voir Pierandrea Amato, Luca Salza, Pour une grève-Charlot, cf. https://revue-k.univ-lille.fr/cahier-special-2020.html  

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :