Jérusalem en marge et au coeur des mobilisations palestiniennes

Entretien avec l’historien Vincent Lemire

paru dans lundimatin#289, le 24 mai 2021

Vincent Lemire est historien, il a notamment dirigé l’ouvrage Jérusalem. Histoire d’une ville-monde (Flammarion, 2016). Depuis la ville sainte, il a accepté de répondre aux questions de Vivian Petit, lui-même auteur de Retours sur une saison à Gaza (Scribest, 2017), afin de nous éclairer sur le contexte historique et politique des luttes palestiniennes autour du quartier de Sheikh Jarrah et au-delà.

Bonjour Vincent. La révolte en cours en Palestine est partie de Jérusalem. Peux-tu à la fois nous décrire la situation des Palestiniens de Jérusalem, et nous dire en quoi consiste la mobilisation dont on a entendu parler ces derniers temps ?
Avant de décrire la situation sur le plan qualitatif il faut essayer de l’évaluer sur le plan quantitatif : les Palestiniens de Jérusalem sont aujourd’hui 350 000, c’est-à-dire cinq fois plus nombreux que lors de l’annexion de la ville par Israël en 1967. Ces Palestiniens vivent dans des situations extrêmement difficiles sur le plan matériel, parce que cette multiplication par cinq de la population s’est faite dans un contexte où ces familles obtiennent très peu de permis de construire, donc avec une densité urbaine devenue exponentielle. Le manque d’espaces publics, de parcs, de places, de squares, explique donc aussi beaucoup de choses, d’autant plus que les seules places publiques restantes leur sont disputées ou interdites par les autorités israéliennes.

Il faut souligner également que la démographie à Jérusalem-est est une démographie militante. Le taux de fécondité à Jérusalem-est ne correspond absolument pas aux standards régionaux, ni au niveau d’étude, d’éducation et d’encadrement médical. Cette démographie militante est en partie gagnante puisque, il faut encore le rappeler, la population palestinienne de Jérusalem a été multipliée par cinq depuis 1967, alors que dans le même temps, la population juive israélienne, à Jérusalem-ouest et à Jérusalem-est, a été multipliée par trois, passant de 190 000 à 560 000. Aujourd’hui, les Palestiniens de Jérusalem représentent 40% de la population de la municipalité, contre 25% en 1967.

La situation démographique doit être mise en regard avec le statut juridique des Palestiniens de Jérusalem, qui est uniquement un statut de résident, c’est-à-dire que d’un point de vue administratif ils ne sont ni Palestiniens ni Israéliens. Certains sont encore Jordaniens, bien qu’ils aient de plus en plus de difficultés à faire renouveler leurs papiers, qui ne leur servent que pour éventuellement quitter le territoire et faire des allers-retours à l’étranger. Le statut de résident de Jérusalem est un statut provisoire, temporaire, renouvelé régulièrement, de manière précaire. La stratégie israélienne a consisté à mettre en place des règles peu claires, établissant par exemple qu’un Palestinien s’absentant plus de cinq ans, de façon plus ou moins continue, peut être privé de son statut de résident, et donc devenir illégal y compris dans son propre logement à Jérusalem-est. Cette stratégie a donné des résultats, puisqu’environ 15 000 cartes de résident ont été supprimées depuis 1967.

Ceci étant dit, cette politique de précarisation du statut des résidents de Jérusalem-est a finalement eu un effet contre-productif, du point de vue de la stratégie israélienne. Je l’ai notamment compris en parlant à la fois avec des Palestiniens de Jérusalem-est et avec des sociologues de l’immigration : si tu dis à quelqu’un qu’il ne reviendra plus jamais chez lui s’il ne revient pas au bout de quatre ou cinq ans, alors il y a de très grandes chances qu’il rentre avant cette échéance. Les familles palestiniennes de Jérusalem-est ont donc mis en place des contre-stratégies pour contourner cette stratégie d’éviction, en organisant par exemple un turn-over avec un cousin ou un oncle pour tenir un business ouvert à l’étranger, ou alors en retournant à Jérusalem après quatre ans d’études au Canada et en repartant après un ou deux ans une fois que le statut de résident est à nouveau stabilisé etc. Cette menace permanente a finalement contribué à fixer la population sur place.

Les historiens et les sociologues de l’immigration savent que beaucoup d’Algériens ou de Marocains sont partis en France en disant à leur famille qu’ils reviendraient quelques années plus tard, mais beaucoup sont restés plus longtemps ou sont encore là, justement parce qu’ils savent qu’ils pourront toujours rentrer sur leur terre natale « le moment venu », et ce moment ne cesse d’être retardé. Dans le cas de Jérusalem chaque habitant palestinien se considère comme une cible à titre individuel et il est donc rendu concrètement acteur de cette bataille. Et cette bataille est d’autant plus entretenue qu’elle a longtemps tourné à l’avantage des Palestiniens de Jérusalem-est. Ce ratio a aujourd’hui tendance à se stabiliser, puisque la démographie à Jérusalem-ouest devient elle aussi très forte et très militante, et que la démographie plafonne maintenant à Jérusalem-est, du fait des conditions de vie et de la situation immobilière. Il faut également souligner qu’on assiste à un durcissement progressif des mesures israéliennes depuis le milieu des années 1990 : 15 000 cartes de résidents ont été supprimées au total depuis la guerre des Six jours, donc en moyenne 300 par an, mais 3000 l’ont été entre 1995 et 2000 (donc 600 par an en moyenne sur cette période), 1340 l’ont été sur la seule année 2006 et 4500 cartes de résidents ont été supprimées sur la seule année 2008 [1].

Mais est-ce que la démographie est à ce point déterminante ? Il y a plein de contextes coloniaux où la population indigène est ultra majoritaire par rapport aux colons tout en étant dominée. On peut par exemple penser à l’Afrique du sud de l’apartheid ou à l’Algérie du temps de l’occupation française…
Tu as raison, et de fait il faudrait nuancer les effets de cette bataille démographique à propos de Gaza ou de la Cisjordanie par exemple. Mais dans un contexte urbain, et en particulier dans le contexte urbain de Jérusalem, avec un territoire extrêmement contraint, qui n’est pas extensible à l’infini, et avec une population palestinienne exclusivement présente à Jérusalem-est, notamment dans la vieille ville, donc au cœur du bassin historique, religieux et patrimonial, cette résistance démographique, ou plus exactement cette « insistance démographique », fini par avoir un effet politique évident. C’est du fait de cette population nombreuse, et de la jeunesse de cette population, que les Palestiniens peuvent mener des batailles victorieuses à la porte de Damas, sur l’esplanade des mosquées ou dans la vieille ville.

Car dans la vieille ville il faut souligner que le rapport de force tourne encore plus nettement à l’avantage des Palestiniens : on compte moins de 4000 Juifs israéliens sur les 35 000 habitants de la vieille ville, soit à peine plus de 10% de la population totale. Cela finit par avoir des effets dans certains contextes précis, par exemple lorsque le 10 mai 2021 les israéliens ont tenté d’organiser la manifestation annuelle du « Jour de Jérusalem » destinée à célébrer la « réunification » issue de la Guerre des Six jours, ils en ont été littéralement et physiquement empêchés par la population palestinienne. La parade a donc été déroutée, les manifestants israéliens n’ont pas pu avoir accès à l’esplanade des mosquées, puis ils ont été empêchés de passer par la porte de Damas, et finalement des camions ont été installés par la police pour leur barrer l’accès à tout Jérusalem-est.

En plus de la vieille ville, la mobilisation à Jérusalem concerne le quartier de Sheikh Jarrah, où des familles palestiniennes sont menacées d’expulsion. Tu peux nous en dire plus ?
Il faut d’abord rappeler que le quartier de Sheikh Jarrah est situé dans les faubourgs nord de Jérusalem-est. C’est un quartier qui a été très précocement investi par les bourgeoisies et les notabilités palestiniennes, à partir de la fin du dix-neuvième siècle, donc bien avant le mandat britannique, et évidemment bien avant la période jordanienne. Je dis cela parce qu’une partie du débat consiste à dater les habitations contestées.Et si on se focalise sur le pâté de maisons qui est actuellement disputé, on a effectivement ces maisons construites sur des parcelles de terrains qui étaient des propriétés juives avant 1948 – je parle bien du terrain et non des maisons elles-mêmes – et sur lesquelles ont été construites des nouvelles habitations par les autorités jordaniennes entre 1948 et 1967 pour reloger des familles palestiniennes expulsées des quartiers arabes de Jérusalem ouest, notamment le quartier de Baka.

La cour suprême israélienne s’apprête donc à trancher ce litige en s’appuyant sur un élément de droit qui établit que les propriétés réputées juives avant 1948 peuvent bénéficier d’un rétablissement rétroactif, quelle que soit l’histoire immobilière et juridique de cette parcelle depuis plus de 70 ans, et y compris en disjoignant la propriété du sol de la propriété de l’immeuble : la propriété rétroactive du sol peut servir de base juridique pour récupérer la propriété de l’immeuble, ce qui, du strict point de vue du droit immobilier est assez… inventif. Et évidemment, ce conflit a un potentiel de mobilisation politique énorme du côté palestinien, puisque les 750 000 Palestiniens expulsés de chez eux en 1948 ne peuvent ni bénéficier ni même invoquer ce droit immobilier rétroactif : ils dénoncent donc un cadre juridique dissymétrique et donc explicitement discriminatoire. Ce micro conflit immobilier de Sheikh Jarrah vient donc faire écho à l’histoire collective palestinienne dans son ensemble, à Sheikh Jarrah, à Jérusalem et dans toute la Palestine, où plus de 400 villages ont été détruits en 1948.

Ce qu’il y a d’intéressant c’est que les jeunes activistes palestiniens qui se sont emparé de cette situation ont fait bouger toutes les lignes de la mobilisation. Premièrement, ils se sont sérieusement emparé de la situation sur le plan juridique, c’est-à-dire qu’ils se sont donnés les moyens de solidement contester juridiquement la menace d’éviction. Mais ils ne se sont pas enfermés dans ce seul débat juridique, et les mêmes ont mené en même temps une bataille politique parfaitement assumée, en montrant en quoi la bataille juridique était biaisée, et en quoi cette bataille juridique dissymétrique était représentative d’un destin collectif palestinien. Cette articulation du juridique et du politique, ce refus de choisir entre les deux modes d’actions, tout cela signale aussi l’originalité de la mobilisation en cours.

Et quels sont justement les modes de mobilisations ?
Il y a une articulation très fine et très construite entre une mobilisation médiatique sur les réseaux sociaux et une mobilisation localement située, avec des rendez-vous le soir, avec l’installation de tentes et de « points fixes », et diverses déclinaisons de rassemblements, au gré des occasions et des opportunités. Par exemple durant le mois de ramadan les iftars (repas de rupture du jeûne) se tenaient à cet endroit, en extérieur, dans la rue, de manière à la fois festive et mobilisatrice, et montrant l’empreinte de ces familles sur le quartier, leurs réseaux de soutiens, etc. Tout ceci est parfaitement conscientisé, scénographié et politisé, au sens fort du terme, par les activistes qui se relaient sur place. Il faut aussi souligner qu’un repas d’iftar permet à la fois de mobiliser les hommes et les femmes, les grands parents et les plus jeunes, les plus religieux comme les moins religieux, les membres de la famille et les militants venus de l’extérieur, c’est un moment réellement inclusif, très révélateur d’une forte maturité dans la forme de cette mobilisation.

Cette capacité à mener de front la bataille juridique et la bataille politique est également assez nouvelle. Ces combats ont souvent été menés soit d’un côté soit de l’autre, avec parfois même des débats théoriques à n’en plus finir pour savoir s’il fallait se battre juridiquement en restant discret et en prenant des avocats israéliens pour que la bataille politique n’affaiblisse pas la défense juridique. Ou au contraire ne mener qu’une bataille politique, en refusant de combattre à l’intérieur d’un système juridique biaisé, ce qui du coup rendait ces mobilisations relativement disjointes des intérêts immédiats des familles en question, les réduisant à des batailles « hors-sols », promises à l’échec. Cette articulation est donc inédite, originale, et délicate, parce qu’elle suppose de surmonter une contradiction stratégique qui a été longtemps considérée comme indépassable dans ces affaires-là. Et elle ouvre énormément de perspectives, parce que pour se battre, telle ou telle famille doit pouvoir avoir une chance de sauver son logement. Et en même temps il faut que la défense de son logement puisse être utile à une cause politique plus large, si on veut que ça puisse être le support d’une large mobilisation politique, comme c’est le cas pour l’affaire de Sheikh Jarrah dont on est en train de parler.

Est-ce qu’il y avait uniquement des Palestiniens dans cette mobilisation, ou aussi à la marge des Israéliens qui s’opposent à leur état ?
Sheikh Jarrah a depuis toujours été un point de rendez-vous de la gauche israélienne ou de ce qu’il en reste, et aujourd’hui plutôt de l’extrême-gauche israélienne. Cette lutte réactive donc une histoire, puisque des militants manifestaient déjà à Sheikh Jarrah dans les années 1980 et 1990. Il y a donc aussi un potentiel là-dedans. Il y a B’Tselem qui est présente. Il y a aussi une association qui est plutôt israélienne, Ir Amim, mais qui travaille au plus proche des mobilisations palestiniennes à Jérusalem-est, sur des questions d’urbanisme et de partage des décisions. Il faut aussi rappeler que Sheikh Jarrah est sur la ligne verte (ancienne frontière entre Jérusalem-ouest et Jérusalem-est), ce qui rend les choses compliquées parce qu’on est sur une zone de frottement, mais qui les facilite aussi sur le plan symbolique. Et cela veut dire aussi que géographiquement le lieu n’est pas isolé, les militants comme les médias peuvent s’y rendre facilement et rapidement.

Ir Amim est une association qui m’intéresse beaucoup, très sérieuse, qui travaille énormément, sur la cartographie, sur les services publics, sur les questions juridiques. Leur discours consiste à défendre une Jérusalem « partagée » (non pas partitionnée), capitale de deux états, donc c’est un discours plutôt israélien, mais ils vont assez loin dans l’élaboration des complicités avec les Palestiniens dans ce genre de situations. Par exemple à Sheikh Jarrah, quand la situation était particulièrement tendue, ils se rendaient près de la prison du quartier russe pour manifester contre les emprisonnements qui arrivaient de façon régulière et inévitable à chaque fin de journée. C’est un choix de leur part, ces militants souhaitent mener un combat israélien, notamment sur les conditions de justice et de détention, ils ne se considèrent pas comme légitimes partout et ils ont une vraie réflexion sur leurs lieux d’intervention. Ça aussi c’est intéressant, la façon dont des réflexions militantes sur des modes d’intervention ont pu être réactivées et de nouveau bouger, sur les lieux et les périmètres de mobilisation, les légitimités, etc, justement parce qu’il s’agit de Sheikh Jarrah et parce que c’est un lieu de mobilisation historique, dans tous les sens du terme. C’est un combat qui vient de loin, qui provoque forcément une réaction militante, et possiblement une rencontre entre plusieurs générations militantes et entre plusieurs modes de mobilisation.

Et où en est-on actuellement, des menaces d’expulsion ?
Dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 mai, la Cour suprême israélienne a reporté son audience, donc sa décision, de 30 jours. C’est un report, pas une annulation. C’est donc un recul, clairement dû à la mobilisation, mais on reste dans une chronologie judiciaire, pas dans une chronologie politique, la décision sera donc rendue, et si elle est rendue sur la base des textes dont on vient de parler, a priori elle sera défavorable aux familles palestiniennes, puisque des parcelles de terrains ont appartenu à des familles juives avant 1948. Je pense qu’il faut pouvoir le dire, pour être crédible, et pour se concentrer sur le point de droit qui ne fait pas la différence entre le terrain et les habitations, alors que cette distinction entre le sol et l’immeuble est une des bases du droit foncier et du droit immobilier. Cela permet aussi de se concentrer sur le caractère discriminatoire de cette bataille juridique, puisque des populations qui vivent dans la même ville et dans le même quartier ne peuvent pas bénéficier des mêmes droits. Et puis il y a encore un troisième élément, en plus de la non distinction entre le sol et l’immeuble, et de l’existence d’un droit rétroactif discriminatoire, c’est le fait que ce droit est transférable, non seulement aux ayants droits directs, mais aussi à des associations qui peuvent reprendre à leur compte la cause juridique en tant qu’association de défense des propriétés juives d’avant 1948. On voit bien que, y compris sur le plan strictement juridique, les angles de contestations ne manquent pas.
Et donc, la mobilisation à Sheikh Jarrah continue actuellement ?
Oui, la mobilisation continue. Il y a quelques jours, en pleine guerre de Gaza, la police israélienne a posé de gros blocs de béton pour interdire l’accès de certaines rues du quartier aux véhicules et en même temps pour pouvoir filtrer plus facilement les piétons. Il y a eu dans le même temps une attaque à la voiture bélier contre une patrouille israélienne qui stationnait là. On est donc dans une gradation classique, avec des mesures sécuritaires qui entraînent une adaptation des modes de contestation, avec une tendance à une montée en régime des violences. Autrement, il y a tous les soirs des rassemblements, plus ou moins fournis. La fin de la guerre de Gaza va sans doute avoir l’effet inverse de son début, c’est-à-dire qu’on va avoir un retour des énergies, des caméras, y compris des images autoproduites par les militants eux-mêmes, l’attention va être à nouveau déplacée de Gaza vers Sheikh Jarrah et l’esplanade des mosquées. Et si l’audience judiciaire a effectivement lieu le 10 juin elle sera à nouveau un point de mire important pour la mobilisation.
Peux-tu nous dire comment les militants de Jérusalem ont vécu la militarisation du conflit, avec d’un côté les bombardements israéliens sur Gaza et de l’autre côté les roquettes ?
C’est un point délicat, qui peut être polémique, et il y a tout un répertoire de réponses. Je peux dire deux choses. Premièrement, on a lu des tweets ou des messages facebook de certains militants de la société civile de Jérusalem qui, le lundi 10 mai au soir, ont regretté cette militarisation et cette récupération des combats de Jérusalem par le Hamas de Gaza. Il faut essayer d’être précis : ces prises de positions étaient ponctuelles et elles émanaient de Sheikh Jarrah et de la porte de Damas plutôt que des militants postés sur l’esplanade des mosquées, car toutes ces mobilisations avaient leurs porosités mais aussi leurs polarités propres. Alors, se pose tout de suite la question, non pas de la spontanéité (c’était clairement des prises de positions spontanées et sincères), mais de la représentativité de ces quelques réactions. La question de la représentativité se pose parce que dans le même temps, on a entendu des cris des joie au moment des premiers tirs de roquette et lorsque la première sirène d’alerte a retenti à Jérusalem. On a clairement entendu ces cris de joie de la part non pas d’activistes mais plutôt d’anonymes palestiniens de la porte de Damas ou de la porte d’Hérode, de la vieille ville, de l’esplanade des mosquées, qui saluaient la solidarité du Hamas de Gaza, qui saluaient cet appui.

Il faut dire aussi que tout ceci a été très brutal, très rapide, l’intensité des tirs du premier barrage de roquettes le lundi soir était extrêmement impressionnante et a surpris tout le monde. L’opération devait être bien préparée, mais la plupart des observateurs avaient imaginé uniquement quelques tirs de roquettes mal ajustées pour célébrer la résistance des jeunes palestiniens de Jérusalem. Puisque, de fait, la fin de la journée du lundi 10 mai marquait une série de victoires sur le terrain à Jérusalem, sur l’esplanade, et à la porte de Damas, avec des camions de la police israélienne qui sont venu se positionner sur la ligne verte (l’ancienne frontière et l’est et l’ouest) pour empêcher la parade des drapeaux israéliens de se rendre à Jérusalem-est, précisément le jour de la célébration de la conquête de Jérusalem-est. C’était donc une victoire politique par KO contre Netanyahou.

Il faut donc peut-être distinguer Sheikh Jarrah et l’esplanade des mosquées, où se déploient d’autres acteurs, d’autres enjeux, d’autres logiques. Le Hamas avait bien intégré la défense de Sheikh Jarrah dans ses communiqués, mais l’esplanade des mosquées est tout de même autre chose du point de vue du Hamas, et même du point de vue de l’opinion publique internationale, de l’opinion arabe et de l’opinion musulmane, c’est nettement plus porteur. Et pour le dire simplement, on a vu des drapeaux du Hamas sur l’esplanade des mosquées alors qu’on n’en a pas vu à Sheikh Jarrah.

Là je ne parle que du lundi 10 mai au soir, suite à ce que j’appelle une « récupération » du Hamas, le terme « récupération » n’étant pas un jugement moral ou un jugement de valeurs, car une récupération peut parfois se justifier sur un plan tactique ou stratégique. La récupération peut faire partie du répertoire d’actions de n’importe quel mouvement politique, récupérer une mobilisation qui n’est pas la sienne pour en faire autre chose, pour essayer de l’amplifier, ou pour en déplacer les enjeux, c’est un choix politique. Par contre, dans les jours qui ont suivi, on a eu une baisse de volume, dans tous les sens du terme, à Jérusalem, les regards se sont tournés vers Gaza, et à ce moment-là on a eu un scénario classique lié à Gaza, avec la mort de civils, dont un tiers d’enfants (un ratio extrêmement important, plus important même qu’en 2014). Et donc ce que je viens de dire et qui était en partie vrai le lundi soir ne l’était plus le lendemain, quand on a mesuré l’intensité de la riposte israélienne, qui a été extrêmement élevée. À partir du mardi 11 mai il y a une solidarité vis-à-vis de Gaza qui s’est exprimée de la part de tous les acteurs palestiniens, sans exception. Il faut dire que, y compris dans la presse israélienne de droite, on a souligné que les premières frappes aériennes se situaient à un tel niveau que le Hamas ne pouvait pas ne pas riposter en retour. Netanyahu a saisi sa chance, il avait besoin d’une guerre et il l’a menée au plus loin qu’il pouvait.

D’ailleurs, là tu ne parles que du Hamas, mais même si à Gaza le Hamas est majoritaire et dominant, c’est l’ensemble des groupes armés de Gaza qui se sont déclarés solidaires des tirs de roquettes, qui y ont participé, et ils ont même eu des expressions communes.
Oui, y compris le Djihad islamique, le FPLP, la brigade des martyrs d’Al Aqsa, etc. D’ailleurs on a vu un soir qu’apparemment la brigade des martyrs d’Al Aqsa se serait recréée du côté de Ramallah, sans avoir dorénavant de lien formel avec le Fatah. Reste qu’il est très difficile de connaître l’importance réelle de tel ou tel parti, de telle ou telle faction armée, je ne suis pas spécialiste et seule une longue familiarité avec ces terrains – par définition mal éclairés et sous-documentés – pourrait donner quelques indices robustes. Il est difficile de saisir par exemple l’importance du Hamas à Jérusalem, il ne faut jamais confondre les drapeaux et les mobilisations, de la même manière qu’il ne faut pas confondre les drapeaux israéliens dans la vieille ville et l’emprise territoriale réelle.
Il me semble d’ailleurs qu’il faut, même à Gaza, faire une différence importante entre un soutien exprimé au Hamas dans une période de confrontation armée, et ce que les gens pensent réellement de la politique du Hamas. Je vois même parfois des jeunes que j’ai connus à Gaza, et qui maintenant sont réfugiés en Europe, notamment parce qu’ils ont été menacés par le Hamas, qui peuvent dans des périodes de bombardements sur Gaza partager sur les réseaux sociaux des visuels soutenant la lutte armée et les roquettes du Hamas. J’ai aussi entendu beaucoup de Palestiniens dans les rues de Gaza distinguer l’action armée du Hamas contre Israël – que l’immense majorité soutenait – de son programme politique à long terme pour la Palestine ou de sa gouvernance de la bande de Gaza, que beaucoup critiquaient, en les rendant en partie responsable des pénuries, ou en dénonçant le contrôle des relations entre hommes et femmes, la surveillance des comportements des jeunes, les menaces vis-à-vis des opposants, etc.

Je ne sais donc pas exactement ce que signifie la présence du drapeau du Hamas dans une manifestation à Jérusalem, si ces drapeaux sont brandis par des militants du mouvement, s’il s’agit d’une simple insulte contre Israël, de l’affichage d’un soutien à la résistance armée, etc. Il y a évidemment des Palestiniens qui adhèrent idéologiquement au programme du Hamas, mais il faut aussi faire la différence entre l’usage d’un symbole – ou d’un bulletin de vote – dans un contexte donné et l’adhésion réelle à long terme.

Oui, et il y a aussi des cadrages, des photos, des choix éditoriaux, etc. On a beaucoup entendu parler des drapeaux du Hamas sur l’esplanade des mosquées. On les a vus, il y en avait beaucoup plus que d’habitude, c’est une certitude, mais il y avait aussi beaucoup plus de drapeaux palestiniens sur l’esplanade qu’il n’y en a jamais eu. Et en même temps, en miroir, on sait aussi que les Palestiniens de Jérusalem sont vraiment une entité à part, sur le plan des horizons politiques. Ils sont non seulement assez loin du Hamas, je pense beaucoup plus loin que ce qu’on veut bien dire, mais aussi extrêmement loin du Fatah au sens large, encore plus loin que les Palestiniens de Ramallah ou d’Hébron, pour des raisons pratiques et opérationnelles. Les Palestiniens de Jérusalem sont dans une situation très particulière, et c’est pour cela qu’ils doivent trouver leurs propres motifs, leurs propres points de mobilisation, leurs propres formulations, leurs propres scénographies. Ces 350 000 Palestiniens de Jérusalem savent bien qu’ils ont une responsabilité particulière dans le conflit, dans la démographie et la défense des espaces symboliques, et en même temps ils sont isolés, à part. Le fait qu’ils ne puissent pas voter est d’ailleurs assez symptomatique de cela, ils doivent donc faire autre chose, et d’abord se défendre eux-mêmes.
Une série de manifestations a eu lieu en Cisjordanie, puis une grève générale, mardi dernier, le 18 mai. Tu peux en parler ?
Il faut d’abord rappeler que la grève générale est un support de mobilisation extrêmement ancien et fondateur en Palestine, qui remonte à la première Intifada de 1936. Je le dis parce que ça m’a frappé ici, y compris parmi mes interlocuteurs israéliens bien au fait des précédents historiques, certains se demandaient pourquoi il y avait une grève générale, à quoi cela pouvait servir. On est dans le cas d’une grève qui vise effectivement à exprimer sa solidarité, de façon simple et visible, et qui vise aussi à libérer les forces et les énergies pour pouvoir éventuellement aller au contact avec les forces de sécurité israélienne. Et c’est aussi un appel à la grève qui, comme dans un contexte syndical, permet de « prendre la température » d’une population, de façon très immédiate. Et pour le coup cette journée de grève a été extrêmement impressionnante, notamment en Cisjordanie dans les zones A qui sont sous le contrôle total de l’Autorité Palestinienne. Il y a eu des affrontements importants, qui ont fait plusieurs morts côté palestinien. La grève a aussi été importante à Jérusalem, même les Palestiniens qui travaillent à Jérusalem-ouest n’étaient pas à leur travail ce jour-là. Et puis également en Israël, où les Palestiniens ont participé à la grève assez massivement, dans les hôpitaux, les écoles, les transports publics.

Ça été un choc pour les observateurs israéliens, et on perçoit ici une intelligence tactique du Fatah, car la grève générale est un levier qui fait appel à une mémoire militante extrêmement forte, qui peut être repris par tout le monde et décliné sous différentes formes. On peut faire grève pour aller au check-point de Qalandia affronter les soldats israéliens, comme on peut faire grève pour gêner ses employeurs israéliens et leur montrer qu’on reste Palestinien malgré tout. Il y a plein de façons de se mettre en grève, et surtout ça a permis, in extremis, à la galaxie du Fatah d’afficher des formes de solidarité inter-palestiniennes au-delà des différences de statuts, de conditions socio-politiques et socio-économiques, générationnelles, idéologiques, territoriales, ce que le Hamas avait aussi tenté mais de façon plus brutale et plus grossière avec ses tirs de roquettes du lundi 10 mai au soir .

Il y a eu aussi des émeutes palestiniennes dans des villes d’Israël. C’était important ?
Oui, dans les villes dites « mixtes », qui est évidemment une expression inappropriée, puisque ce sont des villes israéliennes au sein desquelles une forte minorité de la population reste palestinienne, de 20 à 30 %, mais dont les contours administratifs en particulier ont été redessinés, élargis. C’est le cas à Saint-Jean-d’Acre par exemple, où l’on a un centre-ville palestinien et des faubourgs israéliens, et donc une municipalité israélienne. C’est aussi le cas à Lod, où on a une municipalité israélienne qui est tout sauf inclusive, qui est tenue par le Likoud, le parti de la droite israélienne. Et donc non seulement il n’y a pas de mixité dans les faits mais il n’y a pas non plus de mixité dans les discours des municipalités élues par la majorité juive israélienne. La population israélienne de ces localités a par ailleurs été modifiée ces dernières années, puisque ces villes deviennent des fronts pionniers d’une forme de « colonisation » de l’intérieur. Le terme peut sembler inapproprié puisqu’il s’agit de villes situées en Israël, mais il peut aider à comprendre la situation si on s’intéresse aux acteurs, et notamment à des associations comme « Graine de Torah » par exemple, qui sont animées par des anciens colons qui choisissent de revenir vers ces villes israéliennes dites « mixtes » parce qu’elles identifient ce qu’elles considèrent comme un risque de subversion à l’intérieur même d’Israël.

Ces révoltes palestiniennes qui ont lieu à la fois dans les villes d’Israël et en Cisjordanie forment sans doute l’élément le plus inédit et donc le plus intéressant de la séquence. C’est très difficile à saisir, il y a sans doute un élément socio-économique à prendre en compte, puisqu’il ne faut pas oublier qu’on est en plein cœur d’une crise socio-économique majeure due à la crise sanitaire, et que les quelques amortisseurs sociaux qui fonctionnent encore en Israël ont très mal fonctionné pour ces populations marginalisées. Tous les Palestiniens qui vivaient soit du tourisme soit de l’économie informelle souffrent énormément sur le plan économique, dans des proportions inimaginables. Pour ce qui est de la Cisjordanie, on peut se demander comment la situation ne dégénère pas à Bethléem par exemple. Que ce soit les chauffeurs de bus, les serveurs de restaurants, les marchands de souvenirs, les guides, c’est une société entière qui se retrouve littéralement asphyxiée avec l’interruption totale de l’économie touristique. Et du côté des Palestiniens d’Israël, on a assisté – comme en Europe – à une explosion de l’éventail socio-économique avec des populations paupérisées qui se sont retrouvées encore plus pauvres, avec des entraves aux déplacements, avec une économie informelle nettement affaiblie, que ce soit ceux qui travaillent dans les arrière-cours des restaurants, qui font la plonge, qui travaillent dans le tourisme, ou même au sein des trafics illicites, dont on sait qu’ils ont été aussi largement entravés par la situation.

Est-ce que ces émeutes s’expliquent seulement par des causes internes ?
Non, il y a aussi un discours stigmatisant de la droite israélienne qui a atteint ces dernières années des niveaux de violence qu’on n’avait jamais entendu. Je ne parle pas de l’extrême-droite, puisque les Palestiniens ont l’habitude d’être insultés par les extrême-droites israéliennes, mais là on avait un discours gouvernemental, au cœur de l’État, qui stigmatisait et accusait les Palestiniens d’Israël d’être véritablement des « ennemis de l’intérieur ». Aux élections précédentes Netanyahu a par exemple largement utilisé son temps de parole pour accuser les Palestiniens d’organiser une fraude électorale, et il équipait les militants du Likoud de caméras cachées pour aller soi-disant documenter les fraudes dans les bureaux de vote des Palestiniens d’Israël, sans succès d’ailleurs. La Cour suprême s’est saisie de l’affaire et a interdit ces caméras, mais cette polémique est devenue une véritable hystérie collective : Netanyahu a réussi à dépolitiser la montée au vote d’une part importante des Palestiniens d’Israël, l’intégration des Palestiniens d’Israël au sein du jeu électoral israélien. Cette intégration peut s’observer y compris avec la scission entre la Liste arabe unie, issue du monde communiste et syndical (notamment Haïfa), et Ra’am, un parti islamiste modéré, dont on dit que c’est l’équivalent du Shas (parti israélien, juif séfarade et ultra-orthodoxe) pour les Palestiniens d’Israël, c’est-à-dire un petit parti clientéliste et opportuniste, pragmatique, prêt à apporter ses sièges à n’importe quelle coalition pourvu que ses quelques revendications concrètes soient satisfaites.

C’est un phénomène d’intégration politique intéressant à observer, puisqu’on se rend compte que Ra’am est parfaitement adapté au jeu politique israélien, on pourrait même dire hyper-adapté. Mais au lieu de comprendre ce phénomène et de tenter de construire quelque chose à partir de ça, on a observé du côté de la droite israélienne un discours stigmatisant, qui a contribué à « dés-israéliser » cette population, qui par certains aspects était en train ou est en train de s’israéliser – pour reprendre le vocabulaire sociologique israélien – comme on le voit dans les parcours universitaires ou dans ce qu’il se passe dans le monde de la santé, qui compte de plus en plus de Palestiniens d’Israël en son sein.

Cela explique aussi la révolte des Palestiniens d’Israël, conjugué à la sur-paupérisation liée à la crise sanitaire, à ces années d’ultra-libéralisme, et bien sûr à la mobilisation à Jérusalem, qui a une portée symbolique pour tous les Palestiniens. Notamment parce que les lieux saints ont une importance non seulement religieuse mais aussi culturelle, politique, identitaire, parce que ce sont des espaces de projection politique. Il est très compliqué de faire la part du religieux et du politique dans les mobilisations récentes, sur l’esplanade des mosquées, sur les marches de la porte de Damas, en période de Ramadan et en dehors du Ramadan, à l’intérieur ou à l’extérieur de Jérusalem, etc. Et y compris l’intégration du parti islamiste modéré Ra’am montre bien que ces catégories deviennent obsolètes, qu’elles ne permettent pas de saisir le caractère inédit de ce qui arrive aujourd’hui.

Dans les villes dites mixtes il y avait aussi un aspect lié à la politique de sécurité et aux systèmes de sécurité israéliens, qui n’étaient pas préparés, qui n’avaient pas positionné de forces dans ces villes-là, qui n’avaient pas de plan d’intervention. En outre ces affrontements étaient à la fois extrêmement violents et brutaux mais surtout très sporadiques et totalement déstructurés sur le plan territorial. Cela se passait essentiellement le soir et la nuit, avec des passages à l’acte d’une violence inouïe, mais avec parfois seulement 20 ou 30 personnes rassemblées, cela n’avait rien à voir avec les affrontements plus « classiques » que l’on peut voir au check-point de Qalandia ou à Hébron en Cisjordanie. Mais cela va laisser des traces. Ça signale à la fois les limites de ce qu’on appelle parfois l’israélisation des Palestiniens d’Israël, ça permet de repérer des frontières ou au minimum des fractures à l’intérieur de ces villes soi-disant mixtes israéliennes.

Mais si on va plus loin dans l’analyse, on peut dire aussi que ces révoltes sont un symptôme, a priori paradoxal, de cette fameuse « israélisation » : il y a dans cette jeunesse des Palestiniens d’Israël un horizon d’attente vis-à-vis des services publics, vis-à-vis des universités, qui n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a trente ans. Ça peut donc donner lieu à des frustrations qui peuvent se transformer en mobilisations politiques et / ou en émeutes, selon la capacité ou l’incapacité à intégrer ces revendications au jeu politique israélien. C’est en tout cas là qu’il faut regarder, très attentivement, c’est cela qui est nouveau et qui est absolument passionnant.

Penses-tu que le cessez-le-feu va favoriser la poursuite de cette lutte ?
Encore une fois, il y a un potentiel de mobilisations à Jérusalem, à Sheikh Jarrah ou sur l’esplanade des mosquées. Pour les villes dites mixtes en Israël, à Lod, Haifa, Saint-Jean-d’Acre je ne suis pas certain de la suite, parce qu’il y a eu une intervention des services de sécurité très tardive mais finalement extrêmement forte, avec des couvre-feux, et y compris des dispositifs assez gênants d’un point de vue israélien, avec des systèmes de filtrage à l’entrée des quartiers, et donc une forme de libanisation de ces villes dites « mixtes ». Tout cela aura sans doute des conséquences politiques à long terme, mais cela a d’abord des effets très concrets en termes de maintien de l’ordre, d’autant plus qu’on est là, pour le coup, dans le cadre de violences urbaines très déstructurées politiquement. Ces jeunes palestiniens d’Israël qui participaient à ces violences le disaient eux-mêmes, ils se présentaient d’abord comme des milices d’autodéfense, sans utiliser ces termes, ils insistaient surtout sur le fait qu’ils défendaient leur quartier contre ceux qu’ils appellent les « colons » israéliens qui venaient les attaquer ou les provoquer.

Cela va donc demander du temps, et beaucoup de travail, pour politiser toute cette violence et toute cette frustration. Mon hypothèse est qu’un couvercle a été posé là-dessus et que la situation peut se stabiliser. Il faut dire que le choc a été énorme du côté israélien, parce que ces émeutes sont venues percuter les représentations symboliques de tout l’éventail politique, de la gauche humaniste à la droite nationaliste et à l’extrême-droite suprémaciste, pour des raisons différentes, voire opposées, les uns soulignant qu’Israël n’avait pas fait assez pour intégrer ces populations, les autres qu’il aurait fallu s’en méfier d’avantage et les tenir encore plus à l’écart. Ce choc a atteint jusqu’au président Reuven Rivlin, qui faisait de la coexistence entre Juifs et Arabes en Israël l’alpha et l’oméga de son discours et de son positionnement. Ces émeutes ont eu un effet déstabilisateur en Israël à un niveau qu’on ne mesure pas, et qui aura des conséquences majeures.

Merci beaucoup à toi pour ces explications précises sur la situation et les formes de lutte, qui peuvent permettre d’éviter l’exotisation et l’altérisation, trop souvent présentes lorsqu’on parle d’Israël et de la Palestine...
Oui il me semble important de réfléchir à ce conflit en termes de mobilisations, de répertoires d’actions, pour politiser le sujet au sens fort du terme, pour essayer de percevoir ce qui est nouveau, inédit, et ce qui relève plutôt de la réactivation d’un répertoire traditionnel, en utilisant des catégories d’analyse robustes et qui ont fait leurs preuves et qui sont accessibles pour toutes et tous. L’Orient n’est pas si compliqué, et ceux qui ne cessent de mettre en avant son « irréductible complexité » ne veulent peut-être pas qu’on y comprenne quelque chose...

[1“Permanent Residency : A Temporary Status set in Stone”, rapport publié par l’association Ir-Amim le 01/06/2012, accessible ici https://www.ir-amim.org.il/sites/default/files/permanent%20residency.pdf

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