Mars 2020
« Language is a virus from outer space. » William S. Burroughs
Il n’a plus de règles ! Le vieux monde vole en éclats au ralenti dans nos corps !
Je m’autorise à dire la vérité en mentant, et vice-versa, et ne me faites pas chier.
Etouffé par ma langue grippée, je ris jaune, comme un gilet arraché par la tempête, étendard flottant à la cime d’un arbre mort.
Le poème comme arme de survie en territoire neutralisé.
Telle une chimère, le contrôleur des contrôleurs, avachi sur un tapis volant de skaï, trace les boucles de l’infini dans le vaste nulle part entre le monde et son absence afin de rendre non pas le rêve mais le réel impossible.
S’affronter soi-même à mort comme durée.
Se croire personne, se tenir la tête entre les mains comme pour retenir quelque chose qui se détache.
Le cosmonaute sans combinaison
Nage et vole dans l’espace où le souffle n’est pas,
Voit dans ses viscères la poussière d’étoile qu’il avale en pensée,
Entend dans le silence infini le chant translucide des anges,
Renifle à l’ombre d’une lune immense l’imminence d’un orage stellaire,
Touche de ses mains le spectre des choses qui ne peuvent plus être.
Eclairs dans le cœur, éclairs dans l’univers,
Le big-bang dans l’esprit se dilate à l’aveugle et peuple
Les sursauts de la vie qui s’accroche à ce qui la dépasse.
Sauver des vies. De qui se moque-t-on ?
Grand silence,
A peine troublé,
Par deux corneilles qui ricanent à l’écoute
Du chœur amoureux des grenouilles.
Chênes qui bourgeonnent,
Poiriers qui fleurissent,
Ombres chinoises des frondaisons à l’horizon,
Grand silence.
Comme tout le monde,
Ou presque,
Je suis confiné.
Au paradis.
Et contrairement aux apparences,
Je suis le seul,
Le seul poète au paradis.
Et j’aime bien leur en boucher un coin de temps en temps,
Aux apparences.
J’ai fui l’enfer de ma cellule urbaine.
Pas certain de me retenir de me tirer une balle dans la tête,
Avérée la pauvreté de ma vie intérieure,
Ou dans celle de ma voisine bourgeoise shootée à l’espoir de crever lentement.
Par la force des choses,
Réduisant la vie à son squelette,
Le monde à son essence concentrationnaire,
Produire consommer,
Le confinement est une expérience métaphysique planétaire
Que tout un chacun peut mener
En restant chez soi
Et en se livrant au vertige du vide
Ou de n’importe quoi.
Au mépris des conséquences.
Rideaux de peupliers dressés comme des balais vers le ciel.
Le ciel tombe du ciel comme un photo-frisson.
A grands coups d’épreuves tordues, hommes et femmes battent les épis du temps dans les vastes espaces stériles.
La mort leur sert de farine pour pétrir le pain de la charité.
Toute possibilité est désespérée comme un cœur fendu en deux.
La désolation qui dévore leur liberté, ils font mine de l’ignorer.
Tout juste acceptent-ils d’admettre que les portes de la perception parfois grincent.
Je suis la reine des ondes. Je façonne toute conscience. Je vise à la neutralité, pour donner une bonne opinion de moi. Je possède la science du ressassement éternel. Je suis une schizophrène insoupçonnée. Je puise toute mon énergie dans l’évènement que je crée. Je me sens partout chez moi, surtout chez toi. Je ne possède aucune conscience de ma signification profonde. J’ignore tout de l’enfance, je suis, je suis, je suis…
Le poète pousse un cri cerceau avec sa langue raide comme un sexe dans le dédale de la mort à l’œuvre.
Il y a trop de poètes en temps de grande détresse.
Ulysse est né d’un cauchemar de Narcisse masqué par sa propre peur,
Ne pouvant plus se contempler lui-même.
Littéralement et dans tous les sens.
Oh sortir de la ronde infernale !
Oh sortir du périmètre du malheur !
Oh sortir de la carrée tombale !
Oh sortir oh sortir s’ordonne-t-il !
Fuir dehors dedans.
Fuir dedans dehors.
Traîner
Traîner traînailler
Traîner traînailler traînasser
Traîner traînailler traînasser tressaillant
Dans l’espace écorché vif par le cadastre
Et brûler la carte plutôt que le territoire.
Narcisse est né d’un cauchemar d’Ulysse démoli par sa promenade,
Ne pouvant plus se mouvoir lui-même.
Littéralement et dans tous les sens.
grand silence il est prostré dans
blanc du poème il est dedans
comme en un tombeau où il vit
à jamais rien mord son esprit
souffle du vent passe un oiseau
bruit de chaînes laid cliquetis
le ciel bleu est noir dans ses yeux
entre ses gros doigts boursouflés
il serre des graviers gelés
très très vague envie d’être ailleurs
son torse est embrasé il pleure
son cœur lézardé de chagrins
et il est là mais il est là
bouche du temps face à la mort
ô quels mots pour fuir dire encore
grand silence il est prostré dans
Personne n’aura jamais inventé ce monde où les rideaux numériques filtrent la lumière factice de nos désirs pétrifiés du dedans.
Et pourtant nous survivrons, nous ou nos enfants, avant de mourir comme si de rien n’était.
« Ouvre toi à une désappropriation tranchante. » Abdelkebir Khatibi (Le lutteur de classe à la manière taoïste)