Il n’y a pas eu de blessés

À propos de l’expulsion de la ZAD d’Arlon

paru dans lundimatin#283, le 12 avril 2021

Alors que les ZAD se multiplient, leur répression elle aussi s’intensifie. Nous avons reçu cette tribune depuis la ZAD d’Arlon en Belgique. Signée par de nombreux écrivains et intellectuels, il semblerait qu’aucun de nos confrères de la presse officielle Belge n’ait jugé opportun de la publier. La voici.

Nous avons écrit le texte qui suit le jour même de l’expulsion de la ZAD d’Arlon, Province du Luxembourg, Belgique, c’est-à-dire 31 hectares de forêt destinés à devenir un zoning industriel. À l’heure de sa publication, nous sommes confrontés à la nouvelle que presque jour pour jour une semaine plus tard, la gendarmerie française a procédé à l’expulsion de la ZAD du Carnet, en l’occurrence 110 hectares de zone naturelle, abritant 116 espèces protégées, dans l’estuaire de la Loire, zone livrée à un projet de construction d’entreprises maritimes. Le constat est le même : le pouvoir néolibéral veut vouer toute perspective de vie collective insubordonnée à la destruction et ne témoigne que d’un mépris obtus à l’égard de la santé terrestre. Le corollaire aussi est le même : désobéir afin de défendre le vivant avec d’autant plus de détermination.

Un matin avant le printemps, cent-cinquante hommes casqués en uniforme appuyés par des engins lourds ont pénétré une forêt. Ils ont arrêté neuf personnes qui y occupaient des cabanes, habitaient la forêt depuis plusieurs saisons, tentant de protéger une parcelle de terre promise à la destruction. Le potentat local se félicite vis-à-vis de son monde en déclarant qu’heureusement il n’y a pas eu de blessés lors de l’opération.

Conformément aux vœux pieux de la gestionnaire de l’intérieur de la nation, la situation sur le terrain ne va donc plus se gangrener. Le terrain : une ancienne sablière coincée entre le faubourg d’une ville provinciale, une route, une autoroute et l’immeuble où siège l’entreprise qui table sur le profit qu’engendre la prolifération du béton. Terrain humide, argileux, paisible, où la vitalité sauvage renaissait sans cesse par le biais du vol des papillons, dans l’écorce des sapins, à travers la liberté des oiseaux.

Terrain menacé, fragile, convoité par la logique imbattable qui cause, entretient, justifie et nie les plaies muettes et les maladies durables infligées à l’avenir des terres, des paysages et des multiplicités du vivant qui nonobstant y survivent. Terrain défendu par les voix solidaires de plus de cent-cinquante personnes soucieuses de la santé immédiate et à long terme de notre espace de respiration commun, voix de philosophes, jardiniers, musiciennes, voisins, chercheuses, poètes, étudiants inquiets, comédiennes, cinéastes, sociologues, enseignantes, agronomes, mères d’enfants.

Il n’y a pas eu de blessés. Quelle ampleur prendra la mort sur le terrain maintenant sécurisé ? Mort contenue dans l’arrachage des fougères, une des plantes les plus anciennes de la planète. Dans l’assèchement des mares. L’abattage des conifères, des chênes et des bouleaux. L’enterrement des cabanes. L’impossibilité définitive de nidification. La disparition des hiboux, des coccinelles. L’anéantissement d’une communauté humaine appliquant la démocratie directe, le respect du milieu naturel, l’hospitalité et l’égalité émancipatrice. La liquidation d’efforts et de l’imagination de centaines de sensibilités, d’une multitude d’actes de soin et de créativité. Le piétinement de l’humus et l’humiliation de l’horizon.

La destruction de la forêt est symptomatique de la défaite de l’esprit. Chaque arbre est une blessure potentielle.

Contre la mise à mort permanente du vivant, habitons les territoires du désir. Que chaque arbre soit une promesse.

Signataires :

Tom Nisse, poète

Paul Hermant, chroniqueur

Thierry Paquot, philosophe

Emmanuel Dockès, professeur, écrivain

Carmelo Virone, écrivain, Actrices et Acteurs des Temps Présents

Raoul Vaneigem, écrivain

Serge Poliart, dessinateur, rédacteur

Félix Jousserand, écrivain, pensionnaire de l’Académie de France à Rome-Villa Medicis

Mathieu Verhaeghen, président CGSP ALR BRU

Miguel Benasayag, philosophe, psychanalyste

Daniel Tanuro, auteur, ingénieur agronome environnementaliste

Pierre Dardot, philosophe

Benoît Borrits, chercheur

Laurence Vielle, poète

Timotéo Sergoï, poète, affichiste

Pascal Leclercq, poète

Anne Penders, auteure

Roland Devresse, poète, éditeur

Germain Cabot, éditeur

Pierre Guéry, poète

Frédéric Thomas, chercheur

Félicien Bogaerts, vidéaste

Jérémie Tholomé, poète, enseignant

Romain Gelin, chercheur

Pirly Zurstrassen, musicien

François Laurent l’Ami Terrien, artiste

Fanchon Daemers, artiste

Maxime Coton, écrivain, cinéaste

Guy Denis, écrivain

Iñaki Urdanibia Sarasola, docteur en philosophie et professeur en retraite

Kathleen Lor, poétesse

Inge Braeckman, poétesse

Tarek Essaker, poète, dramaturge

Silvia Sbedico, psychologue clinicienne

Pauline Porro, journaliste

Sébastien Kennes, Actrices et Acteurs des Temps Présents

Milady Renoir, poétesse, militante pour les droits des sans-papiers

Lisa Kohl, artiste

Sophie Demoulin, maman

Géraldine Carpentier, comédienne

Sandra Pereira, web designer

Teodoro Cohen, étudiant

Valérie Defrène, programmatrice culturelle

Marie-Claude Bretagnolle, citoyenne

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :