Hamlet en CRS

Par Ivan Segré

Ivan Segré - paru dans lundimatin#124, le 27 novembre 2017

À propos d’une création de la Compagnie du Zieu

« Et aujourd’hui je vous dirai que non seulement il faut s’engager dans l’écriture, mais aussi dans la vie » (Pier Paolo Pasolini)

Le spectacle « A mains levées » de la Compagnie du Zieu est le second volet d’une trilogie en cours de création à la Maison de la Culture d’Amiens, trilogie intitulée « La beauté du geste ».

Pour présenter la Compagnie du Zieu, ou du moins pour donner une idée de l’esprit qui anime cette troupe, le mieux est encore de reproduire le court texte qui figure sur leur site :

Résumez votre théâtre en un mot.
Fraternité.
Avec qui ?
Avec certains morts et certains vivants.
Quelle est votre esthétique ?
Nous ne sommes pas des esthéticiens.
Votre univers ?
Nous ne sommes pas des dieux.
Quelle forme alors ?
Celle qui naît de la lutte entre l’idée et la matière.
Vous parlez du texte ou du spectacle ?
Des deux.
Vous avez une ligne politique ?
Rouge et accidentée.
Vous vous souciez du public ?
Autant que des acteurs.
Pourquoi ?
Ils jouent ensemble.
Qu’attendez-vous du public ?
Qu’il soit à l’heure. Et hasardeux.
Les acteurs jouent de face ou de profil ?
Mettez : « en diagonale ».
Vous gagnez combien, par mois ?
En moyenne moins que vous.
Vous êtes méfiants ?
Dans un monde vicieux, c’est une vertu.
Pensez-vous que la beauté sauve le monde ?
Elle le détruit et elle le crée.

Toujours sur leur site, on peut lire également un bref compte-rendu de leurs travaux présents et passés :

du Zieu est une compagnie théâtrale dirigée par Nathalie Garraud, metteure en scène et Olivier Saccomano, auteur. Depuis 2006, avec une troupe d’acteurs et de techniciens, ils travaillent sous forme de cycles de création qui sont le lieu d’une expérience de pensée collective, d’une recherche commune sur l’écriture théâtrale et sur la pratique de l’acteur.

De 2007 à 2010, ils mènent un premier cycle de recherche sur la tragédie, LES SUPPLIANTES. De 2010 à 2013, le cycle sur la jeunesse intitulé C’EST BIEN C’EST MAL, se bâtit sur le principe d’un laboratoire permanent, en lien continu avec le public : deux années de création de formes brèves expérimentales, Les études, donnent lieu à l’écriture et à la création de la pièce Notre jeunesse. De 2013 à 2016, la compagnie développe le cycle SPECTRES DE L’EUROPE, recherche sur la figure de l’étranger en Europe, avec la création de Soudain la nuit, en juillet 2015 au Festival d’Avignon – 69e édition. Les trois pièces de ce cycle : L’avantage du printemps, Othello, variation pour trois acteurs et Soudain la nuit continuent à être présentées en France et à l’étranger. De 2016 à 2018, la compagnie travaille sur un nouveau cycle de création intitulé LA BEAUTE DU GESTE, fresque en trois tableaux sur les rapports entre l’action théâtrale et l’action politique, à travers l’histoire d’une troupe de théâtre.

« A mains levées », créé le 21 novembre à Amiens, est donc le second tableau de cette fresque en cours d’élaboration, et il y est question d’une compagnie de CRS ; d’où mon titre - « Hamlet en CRS » - parce qu’il s’agit de faire signe vers Shakespeare, via Heiner Müller et Brecht.

Shakespeare, Müller et Brecht sont en effet des références omni présentes dans le théâtre de la compagnie du Zieu, avec bien d’autres, plus en arrière-plan, comme Pina Bausch (danse), Pasolini (poésie) ou Renoir (cinéma). En 1968, Pasolini, justement, publiait dans « L’espresso », un magazine italien à grand tirage, un poème intitulé « Il PCI ai giovani ! », dans lequel le révolutionnaire italien paraissait prendre fait et cause pour les policiers contre les étudiants insurgés :

Lorsque hier, à Valle Giulia, vous vous êtes battus
avec les policiers,
moi, je sympathisais avec les policiers.
Car les policiers sont fils de pauvres.
Ils viennent de sub-utopies, paysannes ou urbaines.
Quant à moi, je connais assez bien
leur façon d’avoir été enfants et garçons,
les précieuses mille lires, le père resté garçon lui aussi,
à cause de la misère, qui ne donne pas d’autorité.
La mère endurcie comme un portefaix, ou attendrie
par quelque maladie, comme un oisillon ;
la fratrie nombreuse ; le taudis
au milieu des potagers de sauge rouge (sur des terrains
privés, squattés) ; les bassi
sur les égouts ; ou les appartements des grands
ensembles d’habitations populaires, etc. etc.
Et puis, regardez-les, comme ils s’habillent :
comme des bouffons,
cette étoffe rêche qui pue la bouillie
les intendances et le peuple. La pire des choses, naturellement,
c’est l’état psychologique qu’ils ont atteint
(pour, à peine, quarante mille lires par mois) :
sans plus de sourire,
sans plus d’amitié avec le monde,
séparés,
exclus (dans un type d’exclusion qui n’a pas d’égal) ;
humiliés par la perte de la qualité d’homme
pour celle de policiers (être haï pousse à haïr).

Je dirais, pour annoncer la couleur en deux mots, que la dernière création de la compagnie du Zieu s’efforce de tenir ensemble le poème de Pasolini et celui du comité invisible. Et comme ils parviennent, c’est un moment (1h20) d’une rare puissance, au sens spinoziste du terme, attestant qu’en effet « l’action théâtrale et l’action politique » s’abreuvent à une même source, qui est la vie, multiplicité anonyme, générique, anarchique.

Voilà pour le moment. Je vous en dirai davantage lorsque sera créée l’intégrale (ou trilogie), courant 2018 apparemment. À suivre, donc…

 A mains levées (La beauté du geste, épisode 2) 
> Création le 21 novembre 2017
>> du 21 au 24 novembre à la Maison de la Culture d’Amiens
>> du 29 novembre au 1er décembre aux Scènes du Jura - Lons-le-Saunier
>> du 5 au 8 décembre à Théâtre la Vignette - Scène conventionnée Montpellier
>> du 30 au 31 janvier à Châteauvallon - Scène Nationale
>> du 28 au 30 mars au Bois de l’Aune - Aix-en-Provence

Ivan Segré est philosophe et talmudiste
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