Guerre généralisée au vivant et biotechnologies [4/4]

Le front humain
[Groupe Grothendieck]

paru dans lundimatin#410, le 8 janvier 2024

Chimère humain-porc, clonage humain, souche militarisée, virus à gain de fonction, vaccin codant, ciseaux moléculaires, etc. Il est temps de s’attaquer franchement à tous les petits monstres de la biologie moderne et de comprendre en quoi cette discipline est un des fronts de conquête les plus prometteurs du technocapitalisme sur les humains et la nature.

Grands cycles de capitalisation et montée en puissance technologique, il sera ici question de la Guerre-qui-ne-dit-pas-son-nom, la guerre généralisée à toute condition de génération et d’épanouissement de cette mince, mais ô combien précieuse, couche de matière grouillante à la surface de la croûte terrestre. Celle qui fait que nous pouvons, en tant qu’espèce, espérer et aimer, sentir, jouir et mourir. Il sera ici question de la guerre généralisée au vivant.

Accrochez-vous car il va falloir un peu de patience pour affûter ensemble nos scalpels de la pensée afin que bientôt, le temps de la critique laisse place à la négation vivante.

Ce dernier épisode étant particulièrement long une version PDF est téléchargeable pour impression ici.

Épisode 4 : le front humain

Par l’intuition, nous romprons l’hostilité apparemment irréductible qui sépare notre chair humaine du métal des moteurs [...] nous préparons le règne de l’homme mécanique aux parties remplaçables. Nous le délivrerons de l’idée de la mort, et partant de la mort elle-même.

F.T. Marinetti, Manifeste technique de la littérature futuriste, 1912 [1]

Cette espèce ne naît pas. Elle surgit, transparente. Elle se révèle. Sans doute existe-elle depuis longtemps, ignorée, méconnue. Elle se formait dans les pénombres du genre humain. Aujourd’hui, elle se fait connaître et se connaît, c’est-à-dire qu’elle se reconnaît et se fait reconnaître. Entendons par là qu’elle impose les modes du connaître par lesquels son règne arrive. A-t-il un nom, celui qui vient ? Oui. Nous le nommons, voici son acte de baptême : C’est le CYBERNANTHROPE.

Henri Lefebvre, Vers le cybernanthrope, 1967 [2].

AVANT-PROPOS

Enfin le dernier épisode de la série Guerre généralisée au vivant est arrivé. Nous l’avons voulu comme un ensemble exhaustif et à la fois comme une synthèse et un dépassement des épisodes précédents. Malgré ses nombreuses références, il peut se lire de manière indépendante des autres épisodes. Nous tenons à préciser que notre méthode d’élaboration des épisodes est en elle-même une application dialectique à nos pensées parcellaires permettant d’écrire une théorie critique en cours d’élaboration. Ce dernier épisode pose les contours finaux de cette critique. Il restera à publier une conclusion courte et générale de l’ensemble des épisodes permettant de rassembler les esprits pour la lutte.

Vous nous serez gré de bien nous pardonner nos aventureuses digressions et nos notes de bas de page un peu trop touffues, elles sont comme « des fenêtres par lesquelles le texte s’ouvre sur le monde extérieur et communique avec lui ». Il n’est pas utile de toutes les ouvrir pour comprendre le propos, mais nous tenons à ces notes car elles peuvent être d’une précieuse aide en matériaux et concepts.

Introduction

L’ordinateur est en train de donner son interprétation d’un bifteck, il traduit et reconstitue le bifteck au lieu de le reproduire. Il y a quelque chose que se perd pendant la reconstitution de la viande. Ça doit rendre l’ordinateur fou, comme les grand-mères qui cajolent des bébés. Je ne lui ai pas encore enseigné à raffoler de la chair, la poésie du bifteck.

Jeff Goldblum, La Mouche (The Fly), 1986.

Dans le film de David Cronenberg le savant hypostasié en sa blouse blanche et ses recherches solitaires dans un hangar suburbain, fait « comprendre » à la machine ce qu’est la vie, comment « fonctionne » son intégrité après avoir goûté un succulent bifteck. Cela lui permet, après des « essais infructueux », de téléporter un babouin puis lui-même d’un « télépode » à un autre sans qu’ils aient à subir de modification de leurs corps-esprits [3]… enfin presque.

C’est un des plus grand rêve des cybernéticiens : l’égalité physique (donc pour eux l’égalité politique) entre l’engendré et le fabriqué, entre le vivant et l’inerte, entre la nature et la machine. David Cronenberg est un cybernéticien refoulé car ses raisonnements et son imaginaire, même s’ils ont un côté « critico-horrifique », s’animent à partir d’un socle commun de présupposés dont le premier est qu’il n’y a que des barrières technico-scientifiques à passer pour arriver à la fusion entre ces deux « modes d’existence » [4] et donc que cette fusion est réalisable à long terme. Pour qu’un être vivant puisse transiter à travers des fils électriques ou mieux, qu’il fusionne avec la machine, Cronenberg pense qu’il suffirait du progrès technologiques (les télépodes et l’ordinateur qui parle) et d’une bonne dose d’intelligence humaine (Jeff Goldblum et sa blouse). On retombe ici sur la doctrine essentielle de la guerre au vivant avec ces deux axiomes qui proclament que 1) les êtres vivants sont des ordinateurs (réductionnisme informationnelle ) ; 2) l’intelligence humaine aidée par la technologie (et un bon paquet de dollars), peut conquérir toutes les frontières ouvertes (« frontier » en anglais signifiant « front ouvert » en français), comme par exemple aller sur la Lune ou se téléporter. Ce « frontiste » technologique est typiquement étasunien à la base et remonte à la Conquête de l’Ouest (c.f. épisode 1).

Même si le réalisateur reste critique sur les résultats escomptés et en vient à conclure qu’une erreur technique crée des monstres vivants, il reste dans le dogme central cybernéticien (le paradigme informationnel) dont est imprégné toute la biologie moderne (c.f. ép. 3) et plus particulièrement les années 1980 et l’avènement du génie génétique (c.f. ép. 3) et la reproduction artificielle de l’humain. Ce que nous nommons le « front humain » de la guerre au vivant. On peut déjà en donner quelques idées centrales :

Primo : le monstre ou le cyborg ne sont pas des dommages collatéraux de la recherche technoscientifique, il en sont le cœur, le but (nous verrons la fabrique de monstre-souris et d’embryoïdes humains) ;

Deuzio : le « prix du sang » de ces manipulations biotechnologiques en est qu’il y a une perte de vitalité dans les rejets vivants de la technoscience, les clones, biomonstres et autres cyborgs, ont perdu pour toujours quelque chose d’indescriptible qui se rapporte à l’autonomie de la vie (cette chose qui les rattachent à leur règne et aux autres règnes du vivant. Ce que nous nommons depuis le début le « zôên » en opposition à la vie nue, le « bios ») ;

Tertio : le vivant ne se réduit ni à des processus physico-chimiques même complexes, ni à de l’information, quelle soit génétique ou « épigénétique » ;

Quarto : l’avancée du technocapitalisme engendre la modification des vivants grâce à la technoscience et plus particulièrement la modification des humains.

À l’inverse des cybernéticiens, nous pensons que la vie est tout autres que ce qui est montré dans La Mouche. Elle est constituée des liens forts entre les êtres, des parentés qui forment des règnes, des histoires, et surtout elle est un continuum cohérent entre tous les êtres au sein de leur règne et entre les règnes. Ce continuum dépasse la vie-même pour puiser dans la lumière, la pierre, l’eau, la terre, les éléments dans leurs globalités [5]. La vie est une cohésion globale. Et, pour que la vie soit la vie, il faut ces liens qui s’entretiennent sans notre intervention volontaire. Nous avons besoin de la vie mais la vie n’a pas besoin de nous. Mieux, lui foutre la paix serait un gage qu’elle continue à prospérer hors de nous et en nous !

Malgré cela, et bien que nous ne sachons presque rien du vivant, il paraît improbable qu’il existe un principe premier soutenant ce continuum. Nous ne sommes pas « vitaliste » [6] mais force est d’admettre que nous ne comprenons pas la vie dans sa globalité, nous avons l’intuition que « quelque-chose » d’important nous échappe, le principal peut-être ?

Ce que nous comprenons déjà, c’est que la biologie moderne parce qu’elle est la fille de la physique et de l’informatique, fait fausse route depuis le début en croyant comprendre le tout en étudiant des micro-parties alors que les qualités premières et principales de la vie, s’épuisent, s’effacent dès qu’on sectionne, dissèque, ausculte, modélise, réduit, simplifie. Contrairement à l’arrogance des biotechnologues, généticiens, cybernéticiens et autres thuriféraires du progressisme technoscientifique, nous avons l’humilité de douter et d’accepter notre ignorance. La science à ses limites et là nous en touchons une !

Et c’est en cela que le frontisme technoscientifique est une idéologie parce qu’il fait croire aux humains et surtout à ce genre de personnes, qu’elles pourraient aller aussi loin qu’elles le désirent et que cela « est un progrès » ou que « la société l’exige », il faut comprendre et dominer, diantre !

Le développement technocapitaliste depuis la Seconde guerre mondiale a un fonctionnement guerrier. Il attaque et tente de maîtriser les quatre fondements du vivant : la naissance, la mort, la génération et l’intégrité. Pourquoi ? parce qu’après un mouvement de domination formelle, toujours présente, s’est mit en place petit à petit depuis les années 1930 la domination réelle du capital. Il ne suffit plus d’utiliser ce qui existe déjà, les moyens de la puissance s’auto-amplifiant, permettent de modifier et d’adapter les conditions de l’existant : les bras, les nerfs, les ressources, les conditions de la vie sont petit à petit rechapés, refaçonnés. Et ce mode de fonctionnement a un présupposé guerrier : ce qui ne peut être modifié selon les exigences de fluidité et d’interpénétrabilité du capital doit être éliminé, annihilé. Le napalm, le tapis de bombe, les génocides, l’utilisation massif de défoliant ou carrément la bombe atomique, participent de la guerre, la guerre totale qui travaille en profondeur et ne dit mot, où la fin du zôên est envisagé.

À cela, les blouses blanches répondent : « Vous voulez encore de la vie après cette guerre ? Pas de soucis, on en a plein nos laboratoires ! Des OGMs résistant aux polluants, des capteurs-insectes téléguidés, des animaux ADN-reconstitués, sauvergardés en azote-liquide, des cellules xéno ou allo-greffées, des « embryoïdes » de toutes les variétés, des lignées de souris-humaine totalement viables ! Et si vous cherchez bien dans nos ordures, vous y trouverais bien quelques mutants sans signification ni rattachements possibles, amas de cellules arrachés d’un organe, blurp biochimique en cours de mutation… mais c’est sans intérêt, un coup de javel et c’est finit ! »

La forme moderne que prend la guerre est cette capacité d’action massive et brutale du système qui ne demande et n’exige le respect de personne. Elle se forme quand les sociétés humaines ne revendiquent plus aucune postérité ou responsabilité devant les faits. Ce positionnement n’a fait que croître depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, depuis l’intégration massive des sociétés dans un système opérationnel mondial où ce principe guerrier a été un des moteurs principaux.

Mérite à Cronenberg et à tous les réalisateurs de son genre typiquement hollywoodien des années 1980-1990 (Terminator, Alien, Robocop, Prédator…) : ils ne faisaient qu’exprimer par des images, les peurs d’une époque qui voyait l’émergence des biotechnologies s’appliquer au genre humain, à la génération (reproduction, stérilité) aussi bien qu’à l’intégrité des corps-esprits (prothèses, greffes artificielles, interface homme-machine) ou à la mort (cryogénisation, acharnement thérapeutique). Leur « pessimisme-réaliste » (pour les premiers opus en tout cas) est une marque de ce que nous étudierons avec le Frankenstein de Mary Godwin Shelley : des œuvres d’anticipation permettant de nous aider à comprendre l’époque techno-industrielle.

Bien que la vision du corps humain comme territoire à conquérir remonte au début de l’âge capitaliste et de ses prétentions à liquider les savoirs vernaculaires sur celui-ci (la chasse au sorcière en serait un des phénomènes les plus spectaculaire) [7], ce n’est que dans les années 1980 que les outils technologiques permirent de créer ce front humain dans la guerre au vivant. En effet, en 1979 le premier « bébé éprouvette » fait les choux gras de la presse.

Cela provoque des engouements, des peurs, mais aussi des résistances, notamment la mise en place d’un réseau international de résistance féministe, le FINRRAGE (Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering) qui en 1989, au Bangladesh, proclame sa « Déclaration de Comilla ». Extrait du point 9 :

« Le génie génétique et reproductif est le produit d’une science dont le point de départ est l’assimilation du monde à une machine. De même qu’une machine peut être démontée en pièces détachées que l’on analyse et réassemble ensuite, les êtres vivants sont considérés comme un ensemble de composants qu’on peut examiner séparément. […]. Par ignorance ou mépris des interrelations complexes qui régissent la vie, les scientifiques collaborent avec l’industrie et le grand capital, en pensant qu’ils possèdent enfin le pouvoir de créer et assembler plantes, animaux et autres formes de vie – bientôt peut-être même les humains. Nous nous opposons à cette domination patriarcale, industrielle, marchande et raciste sur la vie. » [8]

Une dernière chose essentielle à saisir. Outre les quatre qualités principales du vivant pré-cités, qui sont attaquées chez les humains (naissance, mort, intégrité, génération), une cinquième qualité spécifique à l’homme est aussi mise à mal. Celle qui fait que l’humain malgré sa part animal est un être politique (zôon politikon), c’est-à-dire un être qui peut provoquer et influencer consciemment son devenir, le sujet d’une histoire. Cette cinquième qualité, essentielle pour qu’un homo sapiens, soit humain, c’est la subjectivation [9] (et non la subjectivité) : le va-et-vient entre la conscience de soi et la réalité du monde objectif permettant une réflexivité sociale critique sur son agir.

Petite note sur le cyborg

— Moitié homme, moitié machine. Son squelette est un mécanisme de combat hyper sophistiqué tenu par une chaîne de micro processeur invulnérable et indestructible mais entièrement recouvert de tissu humain. La série précédente avait une peau synthétique, il était facile à repérer mais pas lui. il est comme un être humain il transpire, parle même comme toi et moi !
— J’ai peut être l’aire stupide mais des êtres comme ça n’existe pas…
— Non, c’est vrai, pas avant 40 ans…

Kyle Reese explique le Terminator à Sarah Connor en 1984.

Le cyborg est notre ontologie, il nous donne notre politique.

Donna Harraway, Simians, Cyborgs, and Women. The Reinvention of the Nature, 1991 [10].

La figure du cyborg (cybernetic organism) apparaît pour la première fois en 1960 dans un article intitulé « Cyborg in Space » de la revue Astronotics écrit par un neurophysiologiste, Manfred Clynes et un physicien du nom de Nathan Kline, extrait :

« Pour définir ce complexe structuré et développé de manière exogénétique, fonctionnant inconsciemment comme un ensemble homéostatique intégré, nous proposons le terme ’cyborg’. Celui-ci incorpore délibérément des composants exogènes qui étendent les fonctions autorégulatrices de contrôle de l’organisme pour l’adapter à de nouveaux environnements. » [11]

De la S-F pour scientiste assoiffé de progrès et d’évasion ! Il n’est pas étonnant d’incorporer aux fantasmes d’évasion de la Terre la figure d’un être hybride mi-homme mi-machine régulé par « homéostasie informationnelle ». En effet, le milieu spatial est vu par la technoscience comme neutre, ni tout à fait naturel, ni artificiel, il dépasserais ces oppositions. Il est vu comme une page blanche à modeler permettant de se modeler. Alors, pour que vive un être dans un monde spatial a-naturel quoi de mieux que le cyborg, cet astronaute-prométhéen ?

Nous n’en avons pas encore parlé mais les technosciences spatiales issues des avancées des Grands programmes militaro-industriels font partie intégrante de la guerre au vivant. D’abord parce que le monde techno-spatial est l’avant-garde de ce qui se fera de mieux sur Terre : l’annihilation de la nature et sa neutralisation en « environnement » (le mot lui-même est neutre et renvoie à la neutralisation technicienne du Monde) bien sûr régulé et thermostaté, ce que le langage technique de la S-F appellent la « terraformation ». La neutralisation du vivant permet de garder du « bios » dans les bio-technologies tout en évacuant l’essence du vivant, ses règnes, ses genres, son zôên. Par analogie nous pourrions dire que la neutralisation est une guerre de contre-insurrection alors que l’annihilation ressemblerait plus à un conflit mondial. Les deux existent dans la guerre généralisée au vivant comme deux stratégies issues d’une même doctrine.

Ce qui relie l’espace cosmique et le cyborg dans l’imaginaire, c’est l’idéologie de l’illimitation, le fameux « progrès » dans le dépassement des frontières tant terrestres que corporelles, grâce à la technologie enfin souveraine et entourée d’une aura divine surpuissante. Il y a un messianisme technologique (c.f. D. Forest, Le Prophétisme communicationnel) autour de l’imaginaire scientiste du cyborg spatial. Les avancées réelles dans la guerre biotechnologique sont comme poussées au cul par la prophétie du Nouvel Adam (Forest) [12], délesté de son corps de chair mais faisant corps avec le réseau qui le régénère. Ce cauchemar prend sa source dans la culture anglo-américaine, toute pétrie de protestantisme radical [13] et de l’imaginaire frontiste (c.f. épisode 0). C’est ce substrat américain qui, mêlé au « paradigme informationnel » (Céline Lafontaine) depuis les années 1950, donne ce nouvel Adam bionique. Le recours de manière radicale à la technologie de pointe permettrait de s’extraire du territoire naturel pour aller dans les territoires a-naturels où tout est à faire. Les conquérir, les faire siens par un humain-du-futur complètement fondu dans sa coque techno-mécanique thermostatée. À ce titre, les délires de conquête de Mars, de la Lune ou de n’importe quel astéroïde, depuis les années 1970 jusqu’à Mélenchon, Elon Musk ou les Chinois aujourd’hui, font partie de la panoplie publicitaire des programmes politiques, à déploiement facile (merci la S-F !), permettant de capitaliser dès maintenant dans les têtes, sur un rêve de mort : la promesse sans responsabilité du fait technoscientifique où, une fois la Terre neutralisée, il sera bon d’aller ensemencer d’autres « systèmes », mais cette fois selon les critères humains. Cet imaginaire spectaculaire est une illustration de ce vers quoi la guerre généralisée au vivant veut aller. Au moins on est prévenus ! [14]

1. la rupture Frankenstein (les bases)

Frankenstein comme nos techniciens et nos scientifiques contemporains, considère que toute limite à l’autonomie, toute limite à la maîtrise de l’homme sur le réel est à abolir, à déplier.[…] Promesse prophétique d’un homme-dieu, créateur créé, dans un monde sans âme, sans mystère ni opacité, Frankenstein est le père de la société panoptique.

Miguel Benasayag, Le mythe de l’individu [15]

En mettant quelques bémols à la thèse principale du livre de Benasayag qui veut que la création de l’individu-sujet à la période moderne notamment grâce aux philosophies des Lumières est une aliénation à la liberté humaine, quelques passages fort percutant du livre vont nous permettre d’introduire les bases socio-historiques et symboliques qui permettront plus tard la guerre généralisée au vivant et notamment la cyborgisation de l’humain à l’ « ère postmoderne » [16]. Nous pensons que la rupture tant ontologique, sociale voire, anthropologique qui se produit au début de la révolution industrielle peut être analysée finement à partir du Frankenstein.

Le trait de génie de l’artiste est de comprendre intimement son époque en train de se faire et de la retranscrire de manière symbolique afin que puisse s’opérer une lecture a posteriori de celle-ci. En ce sens un « artiste de génie » est un artiste incompris de ses contemporains. La jeune Mary Godwin qui deviendra quelques années plus tard Mary Shelley est une artiste de génie. Son premier roman, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), est la transfiguration romanesque des ruptures sociales en cours dans tout l’Occident : le passage de l’ère pré-moderne à la modernité industrielle. Elle comprend que les changements politico-économiques de son siècle vont induire des ruptures morales et anthropologiques profondes. Cette lecture réflexive lui est permit par sa posture ambivalente qui l’a fait à la fois s’enthousiasmer des découvertes scientifico-techniques de son époque (notamment la biologie d’Érasmus Darwin grand-père de Charles et le galvanisme électrique), et à la fois garder un point de vue humaniste dans la grande tradition des penseurs moraux gothiques (Percy Shelley, Lord Byron notamment). Cette double entrée permet à la pensée de Godwin, sans que l’on puisse y voir une méthode d’intellection formelle, d’être dialectique, c’est-à-dire de comprendre son époque dans ce quelle garde du passé et ce qu’elle inaugure de nouveau, de ce qu’elle offre de liberté à l’humain et à son auto-détermination, tout en ayant un souci moral de ce qui arrive à son monde en terme de bien et de mal, de beau et de laid, de ce qui est moralement acceptable et de ce qui ne l’ai pas, en somme de juger son époque.

À cette ambivalence répond la figure ambiguë de Frankenstein (créateur/créature ?) dont Godwin réussit à faire un archétype moderne (le sous-titre du roman est particulièrement visionnaire). Malgré cela, le savant Frankenstein garde un rôle complètement faustien pré-moderne en se laissant aller à la tentation de l’illimitation et de la surpuissance :

« La vie et la mort m’apparaissaient comme des limites idéales que je devrais d’abord franchir pour déverser sur notre monde ténébreux un torrent de lumière. Une espèce nouvelle bénirait en moi son créateur et sa source ; […] Poursuivant ces réflexions, je me disais que s’il m’était donné d’animer la matière inerte, je pourrais avec le temps (bien que cela me semblait encore impossible), renouveler la vie lorsque la mort avait apparemment livré le corps à la corruption [17]. »

Mais en même temps, l’autrice parvient à déplacer l’intrigue, l’ambiance : de la fantasmagorie gothique fait de caveaux sombres et de châteaux hantés, au laboratoire citadin, dont elle comprend la place centrale autant comme attracteur de « l’hubris » humain que comme le haut-lieu des transformations matérielles de la nouvelle époque industrielle. Elle rend visible le fait que la nouvelle religion en train d’émerger est matérielle (d’ailleurs le roman est profondément athée comme l’autrice). Câbles, bobines, rouages, flacons, canules et autres outillages, il n’y a tout simplement plus besoin de Tentateur, le diable disparaît complètement, il n’y a ici aucune forme occulte (le fantôme horrifiant laisse place au monstre dégoûtant car bien réel). Il y a seulement le Savant, ses pairs, l’université, l’atelier de dissection, les corps sanguinolent et la Puissance de la raison scientifique permettant le passage sans passeur. Passage athéiste donc, du désir de puissance à sa concrétisation.

La morale de l’histoire est qu’il y a des secrets, des mystères (de grec mustêrion, « chose cachée » avec une connotation sacrée) qui ne peuvent être bafoués impunément. Cela provoque de la monstruosité, où dit dans le langage dialectique, de « l’abstraction réelle » (Georg Simmel), réalisée. Et cette monstruosité ne peut que souffrir de n’avoir pas été soumise aux mêmes exigences de vie que les autres êtres vivants : elle a été le projet prométhéen de l’auto-fabrication sans forme de responsabilisation, ni de prise en compte du reste du zôên. En même temps elle est la forme concrétisée des ruptures du respect des vivants et des morts. Le monstre le sait. Il est seul au monde, dans un perpétuel purgatoire. Dans la dernière scène du livre, sur un navire bloqué par la glace du Pôle Nord, la créature devant la dépouille de son créateur explique son calvaire à un marin :

« Lui continua-t-il, en indiquant du doigt le cadavre, lui n’a pas souffert de l’accomplissement de son crime. Ah ! Pas la dix-millième part de ma souffrance atroce pendant la lenteur des détails de sa pénétration. […] Mon coeur était fait pour ressentir l’amour et la sympathie ; et quand la souffrance l’y arracha pour le plonger dans le mal et la haine, il ne supporta point la violence de ce changement sans des tortures telles que vous ne pouvez pas les imaginer » [18]

Cette coagulation d’un corps-esprit non-engendré a de l’humain en lui, sans toutefois appartenir à son genre, c’est un déraciné radical. Shelley à travers la voix du monstre parle de crime, le crime de la création de ce qui ne peut être créé : la vie. La vie qui normalement naît, surgit, indépendamment de la volonté humaine, perd ici littéralement ses moyens. C’est un crime moral, le mariage des contraires, la rupture des limites de la mort et de la naissance. En outre, ce « miracle » est le fruit du mariage du pire de la Modernité : la raison instrumentale surplombante qui manipule le bios ; et du pire de la société industrielle : la libération des énergies et leurs concrétions dans des formes réelles (qui donneront dans l’histoire postérieure la bombe, le clone, le robot). En cela la « rupture Frankenstein » annonce ou plutôt anticipe la rupture matérielle de la biotechnologie qui, sous l’ère du technocapitalisme, permet de concrétiser ce genre de monstruosité, notamment le désir/délire de clonage humain. (c.f. ép. 3 et chapitre 3 de cet épisode).

Monette Vacquin, psychanalyste ayant beaucoup écrit sur les « délires de la raison » [19] nous explique :

« On savait depuis Frankenstein, que du monstrueux pouvait venir de la science […]. À la fréquentation de ces deux-là [la créature et Frankenstein], je m’étais forgé ma propre définition du monstrueux : faire de son semblable l’objet de sa passion épistémophilique, fabriquer du double dans l’illusion de se connaître. » [20]

Ce que produit le passage dans une société où la machine devient centrale, c’est que les désirs et fantasmes de l’homme nouveau sont potentialisés : ils sortent du champ symbolique pour rentrer de plein fouet dans le champ historico-politique. Nous parlons de fantasme réalisé ou de « délire concret » parce que ce passage ne peut se faire que si au préalable les tabous de la société ainsi que les interdits universels (inceste, meurtre, etc) sont brisés et les névroses humaines libérées dans des formes matérielles de l’illimité. Le délire s’objectivise dans les artefacts ainsi créés. En cela il y a rupture historique puisque à partir de la montée des sciences nouvelles et opératoires (biologie moderne, chimie débarrassée de l’alchimie, médecine moderne, mise à la corbeille des principes aristotéliciens, etc.), le symbolique est destitué comme champs du vrai, le poète relégué à la « littérature » et l’ingénieur/chercheur prend sa place, devient messie, porteur du message du vrai permettant d’atteindre la nouvelle parousie qu’est le Progrès, cette nouvelle prophétique à l’ère industrielle.

Il nous semble aussi intéressant de mettre cette citation en correspondance avec les développements sur « la monstruosité mécanique de l’Occident » du poète David Herbert Lawrence (1885-1930) cité par Pierre Thuillier pour tenter d’appréhender la transformation sociale du passage à la modernité industrielle :

« […]les Occidentaux , au fil des décennies avaient si bien pris l’habitude de la normalisation mécanique qu’ils ne comprenait plus ce que le mot ’monstrueux’ signifiait pour Lawrence. En superposant ou en substituant à la nature une contre-nature, ils avaient l’impression de la débarrasser de ses défauts, de la rendre plus parfaite. Ils ne pouvaient donc plus concevoir que l’acharnement à construire un monde artificiel put déboucher sur d’authentiques monstruosités. Le message de Mary Shelley et de D.H. Lawrence était pourtant simple : bio-ingénieur et socio-ingénieurs ne créeraient pas un homme supérieurs, un Superman Technologique, mais ’le monstre suprême’. C’est-à-dire un ’homme moyen’ dépourvu d’âme, asservi à la régulation cybernétique et aux petits plaisirs de la consommation. »

Pour nous le « contre-naturel » n’est pas simplement quelque chose qui est artificiel mais plutôt ce qui s’oppose au naturel, ce qui lutte contre la nature (comme il y a une « contre-attaque » ou une « contre-argumentation »). Cela est de l’ordre du mouvement, du processus qui va à l’encontre des fondements des êtres vivants et pousse vers un contrôle instrumental et calculatoire des processus profonds que sont : la génération, la vie, l’intégrité et la mort. Marx parle de « domination réelle » pour signifier le développement futur à son époque, où le capitalisme n’utilise plus seulement l’humain et les ressources comme force et moyen pour la production mais change « de fond en comble » les conditions matérielles afin que le nouvel humain devienne l’ouvrier mécanisé et la nature « l’environnement », où tout ce qui est naturel est transformé en de la « matière première », pâte modelable, assimilable facilement par le Moloch.

Malgré tout le génie de Godwin, cela ne signifie point que la romancière ai des dons extralucides ou une faculté intellectuelle telle qu’elle ai pu prévoir le futur. Cela dénote que déjà à son époque, au début du XIXe siècle, s’annonçait la transition d’un capitalisme encore faiblement ancré dans la vie social et politique, vers un capitalisme industriel, déployant ses pleines capacités d’absorption et d’intégration de l’existant. Mary Godwin ne fait juste qu’anticiper la domination réelle du capital une fois que certains phénomènes socio-historiques et économiques sont enclenchés : autant les levées des tabous moraux du modèle traditionnel (religieux), autant le débordement de la Raison surplombante vers tous les champs qui ont à voir à la vérité (ce qui donnera à la même époque le spiritisme comme forme de résistance romantique à cette Raison) ; autant le développement radical de la technique (et de la machine) comme façon de transformer le réel, autant la figure émergente de l’ingénieur-chercheur. Mary Godwin à juste su déceler à travers la multitude de phénomènes sociaux, ceux qui allaient changer la société. Elle se prend même à lancer une sorte de recommandation aux nouveaux explorateurs de la vérité :

« Un être humain en état de perfection devrait toujours conserver une âme calme et paisible, et ne jamais permettre à la passion ni à un désir éphémère de troubler sa tranquillité. Je ne pense pas que la poursuite de la science fasse exception à cette règle. Si l’étude à laquelle vous donnez vos efforts tend à affaiblir vos affections, et à faire disparaître en vous le goût des plaisirs simples auxquels ne peut se mêler nul alliage, cette étude est à coup sur réprouvable, c’est-à-dire mal propre à l’esprit humain. » [21]

Le nouveau scientifique n’est plus l’humaniste à la sagesse socratique. Mary Godwin le décrit comme un aventurier de la nature, conquérant le pôle arctique comme le corps humain. Il doit rendre visible, lisible les choses cachées, les mystères de la nature :

« Voilà ce qu’on a fait s’écria l’âme de Frankenstein. Mais j’accomplirai plus, je déblaierai une route nouvelle, j’expliquerai devant l’univers les mystères les plus cachés de la création. »

Voilà révélé le projet de la nouvelle science industrielle : en finir avec les mystères de la nature et ceci non pour comprendre le monde, mais pour s’en servir pour les desseins propres de l’humanité (et surtout de l’économie). Ce projet politique d’ingénierie des corps et des âmes part du présupposé que le savoir donne la maîtrise et que la maîtrise donne le pouvoir. Celui-ci en retour permettrait toute les modifications et adaptations cadavériques possibles et donc permettrait, dans un « cercle vertueux », d’augmenter sans cesse le pouvoir. Les hommes ou les nations qui détiendrait la maîtrise de la science seraient comme les maîtres du monde, augmentant leur pouvoir tout en fabricant le Nouvel Adam. C’est en déroulant jusqu’au bout la logique du projet de la science moderne que l’on comprend que celui-ci est profondément totalitaire, où plutôt que les totalitarismes sont une application concrète de la logique poussée à bout de la science moderne. Le front humain en est alors qu’un champ d’expérimentation parmi tant d’autres, sûrement le plus important. Le Frankenstein nous fait accéder de manière imagée aux tréfonds de la logique techno-scientifique, bien que sa concrétisation mettra cent-cinquante ans à émerger !

Miguel Benasayag fait la distinction entre l’époque pré-moderne où régnait des mystères et la modernité industrielle où ne figurent plus que des énigmes et des problèmes à découvrir et à résoudre. En effet, la problématisation de la nature des choses part du postulat qu’un savoir constant et complet est possible et qu’il ne réclame qu’un surcroît d’intellection, une logique infaillible et un outillage adapté pour être révélé. La problématisation permet en outre toute les horreurs possibles parce que contrairement au mystère qui fait partie de l’environnement quotidien humain, l’énigme ou le problème est étranger à lui, il ne demande ni engagement ni responsabilité, il est neutre en terme politique et ne pense rien « coûter » à celui qui le résout. C’est exactement ce que fait Victor Frankenstein : il formalise la vie, la mort et l’intégrité humaine en terme d’énigme qu’il compte bien résoudre. Et pour se faire, dépasse toutes les barrières morales de son époque. Benasayag résume bien la philosophie de Frankenstein :

« Un homme comme n’importe qu’elle énigme, se résumerait à une agrégation d’éléments que l’on peut et doit connaître pour pouvoir agir et dominer le réel. [… ] une telle position ne manque pas de nous évoquer cette phrase de Leibniz : « Là où il existe des êtres par agrégation il n’y aura pas d’être du tout. » [22]

Un tel agrégat humain est la vision de la biologie moderne en terme de « bios ». Elle se constitue à cette époque (fin du XVIIIe et tout le XIXe siècle). C’est Bertrand Louart qui cerne le problème dans son livre Les êtres vivants ne sont pas des machines :

« Autrement dit, la méthode scientifique, qui a été développé par et pour la physique, l’étude des objets considérés comme inertes et morts, atteint ici ses limites. L’être vivant est trop complexe et turbulent dans toutes ses innombrables formes et manifestations pour une méthode qui réclame l’isolement et la stabilité de l’objet, la reproductibilité des expériences, la quantification et la mathématisation des résultats comme condition première d’étude et de connaissance » [23]

C’est-à-dire que la biologie moderne est une « mécanistique » et un atomisme, comme la physique moderne, ni plus ni moins. Pour s’appliquer au vivant, il a donc fallu remplacer la vision vernaculaire de la vie comme continuum où régner des mystères irrésolubles et une sorte d’intégration humaine totale, ce que nous appelons le zôên ; par le bios, grain de matière vivante dont les avatars scientifiques changeront suivant les « découvertes » : cellules, gènes, protéine, ADN, etc. Où ensuite le séparé est réunit dans des corps mais en tant que séparé. C’est cela la Rupture Frankenstein.

Cependant Louart ne va pas assez loin, il ne comprend pas que la science et sa « méthode » ne sont pas seulement une approche du réel parmi d’autre. La science industrielle naissante est une opératoire, elle est la sœur du capitalisme (il va s’en dire industriel) dans le sens où elle acquière les moyens pour un changement profond des choses selon les visées de fluidité, de rentabilité, de gestion, c’est-à-dire selon les exigences du système capitaliste. Elle entend maîtriser les conditions d’apparition des phénomènes physiques comme ceux plus mystérieux d’émergence de la vie. Elle est une opératoire ouverte, sans secret, où le génie humain à transformer peut permettre d’augmenter la puissance, le « scientific power » disait Marx. Ainsi cette opératoire est complètement intégrée à l’industrialisation naissante. La nouvelle science « biologique [24] » est le projet général de ce changement de perspective, de la nouvelle opératoire appliquée au vivant [25].

Victor Frankenstein parle de « matériaux humain » comme si la qualité d’humain pouvait être attribuée à quelques choses d’inerte ou de cadavérique. Au-delà de la métaphore machinique du corps humain en « pièces détachées », parcourant toute la Renaissance et les Lumières, le nouveau biologiste de l’ère industrielle a besoin pour son projet de maîtrise du vivant-humain, de lui ôter sa double nature intégrale de « corps-esprit ». Puis sur ce simple corps « biotique », même plus « zoologique », il pense possible, en simplement manipulant des parties de « bios » et en les arrangeant dans un certain ordre (l’énigme serait donc de trouver les solutions d’ordonnancement des parties), de rompre avec l’engendrer et de fabriquer un humain industriel, c’est-à-dire un monstre parfait : eugénique, mécanique (montable/démontable à l’infini), soumis et laborieux. L’eugénisme (le savant Frankenstein parle de sélection de matériaux « bien nés ») est la résultante inévitable du parti prit de la science industrielle de vouloir atteindre par la Raison pure et les moyens de la puissance, la maîtrise parfaite de l’environnement quotidien humain.

Le XIXe est le siècle de la naissance de la biologie moderne et des théories eugénistes qui malmèneront plus tard le Grand Vingtième. Il n’est pas question ici d’aller plus loin car de nombreux livres retracent ces idéologies et histoires de domination de la nature [26]. Il est seulement ici de conclure que l’avènement du bios est en quelque sorte le début du projet de neutralisation de l’agir humain. Il en a fallut passer par cette première étape qu’on pourrait qualifier de « changement de nature » de la vision de la vie pour qu’ensuite, entre théories et expérimentations scientifiques, entre améliorations des techniques dissécatrices et ruptures des différents tabous humains, entre science comme religion et science comme technoscience, on en vienne à pouvoir neutraliser la pleine potentialité humaine, à changer le devenir humain.

Après cette longue mise au point venons-en à l’histoire contemporaine où les moyens technologiques de l’informatique, l’idéologie cybernétique, la fin des tabous moraux, permettent effectivement à la biologie à la fois d’auto-machiner les corps (ou du moins d’y essayer depuis les techniques d’insémination artificielle appliquées à l’humain) ; et de l’autre, grâce à l’apport de théories philosophiques pour le moins « bancales », d’essayer d’en finir avec la tradition émancipatrice d’un « universel partagé » entre règne et à l’intérieur du règne humain. Nous qualifions ce double mouvement de « neutralisation » amenant à la cyborgisation. Allons voir de plus près.

2. L’avènement du sujet cybernétique (l’idéologie)

« La guerre généralisée au vivant se double d’un encouragement à transgresser les limites physiques de la vie sur terre, à nier la finitude du monde et la nôtre [...]. Déjà, la mort est perçue par certains comme une injustice, première contribution de taille à l’obsolescence de ce qui fonde cette même humanité. Évidemment, toutes ces constructions sont de l’ordre du fantasme, mais elles entrent en symbiose avec l’horizon chimérique de la civilisation capitaliste et remettent au goût du jour le mythe du pionnier défricheur des dernières frontières, du self-made-man, un mythe étayé sur la « toute-puissance ».

Jean-Marc Royer, Le Monde comme projet Manhattan [27]

A) Une petite histoire des idées qui nous amènent au transhumanisme

Systémisme et cybernétique sont comme le premier étage d’une fusée qui permet le démarrage d’un second étage, la théorie de l’auto-organisation, laquelle à son tour met feu à un troisième étage, épistémologique, celui des relations entre le sujet et l’objet.

Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p54

Il nous faut revenir une dernière fois dans les années 1970 puis 1980 afin de mieux comprendre comment l’idéologie cybernétique inventée aux États-Unis va coloniser la pensée des intellectuels occidentaux en philosophe, psychanalyse, anthropologie et biologie via la rhétorique structuraliste et le behavioriste. Comment toutes ces branchent vont produire des concepts et des mouvements intellectuels qui à leur tour vont influencer la pensée de la jeune classe créative : étudiants des campus américains puis européens, artistes d’avant-garde, journalistes, mouvements politiques et philosophiques de la jeunesse des années 80. Et enfin comment cette classe créative à la posture « underground » et rebelle va s’allier de manière plus ou moins franche avec les blouses blanches de la biotech pour essayer de rendre effectif leur désir d’illimitation : rêve siliconnien et posture biocitoyenne (libérale) comme fondement du nouveau sujet cybernétique bientôt plus qu’agent. Il sera intéressant de cerner les traits communs entres les scientifreaks actuels et le Frankenstein passé.

Pour ce qui nous intéresse ici, les filiations entre cybernétique (sa version des années 1970 dite « systémisme », science des systèmes) [28] son application à la biologie d’une part, et la pensée postmoderniste [29] ((structuralisme et cyberféminisme par exemple) d’autre part, sont analysées de manière synthétique par Céline Lafontaine mais cela nous amènerait trop loin, nous vous recommandons vivement de lire son corpus [30]. Ce qui est intéressant plus particulièrement pour ici serait de savoir comment le projet de réification du vivant par la machine cybernétique pénètre à la fois la biologie pour devenir le socle de la biologie moderne (notamment la biologie moléculaire en pleine expansion dans les années 1970) mais aussi comment apparaît une nouvelle théorie du sujet, que nous nommons sujet cybernétique et comment à partir d’une théorie spéculative, une nouvelle façon d’être au monde émerge, à l’opposé de certaines valeurs pré-modernes et modernes dites « humanistes ».

Un événement médiatique permet de comprendre les liens profonds liant la cybernétique, le structuralisme et la biologie moléculaire. Le 19 février 1968, une « discussion révolutionnaire » est organisée sur les plateaux de l’O.R.T.F. dont le titre est fort évocateur « Vivre et parler ». En réalité cette série de quatre émissions n’est pas un débat entre littéraires mais une ode à la cybernétique par les parangons de sa diffusion dans les cercles intellectuels français.Y sont présent Roman Jakobson linguiste structuraliste [31] proche de Wiener, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, François Jacob bio-cybernéticien (prix Nobel 1965) et Philippe L’Héritier, généticien, « pédagogue médiatique » des métaphores informationnelles en biologie. Tout le débat tourne autour du concept de communication cybernétique et tout ce beau monde sur le plateau est à peu près du même avis, à savoir : ce qui important dans les « structures » du vivant, des sociétés et du langage, c’est la communication, c’est-à-dire un pur échange sans matérialité :

« Les unités vivantes qui constituent les objets d’étude de chacune de ces disciplines - la cellule pour le biologiste, l’homme créateur du langage pour le linguiste, la société pour l’anthropologue - ont en commun un caractère fondamental qui est l’aptitude à la communication. » brode un commentateur élogieux du Monde [32].

Il faut comprendre que le mot « communication » à l’époque et dans la bouche des scientifiques fait référence à la « théorie de l’information » élaborée par Norbert Wiener et Claude Shannon dans les années 1940 [33]. Cette théorie mathématique sur les signaux radios va s’appuyer sur une axiomatique se construisant petit à petit a posteriori et coagulant d’autres sciences comme la thermodynamique. En deux mots elle énonce : l’ « information » est en quelque sorte un fluide qui passerait entre des « systèmes complexes » (humains, locomotives, planète, peut importe) permettant de les modifier. La théorie de l’information bientôt « cybernétique » est la science des relations informationnelles entre « systèmes ».

Ensuite ces scientifiques à la formalisation théorique hyper-abstraite vont plaquer leurs théories scientifiques issues des technologies particulières (ici la communication entre des postes radios) à l’ensemble du cosmos. La prouesse de Wiener aura été l’élaboration dans les années 1960-1970 d’une vision holiste du monde, harmonieuse, permettant à la fois d’expliquer l’organisation des êtres vivants, des sociétés humaines et du cosmos en général. Et cela à tout de suite séduit la communauté scientifique, notamment grâce au groupe de recherche pluridisciplinaire des « conférences Macy », véritable diffuseur des idées cybernéticiennes dans la communauté scientifique. Cette théorie surplombante est le saint Graal des chercheurs des années 1970, car si les cellules, comme les ordinateurs ou les locomotives, échanges de l’information selon des règles strictes, il doit exister des « structures » identiques entres ces « systèmes » permettant à cette information d’interagir et donc un langage universel de ces structures, pouvant être in fine contrôlées, programmées. L’Univers et tout ce qui le compose ne serait donc qu’un ordinateur don le code reste à déchiffrer.

La sociologue Céline Lafontaine nomme cette idéologie scientifique le « paradigme informationnel » ou « l’empire cybernétique ». Celle-ci fait figure de socle indéboulonnable de la vision contemporaine en science physique, biologique et bien au-delà.

Jamais au long de l’émission de l’O.R.T.F. n’est prononcé le mot « cybernétique », ni n’est mentionné l’allégence de tous ces penseurs aux thèses de Wiener, qu’ils ont pourtant tous lu et dont le formalisme abstrait a donné un cadre à leurs volontés pathétiques d’unifier toutes les sciences en une vision unique de monde.

Voyez François Jacob pendant l’émission : « [L’un] des apports les plus importants de ces dernières années a trait au système de communication à tous les étages de la biologie » [34]. Quand à Lévi-Strauss, il reconnais sa dette à Jakobson puis affirme en clôturant le débat que : « c’est un très grand encouragement de constater qu’on retrouve au niveau de la biologie, comme au niveau du langage et de la société humaine, des phénomènes de communication, qui se passent en dehors de la conscience des membres du groupe […] et qui ne les font pas intervenir au titre de sujets parlants. » [35]. Effectivement la communication envisagée sous l’angle cybernéticien peut se passer de la subjectivation, elle est pure agentivité instrumentale, mais est-ce bien cela que nous appelons couramment « communication » pour parler de la façon dont on se lie dans la vie et dont Jacques Ellul, avec sa manière assez irrévérencieuse et religieuse, explique que nous devrions parler plutôt de « communion » entre nous pour ne pas confondre notre manière de se lier, avec le terme cybernétique de « communication » ?

Tout ce petit monde de l’intelligentsia française se connais bien et en 1970 quand Jacob sort sont livre phare La Logique du vivant, « L’accueil de Foucault et le soutien de la vague structuraliste portée par Claude Lévi-Strauss permettaient d’espérer un large succès de l’ouvrage. » [36] Nous assistons à ce que l’historien Fred Turner analyse comme la diffusion dans les trois cercles (scientifico-intellectuel/médiatique/public) successifs d’une idéologie, d’un « dogme central ». Ici nous passons du cercle médiatique au cercle des téléspectateurs. L’adhésion des journalistes scientifiques puis des journalistes généraux permet une diffusion massives et répétés de l’idéologie informationnelle avec son lot de jargonnages abscons, de querelles de papier et de proses emphatiques jugées d’une sagesse absolue.

Concernant spécifiquement la guerre au vivant, la bio-cybernétique de Jacob emprunt de structuralisme, participe de la neutralisation du vivant en « scientificisant » la vision que les biologistes s’en faisaient. C’est ce que nous comprenons de l’éloge qu’en fait son éditeur quarante ans plus tard lors d’un colloque à l’ENS à Paris :

« Le mot “vivant” dans le titre de Jacob a fait beaucoup, à l’époque, pour asseoir son livre comme un classique des sciences humaines et rompre avec le finalisme et l’idéalisme de la réflexion sur la “vie” et ses origines que pratiquait la biologie traditionnelle, même de grande qualité, comme celle de Jean Rostand. Qu’il y eût une logique du vivant donnait une garantie de scientificité vraie à ces sciences de l’homme – économie, linguistique, psychologie, sociologie [...]. » [37]

et pour vérifier in folio :

« On n’interroge plus la vie aujourd’hui dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. On s’efforce seulement d’analyser les systèmes vivants, leur structure, leur fonctionnement, leur histoire [...]. C’est aux algorithmes du monde vivant que s’intéresse aujourd’hui la biologie. » [38]

Éviction total du zôên et promotion des « systèmes vivants ».

François Jacob invité en tant qu’intellectuel sur les plateaux de télé (on le retrouve par exemple le 15 février 1971 en compagnie de Michel Foucault dans l’émission « post-scriptum »), ainsi qu’à donner des entretiens dans des revues de philosophie, participe grandement à l’entrée du paradigme informationnel dans la biologie moderne. Mais par-delà la discipline, il est clair que le tapage autour de ces quelques figures maîtresses de la bio-cybernétique (Monod, Jacob, Watson, Crick, etc.), encore très à la mode aujourd’hui, accorde un crédit supplémentaire aux thèses structuralistes et systémistes – sans compter les phénomènes de mode et de mimétisme [39]. L’application à la biologie, étudiant des modèles concrets fait de chair et de sang (c’est Jacob qui poussera pour prendre au début des années 1970 la souris comme modèle scientifique pour l’embryogenèse et la cancérologie humaine), permet à la théorie informationnelle d’acquérir un semblant de véracité, d’autant plus si ce sont des prix Nobel qui s’en chargent !

Les biologistes, en acquérant une « logique formelle » sur le vivant et l’humain (la fameuse « logique du vivant » de Jacob), deviennent comme porteurs d’un nouveau pouvoir idéologique et manipulatoire. Des journalistes critiques à l’époque parlent de « biocrate » et de « biocratie » [40]. Eux s’en foutent car ils ont accédé au formalisme qui fait de leur discipline une vrai science – bien loin de la botanique et de la zoologie des débuts – , avec ses équations et ses axiomes et cela permettra peut-être dans le futur de faire converger dans une même théorie le « bios » de la machine vivante avec les bits de la machine informatique… et pourquoi pas d’y adjoindre une théorie générale de la conscience du point de vue neurobiologique [41].

L’alliance des deux figures d’autorité que sont la blouse blanche et le col-roulé (ou col Mao à l’époque) permet d’un peu plus ancrer le paradigme informationnel comme nouvelle vision du monde. Et cette vision, dans le hype de l’époque, est forcément plus vraie et complexe que l’ancienne, humanisme. D’ailleurs à écouter leur jargonnage, on discerne une volonté d’en finir avec l’histoire, ses contingences des fois barbares, des fois émancipatrices, de vouloir dépasser la chair en mouvement dans l’histoire et les affrontements des humains à acquérir du pouvoir. De vouloir passer le plus rapidement possible à un état de l’humanité exempté de responsabilités historiques, parvenue à un état cosmique où seul le fait technique expertisé par l’expert-biocrate serait validé puis régulé en toute logique ; et en contrepoint l’expérience humaine amenant à l’action, au geste serait rejeté car potentiellement inadaptée aux procédures techno-bureaucratiques de la société fluide et même dangereuse pour cette société.

D’ailleurs le couple Monod-Jacob en introduisant le concept d’« intégron » [42] vont dans cette direction dans la remise en cause du devenir historique de l’humain en faisant du fait politique une conséquence directe de la structure informationnelle du vivant. Le systémisme d’un Bertallanfy (c.f. ép. 3) se fait sentir chez nos métaphysiciens de la biologie. Le plus doué Jacob à beau contester la vision trop « idéologique » de l’intégron selon Monod, il n’en reste pas moins que les deux bio-cybernéticiens en forgeant ici un concept aussi flou et « systémique » et en débattant dans leur livres respectifs sur sa définition et sa portée, tendent à légitimer la conception cybernétique du vivant dans un cadre plus large où, de l’ADN à l’organisation politique en passant par les organismes vivants, tout est conçu selon un modèle préalable, jamais défini et jamais démontré expérimentalement, l’intégron :

« De l’organisation familiale à l’État moderne, [...] toute une série d’intégrations se fonde sur une variété de codes culturels, moraux, sociaux, politiques, économiques, militaires, religieux, etc. » Selon Jacob, on a pris l’habitude, surtout depuis Spencer, d’interpréter « les intégrons sociaux ou culturels [...] à l’aide de modèles empruntés à la seule biologie » [43]

Ce que tente de faire ces penseurs en pleine période pré-révolutionnaire dans les pays du sommet capitaliste (1965- 1975), c’est de neutraliser l’action humaine sur le monde et lui-même en incorporant le devenir historique – qui fait peur parce qu’il nous jette en permanence dans l’inconnu (les camps et la bombe ne sont pas loin) – dans un processus tributaire de structures (appelées selon les auteurs « programme », « gène », « intégron », etc) intemporelles et immanentes, tombées du ciel comme les nouvelles lois de la nature.

Le recours systématique à l’unification conceptuelle et à la pensée en système permettrait à nos têtes d’ampoule de la biologie d’englober de manière scientifique, des phénomènes qui jusqu’ici y échappait comme la guerre, la vie, l’histoire ou le politique. D’après leurs idées, le corollaire est qu’il revient maintenant à la science de prédire avec finesse les structures sociales et leurs interactions complexes pour ainsi contrôler le devenir humain intégré au cosmos. Plus besoin de faire la révolution ! il suffirait d’avoir une connaissance parfaite des structures, humaines, sociales et naturelles, de comprendre leur communication et leur emboîtement intégratif pour – grâce à des mécanismes de « feedback » – envoyer de nouvelles commandes informationnelle pour réguler l’ensemble et enfin parvenir à l’harmonie de l’homme et du cosmos. Beau programme non ?

La tentation réapparaît épisodiquement depuis les années 1960 d’assimiler l’histoire et le social à une pure conséquence du biologique ou du biochimique. Aujourd’hui encore ce systématisme est le fond commun de la culture scientifique de gauche qui espère améliorer le sort du monde. Un ordinateur mondial plutôt que toute cette violence, révolutionnaire ou réactionnaire !

Cette neutralisation du fait politique par la technoscience n’était, dans les années 1960-1970, qu’un vaste projet, une théorie, certes prédominante chez nos blouses blanches et col-roulés, mais qui n’a que très peu d’applications matérielles. Il en est autrement depuis les années 1990-2000, où l’infrastructure technologique commence à prendre une forme cybernétique, c’est-à-dire qu’elle fait littéralement système en tant que monde de l’information s’hybridant avec le monde sensible, ces fils, ces câbles, faisant écran et nous pilotant. La centralité d’un objet cybernétique comme le smartphone, présent dans la vie quotidienne de centaines de millions de gens (peut-être des milliards ?), est un changement anthropologique vers le devenir machinique de l’humain. C’est en effet ce « modulateur universel » [44] qu’est le smartphone qui brode le réseau et convertit l’acte humain en des « outputs » facilement ingurgitable par les algorithmes.

Le deuxième saut technologique propre à la neutralisation technocapitaliste arrive vers 2012 avec l’avènement de la technologie des « réseaux de neurones » (connexionnisme) permettant un traitement artificiel de l’intelligence humaine nommé faussement « intelligence artificielle », où les algorithmes s’implémentent tous seuls en un réseau leur permettant de discerner sémantiquement la différence entre des objets matériels, d’appréhender la réalité du monde. Le combo du modulateur et du traitement artificiel des données est la combinatoire parfaite au technocapitalisme pour s’autodéterminer, devenir tendanciellement auto-référentiel. C’est le vieux rêve capitaliste qui bientôt se réalise : l’éviction total du sujet-humain de la production ainsi que de la production des conditions d’existences de la production, c’est-à-dire sa neutralisation historique et son intégration comme simple machine ou nœud du réseau.

En France et dans le monde, des penseurs matérialistes ne l’entendent pas de cet avis. Par exemple, Henri Lefebvre, dès 1967, dans Vers le cybernanthrope, semble comprendre cette tendance à tout systématiser et critique avec véhémence la nouvelle science montante de l’époque, la linguistique :

« Puis se fait jour la tendance à la reconstitution de la totalité et de l’unité dans le Système. Mais aujourd’hui, la restitution de l’unité ne s’accomplit plus par la spéculation philosophique. Elle tend à se donner un fondement épistémologique, c’est-à-dire scientifique, dans une science considérée comme formellement acquise, rigoureuse, unitaire : la linguistique. » [45]

Henri Lefebvre caractérise les promoteurs de cette « idéologie de la rationalité technicienne » [46] comme étant la classe dominante de la « techno-bureaucratie » et l’avènement des experts de toutes sortes dont « sa prétendue rationalité tend à coïncider avec l’absurdité » [47]. Mais rien n’y fera. Ni Henri Lefevbre, ni des groupes politiques comme l’Internationnale Situationniste ou Socialisme ou Barbarie n’arriverons à enrailler ce processus profond des sociétés occidentales que le sociologue Michel Freitag estime être le passage dans l’ère de la postmodernité :

« Le développement du capitalisme industriel apparaît d’ailleurs rétrospectivement comme une condition aussi bien formelle que matérielle essentielle de la mutation de la modernité politico-institutionnelle en postmodernité décisionnelle-opérationelle. » [48]

Aujourd’hui la classe créative guidée par les patrons de la tech et les dirigeants politiques ainsi que les cadres des appareils techno-bureaucratiques, forment cette « grande famille » des technocrates, la classe de l’ « avoir, du savoir et du pouvoir » [49] – sans forcément de complots internes ni d’accords tacites à tous les étages – . Cette classe dirigeante, sans réelle force historique, est pour nous le larbin fini du système, elle en est à la fois le produit et l’huile de transmission. On la retrouve souvent dans des raouts à caractères publicitaires et démonstratifs montrant puissance et candeur, mais aussi légitimant ses actes par l’approbation spectaculaire du public. Nous nous intéressons à ce genre d’évènements, parce qu’au-delà de la mascarade, transparaît de-ci de-là, à travers des phrases, des postures, des images, les forces historico-économiques qui maltraitent l’agir humain et la nature.

B) Bis repetita à Asilomar (Idéologies & stratégies)

Voilà un raout qu’il ne fallait pas manquer : Janvier 2017, nous voilà de retour sur la péninsule de Monterey (Californie) dans le sanctuaire naturel de la réserve d’Asilomar State Beach qui avait tant excité les biologistes lors du moratoire sur le clonage de 1972 (c.f. ép. 3). Cinquante ans plus tard un conférence exceptionnelle s’y déroule appelée Beneficial AI 2017. Cependant il n’y a plus cette bande de scientifiques chevelus, un peu utopistes, espérant donner des gardes-fous à la biotech (même si ils étaient bien faux-cul déjà à l’époque). Au programme de ce raout technoscientiste, non pas des débats sur l’éthique, la protection contre de potentielles fuites des laboratoires et de la transgression des barrières des espèces, non, ici on va parler, « sénescence cellulaire », « singularité », « téléchargement cérébral », « risque existentiel », « I.A. ». En effet, les idéalistes contre-cultureux laissent la place – à l’heure de la « startuppisation » et de la « new economy » [50] – à des têtes bien rasées (ou pas) mais dont les vestes sont remplis de billets. Le colloque est organisé par le think tank Future of Life Institute (FLI) dirigé par le philosophe suédois enseignant à Oxford, Nick Bostrom, leader transhumaniste, présent dans l’assemblée. À ses côtés nous avons toute la variété des transhumanistes américains : un panel réunissant Ray Kurzweil (Google), Andrew McAfee (Massachusetts Institute of Technology), Elon Musk (Tesla/Space X), David Chalmers (New York University), Larry Page (Google), Martin Rees (The Centre for the Study of Existential Risk de l’Université de Cambridge), Eric Drexler (MIT), Eliezer Yudkowsky (MIRI) et un français Yann Le Cun (Facebook/ Collège de France). Les transhumanistes sont avant tout « siliconniens » tellement la pensée de la Silicon Valley partage les mêmes bases idéologiques du transhumanisme [51]. M. Le Cun répète lors des débats quelques poncifs :

« Les chercheurs réfléchissent déjà à la façon d’élaborer un comportement pré-programmé pour qu’elles [les machines] n’accomplissent rien de problématique, en gardant le contrôle en derniers recours, par exemple. C’est un problème technologique, pas philosophique. »

Un air de déjà vu ? On prend des précautions, on se chiffonne un peu, on est pas forcément d’accord sur tout, on trouve que certains applications de ces technologies sont « problématiques »… 50 ans après le moratoire sur le clonage, nos acceptologues utilisent toujours les mêmes ficelles. Et ça débouche sur quoi au final ?

À l’issue de la pompeuse conférence, on en sort avec 23 recommandations, à mi-chemin entre les lois de la robotique d’Asimov et un remake des recommandations de Paul Berg de 1972. Ces « 23 principes d’Asilomar » permettent de transmuer mais de manière « éthique ». Ce spectacle est avant tout un coup de communication de la FLI pour redorer le blason transhumaniste et montrer que comme les Berg et les autres chercheurs conscients, nos transhumanistes se préoccupent des questions éthiques liées à l’IA et aux biotechnologies humaines. Par exemple le principe 16 : « Contrôle humain : les humains devraient être en mesure de choisir s’ils veulent oui ou non déléguer des tâches aux systèmes IA pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés ; » [52] Ici les objectifs ce sont ceux des patrons de la tech et des technocrates : la ritournelle du faux choix individuel masquant le vrai impératif de la société dans l’accroissement de la puissance et du pouvoir.

Nous le verrons plusieurs fois lors de cet épisode, les faux « bons sentiments » éthiques permettent en réalité de faire passer la pilule de certaines conceptions de l’humain, du développement et de l’utilisation de certaines technologies. C’est la partie acceptation grand public après la conception et la réalisation d’une technologie. Céline Lafontaine qui a épluché des discours techno-utopistes s’énerve à la lectures de proposition d’ingénieur du vivant :

« Au rythme où vont les choses, il ne serait pas étonnant que les ingénieurs du vivant fassent bientôt appel à la liberté d’expression pour légitimer leur entreprise. Ils pourront alors compter sur les militants du cyborg et de la multitude pour les appuyer. » [53]

Avant d’aborder la face « militante » de la modification de l’humain, disons qu’à Asilomar ou à Mountain View (siège de Google), les technocrates prennent très au sérieux l’avènement d’une I.A. totalement autonome mais aussi d’une convergence de celle-ci avec la biotechnologie, la nano et l’interaction homme-machine, en vrai la « convergence NBIC ». Cette convergence ils l’imaginent avant-tout en l’humain.

Il n’est pas étonnant de retrouver William Bainbridge, l’un des responsable du rapport de 2002 sur la convergence NBIC, être un des principaux instigateurs des plans nano américains avec son vieux comparse Éric Drexler. Celui-ci, haut conseiller scientifique, est l’un des pères fondateurs du transhumanisme politique au USA, c’est-à-dire non pas le transhumanisme S-F, arty ou hippy, mais le transhumanisme scientifique, en lien avec les institutions politique et technostructures du pays. Le vrai, le dur. Dans les années 1980, il s’est rendu célèbre avec son livre Engins de création où il décrit un monde futur peuplé de « nano-machines » et d’ « assembleurs-moléculaires autoréplicatifs » :

« Il a lancé l’idée d’une forme d’ingénierie moléculaire radicalement nouvelle, nourrissant des promesses de croissance infinie. Il s’est ainsi fait lobbyiste de la cause [transhumaniste]. Si Eric Drexler est un acteur majeur de cette disputatio, il en est aussi un enjeu : certains lui reprochent de proposer une technologie incontrôlable, d’autres au contraire d’effrayer l’opinion publique en évoquant la possibilité que cette technologie échappe à l’être humain ! « Drexler » est devenu un symbole, montrant comment le transhumanisme sert de pierre de touche : la prise de position par rapport à ses propositions sert de révélateur, permet aux acteurs du débat de se définir. » [54]

Comme pour Asilomar 2017, c’est en premier une guerre idéologique que mène ces créateurs d « imaginaires » postmodernes. Il ne suffit pas d’inventer et de modifier à outrance. Il est impérieux pour nos technocrates d’intégrer ces technologies à la société, c’est-à-dire de créer un imaginaire de rupture autour (ces technologies seraient à la fois innovantes, révolutionnaires et bienfaitrices) et d’imaginer des applications futuristes dépassant tout les rêves d’illimitation en essayant d’aller dans le sens des communautés d’intérêts (lobbys, partis, associations, collectifs militants) en vogue pour que ceux-ci s’emparent du projet.

Le front humain est la bataille la plus pénible à mener de la guerre au vivant, car malgré la dissolution du tabou de la mort de masse avec Auchwitz et Hiroshima, celui de la modification à outrance de notre intégrité d’humain (de notre « zôên ») n’est pas encore achevée définitivement. Parler en terme de concepts positifs (« convergence », « singularité ») ; expliquer l’intérêt de la technologie ; faire rêver, proposer des débats avec des contradicteurs ; demander des gardes-fous éthiques, etc, tous ces stratagèmes permettent de faire d’une technologie « un débat de société ». Nous mettons des guillemet parce qu’il n’y a de débat que mimé, ce qui compte c’est le buzz, le bruit de fond des média et des réseaux (a)sociaux. Ce qui est important pour les lobbyistes ce n’est pas tant la biotechnologie mais le discours et le sacré transférés sur elle. Ce qu’elle pourrait nous faire, ce quelle pourrait améliorer. La technicité du machin n’intéresse personne, pas même les transhumanistes. L’implicite là dedans est que si on parle des biotechnologies, si on en parle avec les mots des technologues radicaux et leur verve, alors il va s’installer une ambiance où la modification technologique de l’humain ira de soi. Et alors, dans « l’imaginaire » collectif techno-utopiste, chaque avancée répertoriée, chaque percée technoscientifique, sont comme des preuves historico-religieuse de l’inéluctabilité de l’avènement du transhumain. Amen

Les transhumanistes fonctionnent comme des avant-gardes politiques qui cherchent à rallier d’autres avant-gardes et c’est pour cela qu’ils doivent être « politiquement acceptables » sur le marché des luttes, notamment essayer de paraître jeunes et en ruptures. Nous étudierons plus loin des cas précis d’alliance de l’Association Française du Transhumanisme (AFT-Technoprog) et des militants d’avant-gardes anti-spécistes ou féministes. Pour l’heure écoutons le lobbyiste proche du RN, Laurent Alexandre :

« Au XXIe siècle, les scientifiques vont euthanasier la mort, créer la vie artificielle, manipuler les cerveaux, augmenter nos capacités, développer une intelligence artificielle. Faute de culture technologique ’up to date’, ma génération est incapable de prendre les décisions qui engagent l’avenir de cette humanité et vont dessiner les contours de cet homme 2.0 puissant et quasi immortel, que la Silicon Valley développe. » [55]

En cela, comme pour le nazisme, le transhumanisme est une pensée à la limite. Extrême, radicale, inacceptable de prime à bord. Elle est un totalitarisme d’un nouveau genre, où des « avant-gardes », des « influenceurs » permettent au front d’avancer sur les lignes morales transpercées. Le transhumain ne ressemblera peut-être pas exactement à leurs prophéties. Cela ils s’en moquent. Il sera peut-être moins performant, moins bionique, moins aboutit. Ce qui est important c’est que des voies soient ouvertes dès maintenant, le plus vite possible. Et pour ce faire, il faut que les interventions médiatiques soit loufoques, extrémistes, maximalistes ; Il faut se référer aux Chinois ou aux Américains (de préférence siliconniens) qui vont toujours plus vite. Il faut adopter un ton futuriste et irrévérencieux, quelques fois ironique mais jamais blessant. Il faut expliquer en quoi les générations antérieures sont des « ploucs », des « ringards », des « réac’ » et que c’est à la jeunesse de briser les frontières, les tabous et de transgresser les normes.

Les transhumanistes ont dans la bouche des cadavres futuristes.

C’est comme au marché aux puces, le vendeur vous dit 5 euros, vous dites 3, il part à 4. Ici, tout se prophétisme permet de déverrouiller inconsciemment l’acceptation des biotechnologies déjà en routine depuis une dizaine d’années dans les laboratoires. Le fait d’annoncer des futurs extrêmes rend les technologies de biomodifications déjà présentes sur les marchés, « banales », « routinières », voire « libératrices ». Par exemple, les peurs et dégoûts liées à l’externalisation de la gestation d’un embryon humain (ectogenèse) font passer l’externalisation et la manipulation de l’oeuf humain pluricellulaire (fécondation in vitro) pour banales : « On en est pas encore là ! Pourquoi vous avez peur ? ». Laurent Alexandre est un spécialiste de cette emphatisme du discours technologique futuriste, bourré d’imprécations outrancières sans fondement. Nous vous recommandons vivement la lecture du dernier numéro de La Décroissance qui fait un dossier sur les dernières avancées de la Guerre au vivant inspiré de nos travaux, et pose une très bonne critique de ce genre de personnage, de leur prose et leur action politique [56].

Après le cirque médiatique vient bien sûr celui législatif. Nos lobbyistes savent qu’une acceptation de « l’opinion publique » équivaut à une légitimation législative. Cette légitimation législative [57] ce présente le plus souvent sous la forme d’un syllogisme que nous nommons « Syllogisme postmoderne » :

1) Nous avons le droit de modifier notre existence et nos corps selon nos désirs, cela est un principe politique. (proposition majeure)

2) Des technologies apparaissent qui permettent de le faire. (proposition mineure)

3) Donc, nous devrions avoir le droit d’exercer ce principe politique. (conclusion )

4) Pour ce faire dans nos sociétés à la législation particulariste (voire clientéliste), nous demandons que de nouveaux droits soit créés à chaque fois qu’une technologie de modification apparaît sur le marché, permettant de légiférer sur l’utilisation de cette nouvelle technologie et donc d’assouvir nos désir. (corollaire) [58]

Rien n’ancre ce syllogisme dans la réalité concrète et râpeuse du monde, de ses contingences, de ses rapports sociaux complexes, pourtant il est une base posturielle pour de nombreux militants et membres d’association. Il est même une base sincère du nouveau citoyen, le biocitoyen, toujours à l’affût d’une loi, règle, considération légale, scientifique, étatique à gagner. La dialectique entre la subjectivité désirante et l’objectivité façonnante permettant l’élaboration dynamique du sujet se brise, ici dans ces nouveaux étants de la postmodernité. Michel Freitag analyse le glissement qui se produit alors au niveau institutionnel :

« Dans l’évolution contemporaine de la société, la revendication moderne à la participation politique comprise comme l’activité de production collective de normes régissant de manière universaliste les pratiques sociales particulières en vue de la réalisation de fins communes […], a été progressivement débordée et marginalisée, voire étouffée par la multiplication des formes de participation à des organisations visant à exercer une emprise ou un contrôle direct sur leurs environnements particuliers, en fonction d’objectifs eux-mêmes particuliers, variables et circonstanciels. Du même coup, la référence à une Raison judicative universelle servant de justification et de fondement a priori à l’action politique et à l’ordre juridique et institutionnel qu’elle établit, a été remplacée par la référence à un principe d’opérativité pragmatique et d’efficacité, qui renvoie à une évaluation a posteriori des résultats, impliquant elle-même leur prévision programmative » [59]

Outre l’accent très libéral, voir égotique, de la proposition majeure du Syllogisme, qui pour nous résume la transformation postmoderne des rapports sociaux ; outre la proposition mineure qui est le cœur du front humain de la guerre ; ce qui est intéressant de comprendre c’est que la mineure et la majeure sont édifiées sur le principe abstrait de l’illimitation et l’absence en contre-point d’une base politico-morale..

Illimitation de la subjectivité désirante dans la majeure, illimitation de l’activité technologique sur la nature et l’humain dans la mineure. Michel Freitag voit des correspondances certaines entre notre époque postmoderne et les moments totalitaires :

« Mais le nazisme est, au fond, encore radicalement autre chose [par rapport au stalinisme ou au fascisme], et sa différence spécifique tient dans le caractère illimité et délirant de l’usage qu’il fait de la puissance et de la violence destructrice qui, dans leur application programmatique et systématique, deviennent à elle-mêmes leur propre fin. On ne devrait pas faire l’amalgame de tous les fascismes. Bien qu’il existe un terrain commun (la crise de la société moderne à partir du XIXe siècle),[…] C’est ainsi par sa dimension délirante, illimité, que le nazisme représente le type pur du totalitarisme. C’est pourtant à partir de ce type qu’on retrouve les correspondances les plus claires avec notre monde actuel » [60]

Nous retrouvons effectivement ce caractère délirant au niveau individuel dans le sens où l’absence de va-et-vient incessant entre la subjectivité et l’objectivité, provoque des phénomènes de désubjectivation déjà bien répandu aujourd’hui. Il est pour nous certain que les envolées du nombre de cas du « trouble du spectre autistique », des crises d’angoisse et de nervosité, des phénomènes de « raidissement » de la pensée devenant de plus en plus dualiste et puriste, de la vision du monde exclusivement centrée sur les corps qui seraient attaqués, etc, sont les effets les plus visibles de cette désubjectivation. Outre une large « gamme » de délires psychologiques, le syllogisme du biocitoyen est un cas de délire sociale, voir de délire de masse, apparaissant une fois que les structures sociales ont basculé dans le mode de régulation décisionnel-opérationnel qui est, sans abus de langage, un mode de régulation totalitaire [61].

Ce qui est intéressant de comprendre c’est que les deux formes de légitimation, légitimation publique et légitimation législative permettent d’embrayer un processus d’intégration d’une technologie aux processus sociaux de masse où il n’y aura pas de retour en arrière. Cette effet cliquet technologique qui permet au front de ne jamais reculer, et un des principe de la guerre généralisée au vivant. Ses fronts sont toujours ouverts et dynamiques vers l’avant et c’est cette « qualité » cliquet, comme pour les lois néo-libérales européennes, qui entraîne toujours plus loin les cycles de capitalisation.

D’ailleurs à ce stade, les motivations pécuniaires (« faire de l’argent ») ne sont pas la priorité. Nos transhumanistes ne sont que le fruit de leur époque, comme nous tous d’ailleurs : ils apparaissent au stade de la domination réelle du capital, à un moment où les moyens biotechnologiques de modifier l’humain commence à ce faire jour. Malgré leur parure « avant-gardiste », leur pensée est en complète accord avec le Zeitgesit actuel. Il est évident qu’il y aura de l’argent, mais plus tard, comme conséquence de l’ouverture de nouveaux marchés. Leurs motivations sont avant tout d’ordre politique : nos penseurs transhumanistes ont un projet de société.

Scientiste et technologiste, ce projet est la machination totale de l’humain. La déclaration siliconnienne de Laurent Alexandre de la page précédente résume assez bien l’attaque du front sur les cinq qualités premières du genre humain : « euthanasier la mort », « créer la vie artificielle », « manipuler les cerveaux » (subjectivation), « augmenter nos capacités » (reproductive ?), et l’ensemble est une attaque à l’intégrité. Dans la vaste constellations des tranhumanistes, les cyberféministes sont sans doutes celles qui on poussée le plus loin l’idéologie de la transformation de l’humain en cyborg.

C) Cyborg et cyberféminismes

Très tôt les féministes se sont emparé de la question du corps et de la réification de celui-ci autant par le travail que par la technologie ou la médecine. Dans les années 1970-1980 on assiste à de véritable divergences idéologiques. Il sera ici intéressant de comprendre les tensions du technocapitaliste et de la structuration des idées postmodernistes chez certains courants radicaux anarchistes et féministes, souvent inspirés par les penseurs cybernétiques et post-structuralistes, notamment autour du concept de « procès sans sujet ». Et il ne sera pas étonnant, surtout dans les pays de cultures protestantes, de retrouver des personnalités « anarchistes » et « féministes » s’acoquiner avec des célébrités de la tech californienne ou reprendre à leur compte le pire du techno-prophétisme.

Cas d’école : Donna Haraway. Même si elle joue a prendre une posture « ironique et blasphématoire », quand elle reprend le verbiage cybernéticien, cette philosophe arty a beaucoup fait pour la propagation, et l’adhésion de la pensée informationnelle :

« N’importe quel objet ou n’importe quelle personne peuvent être ’raisonnablement’ conçus dans les termes d’un assemblage ou d’un ré-assemblage ; aucune architecture ’naturelle’ ne limite la conception d’un système […] Aucun objet, aucun espace ou aucun corps ne sont en eux-mêmes sacrées : n’importe quel composant peut-être mis en interface avec n’importe quel autre si la norme propre, le code propre, peuvent être élaborés comme des signaux de traitement dans un langage commun. » [62]

Autrice d’un manifeste d’avant-garde politico-artistique, le « Cyborg manifesto », la cyberféministe [63] entend dans les années 1980-1990, à la façon d’un Marinetti du début du XXe siècle avec l’industrie, tirer toutes les conséquences de l’arrivée des technologies de l’information afin de les détourner de leurs utilisations en tant qu’ « informatique de la domination ». Comme à l’accoutumé dans ce genre de prose orgueilleuse et naïve à la fois, l’avant-gardisme pousse la démonstration jusqu’au limite de l’absurde [64]. Néanmoins, cette déclaration sensé être le summum de la subversion à l’époque, permet de mieux comprendre comment le paradigme informationnel à mouler les esprits de la classe créative et devient une pensée politique en acte en tant que rupture de l’humanisme matérialiste encore présent dans la culture politique dans années 1980-1990. Cette rupture aboutissant à la définition d’un nouveau sujet que nous avons nommé « sujet cybernétique » bientôt plus « agent » que sujet. Nous prenons cet exemple comme référence parce qu’Haraway, comme les transhumanistes, poussent jusqu’au bout – dans ces dernières limites – la logique de l’idéologie dominante. Ils ne se rendent pas compte qu’ils participent, en étant le plus radical possible, à la poussée radicale qu’est le technocapitalisme. En cela, il n’est pas surprenant que le Manifeste cyborg soit reprit de nos jours par les fervents défenseurs du transhumain, notamment des féministes de droite (Laëtitia Pouliquen [65]), des féministes de gauche (Kyle Munkittrick [66]), ou encore par des libérales scientistes (Peggy Sastre). Que cette reprise paraisse « déplaisante », « facheuse » ou même « bizarre » pour celles et ceux qui pensent les écrits cyberféministes comme un acte/posture de refus face à la domination et un « hacking du système » (en « détournant la technologie » et la « sémantique du genre ») comme on peut le voir dans des évènements militants récents [67], n’ont pas compris qu’Haraway et le fond philosophique transhumaniste viennent tous deux d’une culture politique américaine profondément libertarienne et frontiste, la même culture qui aboutit à partir des années 1970 au techno-utopisme et de sa future communauté du cyberspace. [68]. Utopisme et gauchisme se marient très bien dans des discours assez naïfs sur la « réappropriation féministe des technologies » et l’open-source. Quand au cynique et manipulateur Marc Roux, grand transhumaniste de gauche, il essai d’expliquer le lien cette fois entre transhumanisme et théorie du genre :

« D’abord, la mise en question des genres est, pour les transhumanistes, une évidence qui n’a pas besoin d’être évoquée plus particulièrement. Elle n’est que l’une des remises en questions des limites, comme celles entre le vivant et l’inerte, entre l’humain et l’animal, ou encore entre la thérapie et l’amélioration. Ensuite, pour les transhumanistes, il va en général de soi que, indépendamment du sexe défini génétiquement ou attribué à la naissance, les personnes doivent être libre de vivre leur rapport aux genres selon leur bon vouloir. Enfin, une des valeurs cardinales du transhumanisme est la libre disposition de son corps. Il en découle que les demandes des personnes qui souhaitent, soit vivre leurs rapports aux corps indépendamment des figures traditionnelles du genre, soit modifier leur corps pour aller vers autre chose que leur sexe et leur genre génétiquement déterminé ou socialement attribué, sont d’emblée considérées comme légitimes. » [69]

Depuis les années 1990, des sociologues et philosophes québécois (qui ont vu déferlé rapidement dans les campus et la cultures ces idéologies) regroupés dans « l’École de Montréal [70] » et leur revue Société, sous la houlette du penseur Michel Freitag, ont démontré à maintes reprises qu’il y a une certaines « appétance » des milieux militants de la gauche et de la classe créative envers les idéologies postmodernistes [71] de la « déconstruction » comme adaptation subjective et individuelle faces aux désastres objectifs de la rupture socio-historique et anthropologique que ces sociologues appellent la « postmodernité » [72].

Aller vers « autre chose » que le zôên pour un transhumaniste ou une cyberféministe, c’est aller par la machine, vers la machine, avec la machine, que celle-ci soit plus biotechnologique, plus prothétique, plus virtuelle ou un mélange des trois. À aucun moment n’est questionner l’idéologie de la marche historique du progrès qui avance, parce que cette marche est vu comme allant de soi, c’est-à-dire que le progrès est compris comme une base des sociétés humaines contemporaines. C’est Haraway qui nous explique encore le mieux cette filiation cybernético-philosophique comme une rupture avec l’ancien féminisme matérialisme :

« Le déterminisme technologique n’est qu’un des espaces idéologiques ouverts par les nouvelles conceptions de la machine et de l’organisme comme textes codés à travers lesquels nous jouons à lire et à écrire le monde. La textualisation hyperbolique, que l’on trouve dans la théorie postmoderne et poststructuraliste, a été condamnée par les féministes socialistes et marxistes pour sa méconnaissance utopique des relations vécues de domination qui constituent le terrain sur lequel se « joue » la lecture arbitraire. Il est certainement vrai que les stratégies postmodernes, comme mon mythe du cyborg, subvertissent des myriades de tous organiques (par exemple le poème, la culture primitive, l’organisme biologique) [… ] Savoir qui seront les cyborgs est une question fondamentale, notre survie dépend des réponses que nous saurons y apporter. Les chimpanzés comme les objets ont leur politique, pourquoi pas nous ? » [73]

Le cyberféminisme comprend le corps comme pure construction « textuelle », comme un code qu’il suffirait de hacker. Où est le zôên ? Où sont les liens à la nature ? où est passé l’existence zoologique des corps-esprits ? En parfaite militante de la table rase, l’extrêmisme d’Haraway n’est subversive qu’en posture [74]. Elle ne fait que suivre les mutations structurelles de la société de son époque en exagérant les traits et poussant la logique à la limite. Rien de révolutionnaire en somme.

L’indétermination ontologique (être cela et cela, être neutre, être rien, être autre chose, etc) est la neutralisation du genre humain dans son rôle socio-historique et il n’est pas étonnant que cela plaise beaucoup aux jeunes gens des pays industrialisés de culture frontiste-américaine-puritaine où l’ailleurs, la fuite et la fluidité des rapports sociaux technologisés permettent de fortifier sa bubulle égotique toute en étant d’une certaine façon bien adapté au nouveau milieu « smartphonné » fluidique-opérationnel. Ce « système-monde » fait office d’ersatz de société, sans médiation institutionnelle (au sens de Castoriadis), où seul le lien interpersonnel tant à persister et où la subjectivation devient de plus en plus difficile [75].

Quant aux promotrices historiques du courant cyberféministe, elles sont pour la plupart anglophones, voire américaines [76] et tablent sur une réappropriation des ordinateurs et du code ainsi que sur une hybridation avec la machine afin qu’advienne un monde aux multiples émancipations. On peut citer par exemple l’universitaire Judith Butler comme une représentante foulcaldienne des descendants d’Haraway, et sa subversion performative du gender (sexe social) [77] par les corps maquillés ou transformés. Éric Fassin, sociologue et professeur à l’ENS, spécialiste des « Gender Studies », rédacteur de la préface de la traduction française de Trouble dans le genre, parle de « radicalisation des questions de genre » autour des autrices Butler et Haraway qui « nous obligent à repenser les évidences de nos partages entre nature et culture, c’est-à-dire à penser aussi la nature comme construction sociale. » [78]. Toujours cette désubjectivation qui fait passer les errements des désirs pour des faits objectifs. La dialectique de subjectivation ne passe plus, elle est remplacée dans notre univers ultra-moderne par « l’agentivité » de l’opérateur socio-technique que devient l’humain bardé de prothèses et ne considérant son individualité que comme un corps séparé.Tout ces théoriciens et maintenant ces individus reclus dans des contradictions individualisantes trouvent des fuites dans l’abstraction du code, du texte, du discours et de « l’agency » (« pouvoir d’agir en tant qu’agent ») conceptualisé par les french théoriciens comme une notion alternative à la liberté (au sens de libre-arbitre) [79].

Et c’est peut-être cela le fond de pensée postmoderniste [80], explicité en 1979 avec Lyotard [81] après les chocs pétroliers à répétition et un marasme ambiant, au-delà de la méthode structuraliste, au-delà de l’imaginaire cybernétique ; le présupposé philosophico-politique, est : il n’y aura pas de changement de société, tout est foutue au niveau global, alors trouvons d’autres voies, celle de la subversion de la pensée et du récit.

Une véritable pensée du renoncement à l’idée d’humanité et de subjectivation historiquement construite.

Mais revenons à Haraway dont nous imaginons très bien qu’elle a vu Terminator et lu Lyotard et citons ici l’article assez élogieux sur son manifeste qu’en fait Marie-Geneviève Pinsart dans « Le cyborg. Identité et (dé)construction sociopolitique » :

« Les parties qui constituent le cyborg échappent à toute polarité ou organisation hiérarchique.[…] Être autre, c’est être multiple, non substantiel. Enfant devenu illégitime, le cyborg se place hors des filiations et des identifications sexuelles : il n’a pas un sexe mais il n’est pas non plus bisexuel. […] Le cyborg est une créature d’un monde post-genré dit Haraway[…] créature sans origine, le cyborg est aussi une créature sans fin [… ] il signe la fin de la guerre des frontières entre être humain et la machine [… ] Ce n’est pas la technique qui est menaçante mais son utilisation pour renforcer ou créer des clivages sous-tendant des rapports sociaux de domination. » [82]

Marie-Geneviève Pinsart à la suite d’Haraway fait ici la promotion alléchante d’un autre mode d’être au monde, d’une autre ontologie, aussi neutre que possible, son sujet proprement cybernétique s’étant débarrasser de tous liens avec les contingence externes du sexe, de la nature et donc de la vie. Bienheureusement nous pensons que « la guerre des frontières » n’a pas encore pris fin, la nature et le sujet résistent de toutes leurs forces. N’en déplaise à Pinsart, Butler ou Harraway, nous sommes encore vivant, d’une vivacité toute animale et d’une vitalité sociale malgré la greffe cyborgienne qui nous est imposée.

Ce qui nous a le plus frappé en lisant le Manifeste cyborg, ce n’est pas tant les délires techno-utopistes, les envolées lyriques digne d’un Marinetti, la « politique des objets » ou encore l’argumentaire de l’urgence impérieux au changement, mais le manque cruel d’une pensée dialectique et l’utilisation à outrance du « en même temps » que maintenant nous connaissons bien avec le discours macroniste et qui relève structurellement de l’absence de prises réelles sur le monde objectif et l’éloignement dans le spectacle où le vrai est devenu un moment du faux [83]. En effet, Haraway joue sur deux tableaux à la fois en décrivant le potentiel destructeur des technologies bio-cybernétiques et en même temps elle les glorifie comme potentiellement émancipatrice. Elle le fait sans dialectiser les contraires mais juste en les faisant sienne :

« Le cyborg n’a pas d’histoire originelle au sens occidental du terme : ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence, l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace. » [84]

Et ce sujet cybernétique en train d’émerger est l’application actuelle – maintenant que l’ingiénerie des corps et des esprits n’est plus une utopie – de la « doublepensée » : il faut être en même temps ceci et cela, promouvoir quelque-chose et son contraire, etc, sans provoquer de dissonance remarquable ou de folie, dans une sorte de « résilience » aux changements. C’est une pensée pendulaire, délirante, sans consistance, une auto-hypnose. Cette technique mentale a été très bien décrit par Georges Orwell :

« Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. […] Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée. » [85]

Pour ce qui nous intéresse ici, nous pensons que toute cette littérature et essais pessimistes à bien prit et permet le renforcement des logiques de désubjectivation parce qu’elles en sont les versions d’avant-garde, radicales, qui poussent toujours plus loin. Ce sont maintenant des modèles de vie et de sens appelés à se développer car bien adaptés à la postmodernité hyper-individualisante. Michel Freitag nous éclaire :

« C’est peut-être ce pragmatisme généralisé qui sert de pont, de lien ou de milieu d’interférence et de fusion entre tous ces courants paradigmatiques formellement si opposés, conférant une forte cohérence idéologique et pratique à des formes de pensée qui, d’un côté, reflètent idéologiquement la mutation postmoderne en cours dans la société et, de l’autre, lui fournissent les moyens symboliques et technico-pratiques à travers lesquels s’opère une conquête effective du réel, ou plutôt la production effective et efficiente d’une nouvelle réalité sociétale et historique dans laquelle les concepts mêmes de société et d’historicité, tels qu’ils avaient été conçus et mis en œuvre par la modernité, se trouvent abolis ou subjugués sous de nouveaux ’procès sans sujets ni fins’ (Althusser, Foucault, Deleuze et Guattari). » [86]

Ainsi débarrasser de toutes les scories historiques de l’agir humaine qui :

1) lient un humain à un autre par la filiation générationelle (les humains donnent des humains qui donnent des humains, etc) et donc lient tous les humains entre eux par ce lien indéfectible d’appartenance au genre humain [87]. Aucun humain né d’une machine ou de rien.

2) fait l’histoire humaine par la commune existence, c’est-à-dire les liens de dépendance réciproque qui font que la seule communauté c’est la communauté humaine ;Aucun humain ne vit sans d’autre humain de la naissance à la mort.

3) relient cette commune histoire à l’histoire de la Terre et à la matérialité de l’être et du sujet dans la nature, c’est-à-dire au sens large, dans ce-que-l’on-ne-maîtrise-pas (les éléments, la contingence, le hasard, les animaux, etc.) ; Aucun humain ne peut vivre sans nature.

Le cyborg serait enfin émancipé des contraintes de notre bas-monde historique orienté par ces corps-esprits fait de chairs viles et périssables. C’est ce que nous disent les transhumanistes français de AFT-Technoprog et leur théorie libérale des désirs à être « autre chose » :

« Mettre en cause le genre humain semble encore insupportable à nos sociétés aujourd’hui, comme mettre en cause le genre sexué était insupportable il y a quelques décennies. Car au fond, la même logique n’est-elle pas à l’œuvre ? Face à une majorité sociale qui craint habituellement que trop de diversification apporte la division, et qui s’arque-boute sur ce qu’elle croît encore être un pilier de son identité, se fait entendre de plus en plus fort la voix de toutes celles et ceux qui exigent de réaliser leur autonomie, quels que soient leurs choix de genre – homme, femme, humain, ou autre. » [88]

Ce cosmonaute vivrait le « moi » absolu dans l’éther du cyberespace et son autonomie qui est qu’une autarcie technologique. Il serait, contrairement à ce que pense Haraway et Marc Roux, l’être le plus servile du monde, dépendant de la technoscience au moindre mouvement ou clignement d’œil. Attention ami cyborg, abstenez-vous de pensez 5 minutes, nous avons un pic sur la bande passante !

Comment ne par voir un rapprochement certain entre les délires d’Haraway et le groupe techno-utopistes américains des Extropiens, première émergence à la fin des années 1980 de l’idéologie transhumaniste et leur slogan : « expansion illimitée, auto-transformation, optimisme dynamique, intelligence artificielle, et ordre spontané
 ».

De nombreux transhumanistes utilisent le manifeste cyborg pour leur propagande même si, d’après Julie Abbou [89] qui a bien étudié ces liens, les récupérateurs transhumanistes confondent leur « désir de transgression » avec la « subversion » et la porté mythique du cyborg d’Haraway. Pour nous il n’y a ni subversion, ni transgression. Un certain ordre, celui du technocapitalisme, n’est pas bousculé, il est même des fois promut ! Il ne peut y avoir de mythe régénérateur, même postmoderne, seules peut être fabriquées des représentations dans un contexte où la technologie et le spectacle sont rois de ce royaume guerrier. Nous ne disons pas que les personnes transgenres et autres militants de la déconstruction sont des défenseurs du transhumanisme, mais force est de reconnaître que les idéologies, les idées, l’imaginaire qui sous-tend à la fois le transhumanisme et la « déconstruction » proviennent d’un fond commun américain, protestant puritain, frontiste envers les limites tant biologiques que sociales inhérentes à la condition humaine, l’un héritier de la cybernétique positiviste, l’autre du post-structuralisme et de la French Theory, dont nous avons montré un peu plus haut les passerelles dans les théories de la convergence NBIC et de la biotechnologie. Il y a des ponts certains que les lobbyistes siliconniens au technologisme décontracté passent aisément. Marc Roux et ses camarades sont parmi les voix les plus franches et assumées du rapprochement des figures transhumaines et transgenres :

« On ne peut non plus passer à côté de la figure de Martine Rothblatt, transgenre et transhumaniste militante à travers sa fondation TERASEM. CEO de l’entreprise United Therapeutics (dont une filiale fait pousser des cœurs humains dans des cochons en vue de transplantation) Elle reste l’une des personnalités transhumanistes les plus en vue. » [90]

La classe créative a ses idoles, corps-esprits transformés et formatés par la technologie. Idole, grec eidôlon, « image, spectre, fantôme » : image représentant une divinité comme si elle était la divinité elle-même. La religion du progrès matérialise le sacré dans ses idoles transhumains, leurs corps machinifiés sont l’incarnation concrète de l’illimité technologique, nouveau sacré, nouvelle magie, nouvelles jouissances !

Parmi ces eidôlon, il y a effectivement la célèbre californienne Martine Rothblatt. Dans les années 1970-1980, elle fait partie du lobby-secte « High Frontier » de Gerard K. O’Neill’s imaginant la colonisation des planètes (c’est la fin du communalisme hippies sur Terre), puis devient membre d’un lobby plus important, OASIS (Organization for the Advancement of Space Industrialization and Settlement). En 1996, elle fonde une start-up dans les biotechnologies, United Therapeutics, le business a changé d’imaginaire ! Dans les années 2000, elle passe son doctorat sur la bioéthique dans la xénotransplantation (greffe d’organe animal aux humains). En 2013, c’est la femme la mieux payé des États-Unis (38 millions de dollars à l’année). En janvier 2022, le premier coeur de porc génétiquement modifié des fermes de biomonstres d’United Therapeutics est transplanté, la personne meurt deux mois plus tard. Ne devient pas porhumain qui veut ! En 2004, Rothblatt fonde la secte transhumaniste Terasen [91]. En parallèle, elle devient avocate des droits LGBT. Cette eidôlon est l’extrême pointe du transhumanisme le plus poussé, ce qu’on peut trouver de pire des avant-gardes californiennes/siliconniennes, de la gauche culturelle, techno-utopiste, frontiste et transhumaniste à la fois. D’après Rothblatt, « le transgenre est la bretelle d’accès au transhumanisme. » [92]. En 2010 Rothblatt, crée un robot de compagnie « BINA48 » , le « humanity’s first cybernetic companions », et un journaliste du New York Times de préciser : « ce n’est pas si différent que d’interviewer certaines personnes fait de chairs et de sang » [93]. La cyborg Rothblatt, veut se débarrasser des corps-esprits, elle propose déjà un « backup de l’esprit » sur son site Lifenaut.com. Comme Marc Roux, elle veut transcender la « binarité de genre » dans un aspect du mouvement plus ample à rompre avec les limites corporelles et les différents zôên :

« Le concept de base du transhumanisme est que l’homme n’a pas besoin d’un corps de chair, tout comme une femme n’a pas besoin d’un vrai vagin. L’humanité, c’est dans l’esprit, tout comme l’identité sexuelle. Étant donné que les logiciels sont de plus en plus capables de penser, d’agir et de ressentir des choses, comme les humains, ils devraient être traités comme des compagnons humains et accueillis comme des membres de l’espèce technologique Persona creatus. » [94]

A elle seule, Rothblatt rassemble tous les aspects du front humain de la guerre au vivant : le man on space et en même temps elle crée des biomonstres ; le start-upper techno-utopiste et scientiste et en même temps la pensée puritaine protestante américaine via les nouvelles technosectes ; le frontisme le plus débridé et un capitalisme bassement pécunier ; une idéologue postmoderniste et « déconstructionniste » ; une liaison idéologique transgenre-transhumanisme dans la modification corporelle ; et son aspect contre-culturel et posturiel de gauche. C’est l’idole accomplit des Marc Roux et autres petits joueurs encore trop franchouillards (pas assez décomplexés dans leur idéologie) et pas assez fortunés pour marier aussi bien l’avant-gardisme avec sa concrétisation entrepreneuriale. Bien que les Chinois soit réellement en avance au niveau biotechnologique modificatrice chez l’humain, ce sont toujours les Américains qui impulsent les idéologies sous-jacentes dans la maîtrise totale du spectaculaire-marchand intégré.

C’est clair chez Haraway qui s’en prend aux féministes matérialistes et espère l’émergence d’un nouveau féminisme. Elle le fait sur le mode de l’injonction, se servant de sa posture rebelle pour entraîner d’autres personnes susceptibles d’être séduites par « l’effet gourou » [95] des penseurs de la French theory et de leurs disciples :

« Les féministes cyborgiennes doivent prouver que « nous » ne voulons plus trouver de matrice unitaire dans une quelconque nature, et qu’aucune construction n’est jamais complète. » [96]

Et cela a bien marché. Rosi Braidotti (l’une des principale représentante du « post-humanisme »), Paul B. Preciado, les autrices du « Manifeste xénoféministe [97] », tout comme Rothblatt, sont des descendantes claires des cyberféministes. Il en existent sûrement d’autres mais loin de nous d’assimiler tous les courants féministes à cette posture, Bien au contraire nous pensons que les féminismes matérialistes sont essentielles pour combattre cette guerre généralisée [98].

Il existe d’autres courants politiques que le cyberféminisme qui prônent une redéfinition du sujet en tant qu’être cybernétique notamment les accélérationnistes. Nous n’y reviendrons pas et nous renvoyons au livre de Céline Lafontaine pour une description détaillée des adeptes négristes [99] (Toni Negri) et de la revue Multitudes. En tout cas cette matrice politique est maintenant bien installée dans le paysage politique des pays du sommet capitaliste. La classe créative – universitaires, artistes, ingénieurs – s’en abreuvent et en exalte la vacuité par de multiples sous-théories et ensembles conceptuels auto-référencés dont la finale matérialité n’est pas la lutte, la révolution, mais le changement individuel, souvent technologiste, scientiste dans ses bases et techno-utopistes dans ses fondements..

D) Le cyborg français

Petite anecdote au passage : nous avons à plusieurs reprises été contactés par Frédéric Balmont nous félicitant pour les deux premiers épisodes de La Guerre généralisée au vivant tout en ajoutant des remarques quelques peu abscons :

« Là, ça me fait penser à la conclusion de mon ouvrage précédemment cité. Sinon la question que je me posais : qu’entendez-vous proposer face à l’ontologie informationnelle ? Sachant que le transhumanisme est aussi parfois associé à quelque chose qui semble plus éloigné et profond (la gnose ou le joachimisme) et que l’ontologie double de Castoriadis ne rebutait pas Varela (qui par ailleurs pourrait être dans une filiation cybernétique »

Mais qui est ce Balmont au « joachimisme castoriadien » ? Ni plus ni moins que le trésorier de l’Association française de transhumanisme (AFT-Technoprog), qui a mis plusieurs mail à dévoiler sa doctrine et à reconnaître que nous étions ennemies. Peut-être pressentait-il que nous allions parler de son idéologie techno-utopiste dans un prochain épisode et de comment elle s’inscrit sur le front humain de la guerre au vivant ?

Technoprog fait partie de ces petites structures hyper-idéologisées qui ont pour fonction de faire du lobbying. Elles essaient de recruter dans la classe créative afin que ceux-ci servent de relais pour émulsionner leur propagande. Leur site arbore fièrement le « H+ » des transhumanistes américains et leurs articles parlent évidement des thèmes qui plaît à la classe créative, c’est-à-dire des thèmes de gauche, un brin subversifs et surtout qui posent des questions de société (« sociétales »), surtout pas de questions sociologiques, philosophiques ou morales : l’égalitarisme humain-machine, le post-féminisme, le revenu de base inconditionnel, l’open source, l’éthique animal, le capitalisme à visage humain, etc. Plus large sera leur base, mieux sera acceptée l’ingienerie du vivant chez les élites. Le but est de faire accepter l’idéologie transhumaniste, de la faire passer pour « l’humanisme du XXIe siècle » et plus largement, à faire accepter les technologies de modification humaine comme un droit et une hygiène de vie. Allez voir leur site internet, vous y retrouverez en filigrane, à travers le fatras des slogans alléchant gauchistes, le syllogisme postmoderne énoncé tout à l’heure.

Cette stratégie rappelle celle de Julian Huxley, le frère d’Aldous, inventeur du terme « transhumain » [100], qui promu avec de nombreux autres biologistes et généticiens un « eugénisme de gauche » dans le Manifeste des généticiens publié trois jours avant la déclaration de la Seconde guerre mondiale en 1939 [101]. Le ver de l’illimitation technoscientifique était déjà dans le fruit de l’époque de la domination guerrière contre le vivant, l’idéologie dépassant les clivages gauche/droite, libéral/conservateur.

Il y a trois grandes tendances chez les transhumanistes : les libertariens, les progressistes (de gauche) et les religieux. Bien sûr les frontières sont poreuses et par exemple au sein de Humanity+ les libertariens et les progressistes se côtoient, non sans frictions. Quand aux religieux, ils sont aussi siliconien-libertarien comme Martine Rothblatt et sa technosecte. N’oublions pas qu’aux États-Unis, les idéologies New-Age comme transhumanistes sont les descendantes du mariage de la contre-culture et de la cyberculture [102] et qu’il y a une curiosité voire une attirance chez les utopistes de tout poil (anti-matérialistes, religieux, pensées transcendantes, holistes, le tout enrobé de puritanisme protestant), pour les transhumanistes et tout les prophètes de la tech.

Du côté français ce sont les « technoprogressistes » qui sont les plus vivaces. C’est le transhumanisme sympa, de gauche, mélenchonniste, qui défend les minorités et fait de l’écologie, qui parle de Soral comme d’une « bête immonde » alors qu’ils sont pour la création d’une nouvelle bête immonde : le cyborg. Ce sont en faite de vrais techno-utopistes imbibés d’orgueil et de « prophétisme technologique » (David Forest), propagandistes d’idioties du genre « un transhumanisme à la française » ou « un autre transhumaniste est possible ». La méthode est de poser la question dans le débat public en y intégrant dès le début les critiques car ce qui est important pour eux, c’est d’en parler. Comme le dit cyniquement le gérontologue transhumaniste et ami de Peter Thiel, Aubrey de Grey : « De toute façon, l’humanité change, donc pourquoi discuter ? On a pas besoin que tous les gens soient visionnaires, on a besoin qu’ils soient de notre côté » [103]. Nos transhumanistes de gauche sont très actifs sur les réseaux et dans les salons, organisent des symposiums et de nombreuses réunions, sont invités sur les plateaux télé et aux réunions du Parti Socialiste où ils ont une certaine influence. Ils nous appellent des « bioconservateurs » alors que le « bios » c’est eux ! [104].

Il existe une autre tendance chez les transhumanistes français, proche des thèses cyberféministes de Donna Haraway et plus porté sur la polémique comme rapport de force politique que sur le lobbying. Lisez plutôt ce long extrait du Manifeste des mutants écrit il y a une vingtaine d’années, et vous y retrouverez tous les archétypes des avant-gardes techno-utopistes :

« La diversité, c’est la vie ; l’uniformité, c’est la mort. Vous avez envie de finir votre existence dans la peau d’un fossile vivant en train de regarder bouche bée un astéroïde cogner la planète bleue ? Pas nous ! Nous sommes différents. Nous sommes les premiers mutants. [… ] Nous voulons devenir l’origine du futur. Changer la vie, au sens propre et non plus au sens figuré : créer des espèces nouvelles, adopter les clones humains, sélectionner nos gamètes, sculpter le corps et l’esprit, apprivoiser nos germes, dévorer des festins transgéniques, faire don de nos cellules-souches, voir les infrarouges, écouter les ultrasons, sentir les phéromones, cultiver nos gènes, remplacer nos neurones, faire l’amour dans l’espace, débattre avec des robots, tester des états cérébraux modifiés, faire des projets avec notre cerveau reptilien, pratiquer des clonages diversifiants vers l’infini, ajouter de nouveaux sens, vivre vingt ans ou deux siècles, habiter la Lune, terraformer Mars, tutoyer les galaxies ; nous portons en nous le plus civilisé et le plus sauvage, le plus raffiné et le plus barbare, le plus complexe et le plus simple, le plus rationnel et le plus passionné.[...] » [105]

Les thèmes principaux de la guerre au genre humain sont représentés : cyborg spatial, biocitoyenneté, génie génétique, postmodernisme, confusion entre liberté et consommation de corps, mise en exergue du « bios », combat contre le « zôên » vu comme « fossile vivant », neutralisation du politique par l’acte technoscientifique, tout y est !

Le réseau des Mutants est cette branche des transhumanistes français, affilié beaucoup plus aux courants arty, souvent cyniques, caractéristique de la philosophie postmoderniste (avec plein de « post » dans les mots comme « postsexualisme », « postgenrisme », etc). Cette communauté informatique des Mutants, maintenant à l’arrêt, était dirigée par Peggy Sastre, journaliste scientifique et philosophe. Celle-ci est toujours en activité avec ses revendications sur l’ectogenèse (gestation hors du corps, voir chapitre 3 partie A) et le choix libéral de la modification corporelle via la technologie [106].

Ce sont des caricatures vivantes, des fois drôles, des fois dangereuses, car véhiculant des idéologies nauséabondes notamment par une réactivation de la pensée sociobiologique, c’est-à-dire une récupération bioscientifique des déterminants sociaux. Les Mutants étaient proches notamment des Extropiens et autres transhumanistes étasuniens, mais gardaient une spécificité française dans leur intellectualisme abscons et dans le goût pour la provocation hérité des avant-gardes artistiques [107]. De tant à autres réapparaît sur la toile ce genre de manifeste et la prose toujours aussi scientiste qui va avec, on nous parle même, dans notre époque trouble, où toute la gauche est en mal de théorie politique, du « renouveau du cyberfémnisme » [108], car le fond de pensée est maintenant bien installé, tellement bien qu’on ne peut plus le remettre en cause sans que tout de suite des sociaux-missiles [109] soit envoyés à la gueule du critiquant : « essentialiste », « réactionnaire », « bio-conservateur », sans oublier les classiques « transphobe » et « anti-féministe » [110]. Alors que, quoi de plus politique que de remettre en cause les idéologies sans pour autant être bassement dénigrant ou moqueur, surtout quand le but est réellement de se mettre en mouvement, pas de fabriquer de nouvelles chapelles, ni d’élever des digues !

Nous ne parlerons point du transhumanisme de droite et d’extrême-droite, parce que cela nous paraît évident tant la notion de compétition et proche de celle de sélection et que la promotion du progrès et de la croissance est leur fond de commerce. Un article de La Décroissance traite du transhumanisme chez le Rassemblement National et de leur idéologue préféré : Laurent Alexandre [111].

E) Le front humain dans la société postmoderne : Biocitoyenneté et transhumanisme ordinaire

« Depuis vingt ans, le « tourisme reproductif » fait florès en Espagne : de Madrid à Barcelone, plus de 300 « centres de fertilité » ont ouvert leur portes à une clientèle internationale […]Rien d’étonnant donc, à ce que les Françaises soient nombreuses à tenter la PMA de l’autre côté des Pyrénées. D’autant qu’elles bénéficient aussi de tests de détection d’anomalies génétiques, prohibés en France. »

L’Espagne, eldorado de la fécondation in vitro, Le Canard enchaîné, 3 mai 2023.

« Après demain, c’est-à-dire bientôt, vous pourrez sauvegarder votre mémoire cérébrale sur un support électronique. Ce jour-là, vous aurez envie d’un cloud souverain, un coffre-fort inviolable de votre identité géré par des organisations qui auront le sens de l’État avant d’avoir celui des affaires. »

Didier Renard, PDG de Cloudwatt, entretien avec Le Point, 9 octobre 2014

Nous en sommes venu au point actuellement où les avant-gardes techno-utopistes et les biotechnologues ont tellement progressé, en parallèle de mutations sociales néo-libérales et technocratiques, que nos sociétés sécrètent une nouvelle forme de citoyenneté (de vie publique et politique) de culture anglo-américaine (avec un fond culturel protestant [112]) que les sociologues Nikolas Rose et Adele E Clarke nomment la « bio-citoyenneté » [113]. C’est une nouvelle posture idéologique sous les avatars du faux choix à choisir son corps, reprenant la formule féministe des années 1970 « mon choix, ma vie » mais complètement galvaudée. Le choix ici n’est pas en premier un choix politique, c’est-à-dire un choix collectif de société qui permettrait aux femmes une émancipation par la réappropriation de leurs corps-esprits, mais un choix individuel, atomisé et particulariste, passant en priorité par des processus de technologisation du corps via les « techno-médecins » [114] ; et en second, identitaires complètement dépendant des « logique du hype » (publicité, mode, sous-culture, lobbying politique, etc).

Nous trouvons qu’il est naïf de croire pouvoir se défaire des idéologies et aliénations liées au technocapitalisme par une supposée « réappropriation » de la technologie, qu’elle soit « individuelle », « communautaire » ou « tribale », d’autant plus quand il s’agit de biotechnologies et des technologies touchant au corps humain.

Céline Lafontaine démontre que les enjeux liés à la nouvelle posture de la « biocitoyenneté » et des affects qu’elle recouvre font le jeu des grands groupes industriels, des lobbyistes technocapitalistes, des politiques publiques mais sont surtout problématiques socialement en tant que condition de l’homme postmoderne (surtout de la femme) dans une société atomisée où le droit se confond avec les nouvelles capacités technologiques :

« La biocitoyenneté suppose une représentation du corps comme capital, comme ressource dans laquelle chaque individu se doit d’investir afin de protéger et d’accroître sa vitalité. […]. Suivant cette perspective, chaque individu possède un capital (intellectuel, physique, biologique) qu’il se doit de faire fructifier. Le concept de corps-capital est central dans la compréhension des dimension sociales, affectives, culturelles et économiques de la biocitoyenneté, car il permet de rendre intelligible l’affirmation d’une culture de l’anticipation et de l’expérimentation accompagnant le développement des technologies biomédicales et, plus spécifiquement, celles relatives à la reproduction humaine. Il semble clair, en ce sens, que l’espoir de guérir des maladies, de prévenir le cancer, de retarder les effets néfastes du vieillissement, d’améliorer les capacités reproductives ou de prolonger la fertilité comporte des dimensions affectives fondamentales » [115]

Et elle continue :

« Parmi les processus relatifs à la biomédicalisation, on retrouve l’émergence d’une nouvelle représentation du corps fondée sur des logiques identitaires en lien avec une volonté d’accroître la vitalité individuelle. Dans cette optique, le prolongement de la fertilité au-delà du cycle reproductif et l’extension de la filiation génétique hors des limites corporelles, rendue possible par la gestation pour autrui, représentent des manifestations concrètes du processus de biomédicalisation. » [116]

La bio-citoyenneté est un processus lié à la fois aux effets de particularisation des individus dans une société où les médiations sociales disparaissent et sont remplacées par un « pilotage » individuel des corps-esprits isolés, esseulés, atomisés [117] ; où la liberté libérale devenue droit prend le pas sur l’autonomie politique (c.f. syllogisme postmoderne) ; et du type d’économie fondée sur la capitalisation de tout ce qui peut permettre des profits et un gain de puissance future, les processus vivants en faisant partie (bioéconomie). Que ça soit pour la conservation des ovocytes, la sélection des cellules embryonnaires, la détection des maladies génétiques, le séquençage du génome, la production de biomolécules ou de cellules au niveau industriel et la modification génétique, tous les outils sont maintenant disponibles pour que le biocitoyen puisse assouvir son désir insatiable d’auto-croissance de sa puissance (qui n’est qu’un rêve) pendant que les banques cryogéniques de bio-objets extraient et emmagasinent la marchandise cellulaire à haute valeur-ajoutée pour ensuite la vendre.

La bio-citoyenneté s’inscrit dans un processus libéral d’expérimentation technologique de sa vie biotique permettant une plus grande fluidité des rapports sociaux capitalistes : congeler ses gamètes, monitorer son rythme cardiaque, utiliser des applications smartphonales d’apprentissage mémoriel ou pour les rythmes menstruels, changer systématiquement d’apparence, de forme, adapter son corps à ses lubies même les plus folles, croire devenir autre en soi, et tout cela sans limite ! Ceci relève du délire consommatoire du corps-désarticulé-marché faisant office de nouveau statut civique à l’ère du technocapitalisme où les bouleversements constant des moyens de production induisant un changement constant des rapports sociaux (Marx). L’adaptation opérationnelle du sujet/agent cybernétique est une injonction à un certain moule du corps-esprit : Il faut régler sa vie et son corps-esprits – les fondre – dans les nouvelles procédures technocratiques hyperfluides du système et y participer pour les adapter encore mieux. D’autant plus pervers que cette injonction est vue comme un choix : qui a réellement décider d’avoir un smartphone et un boulot de merde dans un hangar Amazon ? Les corps-esprits ainsi auto-manager sont survalorisés dans leur capacité d’adaptation efficace et fluidique aux nouvelles « normes » technocratiques et culturelles : « flexibilité », « mobilité », « adaptation », « modification » et « compétition citoyenne » deviennent des valeurs civiques d’autant plus opérantes depuis la dispersion massif du smartphone-prothèse comme modulateur universel (Deleuze) des vies atomisées et branchées. Laissons parler un technocrate, artisan de ce changement de citoyenneté :

« Le transhumanisme est le dépassement et la substitution de la nature humaine par les biotechnologies. L’accès à ces technologies devient un droit individuel car elles permettent de s’accomplir davantage. Ainsi en affirmant l’existence d’un « droit de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie », la Convention européenne des droits de l’homme a intégré les techniques de dépistage génétique dans la définition de l’homme : l’eugénisme devient ainsi une composante de la nature humaine augmenté. » [118]

Ce système fonctionne selon les principes de la bioéconomie, définit par l’OCDE comme « l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composants (sic), produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de sciences » [119]. Voilà au moins une définition claire, « fonctionnaliste » de ce à quoi nous réduit la guerre au vivant : en des « matériaux vivants ou non-vivants ».

La vie est vue par les biocapitalistes comme une matière modelable à exploiter (la fameuse « pâte vivante » de l’épisode 3). Celle-ci rentre dans le procès global de capitalisation via la biotechnologie, et ceci par plusieurs porte : 1° en tant que force de travail dans les testeurs de médicaments et tous les cobayes humains volontaires ou non ; 2° en tant que matière première dans le processus de fabrication de lignées cellulaires, l’extraction ovocytaire et de cellules souches, l’extraction d’organes et de sang ainsi que l’extraction de données statistiques en génomiques ; 3° les humains sont (encore) un maillon fondamental de la reproduction du système en tant que « générateur », autrement dit en tant que reproducteurs de producteurs. Les humains accouchent d’ouvriers, de consommateurs, d’ingénieurs ; ils « fabriquent » des bras, des nerfs, de l’intelligence qui finira par alimenter le Moloch. À l’heure de la guerre totale au vivant, le capital prolétarise (du lat. proles « qui n’a que ses enfants comme richesse ») toute l’humanité et ceci est « une variable nécessaire » pour encore quelques décennies. L’automation totale n’existe pas. Célia Izoard a démontré qu’il s’agit plutôt d’une modification technologique des humains enchâssés entre de plus en plus de machines (dans le travail comme dans la vie quotidienne) et devenant comme elles : de simples agents et rouages, serviles exécutant des « tâches » de plus en plus simplifiées et répétitives.

Ainsi, les tentatives eugénistes passées ou récentes sont une façon de mouler les humains aux formes avancées du capital mais cette fois les moyens sont au rendez-vous pour un moulage total ! L’eugénisme est donc, avant d’être une idéologie, une partie intégrante des processus économiques capitalistes. Nazisme ou scientisme contemporain ne sont que la « teinte » de l’eugénisme, ça forme phénoménale et historique. Le fond est le même.

L’exemple contemporain de la « génomique », c’est-à-dire du séquençage informatique à grande échelle nous éclaire sur l’eugénisme en cours. La génomique est l’extraction, la purification, le séquençage puis le stockage dans des banques de données de centaines de milliers de génomes (en « pétaoctet » soit des millions de gigaoctet !). Le but avoué est de remplir des bases de données d’un très grand nombre de génomes (ensemble du « code génétique » d’un humain) en une sorte d’accumulation primitive de bio-capital en vue de plus-values futures. Les nouveaux marchés s’appellent « médecine prédictive », « médecine personnalisée » « médecine régénérative », « génomique populationnelle » etc. À partir d’analyse bio-informatique, des entreprises comme Calico [120] (Google) ou des centres de recherches comme le Beijing Genomics Institute (BGI) chinois, espèrent trouver des déterminants biologiques (prédisposition aux maladies et cancers, espérance de vie, intelligence, agressivité, etc) permettant de prédire le futur de la société humaine tant en terme épidémiologique que politique :

Écoutons Bowen, le chef du projet de séquençage des génomes de « prodiges » chinois dans le plus gros institut de génomique chinois, le BGI :

« La mission de Bowen : séquencer le génome de petits prodiges dans son genre, afin de trouver les racines génétiques du génie. Voici quatre ans qu’il s’y emploie à la tête d’une équipe de plusieurs centaines de jeunes chercheurs. ’Les études sur les jumeaux et les enfants adoptés laissent penser qu’au moins 50% de la variation du Ql est due à la génétique, affirme-t-il. Mais quels gènes, dans quel coin du génome ? On ne sait pas. Nous, nous allons trouver les gènes liés à l’intelligence.’ » [121]

Car la richesse d’une nation étant toujours indexée sur l’espérance de futurs profits et donc à la capacité de prédiction des futurs rapports sociaux et des futurs entravent à leur fluidité. On peut donc comprendre que les États et les GAFAM qui peuvent se le permettre stockent l’ADN de plus de citoyens possibles en vue de leurs criblages informatiques passer à la moulinette d’algorithmes de prédiction. Sans compter que ces pools d’ADN populationnels, quand ils seront « surcodés » par une interprétation algorithmique, pourront servir de marchandises à très forte valeur-ajoutée sur un nouveau marché de la prédiction.

Nos cyberchercheurs n’en resteront pas à de la prédiction. Suivant le nouveau proverbe capitaliste « si tu veux voir le futur du monde regarde en Chine », écoutons les buts réels des recherches en génomique des patrons de Bowen :

« Wang Jian, le patron du BGI, est convaincu que cette recherche débouchera rapidement sur un test génétique. Il permettra aux couples qui ont recours à la fécondation in vitro de sélectionner les embryons les plus ’ intelligents ’ ! Sur le long terme, le niveau de QI de la population générale s’en trouverait amélioré. En Chine, où les débats éthiques sont rares, ces propos ne déclenchent aucune polémique. Mais la réaction très vive de certains médias étrangers a servi de leçon. En attendant la publication des résultats, BGI évite désormais de communiquer sur le sujet. Bowen, lui, continue de parler librement à la presse. […] ’Aujourd’hui, nous avons un outil formidable qui peut faire faire un bond à nos connaissances. Et il faudrait ne pas s’en servir ?’, s’étonne Bowen. Le génome, plaide-t-il avec chaleur, est bien plus qu’un dépôt de traits hérités. C’est un système opérationnel qui contrôle le fonctionnement de nos cellules, de notre cerveau et de tout notre organisme. ’Comprendre le génie n’est qu’un point de départ. Le but, c’est d’arriver à comprendre notre fonctionnement ’normal’, à trouver notre ’code-source’. » [122]

Fable ou réel espoir, peut nous importe, la logique opératoire, fonctionnaliste, de cette guerre nous réduit déjà à des terabytes de « code-source ». Cette nouvelle forme de neutralisation politique de l’agir humain qu’est cette bioéconomie et son « génétisme » à tout prix est horriblement dévitalisante et déshumanisante pour que nous en émouvions et réagissions.

En retard d’une guerre par rapport à la Chine et les États-Unis, la France en tant que superpuissance a lancé en 2018 son plan France Médecine Génomique 2025 (FMG 25) [123], nouveau Grand Programme technoscientifique structurant. Celui-ci comporte 12 « plateformes », (consortium de labo, entreprises, CHU, data centers) dont AURAGEN, celle de la région Auvergne Rhône-Alpes. L’ambition française est de scanner 220 000 génomes par an et de produire 60 pétaoctets de données. L’entreprise d’État Atos se fera un plaisir de stocker dans ces data-centers toutes ces données.

Les cyberscientifiques sont demandeurs de toujours plus de data, car plus la Matrice épouse le territoire (ici l’humain), plus elle a la capacité d’agir sur lui. Et pour ne pas froisser les bioéthiciens, on nous prévient tout de suite que c’est pour sauver des vies (quoi qu’il en coûte !). Laissons parler le professeur jean-Yves Blay, directeur scientifique d’AURAGEN :

« L’hypothèse est que plus on aura d’information, plus on pourra affiner notre connaissance de la maladie. On a vraiment deux chaînes de valeur (sic) aujourd’hui dans le plan FMG 25. Après l’analyse du génome on décide d’un traitement qu’on donne au patient, et ça marche ou ça marche pas. Puis on accumule ces informations et on les met dans le collecteur analyseur de donnée [CAD], qui va devenir une bibliothèque gigantesque. » [124]

Scientifiques et médecins, c’est-à-dire nos nouveaux prêtres, donnent à manger à la Machine gloutonne suivant la théorie hypothétique qui voudrait que plus il y a de données, plus on peut prédire l’avenir ! Et toujours la tarte à la crème de la santé en toile de fond, comme à chaque saut technologique qui demande l’aval du public. Du nucléaire ? c’est pour la radiothérapie ; Les neurosciences ? C’est pour faire marcher les parkinsoniens ; L’oeil bionique ? c’est pour les aveugles ; Les exosquelettes ? c’est pour la pénibilité au travail ; Le clonage ? c’est pour la thérapie génique et les petits du Téléthon. À chaque barbarie son prétexte thérapeutique. La plupart de ces recherches n’arrivent même pas à sauver une vie et pour les quelques recherches qui apporteraient des bien-faits aux humains (des pays riches), est-ce que cela compenserais le désastre de cette guerre généralisée ? Faut-il préciser que le nucléaire, avant de soigner les cancers, et une cause de mort et de pollution cancérigène ? La vie est-elle compensable ? Est-il raisonnable de jouer au poker de la mort ?

Pour notre exemple de la génomique, la médecine prédictive fait office de bouclier anti-contestation et permet de mettre le public dans sa poche alors que pour l’instant aucun résultat probant n’a été obtenue, mais il en faut toujours plus parce que peut-être un jour ça marchera… On retombe encore une fois dans la pensée magique et le prophétisme scientiste. Pendant ce temps, les grosses entreprises semi-étatiques d’informatique (Thalès et Atos), l’État, et les cadres de la recherche au Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation se frottent les mains devant la puissance de calcul développée. Car eux le savent : au temps du technocapitalisme, l’empuissantement technologique est équivalent à un accroissement futur du PIB.

Ces super-ordinateurs ne nous soignerons pas mais par contre beaucoup d’entreprises de biotech subventionnées par les plans de relance tel celui de l’Europe « Horizon 2030 », comptent dessus pour réaliser des profits substantiels. La bioéconomie est ce jeu de dupes où l’État et les entreprises nous prennent pour des cobayes en précisant que « c’est pour notre bien » alors qu’ils ne cherchent que profit et puissance. Dès 2014, les députés de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), véritable lobby technoscientifique parlementaire, soulignait l’importance à la fois du développement du séquençage génétique et leur rassemblement dans une base de donnée unique permettant leur exploitation commerciale :

« définir des sous-groupes étroits de patients grâce à des biomarqueurs permettant de trouver les molécules soignantes les plus appropriées, et donc aboutir à une grande efficacité médicale avec un taux d’échecs limité [… ] Désormais, l’industrie du médicament cherche à développer des médicaments ultraciblés, agissant sur une mutation ou une anomalie génétique particulière [125]. »

Toutes ces données sont inter-opérables entre les plateformes et sont regroupées dans le tout récent dossier médical partagé (DMP) créé de facto pour tous les citoyens français qui n’auraient pas fait de demande de refus auprès de la Sécu. C’est que l’État sous sa forme d’État-réseau est un ensemble de plateformes de données où le biocitoyen est réduit à un réservoir de données alimentant les dites plateformes. Cela lui permet de remplir ces différents droits et devoirs de biocitoyen plateformé, fluidifié, réticularisé. CAF, Sécu, automobile, logement, police, vote, tout doit être plateformable pour que le « jumeau numérique » de chacun soit traçable et pilotable au doigt et à l’œil. La prochaine étape est le « portefeuille d’identité numérique » sensé rentrée en activité dès 2024, comme centralisation citoyenne des données.

Plus les plateformes génomiques centralisées puis moulinées dans le super-ordinateur CAD sont alimentées par une foultitude de données personnelles (antécédents, style de vie, pools génétiques des parents, etc) plus elles permettent de « retracer l’histoire du patient augmenté [… ]. On voit à l’échelle moléculaire et donc on peut mieux traiter » [126] précise M. Blay qui vomi sont laïus cybernétique qu’on pourrait résumé comme tel : Bit=ADN=Molécule=Vie.

Il faut analyser dans un même mouvement la poussée de la bioéconomie et l’émergence de la biocitoyenneté à l’heure de l’individu comme corps-marché selon l’expression de Céline Lafontaire [127]. Pour ce rendre compte de cette nouvelle façon d’être et de son imprégnation sociale, rendons-nous compte que c’est une variante du transhumanisme comme transhumanisme ordinaire. Une guerre latente :

« Apparus à la fin des années quatre-vingt, les débats philosophiques et politiques autour du post-humain, c’est-à-dire d’un être humain modifié par le biais des technosciences, témoignent de cette nouvelle sensibilité culturelle. La question de l’amélioration des performances humaines dépasse le cadre des mouvements radicaux tel que le transhumanisme pour embrasser un ensemble très vaste de pratiques qui inclut le contrôle de la procréation, la performance sexuelle, le modelage de l’apparence physique, les capacités cognitives et la lutte contre le vieillissement. » [128]

Le radicalisme ou l’avant-gardisme politique comme c’est le cas pour les transhumanistes de H+, de Technoprog ou encore des cyberféminstes n’est donc pas seul responsable. C’est toute la société en train de muté qui est radicale dans son transhumaniste ordinaire infusant de manière certain dans les rapport sociaux. Que nous trouvions des citations aventureuses de technocrates cela permet de remettre un peu de conflictualité et d’indignation là où si facilement toute la gauche – du PS aux anarchistes – acceptent sans bronchés le plus souvent des propositions de lois (PMA, loi de bioéthique, diagnostic pré-implantatoire, modification des embryons, etc) vues comme des « avancées » alors qu’elles sont des pierres de touches de la mutation postmoderne.

Rentrons maintenant dans le vif du sujet de cette mutation postmoderne qui est à la fois une cyborgisation et à la fois une désubjectivation de l’humain.

3. Cyborgisation et désubjectivation (la pratique)

Il s’agira d’enfanter sans sexe, sans partenaire, sans plaisir et sans spermato… Peut-être aura-t-on la paix dans le monde ?

François Jacob, notre cyber-biologiste préféré, Le Figaro, 27 février 1997.

Dans un contexte de capitalisme avancé, qui va de pair avec l’urgence climatique, l’avancée technologique et biogénétique est repensée dans une visée émancipatrice qui intègre les nouvelles formes de subjectivité, afin d’appréhender un futur viable ouvert aux transformations.

Wikipedia en français « Post-humanisme »

A) Combien de rat faut-il charcuter pour obtenir un cyborg ?

Cependant, ce n’est toujours pas clair de savoir si les mammifères mâles ont le potentiel de concevoir et de maintenir une grossesse.

R. Zhang, Y. Liu, « A rat model of pregnancy in the male parabiont » [129]

De quoi peuvent parler nos biotechnologues chinois ? On ne comprend pas ce qui n’est pas clair (« unclear ») à moins que nous le comprenions que trop bien. L’idéologie mécaniste en biologie, teintée de « déconstructionnisme » sont tellement puissantes que tout les sens communs volent en éclat : un rat mâle du règne des mammifères ne peut pas être enceinte et ne peut pas engendrer. Et pourtant des scientifiques se posent ce genre de question, et la réponse ne leur paraît pas évidente. Des doutes métaphysiques sur la nature des « étant » ? Une mauvaise définition des mots ? Non, c’est une juste fausse interrogation qui cache leur désir de triturer leur « modèle » au « potentiel » extraordinaire pour de futurs applications aux mammifères mâles, homo sapiens.

L’expérience menée en Chine dans les laboratoires de la Faculté de Médecine navale de Shangaï. est un exemple parfait pour comprendre que la fabrication de l’humain augmenté passe dans un premier temps par des expériences laborieuses de trituration à outrance de « modèle » (des biomonstres) et sur la naissance d’avortons mal-fichus [130].

Zhang et Liu ont d’abord fabriqué des parabiontes hétérosexuels en grand nombre, c’est-à-dire des couples de rat-rate ligaturés et ayant leurs circuits sanguins reliés permettant de faire passer les hormones femelles chez le mâle. Ensuite ils ont castré les organes mâles des monstres parabiotiques, puis leur ont transplanté des utérus, et enfin implanté des embryons et recousu le tout. Dans 3, 69 % des cas, ils sont arrivés à faire naître des bébés rats chez ces parabiontes. Fabuleux non ?

Pour ses scientifreaks, il ne s’agit aucunement de vies animales broyées, bafouées, dégénérées, annihilées dans leur intégrité. Il ne s’agit pas de douleur, d’attente, de désagrément, de maladie, d’infirmité, de mort violente et d’agonie. Il ne s’agit que de « modèles scientifiques » neutres permettant d’augmenter les connaissances sur l’embryogenèse en vue de la reproduction de plus en plus artificialisée de l’humain. Écoutons la réponse méprisante de la biotechnologue chinoise quand elle se fait attaquer :

« Notre recherche a commencé simplement par curiosité scientifique, et nous ne nous attendions pas à ce qu’il y ait autant de retours non scientifiques sur nos expériences lorsque notre prépublication a été publiée [… ] mais pour être honnête, nous n’avons rien fait de mal, nous avons simplement réalisé une expérimentation animale. » [131]

Pour de la simple curiosité ? Triturer des centaines de rats, mettre 8 ans pour obtenir un protocole satisfaisant et dépenser des sommes folles ?

Quant à la communauté scientifique internationale, elle s’est à peine offusquée, mais a palabré sans fin pour savoir s’il fallait « légiférer » sur ce genre d’expérience tout en protégeant Zhang et Liu et tous les scientifiques travaillant sur l’embryogenèse : ce sont seulement des chercheurs qui cherchent tout en respectant les comités éthiques et les directives déontologiques de leur pays. Même si ces expériences paraissent encore choquantes pour le commun des mortels, il y a toujours un éthicien avec son aplomb pour nous siffloter son air de « là n’est pas le problème, il faut légiféré », coupant court à nos larmes et nos regards d’effrois face cette barbarie technoscientifique.

Nous remarquons une inflation des expériences en embryogenèses et fécondation sur le rat et la souris depuis une dizaine d’années. Rat et souris qui sont des « modèles » pour l’embryogenèse et la fécondation humaine. Dans chaque article récent en embryogenèse du rat, on retrouve presque systématiquement une ouverture dans la conclusion où les chercheurs se félicitent de ces avancées qu’ils estiment autant scientifiques, techniques, que « sociétale » sur de potentielles applications aux humains. En réalité, l’embryogenèse du rat et de la souris sont très bien connues, là n’est pas la question.

Qu’espèrent alors ces chercheurs d’utérus transplantés et d’embryons mutants ? Ces barbares de la fabrication d’embryons sans fécondation, ces scientifreaks machinant des chimères humain-souris et humain-singe ? Ces comités d’éthique, ces obstétriciens du bébé éprouvette, ces cloneurs, ces transhumanistes fer de lance de la déconstruction technologisée, ces entrepreneurs en cliniques privées ? Tous forment une communauté d’intérêts autour du développement des technologies reproductives de l’humain ; tous espèrent de rapides « débouchés » et l’ouverture de nouveaux droits correspondant. Tous attendent que les Chinois bravent encore des nouveaux interdits moraux et fabriquent de nouveaux types de biomonstres pour que les occidentaux emboîtent le pas.

C’est bel et bien une communauté du crime. Et comme dans chaque mafia, il y a le silence et l’omerta qui priment. Personne ne vous racontera le prix du sang à payer en terme de vies animales et de cellules javelisées ; ni le « coût » moral et psychologique à faire autant de méchanceté aux animaux et à l’humain. Le nihilisme scientifique, en bafouant autant les vies, ne comprend pas qu’il entraîne la société dans un espèce de sous-totalitarisme toujours renouvelé. Cette communauté se moque éperdument des vies humaines, des vies animales et de la morale. Son regard froid et neutralisateur n’est que le produit de la société industrielle et de son mode de production. Le marché de l’espérance est en réalité le marché du renoncement et les promesses de délivrances de toutes les contingences biologiques humaine un avenir certain d’esclaves de la technoscience.

En parallèle des expériences de conversion des mâles en parturientes, d’autres triturations scientifiques explorent une gestation hors du corps de la femelle mammifère. C’est l’ectogenèse.

En 1948, le biologiste Albert Vandel y pensait déjà comme « l’heureux abandon des pratiques purement zoologique et l’adhésion à des méthodes propres à promouvoir une humanisation encore imparfaite. » [132]. Transhumanisme et eugénisme ne sont jamais très loin quand on a compris que le but de la biotechnologie émergente dans les années 1950 est d’éloigner le zôên, le lien profond à la nature pour construire un homme nouveau. Bien sûr aujourd’hui, l’argument des grands prématurés qu’il faudrait sauver est mis en avant, permettant un début d’acceptation sociale malgré les récits dystopiques comme le Meilleurs des mondes, encore bien présent dans l’imaginaire collectif. Les recherches de gestation ex-utero sont de plus en plus « performantes » et rognent sur les temps de gestation dans les premiers jours des embryons blastocystaires ou lors des derniers mois de gestation. Ainsi petit à petit l’écart se resserre entre la période où les cellules embryonnaires peuvent survivre in vitro et les dernières semaines où le fœtus peut être mis dans des « bio-bags » – ersatz de ventre de mère en plastique bardés de capteurs et de cathéters – afin de finir sa gestation. Le « modèle » utilisé pour la fin de la gestation est caprin car il a sensiblement la même taille que le fœtus humain. Pour l’instant il n’y a encore pas eu de bébé sortant au monde à partir d’un sac plastique mais ça ne serait tarder, c’est inéluctable, c’est le progrès ! [133] C’est ce que nous explique un numéro de Science & Vie [134] qui reprend explicitement les arguments du cyberbiologiste transhumaniste Henri Atlan, dont il est souvent fait mention quand on parle de l’ectogenèse. Les transhumanistes, (faut reconnaître leur franc-parler), nous présentent les choses dans toutes leur étendues. Citons Atlan, ici dans une envolée lyrique pseudo-révolutionnaire et pseudo-féministe :

« L’ectogenèse est un pas de plus vers la séparation totale entre sexualité et procréation. Un pas décisif dans la mesure où il établit une symétrie presque parfaite entre le rôle de l’homme et celui de la femme dans la procréation. La dissymétrie introduite par la grossesse disparaît. Toutes proportions gardées, on a déjà assisté à une révolution de ce type au XXe siècle, précisément grâce à la contraception, à la libération de l’avortement, mais aussi à la machine à laver qui libérait les femmes du travail domestique habituel. Je crois qu’avec l’ectogenèse s’achèvera la révolution qui a très largement commencé au siècle dernier. […] Il n’est pas impossible, étant donné la plasticité que l’on observe de plus en plus maintenant dans le développement des organismes vivant humains et non humains, qu’une adaptation se produise et que les fœtus s’adaptent aux conditions d’un environnement artificiel. On trouvera bien sûr des psys pour dire que ces enfants naîtront psychotiques ! » [135]

En plus de ces nouveaux-nés « sans contact » dont on doute, contrairement à Atlan, qu’il ne soient pas un peu « perturbés », l’ectogenèse servira dans un premier temps à produire des bio-monstres animaux dans des conditions spécifiques mais aussi de les maltraiter dès la gestation, en leur injectant des toxines par exemple, afin de créer des « modèles ectogéniques » comme il y a le modèle parabiotique vu plus haut.

Cet extrait nous montre que les biotechnologues n’hésitent pas à récupérer le discours féministes pour imposer évidemment une vision à la fois technocapitaliste et oppressive envers les femmes.

Cette communauté du crime veut avoir le pouvoir sur la vie et en premier le pouvoir sur la vie humaine. Et pour ce faire, quoi de plus efficace que la méthode scientifique : il faut contrôler le plus finement possible les processus d’engendrement de l’humain, de la fécondation (sans copulation), de la gestation (sans parturiente) et de la naissance (sans accouchement). Une fois que le vivant est vu comme « biotique », cela passe par une division accrue du travail d’engendrement : chaque processus et sous-processus doivent être manipulables en micropipette et ambiance stérile, dans des substrats biotiques choisit avec soin et des gestes protocolaires sans failles. Les corps sont éloignés le plus possible, voire éliminés de l’engendrement, c’est à dire du génos, (« naître », « devenir »), du genre humain, dans sa dimension d’appartenance à la nature et de son avenir avec elle. Ce que nous nommons un processus de désengendrement. Il ne faudrait pas que les tares, les vices, les humeurs, les pulsions humaines, c’est-à-dire les qualités vues comme des faiblesses du corps-esprits, ne viennent perturber la machinerie procréative en routine de laboratoire permettant à chaque essai monstrueux une viabilité maximale ! Maximiser les chances d’avoir une progéniture saine, fiable, eugénique – en réalités, en série est le rêve de domination réelle du technocapitalisme. C’est-à-dire vu sous sa logique : dominer la production des conditions de production, dominer la vie pour adapter l’homme à la société fluide :

« Dans la société de médecine cybernétique, la logique de la prévention répond aux paradigmes technoscientifiques et aux calculs algorithmiques dans lesquels les Big Tech prennent en charge la gestion de la santé dans toutes ses dimensions. Depuis le moment où nous venons au monde – nous disant aussi comment nous devrions venir au monde – jusqu’au moment où nous mourons ou plutôt, nous devrions mourir. Chacun, en effet, est désormais considéré comme une charge pour les coûts de santé dans une logique d’optimisation des ressources et dans une perspective eugénique[… ]. » [136]

« Eugénique » dans les deux sens du terme 1) que la progéniture du capital soit « bien né », « comme il le faut », dans l’hygénisme le plus total, c’est-à-dire, celui qui se rapproche du stade mortuaire de la vie en plastique stérile et 2) eugénique dans le sens du « génétisme », de cette machinerie où les embryons, subiront des batteries de « diagnostics », de « tests » génétiques permettant une sélection certaines.

D’où les dernières « prouesses scientifiques » de l’Institut des sciences de Weizmann en Israël : Après avoir créé un « mechanical uterus » comme leur camarades d’Eindhoven au Pays-Bas, et à faire développer dedans des embryons de souris, puis avoir injecté dans ce tube-utérus des toxines, des colorants et des cellules humaines pour savoir comment l’embryon de souris se comportait [137], les voici qu’ils s’attaquent à l’embryon humain. Dans un article tapageur paru dans la revue prestigieuse Cell [138], nos scientifiques israëlo-palestiniens affirment avoir créé des « embryoïdes », c’est-à-dire des espèces d’embryons humain de 14 jours, sans sperme, sans ovocyte, ni utérus, à partir d’un mélange de cellules non-gamêtique mélangées entre elles et placées dans leur utérus mécanique. Pour eux, rien de plus que des machines cellulaires interchangeables à volonté :

« L’embryon est la meilleure machine à fabriquer des organes et la meilleure bio-imprimante 3D – nous avons essayé d’imiter ce qu’il fait […] Tous leurs organes s’étaient formés, y compris un cœur battant, une circulation sanguine émergente, un cerveau, un tube neural et un tractus intestinal. […]Et parce que notre système, contrairement à l’utérus, est transparent, il peut s’avérer utile pour modéliser les défauts de naissance et d’implantation des embryons humains. » [139]

Et le monstre humain fut.

Agglomération de cellules vivantes sans consistance, sans appartenance, ni vitalité, ce blurp humain est maintenant « un modèle » d’embryon où toutes les expérimentations cadavériques sont possibles. Cet « embryoïde » ne descendant de personne, les scientifreaks se disent qu’aucune personne n’est lésé de la maltraitance subie par ces « bio-objets ». Pour nous c’est tout le monde, toute l’humanité qui est lésée. Il n’y a pour l’instant aucune barrière législatives, pas même morales qui puissent freiner ces fous. Si un jour, ces monstres étaient développés à terme, qui en réclamerait la paternité ? où finiraient-t-il ?

Pour peu qu’ils disposent d’argent et de moyens, les blouses blanches de la biotechnologie n’hésitent pas à mettre en pratique leurs pires imaginaires morbides et entraînent toute l’humanité avec eux dans ce cauchemar. Car bafouer si profondément l’intégrité du vivant humain, ce n’est plus de la « déconstruction » ni de la modification : c’est exploser toutes les catégories essentielles du zôên, de la filiation, de la génération, de la vie, de la mort ; c’est mener une guerre totale, en profondeur, sur toute nos bases d’existence, et vouloir aller plus loin que les 3 milliards d’années d’émergence d’un processus pour le maîtriser. Dans le stade du technocapitalisme le plus avancé, le désir de savoir de la caste des scientocrates devient une perversité [140]. Cette pulsion matérialisée en délires biotechnologiques rompt avec toutes les limites, tous les tabous et les interdits et brise de la sorte toutes les appartenances et les ancrages normatifs de la société sans pour autant façonner du commun. Ce nihilisme destructeur ne peut que provoquer à la longue la destruction du genre humaine et un désir de mort.

Maintenant que nos rats sont bien charcuté et que les embryons sont bien emballés en sacs plastiques, il est tant de réinscrire notre critique dans les avancées en techno-médecines procréatives des dernières décennies.

B) L’attaque des clones contre le sujet

Nous l’avons déjà dit dans l’épisode 3 : les techniques d’insémination artificielle et de fécondation in vitro avec transfert d’embryon (FIV ou Fivete « fivette » en français) sont issues de l’industrie bovine. En 1978, premier bébé issu d’une fécondation ex vivo/in vitro par le biologiste Robert Edwards, le « père du premier bébé éprouvette ». Celui-ci confiait à un journaliste « qu’il fallait améliorer génétiquement l’espèce humaine, rendre l’ADN humain parfait, afin que les gens soient moins atteints de maladie, plus intelligents et vivent plus longtemps [141]. ». La biologie contemporaine fait partie des sciences opératoires qui agissent dès qu’elles détiennent les moyens technologiques. Quelques soit le moratoire, les lois, les chercheurs qui peuplent ses instituts, elle ira toujours plus loin dans la fabrication de l’humain (eugénisme, mutation, clonage, désengendrement, prothétique, interface homme-machine, etc).

Et effectivement, une fois la barrière sautée avec Louise Brown, ce fut une explosion d’expérimentations biomonstruelles dans tous les pays hautement technologisés : 1981, Amadine, premier bébé éprouvette français grâce au savoir-faire d’un ancien expert de l’insémination bovine, Jacques Testart (qui, quelques années après, deviendra un farouche opposant aux manipulations de l’embryon et des gènes, mais le mal est fait c’est trop tard) [142] ; 1984 Zoé en Autralie encore, premier bébé issu d’un embryon congelé ; 1985, Australie encore, premier jumeaux-éprouvette nés à 16 mois de distance l’un de l’autre ; 1986, aux États-Unis, naissance d’un bébé dont le sexe a été déterminé par tri des chromosomes ; 1987 aux États-Unis, première entreprise (Fertility and Genetics Research Incorporated) commercialisant des embryons humains ; toujours en 1987, Afrique du Sud, une femme met au monde des triplés qui sont les enfants génétiques de sa fille et de son gendre ; 1989, Australie, recueil d’ovocytes sur des foetus non-viables et maturation in vitro pour de futures FIV ; Toujours en 1989, en Italie, culture d’embryon humain sur un utérus ex-vivo obtenu après hystérectomie ; 1993, États-Unis, obtention de jumeaux par division cellulaire provoquée, et-cetera, et-cetera, jusqu’au clone Dolly en 1996 et le premier OGM-humain en 2015 (c.f. ép. 3)

Ces progrès techniques et mercantiles (engendrant des nouveaux choix libéraux à l’enfant) sont permit grâce à toute une infrastructure technologique extractiviste, cryogénique et bio-informatique qui se met en place petit à petit à partir des années 1970 : Les CECOS (Centre d’étude et de conservation du sperme) sont créés en 1973 en France. Il faudra attendre de longue recherche pour faire de même avec les ovocytes, ceci demandant un extractivisme très technique car ces cellules gamêtiques sont présentes en petite quantité et elles sont très fragiles. En France c’est en 1984 qu’on y parvient : à partir de ce moment le corps de la femme devient un territoire de manipulation et d’extraction sans limite. La revendication féministe des années 1970, « My body, my choice » peut être ré-interprété dans la décennie ultra-libérale qui va suivre comme un accaparement effectif du technocapitalisme sur les corps des femmes et en contre-partie une légalisation/légitimation progressive de tous les désirs liés à la procréation et à leur matérialisation concrète dans des expériences toujours plus poussées. Il n’y a pas eu de victoires féministes de ce côté, les corps n’ont pas été libéré du patriarcat, ni du technocapitalisme, la « domination » n’a jamais été aussi grande : le spectre biotechnologique s’élargit rentrant en adéquation avec le spectre infini des « désirs » personnels à l’heure de la consommation des corps. Quand une société en arrive à là, c’est qu’elle devient délirante dans son ensemble. On peut le remarquer dans de nombreuses déclarations des décennies 1980-1990 avant que le spectacle « bioéthique » vienne lisser la parole :

« On reste trop accroché à la procréation dite artisanale, lorsque la mère, ainsi que le père, assurent tous les rôles. Or il ne nous coûte pas qu’ils soient distingués : la techno-science les a démentelés et sait les ’régler’ séparément […] Le vouloir seul devrait compter, relayé par la procréatique qui le sert. […] La grossesse, en effet, tisse des liens difficiles à déchirer entre la mère et le fœtus : mais il n’en faut pas moins briser le concept de maternité. » [143]

Désir d’enfant sans parent, sans grossesse, sans souffrance, sans humain, transformant ce désir en délire de toute puissance. La sociologie de Michel Freitag permet de réinscrire ses « poussées délirantes » dans une perspective socio-historique bien précise :

« Or le totalitarisme ne désigne-t-il pas une telle situation où peuvent proliférer le pur fantasme ou le pur délire de la puissance technique, et où ce fantasme n’a même plus besoin de s’emparer de la volonté d’aucun sujet pour se réaliser, parce que c’est la réalité elle-même qui est devenue fantasmatique et délirante ? Les sujets qui reste n’ont virtuellement plus de prise sur cette réalité, ils s’y construisent leurs propres bulles narcissiques dans lesquelles ils n’ont plus qu’eux-même pour objet d’amour et de haine, de sollicitude et d’aversion, d’espoir et de crainte. C’est sur la défaite du monde commun que s’instaure le totalitarisme, et c’est elle qu’il reproduit en élargissant sans cesse l’empire envahissant du non-sens. » [144]

Cette défaite du sujet engendre effectivement une recrudescence délirante des fantasmes concretisés, notamment autour des biotechnologies et du clonage dans ce que Monette Vacquin à la suite de Jean Baudrillard [145] nomme, « la reproduction du même ». En effet, il y a une certaine similitude entre les régimes totalitaires des décennies 1930-1940 dans leur production encore « archaïque » d’humain purifié et les délires contemporains d’eugénisme tranquille, cette fois avec des moyens biotechnologiques efficaces. Monette Vacquin explique ce phénomène social en prenant l’exemple de la première application en 1993 du clonage humain par fragmentation de l’embryon au stade précoce afin d’obtenir plusieurs transplanta d’embryons lors de FIV. Elle commente un article du Monde de Jean-Yves Nau [146] :

« Dans l’espèce humaine, ajoute Jean-Yves Nau, les arguments avancés sont généralement d’ordre thérapeutique, ainsi les chercheurs américains invoquent-ils une amélioration de l’efficacité des traitements de la stérilité ; d’autres, comme Robert Edwards, ne craignent pas de proposer le partage en deux jumeaux d’un embryon fécondé in vitro. Pourquoi, en d’autres termes, ne pas s’autoriser à reproduire hors des voies génitales féminines le phénomène naturel du clivage de l’oeuf qui conduit à la naissance des vrais jumeaux ? Les partisans d’une telle entreprise avancent des arguments médicaux, par ailleurs contestés, tenant à la possibilité de la conservation par congélation, pour chacun, de son double, source potentielle de cellules et d’organes de substitution. Le même raisonnement conduit à voir dans le clonage un procédé technique permettant de faciliter la mise en œuvre du diagnostic préimplantatoire […] » La suite de l’article renvoie aux thèses développées par Jacques Testart pour qui l’association de la PMA et de la génétique moléculaire est le cheval de Troie d’un eugénisme scientifique d’une puissance jamais égalée. » [147]

Ces fantasmes concrétisés font références au mythe du Nouvel Adam déjà évoqué quand nous abordions la notion de cyborgisation. Ce nouvelle « humain » (homo quelquechose ?), sans genre donc sans zoên, fluide et eugénique, est le nouvel avatar d’une société technologiquement totalitaire [148], c’est-à-dire un système-monde.

Et effectivement, les deux poussées délirantes de la génération sans organes ni corps, (c’est-à-dire du délire autour de la reproduction artificielle) ; et du corps sans génération du transhumanisme, relèvent toutes deux d’une combinaison opportune de vieux fantasmes ré-inscrits dans la modernité avec la Rupture Frankenstein et concrétisées à l’époque de la guerre généralisée au vivant, et son front humain avec la biotech. Bien qu’il soit présent en filigrane dans les techniques de clonage, ce phénomène social-historique de cyborgisation est promu fièrement depuis les années 1970 par une avant-garde de la classe créative se nommant « extropiens » puis « transhumanistes » avec comme fond idéologique le truisme postmoderne suivant : se faire à soi-même ce que l’on veut voir advenir dans le monde permet de changer le monde. Une espèce de « propagande par le fait » sauce protestante-puritaine où ce qui est visé c’est un changement des corps-esprits vers plus de pureté amenant à un monde idéal sans péchés (où « sans domination » [149]).

Ainsi se mélange en un brouillage opérationnel, l’acteur (ou plutôt « l’agent ») politique du changement, le bourgeois techno-entrepreneur bardé de dispositifs technologiques à l’avant-garde du progrès, et les changements réels disons « anthropologiques » arrivant à l’homo connecticus vingt ans plus tard et relevant de dynamiques socio-historiques liées au nouveau saut du capitalisme dans de nouvelles contradictions plus vaste (globalisation) amenant à un effondrement du sujet dans la postmodernité. Quel est le lien entre ces milliardaires techno-utopistes et les changements radicaux de subjectivation de l’humain ?

C) Le transhumanisme redresse l’humain vers le ciel de l’abstraction du biologique

Il ne faudra pas se méprendre pour les pages qui suivent. Le transhumanisme n’est pas la mouvance de quelques geeks perdus et techno-utopistes de garage (États-Unis), ni l’idéologie cachée de spéculateurs barbus et binoclard héritier du structuralisme (France). Bien que plongeant ses ramifications originelles dans ses deux traditions philosophiques, le transhumanisme est une idéologie politique au sens où un rapport de force entre des conceptions différentes du devenir humain commence à prendre de l’ampleur. Les transhumanistes, partant volontairement à la guerre (à l’image d’un Marinetti), sont les combattants pionniers de ce front ouvert sur le « territoire humain » dans l’ensemble plus vaste que nous avons appelée la Guerre généralisée au vivant. Les moins courageux, la cohorte des généticiens respectables, des bioéthiciens, des cliniciens de l’interface homme-machine pour Parkinsoniens, les sauveurs de vie quoi qu’il en coûte, forment la seconde ligne des « suiveurs », ne s’exposant pas inutilement et laissant les légitimités se créer sur ce terrain avant de parler de leurs expérimentations.

Ces personnages transhumanistes et déjà transhumains sont pour la plus part des étasuniens puissants et pragmatiques, des Lénine de la postmodernité, ayant l’avoir et maintenant voulant le pouvoir politique, le pouvoir technologique et le pouvoir symbolique. À la fois scientistes et entrepreneurs, le plus souvent ayant fait fortune dans la « tech » en Californie. Ils détiennent les moyens de la puissance permettant d’impulser, de provoquer et de tenir des dynamiques biotechnocapitalistes conséquentes. Cela n’explique qu’en surface les changements profonds du passage de la modernité à la « postmodernité » mais permet de comprendre que les avant-gardes du technocapitalisme sont les initiateurs des fronts principaux dans la guerre au vivant, entraînant de manière totalitaire toute l’humanité avec eux [150].

Deux centres idéologiques se partagent le gros des troupes : l’un en Californie avec la Singularity University financé par Google et dirigée par Ray Kurzwiel et l’autre à Oxford avec le Future of Humanity Institute de Nick Bostrom. Les deux impulsent un lobbying agressif et irriguent la plupart des discours hypes sur le transhumanisme. Tous ressortent de cette idéologie libérale, voire libertarienne, américaine et siliconienne, que nous nommons « techno-utopisme ».

Il n’y a aucune réappropriation possible d’un système faisant autant corps et développant de telles capacités hétéronomisantes que nous sommes en train de devenir des zombies. Le jour où nos muscles seront trop faibles pour nous déplacer, les exosquelettes sortiront des laboratoires pour nous redresser. Les centres de recherche y pensent déjà et l’ouvrier de Renault en ai équipé [151]. Nouveau proverbe : « ce qu’on fait aux prolos on le fera à tous. ». Et alors des communautés lobbyistes se formeront pour demander des « exosquelettes pour tous » et un droit à « l’exosqueletion humaine ». Les labos et leurs start-ups se feront un plaisir de les vendre et le gouvernement après des débats à en plus finir avec les droitards, et quelques brebis égarées du progressisme, légiféreront sur cette nouvelles augmentation de l’humain, sociale et libérale à la fois. Comment peut-on parler de « libération » quand une FIV nécessite des protocoles strictes, un appareillage technologique colossal, une sélection des embryons « viables », en un mot l’effacement total du zoên humain sur le bios technologique, une « biotechnologie ».

Haraway à raison quand elle précise dans son manifeste : « […] la relation entre organisme et machine fut une guerre de frontières [c’est nous qui soulignons]. Elle avait pour enjeux les territoires de la production, de la reproduction et de l’imagination. ». Sauf que cette guerre nous ne l’écrivons pas, pour notre part, au passé ! Haraway avec ses mots été lucide de son époque et a assisté au commencement du front humain de la guerre au vivant dans les années 1980, aujourd’hui nous somme en plein dedans ! Mais paradoxalement elle fait sienne cette guerre frontiste et nous explique ensuite dans son manifeste, les fronts ouverts par la technoscience, ceux que nous avons suivi tout au long de nos épisodes, sauf qu’elle s’en félicite : 1) front sur le zoologique (animal-homme et désubjectivation), front sur le biologique (le vivant-machine biologique) et front sur l’immanence (le vivant-machine est réduit à un code) [152].

La domination sans partage de l’ordre économique ne re-dresse pas seulement les êtres et la nature, elle forge, elle façonne son homme, son corps autant que sa pensée. Cela c’est passé en deux temps :

a) Le robot au sens de la pièce de théâtre de Karl Kapek (R.U.R. 1921) [153] était la première mouture : l’homme mécanisé, artificialisé et moulé en pièce détachées et ensuite assemblé sur le modèle de la machine-outil, et comme elle, esclave (c’est le sens premier de « robot »), attaché à l’usine et donc au capital.

b) La seconde mouture est plus fluide, elle a intériorisé et miniaturisé les mécanismes et s’est doté d’un langage proprement inhumain bien qu’humain : la grammaire de la cybernétique. Cette mouture est hybride, c’est-à-dire qu’à partir de l’essor de la biologie moléculaire, il devient légitime de penser une équivalence matérielle et ontologique entre l’électro-mécanique et le biologique. Cette mouture forme système, toutes ses parties sont intégrées, l’ensemble est plus fort que les parties pris isolément, au même moment où effectivement la technologie devient milieu de vie. On reconnaît la figure de l’organisme cybernétique, le cyborg, l’androïde, le bio-robot. Figures émergentes au moment où la centralité de l’appareil de production laisse la place en Occident aux loisirs et à la consommation de bien et de service. L’homme-machine n’est plus attaché au capital-travail mais au milieu technique opérationnel de la vie quotidienne. Il devient petit à petit un agent opérationnel dans la fourmilière inter-opérante, tout le temps branché et en lien. Les êtres vivants sont considérés alors comme un système neutre, « absence de principe » (Haraway) une pâte qu’on pourrait modeler à sa guise [154]. En effet, quoi de plus idéologique que de dire qu’il n’y a pas d’idéologie, d’idée ou de principe ? La vie est en soi un principe, un principe que la guerre au vivant tente de maitriser/modifier et d’annihiler.

Pour nous cette vision est une conséquence claire des mutations du capitalisme technologique compris comme le passage de la domination formelle à la domination réelle dont les prémisses date de la pièce de Kapek dans les années 1930. Les humains n’auront bientôt plus rien à craindre des machines puisqu’ils seront le fruit d’elle. La guerre sera achevée. On ne parlera alors plus de sujet mais d’agent servile du capital… mais pourrons-nous encore parler, dire ce que nous sommes ?

« Si la postmodernité venait un jour « achever » vraiment la modernité, ce pourrait bien être alors dans le sens qui a été donné à ce terme dans le beau titre français d’un classique américain, On achève bien les chevaux – et non pas dans le sens où enfin l’individu, ce coursier moderne, pourrait s’élancer librement dans les airs comme Pégase. » [155]

CONCLUSION : combattre le cyborg, conserver le sujet

« Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siècle pas davantage, paraît en proie à la révolte contre l’existence humaine telle qu’elle est donnée, cadeau venu de nulle part (laïquement parlant), et qu’il veut pour ainsi dire échanger contre un ouvrage de ses propres mains. Il n’y a pas de raison de douter que nous soyons capable à présent de détruire toute vie organique sur terre. La seule question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et techniques, et l’on ne saurait en décider par des méthodes scientifiques. »

Hannah Arendt,, Condition de l’homme moderne, 1958.

Arendt avait cette capacité exceptionnelle de comprendre les forces profondes qui meuvent l’histoire au-delà du brouhaha apparent. Pensiez-vous vraiment qu’après avoir détruit les conditions d’épanouissement de la vie sur Terre, d’avoir fabriqué des no man’s land chimiques et nucléaires, d’avoir saccagé ce qui ne pouvait être contrôlé (annihilation) ; qu’en détruisant les derniers espaces sans industries (les forêts primaires, les pôles et les océans), et avoir encagé, torturé, pucé, maltraité, modifié, zigouillé autant d’animaux et de plantes, pensez-vous sincèrement que le technocapitalisme et ses plus fières zélateurs n’allaient pas s’occuper globalement des humains ? Pensiez-vous vraiment passer à travers les mailles du filet – en tant qu’espèce mais aussi en tant qu’individu – de la modification biotechnologique de votre être, de votre corps, de votre intelligence, de vos sentiments, de ce que les détracteurs disent être un archaïsme technophobe et réactionnaire : la dignité ?

Regardez autour de vous, il n’y a plus qu’un monde de machines et d’objets fais par des machines, d’humains bardés de prothèses et de directives médiatisées par des moyens de communication. Dans ce monde-machine, où pourrions-nous bien trouver ce lien transversal entre êtres, et entre être et matière ; cette dialectique de l’être qui participe sans fart, sans intercesseur, au devenir du sujet et de son objectivité ?

Ce front de la guerre au vivant n’agit pas seulement sur la base matérielle de nos corps en maltraitance, c’est la notion de sujet digne, autonome, libre qui apparut aux alentours du XVIIIe siècle avec l’émergence de la modernité bourgeoise [156] et des valeurs égalitaires, qui progressivement disparaît actuellement.

En tant que groupe politique notre combat de fond peut être vu comme la sauvegarde fondamentale des conditions de la subjectivité humaine dans un matérialisme concret, sans transcendance religieuse ni métaphysique. En cela nous nous inspirons fortement de l’école de Montréal et de sa pensée dialectique :

« Quand à l’idée d’une unité dialectique du sujet et de l’objet, elle signifie que tout sujet individuel ou collectif ne s’individue et ne se subjective en se différenciant de ce qu’il objective (objectum = ce qui est placé devant) qu’au sein d’un « monde » concret dans lequel il est inscrit, qui lui préexiste, qui lui procure identité et sens, et qui assure la médiation entre sujet et objet. » [157]

Le sujet n’est pas « l’acteur » – point de vue d’une sociologie mainstream intégrée à la vision « cybernétique » postmoderne – , mais l’humain ayant la capacité d’être actif, de se construire et de construire son existence, de connaître ses limites, de trouver la distance juste entre l’expérience et soi, d’être responsable de ses actes, de s’intégrer dans un espace social, en un mot, c’est la capacité à éprouver la liberté. Cette capacité bien qu’interne à l’individu est la résultante d’un processus historique qui travaillent les sociétés.

Parmi les forces de désubjectivation, la cyborgisation de l’humain est sans doute la plus puissante et pernicieuse. L’individu prit comme un grain de corps et un grain d’esprit dans la société-réseau change de statut d’abord envers les instances de l’Autorité puis envers lui-même dans les modifications biotechnologiques du corps-esprits qui lui est infligé (on a du mal à voir une volonté propre dans le fait par exemple d’avoir une prothèse smartphonale) : c’est l’aliénation. Il est aliéné petite à petit en un « sujet cybernétique » puis en un simple « agent » [158] et développe une « fausse conscience ».

Cette mise à mal du sujet se produit à travers le processus de désubjectivation qui est un phénomène de « neutralisation » par la technologie remplaçant l’humain dans l’histoire et son incorporation dans le Réseau (l’agentivité du réseau). Michel Freitag donne les conséquences de cette désubjectivation :

« Si on enlève ontologiquement à chaque existant son fond propre, celui de la spécificité dans laquelle il se tient, il n’y a plus de réalité : il ne reste que son abstraction. Il n’y a donc plus rien non plus qui puisse nous résister, opposer son être propre à notre volonté. » [159]

La poussée historique de puissance technologique, qui n’est qu’autre que l’idéologie invisible, frontiste et abstraite, du technocapitalisme, objectivée dans le système en « société industrielle », a maintenant colonisé les consciences comme avenir souhaitable, voire pour certains indispensables ! [160]C’est cela la fausse conscience.

Ce désir/délire apparaît au alentours du début du XIXe siècle, c’est-à-dire au moment où la machine commence à acquérir une centralité dans la production, remplaçant l’humain comme « être générique ». C’est-à-dire à la période où ce met en place une machinerie, un système de machine (Marx). Ce moment crucial, nous l’avons nommé la « Rupture Frankenstein », début de l’ère où les désirs symboliques se transforment en délires, en fantasmes réalisés dans les produits technoscientifiques et une conscience séparée.

Une fois la modernité industrielle bien installée, le champ des possibles permit par la technoscience n’a fait que croître pendant que l’autonomie humaine sous la domination formelle du capital décrépissait. Ce n’est que dans les années 1980, époque déjà bien entamée dans la domination réelle, que les biotechnologies déjà bien avancées passèrent à l’étape finale : la production enfin possible d’être humain. La venue au monde de Louis Brown en 1978, en externalisant la fécondation par des procédés d’une grande technicité était un début prometteur et engagea la voie vers un transhumanisme ordinaire, un eugénisme tranquille et une cyborgisation assurée. Les quatre stances principales du vivant furent touchées : l’engendrement, la descendance, la commune nature, et la mortelle condition, par des processus de dénaturation, par l’auto-fabrication, la génération spontanée et la sous-vie intemporelle.

Aujourd’hui la modification matérielle s’accompagne de l’avènement d’une nouvelle posture au monde que nous avons appelée le « sujet cybernétique », espace transitoire de l’être dans la post-modernité, avant la complète disparition de l’autonomie humaine et la venue de l’homme-agent sans sujet : automate complètement intégré au réseau. Ce phénomène est une dés-animation du vivant dans l’humain (au sens de l’âme comme animation) et une neutralisation du processus historique du sujet porteur de sens commun et d’agir concret, et son remplacement par l’autonomie de la technologie : le fait remplaçant l’acte, l’agentivité technique remplaçant l’homme-en-action, l’agent remplaçant l’agissant.

Certain penseur envisage que le sujet a déjà disparu et nous les rejoignons en partie car le processus de désubjectivation avance très vite. Écoutons Jacques Guigou de Temps Critiques :

« Car existe-il encore un « Sujet » aujourd’hui ? Bien que peu nombreux, nous ne sommes pas les seuls à penser que non. L’individu de la société capitalisée contemporaine n’existe qu’à travers les multiples particularités auxquelles il est assigné : sexuelles, sociales, médiatiques, réticulaires, etc. Ce supposé « Sujet » n’est que l’imagerie de ce que fut, dans la modernité, le seul sujet historique réel : le bourgeois. Divisé, combiné, particularisé, segmenté, pulvérisé, l’individu n’est plus que subjectivités multiples. » [161]

Ce changement réel, physique aussi bien que psychique est l’œuvre de la guerre généralisée du technocapitalisme sur le vivant dont la biotechnologie cybernétique est l’une des armes redoutable. Cette guerre ne peut être pris autrement que comme un totalitarisme car – même si les utopistes sont de bonne fois – ils n’ont jamais compris qu’il n’est pas possible d’appréhender les technologies en dehors du système technocapitaliste et de la volonté de puissance, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’« usage » des technologies, mais seulement leur intégration lente à des pratiques qui d’humanisantes en l’humain deviennent déshumanisante, neutralisante, monstrueuses en l’humain. Nous sommes dans l’époque du dépassement de la puissance sur l’agir dans ce que Günther Anders nomme la « supraliminarité » (Überschweligkeit) : la puissance technologique à franchit le seuil où elle dépasse toutes les limites humaines de l’intelligibilité et de la perception [162]. Et Anders encore de signifier le fameux « décalage » (Diskrepanz) entre les productions du technocapitalisme, la forme de la puissance, et notre imaginaire bien en deçà de la réalité. Nous le voyons déjà et cela se confirmera ces prochaines années : toutes les fables dystopiques et les scenarii des futurologues seront complètement dépassés par le réel. L’effondrement de l’agir humain dans le monde technifié à l’extrême n’est pas un totalitarisme politique au sens où il n’y a pas un gouvernement spécifique derrière, il est un totalitarisme ontologique : c’est la perte du sujet qui est en jeu ici. Et c’est encore Michel Freitag qui en parle le mieux :

« […]toutes ces logiques qui dissolvent en même temps les sujets et les objets, les sociétés et le monde, bénéficient de l’aporisme moderne de l’émancipation du sujet individuel à l’égard de toute contrainte objective, qu’elle soit sociale ou naturelle, morale ou physique, symbolique, psychologique ou biologique. Or cette aporie, que Hannah Arendt avait pensée comme l’« abîme de la liberté », tient dans cette donnée ontologique unique : la libération de l’individu à l’égard de tout ce qui le contient en le contraignant à être « quelque chose » et « quelqu’un » de déterminé dans son être propre, libère aussi le sujet de sa subjectivité elle-même. » [163]

Le plus pernicieux serait de continuer à appeler « humain » les cyborgs, comme il commence à avoir une collusion du champ sémantique de la matérialité pour signifier les phénomènes numériques : on parle ainsi de « jumeau numérique » en parlant du jeu de données d’une personne, du « portefeuille numérique » pour désigner une appli de smartphone qui ne porte aucune feuille, ou encore de « vie numérique », à des pratiques dévitalisantes sur internet, etc.

Exactement comme la novlangue d’Orwel, qui tente une dé-signification des mots et des êtres pour ensuite y plaquer sur un « substrat sans mot », une volonté de puissance hors de tout schéma langagier habituel : la paix c’est la guerre ! La novlangue postmoderne est du même type : un rapport de force entre les tendances biocitoyennes et technologiques du capital envers le substrat langagier antérieur, hérité des cultures diverses et relié au genre humain comme processus d’humanisation.

À l’ère technocapitaliste le mot perd sa centralité comme valeur de vérité et est remplacé par le code qui n’est pas un langage humain en tant que tel mais une mathématique du signe, quantifiable et pouvant être additionné et soustrait permettant le fameux « C3I » cybernétique (Command, Controle, Communication, Intelligence au sens de surveillance en anglais). Il n’y a plus de sensible puisqu’il n’y a pas de qualité extérieur dans le code. Le code ne fait que coder. Cette mathématique du code est la communication machinique pouvant être transcrit en ersatz-de-mot par le réemploi de signifiés ayant perdu au préalable leur signifiant. Le « jumeau numérique » ne peut advenir que si au préalable les humains font peut de cas de la gémellarité et des mythes qui structures, dans une bonne part des cultures passées, ce don rare du jumeau. Ainsi même les mots sont en demi-vie, dans un purgatoire sans signification profonde, naviguant au grès des publicités et des modes, interchangeables et en attentes de leur mort future dans la séparation. C’est-à-dire que la prochaine étape de la cyborgisation est le remplacement de la stance verbale par la sémantique du code, dans une pâté scripturale et pseudo-vocale (pourra-t-on dire « la voix » ?) sans esthétique, fait de mot-pauvres-séparés, de sigles, de chiffres, d’opérateurs, où la machine informatique devient l’intercesseur obligatoire entre l’agent (ex-sujet) et le milieu technique, ce réel-appauvri-qu’il-nous reste.

#OnEstMort.

La perte petit à petit du signifiant est proprement une perte du monde. Nous sommes tous en train de devenir des Winston, agent-opérateur pour qui la vie est une somme d’opération journalière à remplir, sans sens ni signification profonde et où le monde n’apparaît plus que comme quelque chose d’ennemi, sans mot, sans poète pour le dire. Seul reste l’intériorité appauvri du bios comme relent passé de ce qui faisait l’humain et la vie et dont quelques rémanences sensibles permettent de-ci de-là, – en de rares intermittences de lucidité – de jouir de vivre et après-coup de comprendre. Mais il est bien tard !

La monstruosité, en reprenant la définition première du monstre, est un « miracle » qui permet les contraires de fusionner. L’accomplissement, l’aboutissement du devenir inhumain de l’humain : le purgatoire neutre de l’agir où nous ne sommes déjà plus tout à fait vivant, mais pas encore inerte et froid telles des marchandises. À l’image de la créature de Mary Shelley, nous naviguons à vue dans la brume arctique du nouveau indifférencié. La technologie permet d’assouvir les délires de puissance infinie où tout peut être prit pour tout et son contraire ! Elle masque la petitesse de la manœuvre, c’est-à-dire la promesse religieuse de l’unicité primordiale quand ce n’est que de la quincaillerie biomécanique frelatant la vitalité des sangs et des humeurs ! On nous promet l’esprit pur, l’eucharistie et l’âme nue flottant dans l’éther du réseau alors qu’il n’y a que cancer, douleur, suppuration, démangeaison, exploitation et séparation au bout du chemin.

Chimpanzé du futur ou monstre cybernétique, nous pourrirons sur Terre et dans la terre ! La différence réside dans le fait que nous, Astralopithèque de l’ère post-moderne et autres Grands mammifères humains, nous acceptons le fait d’être de chair, nous acceptons notre in-carnation dans le monde réel et souhaitons mourir un jour parce que nous acceptons de vivre : nous acceptons tout bonnement d’être des êtres vivants. Alors que le monstre, en quête perpétuelle du paradis perdu, est prêt à troquer sa vie contre de l’abstraction, des chiffres, des rumeurs se perdant au loin sur les glaces neutres de la technologie. Ce qui le meut, ce n’est déjà plus la vie mais la puissance en lui et l’envie perpétuelle de puissance : il est mû par le délire mortifère.

Le problème c’est que le capital n’est pas discriminant mais englobant. Et qu’en permanence il subverti l’ordre existant, la domination réelle s’applique à tous ! Malgré nous, nous faisons société, nous sommes tous en tant qu’humain des animaux sociaux qui sommes sociétaires du monde. La froidure neutralisante de la postmodernité s’immisce aux creux de toutes les chairs, même celles des chimpanzés.

Cependant, malgré un début d’emprise, les questionnements sur les droits d’une machine, la « vitalité de l’IA » ou encore l’enfumage conceptuel entre technique et technologie, toute cette idéologie ne peut nous détourner nous et d’autres, des combats en cours et ceux futurs. Le nouveau champs d’expansion du bio-capitalisme, son front principal, est maintenant l’hybridation neutralisante de la nature à la technologie cybernétique. Il n’y a pas de troisième voie possible en face d’une idéologie. Il n’y a donc que deux côtés à cette nouvelle barricade. Ce texte est un sac de sable de la barricade contre le front guerrier, il se veut une arme. Nous n’aimons pas la guerre mais face à une attaque d’une telle ampleur il faut bien se défendre si nous voulons encore vivre et mourir dignement. Les humains qui désirent le rester ne peuvent, face à l’englobement, choisir la fuite, la dignité impose le combat. Et c’est seulement dans la lutte collective, non dans la posture individuelle, que nous pouvons encore appliquer notre sens moral comme une politique égalitaire et libertaire.

Günther Anders était un philosophe morale de notre époque technologique, et en tant que « moraliste non-moralisateur », il se situait lui-même comme conservateur. Il pensait que la tâche essentielle des penseurs du « stade final de l’aliénation » n’était pas la création, la conceptualisation, l’imagination de nouvelles choses et mots, mais de définir ce qui était bien ou mal et de conserver, de sauvegarder le peu d’humanité encore non obsolescent en l’humain, ce qui est bon en lui, c’est-à-dire à sa porté. Ainsi en pure négativité pratique (Anders à toujours relié la théorie à la pratique), son œuvre majeure [164] est une description minutieuse et morale, de ce que nous avons perdu à tout jamais et de ce qu’il nous reste d’humanité. Et dans cette perte incommensurable, du combat pour se frayer un chemin vers la dignité et la liberté à perpétuellement chercher dans les décombres. Toute son œuvre est un combat de sauvegarde sans passéisme mais sans futurisme non plus.

En prolongeant les luttes qu’Anders à soutenue, nous pensons que les combats majeurs se situeront alors (et cela a commencé !) dans d’autres perspectives que le spectre gauche/droite, mais plutôt sur une diagonale écologiste humaniste, c’est-à-dire dans la lutte pour la conservation, la sauvegarde du vivant contre le technoprogressisme, c’est-à-dire l’idéologie des partisans de la guerre au vivant. Et comme dans toute guerre, la majorité silencieuse fera le jeu des délations, des compromissions, des petits arrangements, et des collaborations avec les puissances, la plupart marcheront dans le sens du Zeitgeist, en justifiant comme d’habitude l’injustifiable, parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Le but de nos analyses est de dépeupler cette classe des « en même temps » ou des « à quoi bon ? » en leur faisant peur, car la peur est légitime, elle peut faire bouger des montagnes. Elle puise au fond de l’être un quelque-chose d’irréductible, de primordial, de « zoologique », elle peut permettre la survie de l’espèce, parce que oui évidemment nous aimons toutes les espèces, et particulièrement nos congénères humains. Nous aimerions que les humains puissent continuer leur chemin sinueux au milieux des bêtes et des mystères de la nature. Et pour ce faire, la peur du biomonstre, du cyborg, des infrastructures technologique immenses, des tripatouillages des gènes, des conglomérats capitalistes, des désastres planétaires et des armes toujours plus annihilantes, est plus que légitime, elle est souhaitable, enviable. Retrouvons-la ! Le Spectacle régnant racontant sa propre contradiction nous a donné les moyens d’avoir peur à travers notre sens le plus développé : la vision. C’est pour cela que nous vous conseillons vivement de voir ou revoir les films comme La Mouche, Alien ou Terminator, à condition de les voir comme des archétypes socio-historiques de forces sous-jacentes puissantes dont seules des bases politiques et des livres peuvent vous en donner des interprétations satisfaisantes. La peur, peut permettre l’action, seulement si elle est reliée à la réflexion critique.

Il y a la célèbre formule de Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer. » Elle est pour nous maintenant bien dépassée. Aujourd’hui, il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout, il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous devons être conservateurs au sens qu’aucun homme qui s’affiche comme conservateur n’accepterait.

La force de changement profond c’est le technocapitalisme, qui transforme tout en machines et marchandises afin de renforcer son ordre du monde qui est l’Ordre de l’abstraction. Face à cela, il nous faut conserver la matérialité du monde, chérir la vie et les êtres, les protéger.

Quand à nous, nous pensons qu’il y a des limites à la condition humaine, au premier chef de laquelle, la mort. Nous ne savons pas s’il existera des biotechnologies capables de la neutraliser, par contre ce qui nous est certain, c’est que les créatures qui auront accès à l’immortalité ne seront plus des humains depuis belle lurette ! Seront-il quelque chose ou quelqu’un ?

Mors ultima linea rerum est.

Groupe Grothendieck
Grenoble, janvier 2024.

groupe-grothenideck@riseup.net
https://ggrothendieck.wordpress.com/

Les épisodes précédents sont accessibles ici :
Les bases du système guerrier
Le vivant-machine à l’aune de la biologie moderne
Les armes biologiques sont le front pionnier de la guerre au vivant
Les petits monstres de la biologie moderne


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[2Éditions Denoël, p 192.

[3Le corps-esprit est pour nous la totalité de l’être individuel vu dans son existence propre. On ne peut pas le diviser sans compromettre l’intégrité et la cohésion de l’ensemble. Et pour couper court à tout « spiritualisme » nous définissons l’esprit comme le subjectif actif qui permet le champ de toute réalité de l’expérience et de l’existence. L’esprit n’est ni une entité autonome, ni l’âme, ni une subjectivité circonscrite dans les limités de l’existence individuelle : chez l’animal, il implique le genre, et chez l’être humain, le genre et la société.

[4Voir par exemple son film eXistenZ avec les « bioplugs »

[5Pour une vision « alternative » des processus du vivant notamment en lien avec les éléments géologiques, bien qu’encore encrée dans le paradigme informationel : Thomas Heams, Infravie. Le vivant sans frontières, Éditions du Seuil, 2019.

[6Quoique l’ « élan vital » de Bergson ou la philosophie de Canguilhem nous parlent beaucoup.

[7Silvia Federici, Caliban et la sorcière, éditions EntreMonde 2014.

[8« Il s’agit de la déclaration de Comilla, en trente-huit points adoptée par cent quarante-cinq personnes réunies au Bangladesh en 1989 et qui constitue le point d’orgue de discussions menées dans les mouvements féministes de différents pays entre les années 1970 et cette date. ». disent Michela Di Carlo et Matthieu Amiech qui nous font une petite histoire de FINRRAGE et nous offre la première traduction intégrale en français, voir la revue L’inventaire, n°7, printemps 2018, p 35 - p 39 pour la présentation et p 41- p 49 pour la déclaration traduite d’Adèle Tobin et Matthieu Amiech.

[9Pour comprendre le concept de subjectivation comme sujet dans l’histoire voir : Laurence Cornu, « Subjectivation, émancipation, élaboration » Tumultes 2014/2 (n°43) p 17- p 31. « Le ’besoin’ du concept de subjectivation est celui de nommer, dans un langage qui ne soit ni celui de la métaphysique ni celui d’un déterministe mécanique, le fait et le principe d’un sujet qui n’est ni le sujet désincarné d’un idéalisme surplombant ni l’acteur intéressé de l’utilitarisme calculateur. »

[10Free Association Books, 1991, p 150.

[11Cité dans Mark O’Connell, Aventures chez les transhumanistes, L’Échappée, 2018. p 162.

[12« Cet habitant de la société de l’information présenté par les discours comme un Nouvel Adam est un Homme superlatif, marquant un saut par rapport à la pâte originelle : ’numérique’ (Necroponte), ’spectral’ (Guillaume), ou encore ’symbiotique’ (de Rosnay). Sa nature tend à se confondre dans les visions de ceux qui donnent à voir cet Homme nouveau avec une fonction de commutation. Dans tout les cas, il vise moins à une perfection toute utopique qu’à un perfectionnement continu accompagnant le progrès des machines et reléguant l’Homme ancien dans la sphère d’un présent-déjà-passé. » dans David Forest, Le Prophétisme communicationnel. La société de l’information et ses futurs, Éditions Syllepse 2004, p194. Forest nous donne ici une définition du « sujet cybernétique » utile pour la suite de notre propos.

[13Un article du Monde Diplomatique titrait « L’éthique protestant et l’esprit ’woke’ » (septembre 2023). Il essayait de comprendre quelle folie avait touché les campus américains concernant les rituels d’excuses publiques et autres séances d’humiliation pour des faits de « discrimination ». Le journaliste comparait les militants « woke » (nous mettons des guillemets car nous n’aimons pas ce terme) américains à des évangélistes et des « d’Élus ». Les phénomènes sociaux liés à des groupes de pression, des lobbys, des collectifs militants aux États-Unis sont culturellement marqués par le protestantisme radical, mais cela n’en fait pas des groupes religieux. Leur doctrine bien que non-matérialiste, est a-religieuse et est régis par une pensée dualiste donc non-dialectique. En contre-point, beaucoup de penseur de la technique se demande pourquoi les phénomènes d’eugénismes on d’abord prit dans les pays de culture protestante comme en Amérique du Nord, en Angleterre et dans les pays nordiques.

[14Pour une critique de l’imaginaire de la conquête spatiale voir le manifeste « Fuck the moon ! », manifeste du comité pour l’abolition de l’espace, Revue Z, 2018 et disponible sur le site : tarage.noblogs.org

[15Édition La découverte, 2004, p 59.

[16Clarifions un peu notre typologie des ères historiques. Nous employons ici le terme de « modernité industrielle » pour désigner la période où des changements importants au niveau technico-économique en Occident vont induire des changements importants de la pensée occidentale, et induirons après coup des changements dans l’organisation politique. Nous situons cette période après l’époque des révolutions nationales au moment où se développe la pleine puissance du capitalisme par l’utilisation des premières machines dans des « fabriques » et l’utilisation systématique de l’énergie thermique en plus de l’énergie organique (humains). Nous appelons donc période « pré-moderne », les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles avec la mise en place de la science moderne (méthode inductive, émergence des ingénieurs, utilisation systématique d’une instrumentation spécifique) et des philosophies des Lumières et la remise en cause de l’ordre divin. Nous employons abusivement les termes « postmoderne » et « postmodernité » au sens de Michel Freitag comme période historique de transition entre deux modes de régulation social : en gros le passage de nos sociétés démocratico-nationales avec leurs institutions régulatrices de l’ordre social permettant la création d’individu-sujet, à un modèle de régulation « décisionnelle-opérationelle » où les sociétés et leurs institutions se dissolvent dans un système global et mondial fait de procédures « biofonctionnelles » organisées cybernétiquement par la technologie informatique. Nous sommes en plein dans cette ère de transition en perpétuelle approfondissement.

[17Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, Édition Garnier-Flammarion, 1979, p 115 - p116.

[18Frankenstein, op., cit., p 315-316.

[19Monette Vacquin, Frankenstein ou les délires de la raison, François Bourin, 1989.

[20Monette Vacquin, Main basse sur les vivants, Fayard, 1999, p 24.

[21Frankenstein, op., cit., p117.

[22Miguel Benasayag, Le mythe de l’individu, op., cit.,.p57.

[23Édition la Lenteur, p 40.

[24Le dictionnaire historique de la langue française nous dit que le préfixe Bio- « est peu productif avant le XIXe s ». Le terme « biologie » est simultanément inventé par le français Jean-Baptiste Lamarck et l’allemand Gottfried Reinhold Treviranus au tout début du XIXe s. La biologie arrive après la constitution d’une botanique et d’une zoologie. On parlait avant la modernité industrielle de physiologie générale comme science descriptive de l’intérieur des corps zoologiques.

[25Il existait depuis l’antiquité une science « zoologique » d’étude des grands règnes du vivant, de leurs formes, de leurs habitats et de leurs mœurs. Mais cette « sciencia », purement descriptive, où ce qui été valorisé était le regard et l’étonnement du savant, disparaît peu à peu au cours du XIXe siècle

[26Notamment une grande partie du corpus d’André Pichot.

[27Jean-Marc Royer, Le monde comme projet Manhattan, Le passager clandestin, 2017, p 254.

[28La systémique qui pose ses bases au milieu des années 1970 est une synthèse intellectuelle de la cybernétique, du structuralisme et de la théorie des systèmes. Citons un de ses fervents promoteurs, le philosophe hongrois Ervin Laszlo qui, dans son ouvrage, Le Systémisme : une vision nouvelle du monde (Pergamon Press, 1981), nous explique la porté « révolutionnaire » de cette méta-science :

« Du point de vue du systémisme, « la différence entre César et le chimpanzé, n’est pas une différence de substance mais de structuration relationnelle de la susbtance. » (Laszlo p13). Il y a d’abord un matérialisme scientifique bornée, le monde et les être serait uniquement substance et intéraction entre celle-ci et deuxièmement il y a une primauté de la relation, des interactions, de la communication que sur l’individu et les êtres. L’être humain ne serait qu’un « système médiateur dans la hiérarchie hautement stratifié de la nature. » (Laszlo p 70). Cela est un anti-humanisme comme nous le confirme Céline Lafontaine.

[29Nous reprenons pour plus de clarté, les termes de Freitag qui différencie la « postmodernité » comme ère historique actuelle et l’idéologie « postmoderniste » issue en grande part des penseurs de la French Theory. Bien que Freitag ne s’intéresse pas tant à l’idéologie postmoderniste, il en donne de tant à autre une définition : « c’est le phénoménologisme existentiel du sujet perdu dans sa singularité ou sa particularité qui devient leur propre explication épistémologique », dans L’Oubli de la société, op. cit. p86 – p87.Pour une introduction à la pensée complexe et systémique de Freitag, inscrite dans le sillage de la « théorie critique », voir Yves Bonny, « de la postmodernité comme alternative dans l’oeuvre de Freitag : Universum, autonomie et solidarité. La liberté à l’épreuve de l’histoire. La critique du libéralisme chez Michel Freitag », 2017. disponible sur le site internet Hal.

[30Notamment, L’Empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Éditions du Seuil, 2004.

[31Roman Jakobson, linguiste de renom invente la phonologie structurale. La structuration de la cybernétique par les conférence Macy, auxquelles il participe, lui permet d’aligner sa théorie sur les préceptes cybernéticiens : « les concepts de code et de message introduits par la théorie de la communication sont beaucoup plus clairs, beaucoup moins ambigus, beaucoup plus opérationnels que tout ce que nous offre la théorie traditionnelle du langage », dans Roman Jakobson, « Le langage commun des linguistes et des anthropologues », dans Essais de linguistique générale, Éditions de Minuit, 1963, cité dans Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique, op. cit. p 93-96.

[33Outre Wiener et Shannon, les pères fondateur de la cybernétique sont : Ashby (1956), von Foester (1962), le français Couffignal (1963) et von Bertalanffy (1967).

[34Transcription écrite dans « Vivre et parler », Les Lettres françaises, n°1221, 1968, p 1, cité dans Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique, op., cit. p114.

[35Transcription écrite dans « Vivre et parler 2 », Les Lettres françaises, n°1222, 1968, p 4, cité dans Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique, op., cit. p 116.

[36Pierre-Olivier Méthot, « François Jacob et la Logique du vivant : une histoire des objets de la biologie », Revue d’histoire des sciences, 2020/2 Tome 73, p237 à 272. On y apprend que François Jacob est un lecteur des livres de Foucault et d’ailleurs le livre de Jacob se situerait dans le même courant de pensée que les thèses de Foucault, à savoir « l’épistémologie historique ».

[37Pierre Nora, Préface, dans Claude Debru, Michel Morange et Frédéric Worms (dir), Une Nouvelle connaissance du vivant : François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod, Paris : rue d’Ulm, 2012 cité dans Pierre-Olivier Méthot, ibid. p 240.

[38François Jacob, La logique du vivant, op.cit.

[39La sociologie d’Henri Lefebvre à propos du structuralisme : « Un modèle suscite une mode […] Comme l’ascension des Olympiens et des idoles. La mimésis, se répand dans l’intellectualité, envahit la ’haute’ culture et la contamine. Le critère idéologique ? Il faut que le modèle fournisse des citations, des intitulés et des titres d’articles, des thèmes de confrontations permettant de saturer des micro-milieux culturels », dans Vers le cybernanthrope, op. cit., p 70-71.

[40Gordon Rattray Taylor et Gerald Leach, Les biocrates, manipulateurs de la vie, éd du Seuil, 1970. Pierre Thuillier aussi parle de la « biocratie ».

[41Dans les tuyaux depuis les années 1970-1980, cette théorie est formulée explicitement en 2002 avec la fameuse « convergence NBIC » de deux technocrates, Mihail Rocco et William S. BainbridgeMihail C. Roco et William Sims Bainbridge (dir.), Converging Technologies for Improving Human Performance : Nanotechnology, Biotechnology, Information Technology and Cognitive Science, U.S. National Science Foundation, 2002, Kluwer Academic Publishers, 2003.

[42Le concept d’intégron de Monod fut vite oublié et on utilisa ce terme dans les années 1980 en biologie moléculaire pour signifier des emplacement précis du génome.

[43François Jacob, La logique du vivant, op. cit., p342-343, cité dans Pierre-Olivier Méthot, op. cit. p263.

[44Deleuze avait imaginé dans un futur proche la mise au point d’une carte à puce universelle ressemblant au smartphone actuel « post-scriptum à la société de contrôle », dans Pourparlers 1972-1990, les éditions de Minuit, 2003 [1990], p 240.

[45Henri Lefebvre, Vers le cybernanthrope, Denoël/Gonthier, 1967, p 69.

[46Ibid. p 19.

[47Ibid. p 19.

[48Michel Freitag, L’Oubli de la société. Pour une théorie de la postmodernité. Presses Universitaires de Rennes, 2002. p48

[49Pour une analyse précise de la classe technocratique et de sa participation au projet transhumaniste, voir Pièces et Main d’œuvres, Le Manifeste des chimpanzés du futur, op. cit., Chapitre IV : « L’Idéologie des technocrates ». Avec une définition p 118.

[50Expression forgé par Kevin Kelly, techno-utopiste des pages du magazine Wired et auteur de New Rules for New Economy.

[51Sur la pensée siliconienne voir Fabien Benoit, The Valley, une histoire politique de la Silicon Valley, les Arènes, 2019. Sur le lien entre la Silicon Valley et le transhumanisme voir Pièces et main d’oeuvres, Le Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme, édition Service compris, 2017, dans le chapitre V, « Le Stade siliconien de la croissance », p 151-153.

[53Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique, op. cit. p 201.

[54Frank Damour, « Le Mouvement transhumaniste. Approches historiques d’une utopie technologique contemporaine », Presses de Sciences Po, 2018/2 N° 138. p 148.

[55Laurent Alexandre, « Ma génération doit se saborder », L’Express, 22 mars 2017

[56« Les médecins fous de la planète », La Décroissance, numéro double 205, décembre 2023 – janvier 2024.

[57On parle de légitimation et non de légalisation car certaines technologies peuvent être interdites à la suite de moratoire et de bataille juridique (comme les OGM en France) mais il n’empêche que le débat d’expert, neutre et amorale, c’est-à-dire le fait que l’Autorité en a parlé, légitimise et « potentialise » l’utilisation future de la technologie en question. (c.f. le cas des jumelles chinoises mutantes).

[58Attention tout de même : le droit à l’avortement comme le droit au soin ne rentre bien sûr pas dans ce syllogisme car ce sont pour nous des droits universels, concernant tout le monde. Ils ne sont pas issus d’un désir mais d’un principe universelle à l’autonomie collective et à la solidarité entre congénères humains quelques soit leurs déterminants sociaux ou biologiques.

[59L’Oubli de la société op. cit. p73 – p74.

[60« De la terreur nazie au meilleur des mondes cybernétique. Réflexions sociologiques sur les tendances totalitaires de notre époque », revue Argument, n°5 vol. 1, Automne 2002 – Hiver 2003.

[61En disant « totalitaire » nous pesons nos mots. Nous considérons que le régime nazi était un totalitarisme archaïque, sa première forme. En regardant au-delà des facteurs idéologiques et surtout économiques qui ont mené à cette barbarie, le nazisme s’inscrit dans un processus socio-historique lié aux mutations du capitalisme et des rapports sociaux concomitants comme crise de la société « sociale-bourgeoise » et de sa démocratie moderne et la transitions vers la postmodernité où c’est la rationalité instrumentale, la raison poussée à l’extrême et objectivée dans la technologie, le fait technique neutralisant, qui prend le pas sur l’agir politique dans une conversion de la société en une « machine homéostasique ». Michel Freitag définit alors le totalitarisme : « c’est essentiellement une négation de l’être, du réel, du principe de réalité, au profit d’un arbitraire opératoire techno-systémique qui affirme sa toute-puissance virtuelle. […] Le réel est devenu ’ce qu’on fait’, ce n’est plus ce qui est déjà, hors de nous, par soi-même […] Dans la forme systémique actuelle, la volonté de toute-puissance s’est directement objectivée, elle n’a plus besoin d’être incarnée (sauf transitoirement et marginalement) comme dans le nazisme, dans un sujet fantasmatique, lui-même représenté (et non par un ’chef suprême’ délirant. On assiste plutôt à la démission de toute volonté subjective, qui doit se mesurer à la résistance d’une altérité, à son existence : c’est la ’réalité’ elle-même qui devient ainsi ’irréelle’ et ’délirante’. » (Michel Freitag, « De la terreur nazie au meilleur des mondes cybernétique », op. cit.)

[62Donna J. Haraway, Simians, Cyborg and Women. The Reinvention of Nature, Free Association Books, 1991, p163, cité et traduit dans Marie-Geneviève Pinsart, « Le Cyborg. Identité et (déconstruction) » dans Jean-Yves Goffi (Dir.), Regards sur la technosciences, Vrin, 2006, p87.

[63Le cyberféminisme est un mouvement artistico-politique né dans les années 1990 que Carolyn Guertin définit comme « un moyen de redéfinir la conjonction des identités, des sexes, des corps et des technologies, plus spécifiquement quand ils sont liés à une dynamique de puissance », voir le wikipédia en français « cyberféminisme » très bien documenté.

[64Vous pouvez par exemple lire le dernier manifeste grumeleux d’Haraway, « Le Manifeste Chthulucène de Santa Cruz » ici : https://laboratoryplanet.org/manifeste-chthulucene-de-santa-cruz/ D’ailleurs, le journal La planète laboratoire est ce qui se fait de mieux actuellement en pensée cybernétique : on y trouve de multiple occurrences au « systémisme », à la « résilience », à la « réappropriation », au « post-humanisme » et au « devenir alien de l’humain ». « Depuis la Seconde guerre mondiale, la planète se transforme progressivement en laboratoire à l’échelle 1. Le vieux modèle de « planète usine » a laissé la place au modèle de la ’planète laboratoire’. Objets de ce laboratoire, pouvons-nous également en être les sujets ? Pouvons-nous nous réapproprier cette immense machine qui se développe aujourd’hui selon sa dynamique propre, devenue autonome ? Pouvons-nous réorienter le destin et les orientations de ce laboratoire ? » (https://laboratoryplanet.org/). Ce genre de prose creuse et pompeuse enrobée dans des représentations science-fictionnelles est clairement inspirées d’Haraway et du courant arty.

[65Notamment dans son livre Femme 2.0. Féminisme et Transhumanisme : quel avenir pour la femme ?, Saint-Léger Éditions, 2016. Livre préfacé par Ludovine Dutheil de La Rochère, présidente de la Manif pour tous.

[66Article
« On the Importance of Being a Cyborg Feminist », sur https://theanarchistlibrary.org traduit sur le site des transhumanistes français de gauche : « De l’importance d’être un cyber-féministe pour un transhumaniste » (https://transhumanistes.com/cyber-feministe/).

[67Par exemple les rencontres « Quelle(s) technologie(s) pour préserver le vivant ? Regards queers & cyberféministes : https://maisouvaleweb.fr/perspectives-queers-et-cyberfeministes-sur-les-technologies/

[68Tout ceci est très bien analysé par Fred Turner qui prend pour appuie à sa thèse la figure emblématique de la contre-culture américaine, Stewart Brand, l’inventeur de la première « communauté virtuelle » côtoyant autant les contestataires que les capitalistes de Palo Alto. Nous ne reviendrons pas dessus et nous vous conseillons vivement sa lecture : Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Steward Brand un homme d’influence, C&F Éditions, 2012.

[69Quels rapports le transhumanisme entretien-t-il avec les mouvements qui mettent en cause la définition des genres ? » de Marc Roux sur le site de l’AFT.,30 mai 2023.

[70L’« École de Montréal » est le nom d’un groupe de sociologue et de philosophe pour la plus part québécois réunit autour de l’œuvre immense de Michel Freitag et de la revue Société. Nous aurons l’occasion dans cette épisode d’explicité quelques points de leur théorie de « sociologie dialectique ».

[71Freitag donne des exemples d’idéologies postmodernistes en sociologie : « Cette tendance est parfaitement anticipée [la dissolution tendancielle de toute entité synthétique tant subjective qu’objective] théoriquement dans l’oeuvre de Niklas Luhmman (1995) qui ne met plus en scène que des systèmes autoréférentiels, mus par la seule exigence du maintien de leur propre cohésion opératoire, impliquant à son tour celle de la réduction de la complexité « informationnelle », de leurs environnements particuliers. Elle a également été illustrée, apologétiquement, par toute la philosophie de la « déconstruction », ainsi que par la rhétorique des « procès sans sujets ni fin » à laquelle ont succombé des auteurs aussi divers qu’Althusser, Foucault, Derrida, Deleuze et Guattari. De manière plus indirecte, c’est d’elle encore que la philosophie analytique fait la promotion, à côté des problématiques beaucoup plus explicites de la communication de l’information, des nouvelles mécaniques probabilistes et auto-poétiques (Varela) de la néguentropie, etc. », L’Oublie de la société, op. cit. p 90 note 63.

[72Depuis 4 numéro leur revue se nomme « Cahiers SOCIETE ». Leur dernier numéro (n°4, 2022), « De la French Theory à la déconstruction du monde » est disponible gratuitement sur leur site : https://collectifsociete.com/publications/cahiers-societe/

[73Donna Haraway, « Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle » dans Manifeste cyborg et autres essais : sciences-fictions-féministes, Exil éditeurs, 2007 [1991], p35.

[74Pour comprendre le lien entre Haraway, French Theory et postmodernisme, voir Séverine Denieul, « La French Theory et ses avatars », dans L’Autre côté, n°1 été 2009.

[75Groupe Grothendieck, Y.A.Q.C.Q.C. Le sentiment du refus révolutionnaire, https://lundi.am/YAQCQC-Y-A-QUELQUE-CHOSE-QUI-CLOCHE

[76La seule française des pionnières, Nathalie Magnan, a étudié aux États-Unis où elle était l’assistante d’Haraway en Californie. Puis elle propage les idées californiennes en France où elle est professeur de fac à Paris dans les « arts visuels ». En 2002, elle traduit et publie en ligne le Manifeste Cyborg.

[77Le terme de genre pour définir le sexe social est un anglicisme récent venant de la psychologie américaine « gender » : « À la suite de l’ouvrage de Robert Stoller (1968), Sex and Gender, sous-titré On the Development of Masculinity and Feminity, le mot genre a pu être appliqué à un concept développé par les mouvements féministes (étasuniens d’abord) concernant l’attribution par la société de rôles culturelles définis à chacun des deux sexes » (Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2016). On le retrouve dans les années 1980-1990 en France au moment où la French Theory nous revient du continent américain, notamment dans les « études de genre » et dans la revue du CNRS « Travail, genre et société ». Pour notre part nous préférons utiliser l’expression « sexe social » et gardons le mot genre (latin genus, qui donna « génération » et « engendré ») à l’acception large du français « réunion d’être ayant une origine commune et des ressemblances naturelles ». Par exemple le genus humanum, le « genre humain ». Cela permet à la fois de clarifier notre propos et de parler de rôle social quand on parle des relations homme-femme.

[78Eric Fassin, « le genre aux États-Unis », dans Quand les femmes s’en mêlent », (ouvrage collectif, La Martinière, 2004, p 35.

[79Sur la notion postmoderniste « d’agency » (pouvoir d’agir) chez Butler et sa critique, voir Séverine Deneuil, « L’Offensive des Gender Studies : réflexions su la question Queer », L’Autre côté, n°1 été 2009. p46 - p47.

[80Nous reprenons pour plus de clarté, les termes de Freitag qui différentie la « postmodernité » comme ère historique actuelle et l’idéologie postmoderniste issue en grande part des penseurs de la French Theory. Bien que Freitag ne s’intéresse pas tant à l’idéologie postmodernisme, il en donne de tant à autre une définition : « c’est le phénoménologisme existentiel du sujet perdu dans sa singularité ou sa particularité qui devient leur propre explication épistémologique », dans L’Oubli de la société, op. cit. p86 – p87.

[81La Condition postmoderne, Minuit, 1979.

[82Dans Regard sur les technosciences, Jean-Yves Goffi (dir.), Vrin, 2006, p 90-91.

[83Martha Nussbaum très critique de la pensée de Judith Butler parle de « l’étonnement que l’on ressent à trouver [les arguments de Butler] étayés par tant de concepts et de doctrines contradictoires, la plupart du temps sans aucune indication sur la façon dont ces contradictions apparentes sont résolues. » dans « le professeur de parodie », Raisons politiques, n°12, novembre 2003. Bien d’autres penseurs contemporains font de même.

[84Donna Haraway, Manifeste cyborg, op. cit. p35.

[85George Orwell, 1984, Première Partie, Chapitre III

[86Michel Freitag, « Pour une approche théorique de la postmodernité comprise comme une mutation de la société » dans Société, 18-19, 1998. p15

[87Le concept de genre s’applique à tous les êtres vivants. Dans notre bouche il est synonyme de « règne biologique », à la différence près que le genre est relié à l’individu par l’imposition de normes comme rapport entre individu et genre. Chaque genre se définit par l’ensemble spécifique de formes, de caractéristiques biologiques et sociales et est fondateur de l’individu dans le sens où l’individu est avant tout membre d’un genre.

[88« Quels rapports le transhumanisme entretien-t-il avec les mouvements qui mettent en cause la définition des genres ? » de Marc Roux sur le site de l’AFT.,30 mai 2023.

[89Julie Abbou. « La fin de l’ironie. Nature, sexe, féminisme et renouveau essentialiste dans le discours transhumaniste. », 2016, Université de Lorraine, disponible ici : https://hal.science/hal-01382850.

[91Terasen est une secte transhumaniste New Age établie en Californie. Elle prône la « cyberconscience personnelle », « l’archivage mental » et l’ « immortalité joyeuse » fondée par Martine Rothblatt. Son article « Mind is deeper than Matter : Transgenderism, Transhumanism, and the freedom of Form » (dans The Transhumanist Reader : Classical and Contemporary Essays on the Science, Technology, and Philosophy of the Human Future, édité par le couple extropien
Max More
et Natasha Vita-More, fait le lien entre transhumanisme et les théories postmodernistes du genre. Voir le chapitre « la foi transhumaniste » du livre de Mark O’Connor, Aventures chez les transhumanistes, L’Échappée, 2018, p 181. Voyez un extrait d’un texte de Terasem : « Nous sommes une transreligion convaincue que l’on peut vivre joyeusement et éternellement si chacun d’entre nous rassemble sa propre base de données https://sniadecki.wordpress.com/202...mindfile[]. Nous insistons sur le respect de la diversité sans sacrifier l’unité, ainsi que sur la nécessité de consacrer un maximum de ressources à un logiciel de cyber-conscience, une nanotechnologie géo-éthique, et une colonisation de l’espace. ». Les quatre préceptes de Trerasen sont : « 1) la vie a un but ; 2) la mort est facultative ; 3) Dieu est technologique ; 4) l’amour est essentiel. ». Autant d’idioties en aussi peu de mots relève de l’exploit !

[92Cité dans l’article de Paul Kingsnorth, « L’abolition de l’homme (et de la femme) », 2022. disponible sur https://sniadecki.wordpress.com/2023/01/03/kingsnorth-abolition/

[93« Making Friends With a Robot Named Bina48 », 4 juillet 2010.

[95Dan Sperber, « L’effet gourou », dans la revue L’autre côté, n°1, été 2009.

[96Le manifeste cyborg, op. cit,. p 43.

[97Voici un extrait du manifeste xénoféministe du collectif Laboria Cuboniks : « Le xénoféminisme se veut une architecture mutante qui, à la manière d’un logiciel open source, demeure susceptible de modifications et d’améliorations perpétuelles suivant l’élan navigationnel du raisonnement éthique militant. ». Nous retrouvons 30 ans plus tard les mêmes ingrédients que le manifeste cyborg, à savoir, l’orgeuil, le langage abscon à base de notions informatiques et cybernétiques, la référence aux auteurs postmodernes, la possibilité de ce réapproprier la technologie, la doublepensée, l’utopie de l’illimitation. Vous pouvez le lire ici : https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2019-1-page-22.htm

[98On peut citer par exemple Maria Mies (et Vandana Shiva, Écoféminisme, l’Harmattan), 1999, Andrée Michel (Féminisme et antimilitarisme, Éditions Ixe, 1998), le livre collectif, Ventre à Louer. Une critique féministe de la GPA, Éditions l’Échappée, 2022. ou encore la brochure « Campagne d’attaques féministes contre les biotechnologies. Communiqués des Rote Zora » et la conclusion des compilateurs « Notre analyse critique des biotechnologies », pas disponible sur internet à notre connaissance.

[99L’Empire cybernétique, op. cit., notamment le chapitre : « Le posthumain, dernier chaînon de l’évolution », à partir de la page 195.

[100Julian Huxley, « Transhumanisme », 1957, sur le site : https://sniadecki.wordpress.com/2015/01/21/huxley-transhumanisme/

[101Voir PMO, Manifeste des chimpanzés du futur, op. cit., chapitre « la gauche inhumaine » p 226 – p 234. Le texte est disponible sur : https://sniadecki.wordpress.com/2015/01/19/manifeste-des-geneticiens-1939/

[102Démontré avec brio par l’historien Fred Turner du MIT dans Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Steward Brand un homme d’influence, op. cit.

[103PMO, Manifeste des chimpanzés du futur, op. cit., p 86.

[104Il serait beaucoup plus intéressant de se nommer « zoorévolutionnaire ». Nous sommes effectivement des animaux sociaux avant tout et nous rattachons au règne animal. En cela le jeu de mot du transhumaniste hacker Kevin Warwick « les chimpanzés du futur » pour désigner celles et ceux qui neveulent pas se modifier est bien trouvé.

[106Voir son blog lamutationestenmarche.blogspot.com

[107Un long article de Ballast reviens sur le courant féministe-évolutionniste et en critique les fondements ainsi que ces propagandistes, notamment Peggy Sastre. Attention tout de même, cet article ne va pas assez loin et reste ancré dans une perspective scientiste et essaie sans y parvenir à nous faire croire qu’il y aurait une « bonne science » avec des « bonnes pratiques » et que celle-ci serait bien sûr féministe et contre l’eugénisme….ce n’est pas notre thèse. Nous pensons que structurellement la biologie moderne est eugéniste. « l’Évo-psy, une science anti-féminste », 29/09/2020, https://www.revue-ballast.fr/levopsy-une-science-antifeministe/

[108Voir par exemple cet article qui fait un panorama de la mouvance cyberféministe passée et présente : « Sadie Plant, exploratrice cyberféministe », juillet 2020 sur https://lesjaseuses.hypotheses.org/1503

[109Un « sociaux-missile » est un mot ou un acte dirigé contre une personne, qui désactive tout dia-logue, c’est-à-dire circulation de la pensée et retour réflexif de l’intellection. Le lanceur de sociaux-missiles ce situe sur le terrain du mimétisme grégaire et un refus de parvenir à un quelconque accords fait sur des propositions de vérités. Il a renoncé au jugement critique, il a donc renoncé à tout pensée théorique sur l’activité humaine. Les sociaux-missiles sont un signe que les pensées se sont figées en idéologies.

[110Vous pouvez lire par exemple ce genre d’attaque dans la brochure « Le Naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel. Histoire de dix ans » disponible ici : https://cric-grenoble.info/analyses/article/le-naufrage-reactionnaire-du-mouvement-anti-industriel-histoire-de-dix-ans-3272

[111« Dans la grande famille transhumaniste, le RN », Vincent Cheynet, La Décroissance, n°205, Décembre 2023 – Janvier 2024.

[112Monde Diplomatique, « L’éthique protestant et l’esprit ’woke’ », op.cit.

[113« soit une forme de citoyenneté centrée sur une politisation de la santé individuelle et sur l’émergence de revendications identitaires reliées à des questions d’ordre biomedical » Adele E Clarke (dir) Biomedicalisation : Technoscience, Health and Illness in the US, Duke University Press, 2010 cité dans Céline Lafontaine, Le corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, Éditions du Seuil, 2014, p 19.

[114Ce mot de « techno-médecin » apparaît dans le texte féministe « la déclaration de Comilla », traduit dans la revue L’inventaire, n°7, printemps 2018, p 41- p 49, op. cit.

[115Bio-objets… op.cit. p.120-121.

[116Ibid. p124

[117Groupe Grothendieck, Y.A.Q.C.Q.C. Le sentiment du refus révolutionnaire, https://lundi.am/YAQCQC-Y-A-QUELQUE-CHOSE-QUI-CLOCHE

[118Grégor Puppinck, directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLI), entretien avec La Croix, 31 octobre 2014, cité dans PMO, Manifeste des chimpanzés du futur, op. cit. p 299 -p 300.

[119La bioéconomie à l’horizon 2030. Quel programme d’action ?, Rapport de l’OCDE 2009.

[120Faire un petit briefing sur cette start-up comme l’archétype de la biotech (parler de Bill Matis et du Groupe 32)

[121« Comment la Chine fabrique ses futurs génies », Nouvel Obs, 10/01/2014.

[122Ibid.

[123Pour le FMG 25 et AURAGEN nous vous renvoyons au très bon article du Monde Diplomatique, « Promesses et limites du séquençage de l’ADN. L’Eldorado de la médecine prédictive », septembre 2021.

[124Ibid.

[125Ibid.

[126Ibid.

[127Le Corps-marché, op. cit.

[128Le Corps-marché, op. cit., p 60.

[129« However, whether male mammalian animals have the potential to conceive and maintain pregnancy remains unclear. », article scientifique parut dans la revue BioRxiv, preprint,16 juin 2021.

[130La plus part des bébés rats et souris, dans ce genre d’expérience meurent dans les deux heures après la naissance. De toute façon, bien ou mal fichus, ces monstres et bébés monstres seront tués à partir du moment où l’expérience aura atteint sa fin (souvent après la petite photo). Il n’est pas question que les animaleries des laboratoires pullulent en bêtes boiteuses.

[131« Study that Impregnated Male Rats Stirs Controversy », The Scientist, 25 juin 202. https://www.the-scientist.com/news-opinion/study-that-impregnated-male-rats-stirs-controversy-68928

[132Main basse sur les vivants, op., cit. p 30.

[133Fin 2019, une équipe de la Eindhoven university of technology a obtenu 2,9 millions d’euros pour réaliser un prototype d’utérus artificiel complet. Les premiers résultats pourraient arriver d’ici à 2025 (The Guardian, Nicola Davis, « Artificial womb : Dutch researchers given €2.9m to develop prototype », 08/10/2019.)

[134« Procréation in vitro. Vers des grossesses sans femme ? », Science & Vie, octobre 2016, p 93- 96.

[135Dans Libération du 02.04.2005.

[136Silvia Guerini, « un monde sans mères ? », dossier « Les enfants de la machine », Écologie & Politique, n°65, 2022, p 44. Cette article retrace l’histoire contemporaine du projet d’ectogenèse et de l’artificialisation maximale de la reproduction.

[137A. Aghilera-Castrejon et al., « Ex utero mouse embryogenesis from pre-gastrulation to late organogenesis », Nature n°593, 17 mars 2021.

[138Shadi Trarazi, A. Aghilera-Castrejon et al., « Post-gastrulation synthetic embryo generated ex utero from mouse naïve ESCs », Cell, 1 Août 2023.

[139Dans leur article enthousiaste « Without Egg, Sperm or Womb : Synthetic Mouse Embryo Models Created Solely From Stem Cells », 1 Août 2023, sur le site de l’Institut Weizmann des sciences. https://wis-wander.weizmann.ac.il/life-sciences/without-egg-sperm-or-womb-synthetic-mouse-embryo-models-created-solely-stem-cells

[140Ce que la psychanalyste Monette Vacquin, à la suite de Freud nomme la « pulsion épistémophilique » dans Main basse sur les vivants, op. cit., chap IV.

[141« Va-t-on modifier l’espèce humaine ? », Le Nouvel Observateur, Documents n°10, p 80, cité dans Main basse sur les vivants, op. cit., p 31.

[142Dans les années 1990, Monette Vacquin et Jacques Testart organisèrent de nombreux colloques et groupes de travail pour réfléchir sur les biotechnologies humaines. Voir notamment le livre, Le magasin des enfants. Collectif. Sous la direction de Jacques Testart, Gallimard, 1990. Et l’interview de Testart dans La Décroissance de Décembre 2023- Janvier 2024, « Vers l’humain génétiquement modifié » où il parle de « génétique policière ».

[143François Dagognet, La Maîtrise du vivant, Hachette, 1988, cité dans Main basse sur les vivants, op. cit., p 38.

[144Michel Freitag, « De la terreur nazie au meilleur des mondes cybernétique. Réflexions sociologiques sur les tendances totalitaires de notre époque », revue Argument, n°5 vol. 1, Automne 2002 – Hiver 2003.

[145Jean Baudrillard, La transparence du Mal, Galilée, 1990. Nous ne l’avons pas lu mais Monette Vacquin en donne de nombreux extraits d’une lucidité d’une actuelle portée.

[146Du 27 octobre 1993.

[147Main basse sur les vivants, op., cit. p 191.

[148En disant « totalitaire » nous pesons nos mots. Nous considérons que le régime nazi était un totalitarisme archaïque, sa première forme « culturelle », comme une poussée résiduelle de la « domination formelle » du capital à un moment où la domination réelle s’installait. En regardant au-delà des facteurs idéologiques et surtout économiques qui ont mené à cette barbarie, le nazisme s’inscrit dans un processus socio-historique lié aux mutations du capitalisme et des rapports sociaux concomitants comme crise de la société « sociale-bourgeoise » et de sa démocratie moderne, et la transition vers la postmodernité où c’est la rationalité instrumentale, la raison poussée à l’extrême et objectivée dans la technologie, le fait technique neutralisant – neutralisant les antagonismes des rapports sociaux provoquant l’histoire – qui prend le pas sur l’agir politique dans une conversion de la société en une « machine homéostasique ». Michel Freitag définit alors le totalitarisme : « c’est essentiellement une négation de l’être, du réel, du principe de réalité, au profit d’un arbitraire opératoire techno-systémique qui affirme sa toute-puissance virtuelle. […] Le réel est devenu ’ce qu’on fait’, ce n’est plus ce qui est déjà, hors de nous, par soi-même […] Dans la forme systémique actuelle, la volonté de toute-puissance s’est directement objectivée, elle n’a plus besoin d’être incarnée (sauf transitoirement et marginalement) comme dans le nazisme, dans un sujet fantasmatique, lui-même représenté (et non par un ’chef suprême’ délirant. On assiste plutôt à la démission de toute volonté subjective, qui doit se mesurer à la résistance d’une altérité, à son existence : c’est la ’réalité’ elle-même qui devient ainsi ’irréelle’ et ’délirante’. » Michel Freitag, « De la terreur nazie au meilleur des mondes cybernétique », op.cit.

[149Monde Diplomatique, « L’éthique protestant et l’esprit ’woke’ », op.cit. Même si nous n’aimons pas le terme « woke » qui ne signifie rien ni pour les protagonistes, ni pour les concepteurs du postmodernisme et qui est plutôt insultant.

[150Ainsi en est-il des précurseurs futurologues dans les années 1970-1980, comme F.M. 2030 (de son vrai nom F.M. Esfandiary), Marvin Minsky et Kim Eric Drexler chantres des nanotechnologies, des premiers « Extropiens » Max More, Tom Morrow et leur magazine Extropy (1988), de la deuxième vague des « transhumanistes » fondant en 1998 la World Transhumanisme Associations (WTA), Nick Bostrom instigateur des recommandations d’Asilomar et David Pearce et des derniers siliconniens venus comme Elon Musk, Jeff Bezos et Peter Thiel, sûrement les plus puissant car détenant des moyens démesurés. Pour une histoire critique du transhumanisme voir l’article fort éclairant de Franck Damour, « Le Mouvement transhumaniste. Approches historiques d’une utopie technologique contemporaine », Presses de Sciences Po, 2018/2 N° 138.

[151« Saint-Romain-de-Colbosc. Un exosquelette pour soulager les salariés de Renault Sandouville », Le courrier Cauchois, 17/11/2020.

[152Haraway, Manifeste cyborg, op. cit. p 33 - 36.

[153Une analyse brillante de RUR est donnée par Mark O’Connell dans Aventures chez les transhumanistes, op. cit p119-123 « Note sur les premiers robots »..

[154Métaphore de la « pâte à pain » avec son « pétrin » dans Kapek, métaphore négative dans le manifeste d’Haraway qui retourne toutes les tables quand elle dit : « Il [le cyborg], n’est pas fait de boue, il ne peut rêver de retourner à la poussière ». Mais elle s’inscrit dans cette longue filiation parce qu’elle en reprend – de manière inversée – tous les archétypes mythiques de la créature technologique. Voir Philippe Breton, À l’image de l’Homme. Du Golem aux créatures virtuelles, Seuil, 1995. chapitre L’homme pétrisseur, p60 – 61.

[155Michel Freitag, L’Oubli de la société, op., cit., p 92, note 65.

[156Sur la notion d’individu qui s’autonomise des carcans sociaux voir, Robert Castel et Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretien sur la construction de l’individu moderne, Fayard, 2001.

[157Yves Bonny, « de la postmodernité comme alternative dans l’œuvre de Freitag : Universum, autonomie et solidarité. La liberté à l’épreuve de l’histoire. La critique du libéralisme chez Michel Freitag », 2017. disponible sur le site internet Hal.

[158C’est dans les écrits de Bernard Stiegler que nous avons trouvé cette définition de « l’agent » avec la métaphore filée de la fourmi et de la fourmilière. Pour notre part nous préférons la vision globalisante d’un Michel Freitag qui bien que ne prononçant jamais le mot, tourne souvent autour du pot : « [… ] dans son mode opératoire même, celui-ci [le système] tend sans cesse à les [sujets] décomposer en variables, en agglomérats environnementaux, en simple lieux d’assignation d’inputs et d’outputs. Il appartiendrait aux psychologues d’étudier alors comment ce « déni d’être », cette perte de reconnaissance commune, se répercute sur le vécu existentiel du sujet individuel. D’une manière générale, on assiste à un repli de la subjectivité sur sa particularité, à l’affirmation de son irréductible différence, et au sentiment d’un éclatement de l’identité dans les multiples dimensions où la personnalité est sollicité à s’affirmer ou cherche à se réaliser, etc. Mais plus significatif encore est peut-être le fait que le système, dans son fonctionnement même, tend à ne plus saisir les individus (ou les groupes identitaires) que par le biais des opérations performatives qu’ils accomplissent et des « demandes » ponctuelles qu’ils expriment[… ] » (Michel Freitag L’Oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, Presses Universitaires de Rennes, 2002 p 90-91).

[159Michel Freitag, « De la terreur nazie au meilleur des mondes cybernétique. Réflexions sociologiques sur les tendances totalitaires de notre époque », Revue Argument, vol. 5 n°1 automne 2002-hiver2003. Disponible http://www.revueargument.ca/article/2002-10-01/214-de-la-terreur-nazie-au-meilleur-des-mondes-cybernetique.html#_ftn1

[160On a trop souvent subjectivé le rapport social technocapitaliste en l’humain dans ce que l’on nomme de manière trop essentialisante « l’hubris » et dont on fait à tort La Cause du malheur dont l’humain serait porteur depuis le fond des âges. En ce sens le mythe du Frankenstein reprend le mythe de Prométhée en lui ajoutant un aspect social-historique dans l’avènement de l’industrie et de la science moderne. Le livre de Mary Shelley est une critique humaniste de la rupture en train de se réaliser sous les yeux de l’autrice, c’est-à-dire le passage à la religion du progrès industriel.

[161Jacques Guigou, Poétiques révolutionnaires et poésie, L’Harmattan, 2019. p 66 –p 67.

[162Anders prend l’exemple des rescapés d’Hiroshima qui restèrent muet devant les questions du philosophe. L’évènement était trop grand pour qu’ils le perçurent et s’en rappelèrent. Günther Anders, Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ?, entretien avec Mathias Greffrath, Éditions Allia, 2010. p 71- p 73.

[163Michel Freitag, 2003 : 388-389.

Freitag parle de « mutation rampante débouchant sur une impasse civilisationnelle » et considère que nous sommes arrivés à un point de bascule, mais pensa jusqu’à sa mort en 2009 qu’il était encore possible de changer les choses. Pour notre part, 10 ans plus tard et en essayant de subvertir une pensée iconoclaste de gauche mais bien inscrite dans le sérail académique social-démocrate, nous n’hésitons point à pousser un peu plus loin ses développements en pensant que la mutation en cours fait maintenant rupture, fait époque, et que nous sommes belle et bien dans la postmodernité où l’individu-sujet est réifié en individu-agent.

[164L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002 [1956] (tome I), et le tome II : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, Éditions Fario, 2011.

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