Fusées

« Comment démêler les émotions qui se bousculent et s’entrelacent, qui serrent ou délient les cœurs lorsque la tempête pyrotechnique bat son plein ? »

paru dans lundimatin#393, le 4 septembre 2023

Un nombre considérable de textes ont été écrits concernant le meurtre de Nahel et les émeutes qui ont éclairées les nuits de nombreux quartiers de France au début de l’été 2023. Beaucoup a été dit, et, comme souvent, les sociologues ne sont pas restés muets : convaincus de faire autre chose que de commenter l’actualité, ils se sont efforcés de raconter le fait social, de parler de déterminismes, d’habitus, de souffrance. Contre la faiblesse d’une certaine démarche qui cherche à objectiver le monde, ses phénomènes et ses mouvements, et afin d’enterrer -pour de bon on l’espère - l’usage de catégories d’analyse fades et univoques, l’auteur de cette article propose de regarder ces évènements du début d’été non pas en tant que phénomène, mais plutôt depuis leurs feux d’artifice.

« Si tant de feux d’artifice ont été tirés ces derniers jours, on peut les voir aussi comme des fusées de détresse envoyés par les habitants des quartiers qui veulent signifier aux autres : regardez-nous, nous-aussi sommes en danger par rapport à la police. »
Tweet par Geoffroy de Lagasnerie le 30 juin 2023.

Laganiaiserie

Inutile de rappeler le contexte, il est récent. Il n’est pas inutile en revanche de préciser que mes intentions ne sont pas particulièrement belliqueuses à l’égard du pauvre Lagasnerie, déjà bien malmené par ce que la droite et l’extrême droite comptent de plus répugnant. Je ne serai pas tendre non plus car il est rare de trouver pareil concentré d’inepties en une seule phrase. Mais aux lynchages, viscéralement je répugne, sur la place publique comme sur Twitter, espace qui, comme chacun sait, leur est aujourd’hui intégralement dédié. Il se trouve que je m’apprêtais à dire quelques mots de ces feux d’artifice, devenus enjeux majeurs de sécurité nationale : ces fameux « mortiers » qui alimentent les fantasmes guerriers et dont les effets dévastateurs menaceraient l’ordre républicain. Cas d’école de l’inversion accusatoire quand on connait l’efficacité redoutable de l’arsenal anti-émeute dont dispose aujourd’hui la police, du LBD à la grenade GM2L, des grenades explosives aux grenades de désencerclement. Qu’on me permette donc un petit détour.

Fin juin, début juillet, comme tout le monde, Lagasnerie voit défiler les images, comme tout le monde il assiste aux incendies, aux pillages, aux combats de rue, mais il est particulièrement saisi, interloqué par le déluge pyrotechnique qui s’abat en flots continus sur les forces de police. Il lui paraît évident qu’un « feu d’artifice », même détourné de son usage festif, demeure toujours un spectacle et qu’il n’existe par là-même que pour un public. Chaque fusée ne peut donc être qu’un signe, adressé-à, destiné-à. Qu’elle explose et se dissémine en une infinité de points lumineux qui disparaissent dans la nuit, c’est autant de micro-significations projetées ça et là, mais offertes à la sagacité de celui qui déchiffre, de l’intellectuel avisé à qui rien n’échappe. Quelqu’un me parle, se dit Lagasnerie et demande à être entendu, je suis de ceux qui écoutent et savent lire, j’entends cet appel. Il n’en faut pas plus pour transporter la rue anonyme et sa voix inaudible sur la scène d’un théâtre imaginaire où les signes se déploieront plus harmonieusement, où le bruit et les cris se mueront peu à peu en sonorités distinctes et en textes déclamés. Pour l’intellectuel engagé, rien d’essentiel ne semble pouvoir se jouer, qui n’ait préalablement été déplacé sur une scène de théâtre. Evidemment, semble nous dire Lagasnerie, ceux qui utilisent les feux d’artifice n’obéissent à aucune logique pratique ou tactique ; bien sûr que non : ils « veulent signifier aux autres ». Ils n’agissent en aucune manière : ils s’agitent devant un public et attendent désespérément que celui-ci veuille bien se prononcer sur le sens énigmatique de leur happening. Ils ont de la chance, l’intellectuel de gauche est un expert en la matière, il maîtrise l’art des analogies et des symboles : les mortiers d’artifice sont « comme des fusées de détresse ». C’est du moins comme ça qu’« on peut les voir ». « On », bien sûr, désignant le public, dans la salle, et plus précisément la frange la plus attentive, la plus perspicace de ce public, la grande communauté des gens qui savent parler, qui lisent dans les cœurs comme dans un livre ouvert, et traduisent les signes en langage simple - le tweet – pour les imbéciles qui n’auraient pas compris. Parce qu’évidemment, il y a « message ».

Ce message se réduit d’abord à un affect, « la détresse », mais les choses sont encore un peu floues. A force de tendre l’oreille, tout devient clair, les signes lumineux se mettent à parler ; grâce à Lagasnerie, les « habitants des quartiers » sont enfin capables de tenir un propos sensé : « regardez-nous, nous-aussi sommes en danger... » « Détresse », « danger » : ce qui pouvait apparaître comme une démonstration de force est tout à coup devenu aveu de faiblesse. Qu’on ne soit pas surpris, Lagasnerie explique ailleurs [1] qu’il comprend parfaitement les explosions de colère, et qu’il n’y ait, dans certaines situations, pas d’autres solutions que de recourir à la violence. Mais derrière la colère et la violence, il ne voit que souffrance. La souffrance qui s’abat sur nous avec la défaite mais aussi et surtout une souffrance cultivée pour elle-même, une souffrance que l’on recherche de manière quasi-sacrificielle parce qu’elle témoigne de la virulence de nos contestations ou de la radicalité de notre révolte. Non plus : je lutte parce que je souffre mais je souffre donc je lutte et finalement je lutte pour souffrir. Je combats pour envoyer ces « fusées de détresse » qui habituellement et logiquement n’auraient de sens qu’après un combat et une lourde défaite ou en lieu et place d’un combat qu’on aurait renoncé à mener.

Mais le message des « habitants des quartiers » est subtil, comme dans les meilleurs shows, il a un double sens. « Nous-aussi sommes en danger par rapport à la police », en d’autres termes : nous sommes comme vous les manifestants des centres-villes, comme vous les Gilets Jaunes, comme vous les black blocs : comme vous, nous cherchons à faire sauter le verrou de la domination. La pièce de théâtre se termine donc par un twist inattendu et renversant, – mais après tout, sur une scène, tous les fantasmes sont permis – l’effusion de violence trouve sa relève dans une nouvelle analogie : pour quelqu’un qui, comme Lagasnerie ne croit pas à la « convergence des luttes », il semblerait pourtant qu’on voie celle-ci poindre au bout du chemin, comme un horizon de lumière. Le crépitement initial est en tout cas redevenu une musique bien connue. Grâce à leur interprète, leur héraut et chevalier servant, les habitants des quartiers se sont arrachés à la spirale du silence pour formuler une revendication politique. Peut-être ont-ils enfin compris qu’ils n’étaient pas seuls, peut-être ont-ils même pressenti qu’on pourrait « faire fonctionner les institutions autrement » et puis réformer la police pourquoi pas ? Lagasnerie leur ouvre les portes de l’agora. Nul doute qu’il cherchera à leur démontrer à quel point « le vote peut redevenir un acte radical » dans les bras d’une gauche sociale et réconciliée.

Il faut être bien naïf ou alors sacrément mal intentionné pour ne voir dans ces émeutes que l’expression d’une passion triste, d’une détresse pleurnicharde et pire encore, pour décrypter en elles une conscience politique balbutiante, certes embryonnaire mais en passe d’accéder à la conscience d’elle-même. Ce n’est pas tant par la passion des signes que Lagasnerie se fourvoie, c’est par son goût de l’univocité, du signe prisonnier d’un sens pauvre, de l’événement punaisé dans un registre de comptes (Twitter). Loin de moi pourtant l’idée de contester l’interprétation qu’il propose et de lui opposer une version des faits plus nuancée, d’opposer ma lecture à sa lecture. Je ne lui reproche pas d’être un mauvais ventriloque mais d’être un ventriloque, de faire parler les autres, les absents, et en définitive, de parler à leur place, dans leur dos…Petit commissaire du peuple qui en sait long sur le peuple, et qui en somme n’a plus besoin de peuple. Pour quoi faire ? quand on sait décrypter les images, lire sur lèvres et redéployer tous ces signes sur une scène… de simples marionnettes suffisent. Non, les feux d’artifice ne parlent pas, non ils n’appellent pas au secours. Si les émeutiers avaient voulu dire quelque chose, ils l’auraient dit ; s’ils avaient voulu que Lagasnerie parle pour eux, ils lui auraient donné mandat pour le faire ; peut-être d’ailleurs qu’une grande part de leur agacement bien compréhensible vient du fait qu’ils en ont plein le cul qu’on parle pour eux : tristes, en colère, violents, puérils, pillards opportunistes, insurgés modèles, sales gosses désaffiliés, voyous sublimes, cancres irrécupérables, chance pour la France… Au lieu de tweeter comme l’âne brait, Lagasnerie aurait pu stopper son élan aux premiers mots de sa phrase et considérer ces feux d’artifice pour eux-mêmes, les regarder vraiment, les écouter sans entendre des voix, les arracher au contexte immédiat, contexte auquel il aurait été possible de revenir ensuite, peut-être, avec un regard plus aiguisé et moins d’emphase, sans cette empathie aveuglée, ce désir éperdu de bien faire qui trouble le jugement et nous fait dire des conneries.

Pour voir

Quelle idée saugrenue tout de même – et géniale ! – de détourner le feu d’artifice de sa vocation spectaculaire et récréative pour en faire une technique émeutière de premier ordre et désormais incontournable. On le sait, un feu d’artifice est fermement assujetti à des règles drastiques. Périmètre de sécurité, barrières protectrices, calcul de la portée des fusées, minuterie, études de terrain, alignement total sur conditions atmosphériques, report, annulation, formation des agents, tout doit être réglé comme du papier à musique, début, milieu, fin, moments de bravoure, crescendos, bouquet final, chorégraphie, musique, danse, spectacle pyrotechnique total. On programme les effets, on règle les intensités, rien n’est laissé au hasard, le feu d’artifice est comme un coït chronométré et découpé en plans-séquences : jouissance moulinée, dramatisée et mise en boîte. On ne veut surtout pas penser à l’après, quand tout est fini et qu’on se regarde hébétés, un peu gênés d’avoir applaudi à tout rompre, d’avoir jappé dans l’extase. C’est pas grave, on se dit qu’on est retombé en enfance, que c’est un truc de gosses, le feu d’artifice. Et c’est vrai, c’est un plaisir d’enfant impatient, qui se s’accommode pas de délais, d’à-peu-près, qui veut tout tout de suite, fulguration instantanée, ici et maintenant. C’est l’infini du ciel étoilé tout à coup à portée de main, embrassé d’un seul regard. Non pas l’intensité diluée, délayée dans la rêverie songeuse et mélancolique ou dans l’observation patiente, à l’œil nu, au télescope, repérage laborieux des constellations, fascination pour les distances vertigineuses, pour l’illimité, traque des événements exceptionnels, si rares : pluie d’astéroïdes, tempêtes solaires, éclipses… Au diable tous ces atermoiements : un feu d’artifice nous fait vivre tout cela en une poignée de secondes, bloc d’intensités, concentré de jouissance. Il fonctionne comme les montagnes russes qui captent la vitesse dans un parcours balisé : violence des changements de trajectoires, montées vertigineuses et descentes aveuglantes, savantes alternances de vitesse et de lenteur qui soulèvent les organes et fouettent nos sens engourdis, réveillent des intensités qu’on croyait éteintes. Et tout ça bien sûr en vain, en pure perte. Débauche insensée, dépense somptuaire : c’est encore plus beau quand ça ne sert à rien. D’ailleurs, un feu d’artifice, c’est de l’art et même du très grand art. C’est Adorno qui le dit, lui qui, dans cette consomption stérile des énergies, recherchait ces très brefs instants où nous avons l’impression d’échapper au champ de la valeur, où nous quittons ce monde assoupi dans lequel l’énergie circule lentement, réglée, accumulée, comptabilisée, reproduite pour faire des petits, même quand on dort, même quand on ne pense à rien, surtout quand on ne pense à rien.

Mais quel sale mioche s’est avisé pour la première fois de s’aventurer en coulisse, de doubler le pyrotechnicien assermenté pour lui chourer son matos ? Tout déprogrammer, oublier même l’idée de programmer quoi que ce soit et recommencer à zéro. Comment ça marche, où on allume, dans quel sens on vise déjà ? Tout ça, juste pour voir… Comme on craque une allumette, disait Lyotard, non pas pour allumer un feu mais juste pour voir ce que ça fait. La fusée quitte le sol et s’élève vers le ciel, espace absolument dégagé où aucun obstacle ne peut la dévier, où personne ne peut être directement touché ou blessé… Et si l’on décidait, sur un coup de tête, de casser cette verticalité protocolaire, d’arracher les fusées au ciel où jadis, à Versailles, elles rendaient hommages aux princes, venant s’ajouter aux ors et aux fastes, à la pourpre et à l’hermine pour représenter, réfracter la puissance royale, raconter son appétit de conquête sans limites, inscrire dans un ciel diapré et illuminé son désir d’être partout en majesté, de tutoyer les astres et les dieux. Et si l’on décidait d’horizontaliser, d’immanentiser ? N’est-ce pas au sol et peut être dans les rues d’une ville que les trajectoires peuvent enfin redevenir imprévisibles ? Ricochets, billard géant où il n’y aurait que des coups en bandes, boomerang. Les obstacles cette fois sont partout, et je risque de mal faire, de faire mal. A l’autre qui me vise avec des armes autrement plus dangereuses, mais aussi à mes amis qui courent en tous sens et peut-être à moi-même si ça me pète entre les mains.

Dans ce champ de forces qu’est le feu d’artifice horizontal, plus personne n’est clairement identifiable, le sens même de ce qui est en train de se produire est mis en suspens, insaisissable. Sommes-nous toujours dans un spectacle ? Peut-être, peut-être pas, ça dépend : que signifie ce spectacle ? En passant du vertical à l’horizontal, a-t-il cessé d’être un hommage chatoyant au pouvoir pour devenir un geste de défi qui mine son autorité, qui le contraint à se crisper et donc à manifester sa fébrilité aux yeux de tous ? Sans doute, mais ce n’est encore qu’une interprétation…Encore un effort dans ce sens et nous aussi, nous serons capables de tweeter. C’est un gros symbole que nous avons là, univocité et lisibilité, alors qu’un feu d’artifice qui éclate en pleine rue c’est un défi au bon sens, un hurlement dans une symphonie. Un défi en tout cas au monde réglé par nos habitudes, à son organisation, ses stratégies, ses polarités admises. Toutes les oppositions qui structurent ce monde volent tout à coup en éclats colorés : haut / bas, infini / fini, laideur / beauté – eh oui, qui n’a pas vu qu’une pluie de fusées multicolores faisait briller de mille feux le plus noir troupeau de CRS ? – jouer / attaquer, esthétique / politique, amis / ennemis, adultes / enfants etc. D’univoque, le feu d’artifice devient polyvoque, il n’est plus symbole mais allégorie, pour reprendre l’opposition formulée par Benjamin, la seconde n’ayant jamais le sens figé du premier, la seconde se déchiffrant dans un jeu de renvois sans fin, le premier donnant lieu à une interprétation verrouillée. Dès lors, dans le feu d’artifice horizontal, il nous est loisible de retrouver pêle-mêle et sans qu’un sens prévale sur l’autre : une insulte aux divertissements sucrés de Versailles, l’écho des canons qui entamèrent les murs abrupts de la Bastille, mais aussi les joies tapageuses de l’enfance, les souvenirs de fêtes sans saveur, les crépitements des armes de guerre.

Indécidable

Comment démêler les émotions qui se bousculent et s’entrelacent, qui serrent ou délient les cœurs lorsque la tempête pyrotechnique bat son plein ? Pourquoi réduire la gamme subtile des affects qui nous traversent à quelques notes clairement identifiables ? Le sort de tout ressenti est-il vraiment de s’étioler dans un émoticône ? Et la détresse ? Elle est bien là, n’en doutons pas, une détresse tenace, qui poigne mais surtout une détresse qui soulève, qui s’écoulent hors de nous, qui rapproche, transit et finalement prédispose à l’enthousiasme. Jubilation impatiente au moment où j’allume la mèche. La peur tout à coup de blesser, indiscernable de la joie mauvaise de blesser peut-être. La colère de constater une fois de plus la disproportion des forces et des armes, l’étonnement incrédule devant les trajectoires aberrantes et les fulgurations erratiques des fusées, la fébrilité sans nom de qui se frotte à l’aléatoire et à l’indécidable. Lorsque le feu d’artifice éclate, les formes et les identités éclatent avec lui. C’est le sens même du mot « émotion » : je suis hors de moi, je m’ouvre-vers, pour retomber là-bas, en gerbes d’étincelles, en constellations imprévues. Je suis ce crépitement, cette détonation, cette nuée incandescente qui encercle l’adversaire ou retombe lamentablement dans l’ornière, je suis cet incendie sans feu, ce brouillard d’affects, ces intensités anonymes qui balayent l’asphalte. Il n’y a plus que des blocs d’intensité qui se heurtent à d’autres blocs d’intensité. C’est le moment ambigu, le moment de l’événement, le moment où enfin il pourrait se passer quelque chose, ce qui l’instant d’avant paraissait impossible.

Est-ce vraiment une lutte qui se joue à cet instant ? Assurément. De quelle sorte ? Difficile à dire. En face, la police joue aussi la carte de l’ambiguïté. A coup de flash-ball, elle joue à la guerre ou s’y prépare. Elle déploie tous les marqueurs visibles du fascisme en faisant mine de ne pas y toucher. Elle rameute ses agents les plus belliqueux et se mue en force antiterroriste en l’absence de tout terroriste. Armes sublétales, incapacitantes, à létalité réduite (sic !), moyens de force intermédiaire : elle nous jette à la figure des euphémismes qui sonnent comme autant d’aveux et dont la quantité semble proportionnelle à l’ampleur du scandale qu’elle cherche à dissimuler. Toutes les nouvelles stratégies de maintien de l’ordre ont vocation à signifier qu’à tout moment il serait possible de déplacer le curseur d’un cran au-dessus. Face aux Gilets jaunes, « on a frôlé l’ouverture du feu » avoue aujourd’hui Didier Lallement, ancien préfet de police de Paris. Tout se joue désormais dans ce frôlement, dans cet entre-deux qui perdure, conçu pour perdurer… A moins que… La police ne devrait-elle pas saluer la délicatesse des émeutiers qui, loin de la suivre dans cette surenchère, sur cette ligne tendue qui mène aux balles réelles, à la létalité admise et aux pertes humaines maintient le curseur sur un cran inférieur ? Celui du débordement festif ou du feu de joie. S’il est avéré qu’une fusée est une « arme par destination », il est aussi prouvé qu’elle ne provoque généralement que quelques contusions, et qu’elle ne blesse qu’accidentellement. Tout le monde en revanche sait dans quel camp se comptent par centaines les mutilés à vie, les éborgnés, les gueules cassées et évidemment les morts. Il y aura un temps, probablement très proche, où la police regrettera cette délicatesse, cette prévenance, ce goût du jeu, ô la belle bleue, un temps, hélas, où de part et d’autre retentiront les armes.

Émile Vaillant

Photo : Serge D’Ignazio

[1Toutes les citations du paragraphe sont extraites du livre de Geoffroy de Lagasnerie, publié en 2020 : Sortir de notre impuissance politique.

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