Fin du tirage au sort, mise en place de la sélection à l’entrée de l’université. Le système est mort, vive le système !

Comité d’Action Inter-Lycéen

paru dans lundimatin#122, le 13 novembre 2017

Le premier ministre Édouard Philippe, ainsi que la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal viennent d’annoncer la réforme de l’entrée à l’université, qui devrait s’appliquer dès le mois de septembre prochain. Deux profs principaux en terminale, des étudiants ambassadeurs chargés d’informer les lycéens, mais surtout, surtout, la fin du tirage au sort pour l’entrée à l’université ! La fin du tirage au sort et le début de la sélection (mais on n’a pas le droit de le dire). Au gouvernement, on promet, juré, craché, que cette année personne ne sera laissé sur le carreau. Au pire du pire, le (mauvais) bachelier se retrouvera dans une filière qui ne le fait pas vraiment rêver (mais qui rêve encore d’Université), ou son admission à la fac sera conditionnée à une formation de « remise à niveau ».

Des lycéens et lycéennes qui n’aiment pas trop avaler des couleuvres, qui sont par ailleurs lecteurs et lectrices de lundimatin, et qui sont réunis en Comité d’Action Lycéen, nous ont fait parvenir cet appel à mobilisation.

« L’école a été, avec la famille, l’usine, la caserne et accessoirement l’hôpital et la prison le passage inéluctable où la société marchande infléchissait à son profit la destinée des êtres que l’on dit humains. »
Avertissement aux écoliers et aux lycéens, Raoul Vaneigem

Aujourd’hui, en France, chaque bachelier a une place à l’université - quels que soient ses résultats scolaires. Chaque lycéen bachelier peut accéder à la filière de son choix, au-delà de toute considération sociale ou économique. Cela est la règle, mais les faits sont autres. Le nombre d’étudiants augmente chaque année - choc démographique des années 2000 - et la plupart des facs sont très largement surchargées, et de plus en plus de filières sont dites « en tension », c’est-à-dire que le nombre de vœux est supérieur au nombre de places. Cette situation mène à une mise en concurrence des lycéens et des étudiants pour accéder à la filière souhaitée ou pour y rester. Depuis trop longtemps les prémisses d’une sélection insidieuse sont donc déjà bien là. Or, Macron franchit maintenant un nouveau cap, considérable. Ce dernier veut, dès la rentrée prochaine, remplacer APB par un système de sélection réelle et assumée. Cela veut dire que, dès juin prochain, tous les bacheliers n’auront plus de place assurée à l’université. Dès juin prochain, les lycéens seront officiellement mis en concurrence et sélectionnés ou pas dans les filières demandées en fonction de leurs résultats scolaires, les facs auront accès aux bulletins scolaires et à l’avis unique de chaque professeur. Que vont donc devenir ceux qui n’auront pas été sélectionnés ?

Si tout le monde comprend ce que signifie sélection, il faut comprendre ce qu’elle induit - ou plutôt ce qu’elle ignore. Si le tirage au sort était arbitraire, la sélection entend être la solution en camouflant les réalités du système scolaire français dont elle est l’incarnation. L’incarnation d’un système méritocratique qui, par la mise en concurrence des élèves, efface les possibles solidarités entre ceux-ci. Autrement dit, un système qui ne réfléchit pas à ses faiblesses - qu’elles résident dans un certain déterminisme social, ou une reproduction des inégalités en milieu scolaire - et trouve comme issue pour sa survie de donner une valeur supplémentaire aux élèves. Ici le droit de poursuivre ses études se transforme ainsi en confrontation sociale explicite – par la revalorisation de l’enseignement supérieur privé, et la marginalisation pérenne de certaines couches sociales en les excluant définitivement du système d’études dominant. La sélection n’est que l’incarnation d’un système en fin de vie, essoufflé et essayant de recycler les mêmes réformes depuis cinquante ans afin de se donner une consistance, de survivre. Au-delà de la sélection, c’est donc la survie et la signification de tout un système scolaire qui sont ici remises en cause. À nous d’affirmer le système scolaire que nous voulons - ou plutôt de s’opposer à la poursuite de la libéralisation de l’école, et de l’affirmation de l’école et de la fac comme lieu de compétition capitaliste et de hiérarchisation sans questionnement social ni humain.

« L’école demeure confinée dans le contre-jour du vieux monde qui s’effondre. »

Avertissement aux écoliers et aux lycéens, Raoul Vaneigem

Depuis près de cinquante ans les gouvernements successifs veulent instaurer cette sélection, et ont toujours échoué face aux contestations massives. Alors, pourquoi réessayer aujourd’hui ? Macron profite de la faillite anticipée d’APB pour justifier une mesure qui jamais ne serait acceptée en d’autres temps. Depuis près de quinze ans, tout le monde est au courant du choc démographique des années 2000 (environ 40.000 nouveaux bacheliers chaque année), or jamais les moyens ni les places des facs n’ont réellement été augmentés. Il est donc prévu depuis un moment que tout le monde n’aura pas sa place à l’université, et ce seraient les générations 2000 qui s’en feraient les cobayes. Ainsi, si la « crise d’APB » était prévue - et n’a pas été devancée - c’est bien pour justifier la sélection en espérant peu d’opposition. Ici la solution n’est surtout pas dans le tirage au sort ou la sélection, mais bien dans les moyens que l’on décide d’allouer aux universités. Au-delà du retrait de la loi Vidal, nous réclamons donc l’augmentation des places et des moyens alloués aux universités proportionnellement à l’augmentation démographique afin que chaque bachelier puisse accéder à la licence de son choix dans la fac de son choix - soit simplement libre d’étudier comme il le veut et non comme il le peut, selon des critères élitistes et socialement injustes.

« Une société qui n’a d’autre réponse à la misère que le clientélisme, la charité et la combine est une société mafieuse. Mettre l’école sous le signe de la compétitivité, c’est inciter à la corruption, qui est la morale des affaires. »
Avertissement aux écoliers et aux lycéens, Raoul Vaneigem

Et, puisque la sélection ne suffit pas, Macron enchaîne une série de réformes contre la jeunesse - réforme complète du baccalauréat, baisse des APL et mise en place d’un service militaire obligatoire dès 2019 pour les 18 à 21 ans. Au-delà d’une simple opposition au principe de sélection il nous paraît ainsi essentiel de réfléchir au sens profond de l’enseignement scolaire en tant qu’« antichambre d’une société parasitaire et marchande » et de développer d’autres modèles vivants et autonomes dans les lycées et les facs en se réunissant, en occupant, en bloquant – plus que jamais faire mouvement – à l’heure où l’universalité de l’université est remise en cause, mais surtout de proposer une autre diagonale par laquelle la jeunesse peut échapper à cet avenir pré-sélectionné.

Nous appelons ainsi toutes les franges de la jeunesse, ainsi que les professeurs et toutes les personnes concernées, à se mobiliser et à renverser le rapport de force dès le mercredi 22 novembre, jour de l’examen du projet de loi Vidal en conseil des ministres, et au-delà.

Des lycéen.ne.s mobilisé.e.s en Comité d’Action Inter-Lycéen.

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