Fascismes d’hier et d’aujourd’hui

Alessandro Stella

paru dans lundimatin#402, le 6 novembre 2023

Beaucoup de gens, malheureusement, ont une image surannée du fascisme, faite de Hitler, Mussolini, Franco et d’autres dictateurs militaires-politiques du XXe siècle se réclamant de cette idéologie. Certains ont même peur de ces petits groupuscules délirants défilant avec des croix gammées et des portraits d’Hitler et Mussolini. Mais ce dont il faut avoir vraiment peur c’est l’expansion planétaire de l’idéologie fasciste. Qui est déjà là, sous nos yeux. Avec des nouveaux visages, parfois surprenants.

Quand Marine Le Pen et Éric Zemmour se présentent comme les plus fervents défenseurs de l’Etat d’Israël, quand Giorgia Meloni se rend à Tel Aviv pour assurer le Gouvernement israélien de tout son soutien, quand Victor Orban vote contre la résolution de l’ONU demandant un cessez-le-feu sur Gaza pour épargner la population palestinienne, c’est vraiment inquiétant. Et ça pose des questions.

Qu’est-ce que le fascisme aujourd’hui ? Ce qu’il a toujours été. Mais avec des nouveaux habits, des nouveaux ennemis, des nouveaux boucs émissaires.

Le fascisme s’est toujours caractérisé par le culte de la Patrie, de la famille, des liens de sang. Par les principes d’ordre, de discipline, d’autorité. Par le culte du chef, l’éloge de la virilité. Par la conviction d’une supériorité d’une « race » sur une autre, d’un genre sur un autre, d’un âge sur un autre, d’une civilisation sur une autre. Et autres clivages identitaires puisant dans les différences religieuses, ethniques, régionales, comportementales. Tous menant et conformant un Etat dictatorial.

Selon ces principes, où est le fascisme d’aujourd’hui ?

Il faudrait commencer par dire que l’Etat d’Israël est un Etat fasciste. C’est horrible, monstrueux, mais ce que l’Etat d’Israël fait au peuple palestinien depuis 75 ans et qui atteint aujourd’hui son sommet par l’extermination volontaire et assumée de tout un peuple pour prendre ses terres c’est du fascisme. Aboutissement d’une longue guerre de colonisation, suivant le principe sioniste : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Depuis 75 ans l’Etat d’Israël a mis en place une série de pogrom qui ont chassé les Palestiniens de leurs terres et de leurs maisons, provoquant une diaspora palestinienne de millions de personnes, dans les Pays limitrophes et dans le Monde entier. Tout en poussant dehors le plus grand nombre possible de Palestiniens, l’Etat colonialiste israélien a petit à petit construit des ghettos pour ceux qui s’entêtaient à rester sur les terres du Grand Israël. Des prisons à ciel ouvert, entourées de murs et de barbelés, des check-points à répétition, rendant la vie des habitants insupportable et invivable. Tués, spoliés, chassés, discriminés, humiliés, enfermés dans des prisons ou dans des ghettos. Dès lors comment s’étonner que toutes ces souffrances poussent les victimes à se révolter et à déverser leur haine accumulée contre leurs bourreaux ? Quand un opprimé part à l’assaut de ses bourreaux super armés avec un couteau de cuisine, cela signifie qu’il est à bout et qu’il lance son dernier cri de détresse.

Il est terrible et consternant de constater que des enfants et des petits-enfants de la Shoah, des victimes de la haine identitaire des Nazis, puissent faire à autrui ce que leurs ancêtres ont subi. Aussi, il faudrait se dire que si des « postfascistes » prennent fait et cause pour l’Etat d’Israël (faisant table rase de leur histoire antisémite) c’est parce-que leurs cibles ne sont plus les Juifs mais bien les Musulmans. Parce-que aux Etats-Unis et en Europe, pas ailleurs faut-il souligner, les Juifs d’hier sont les Musulmans d’aujourd’hui.

Ce fascisme de fait pratiqué par l’Etat israélien à l’égard des Palestiniens, avec la répression armée, la colonisation à outrance, l’apartheid, les assassinats et l’emprisonnement des résistants palestiniens, s’accompagne paradoxalement, à l’intérieur de la société israélienne, de libertés inconnues dans les autres Pays du proche et moyen Orient. La République d’Israël contemple un Parlement élu à la proportionnelle stricte, ce qui en fait sans doute le système de démocratie représentative le plus poussé au Monde. Aussi les libertés sociales et culturelles pour les femmes et les personnes LGBT+, comme pour les teuffeurs, contrastent avec le patriarcat, l’homophobie, la prohibition des musiques et des danses « diaboliques » qui ont cours dans les Monarchies et les Républiques islamiques de la région.

Car de l’Arabie Saoudite à l’Iran, de la Turquie à l’Egypte, du Maroc à l’Indonésie, tous les Etats musulmans sont sous l’emprise de la loi religieuse, que ce soit en appliquant la Charia intégrale ou faisant de la religion la référence indépassable de l’action publique. Quand on établit que la loi divine est antérieure et supérieure à la loi civile, le fascisme est là. Quand les femmes sont considérées et traitées comme inférieures aux hommes c’est du fascisme.

Historiquement, l’idée de faire de la doctrine religieuse la référence non questionnable de la vie en société n’est pas propre aux Pays d’Islam, mais a été et est partagée par toutes les religions. Faut-il rappeler l’alliance entre l’épée et le goupillon, de l’Europe médiévale aux colonisations américaines, de l’Espagne franquiste aux dictatures latino-américaines du XXe siècle ? Ou la structure étatique et sociale en pays Hindou où, dès la naissance jusqu’à la mort, chacun est assigné à une classe sociale selon la hiérarchie établie par la religion ?

Regardons le panorama mondial des Régimes en place. On voit que la plupart des Etats sont gouvernés soit par des militaires, soit par des partis politiques alliés à des militaires, soit par des religieux soutenus par des militaires. S’il n’y a plus de dictatures militaires proprement dites en Amérique Latine, on sait parfaitement que les militaires sont là, derrière, toujours très puissants et menaçants. Si quelques rares Pays africains ont un gouvernement civil et parlementaire, on sait que ce sont l’armée ou les milices qui règnent en maître. Quant aux Pays d’Asie, c’est franchement dérisoire de n’y voir que la dictature militaire en Corée du Nord. De la Thaïlande à l’Indonésie, du Vietnam à Singapour, les gouvernements civils sont strictement contrôlés par les militaires. Il en va de même des grandes Républiques ex ou post-communistes, la Russie et la Chine, où l’appareil policier et militaire sert aujourd’hui non pas à la libération et à l’émancipation du peuple travailleur et exploité, mais aux capitalistes qui exploitent et oppriment le peuple. Quant à « la plus grande démocratie du Monde », les Etats-Unis, chacun sait que son Président et tout officier public doit jurer fidélité à l’Etat posant sa main sur la Bible et que derrière le gouvernement c’est surtout le Pentagone qui tire les fils de la géopolitique. Finalement, on peut observer qu’au XXIe siècle les peuples sont toujours gouvernés par des castes, des ordres, des classes minoritaires et puissantes faites de militaires, marchands, religieux, politiciens. Comme depuis la nuit des temps de la formation des Etats.

Alors, que faire contre tous les fascismes ? Faut-il se réclamer ou faire appel à la démocratie, à la république ? Le fait est que tant la démocratie comme la république, contrairement à leurs étymologies, n’ont jamais existé dans les faits. Ces termes en principe justes et signifiants ont toujours été employés de façon rhétorique et instrumentale depuis l’ancienne Grèce, en passant par la république romaine, florentine, française, américaine, jusqu’à aujourd’hui. Pour légitimer, en fait, le pouvoir des élites (économiques, militaires, religieuses, politiques) sur le peuple, en son nom et « pour son bien ».

Nul besoin que Marine Le Pen prenne le pouvoir en France, le fascisme est déjà là.

Alessandro Stella

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