Empêchons l’assassinat de la culture palestinienne

150 personnalités de la culture dénoncent la stratégie d’effacement de l’armée israélienne

paru dans lundimatin#414, le 19 février 2024

« À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée. » Après le saccage du célèbre « Théâtre de la Liberté » le 13 décembre dernier par l’armée israélienne, un ensemble d’artistes et de personnalités dénonce cette stratégie d’effacement. « Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les porteurs de sa culture, c’est assassiner un peuple. »

Le « Théâtre de la Liberté » avait joué sans interruption et enseigné l’art dramatique dans les territoires occupés, en surmontant tous les obstacles et rayonnant partout dans le monde depuis sa fondation en 2006 au milieu du camp de réfugiés de Jénine par l’artiste israélo-palestinien Juliano Mer Khamis, assassiné en 2011.

Le 13 décembre dernier ses locaux ont été saccagés par l’armée, ses animateurs battus et incarcérés. À ce jour, le directeur général du théâtre Mustafa Sheta et son président Bilal Al-Saadi, sont toujours détenus sans motif.

Plus qu’un symbole, c’est une stratégie. À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée.

Qu’est-ce qui fait qu’un peuple est un peuple ? demandait Jean-Jacques Rousseau dans un passage fameux du Contrat Social (1762). Cette question nous hante alors que nous assistons, horrifiés, à la destruction du peuple de Palestine écrasé sous les tonnes de bombes à Gaza, tiré à vue, battu, emprisonné en Cisjordanie par des colons et des soldats racistes à qui on a donné carte blanche, humilié et discriminé en Israël par des lois de ségrégation ethnico-religieuse…

Que fait donc le monde ?

À part l’Afrique du Sud qui vient de sauver l’honneur à La Haye et le Secrétaire Général des Nations-Unies qui crie dans le désert, les associations qui dénoncent la catastrophe humanitaire et tentent de faire passer un peu d’eau, de vivres et de médicaments, le monde attend, il justifie, il regarde ou il prête main forte, exerçant son veto par ci, livrant des munitions par là.

L’histoire jugera.

Un peuple, outre son nom, ce sont des hommes et des femmes de chair et d’os, des familles avec leurs vergers et leurs maisons, des enfants qui jouent et qui étudient, des ouvriers, des paysans, des travailleurs sociaux et des intellectuels, des soignants et des artistes. Mais c’est aussi une culture active, enrichie d’expériences heureuses ou malheureuses, transmise de génération en génération, qui fait l’idée qu’il a de lui-même et son unité sous l’oppression.

Et ce sont toutes les institutions qui font vivre cette culture : écoles, universités, théâtres, journaux, associations, lieux de culte ou de sociabilité. C’est tout cela qu’Israël, lancé par ses dirigeants dans une guerre d’extermination et de vengeance qui n’observe aucune limite et ne respecte plus aucune loi, a entrepris de détruire.

Au-delà de la « seconde Naqba » déjà programmée par de hauts responsables civils et militaires, il faut que, cette fois et pour de bon, le peuple palestinien soit décimé, décomposé, exclu de sa propre terre, de sa propre histoire. Que ses capacités de résistance soient anéanties.

Il n’est pas sûr que, malgré sa violence et son surarmement, le colonialisme israélien ainsi déchaîné parvienne à ses fins, tant les Palestiniens ont historiquement fait la preuve de leur solidarité et de leur volonté de survivre en tant, précisément, que peuple.

Mais les ravages causés par cette guerre d’extermination du fort contre le faible, déjà effroyables, deviendront irréparables si rien n’est fait pour les arrêter. Il faudra des décennies pour les compenser, ne serait-ce qu’en partie. Et le traumatisme qu’ils sont en train de causer ne s’effacera plus jamais. Il portera de nouvelles violences.

Car Israël a parfaitement compris, et de longue date, que son projet d’expropriation exigeait non seulement de tuer et de réprimer, mais de démanteler et d’effacer du paysage toutes les institutions qui confèrent au peuple palestinien sa propre identité et permettent de la préserver.

Il y a une cohérence sinistre entre le fait que, comme à Gaza, les enfants soient massacrés par milliers, ou, comme en Cisjordanie, les adolescents ciblés par les tueurs et emprisonnés au moindre geste (voire sans aucun geste), et le fait que la dernière université de la bande côtière, dite islamique et reconnue pour la qualité de ses enseignants et de ses chercheurs, soit rasée au sol. Ou que les tirs de missiles guidés par Intelligence Artificielle aient déjà éliminé par prédilection des dizaines de journalistes et d’écrivain.es (comme le poète Nour el-Din Haggag, dont on aura pu lire la déchirante Lettre d’adieu au monde). Ou que sous des prétextes juridiques fabriqués en vue de l’extension des colonies, les écoles de Palestine occupée soient détruites au bulldozer à peine sorties de terre, comme hier à Musafer Yatta (Hébron) et à Jib Al-Theeb (Bethleem) malencontreusement située en « zone de tir ». Et ainsi de suite.

Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les artisans de sa culture, c’est assassiner un peuple. C’est le crime contre l’humanité par excellence, que nous, les « civilisés », nous étions engagés solennellement à prévenir et à réprimer.

C’est à quoi nous assistons depuis des décennies en Palestine, et qui sous nos yeux, vient de s’accélérer dramatiquement.

Les Palestiniens appellent à l’aide, avec fierté, avec désespoir, avec colère.

Nous sommes comptables devant eux et devant le monde de nos actions et de notre inaction. Nos dirigeants, qui ne voient jamais qu’un seul côté des violences commises, et ne cessent d’osciller honteusement entre le soutien aux assassins et des remontrances humanitaires purement symboliques, doivent impérativement revenir aux exigences du droit international.

Ils doivent agir et s’exprimer pour que, au moins, le crime soit nommé et condamné. Eux aussi seront comptables.

Signataires

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine) avec : Étienne Balibar, Sonia Fayman, Julio Laks, Sophie Mayoux, Danièle Touati, Aline Bacchet,

ainsi que :
[Cette liste est régulièrement mise à jour et augmentée sur ce Blog Mediapart.]
Ahmed Abbes, mathématicien
Tony Abdo Hanna, auteur
Anne Alvaro, comédienne
Anne de Amezaga, productrice théâtre
Raed Andoni, cinéaste
Anne-Claude, comédienne
Arnaud Arini, artiste plasticien
Cynthia Arra, collaboratrice à la direction d’acteurs
Sébastien Arrighi, photographe
Kader Attia, artiste plasticien
Jean-Luc Bansard, comédien, metteur-en-scène
Matthieu Bareyre, cinéaste
Gaël Baron, acteur
Marcos Barrientos, musicien
Julián Bastias, écrivain
Anne Baudoux, comédienne
Philippe Bazin, artiste 
Nicolas Becker, Musicien & sound designer
Yaghouta Belgacem, directrice artistique
Jamila Bensaci, comédienne et metteuse-en-scène
Annie Benveniste, sociologue
Stéphane Bérard, artiste 
Aurélie Bertaud, atelier Jeanne Barret
Juliette Bialek, comédienne
François Billaud, artiste plasticien
Simone Bitton, cinéaste
Yaël Bitton, cinéaste
Frode Bjørnstad, comédien
François Bloch, metteur-en-scène
Catherine Blondeau, autrice et directrice de théâtre
Elsa Bouchain, comédienne
Nicolas Bouchaud, comédien
Seloua Luste Boulbina, philosophe et politiste
Mathieu Bouvier, chercheur en art
Benoît Bradel, directeur de festival et metteur-en-scène
Thomas Brémond, Directeur de la photographie
Mityl Brimeur, maquilleuse perruquière
Michel Broué, mathématicien
Armand Bultheel, musicien
Stephen Butel, comédien
Olivier Cadiot, écrivain
Louise Calzada, musicienne
Anne Cantineau, comédienne
Marie Cariès, comédienne
Carolyn Carlson, chorégraphe
Alain Castan, éditeur
Laurent Cauwet, éditeur et auteur
Laurence Chable, comédienne
Leila Chahid, ancienne déléguée générale de la Palestine
Fanny de Chaillé, chorégraphe et directrice du TnBA
Rebecca Chaillon, metteuse-en-scène, comédienne
Yves Chaudouët, artiste
Sarah Chaumette, comédienne
Séverine Chavrier, metteuse-en-scène
Sonia Chiambretto, autrice et metteure en scène
Ciné-Palestine Toulouse Occitanie
James Cohen
, politologue
Patrick Condé, comédien
Yann Coquart, Auteur-Réalisateur
Catherine Coquio, universitaire
Francesca Corona, directrice artistique
Sylvain Creuzevault, metteur-en-scène
Annie Cyngiser, sociologue
Soriba Dabo, comédien
Jonathan Daitch, auteur, photographe
Françoise Dastur, professeur honoraire de philosophie
Marianne Dautrey, traductrice, critique, éditrice, cinéaste
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue
Béatrice Dedieu, dramaturge et productrice radiophonique
Arlette Desmots, metteuse en scène
Virginie Despentes, autrice
Lena Dia, comédienne
Farah-Clémentine Dramani Issifou, curatrice
Joss Dray, auteure, photographe
Valérie Dréville, comédienne
Karine Durance, attachée de presse cinéma
Ivar Ekeland, mathématicien, économiste
Mohammed El Khatib, auteur et metteur-en-scène
Annie Ernaux, autrice
Fantazio (Fabrice Denys), performeur
Alain Frappier, auteur dessinateur
Désirée Frappier, scénariste
Ali Gacem, administrateur de production
Marine Gacem, scénariste
Florian Gaieté, philosophe et critique d’art
Nathalie Garraud, metteuse-en-scène
Céline Ghisleri, directrice Voyons voir
Brigitte Giraud, écrivaine
Julien Gosselin, metteur-en-scène
Anne-Claude Goustaud, comédienne
Dominique Grange, chanteuse engagée
Anouk Grinberg, comédienne et plasticienne
Marius Grygielewicz, artiste plasticien
Thomas Gubitsch, musicien
Lise Guehenneux, journaliste
Nacira Guénif, sociologue, anthropologue
Stéphane Guglielmet, artiste plasticien
Francesca Guidieri, peintre, restauratrice
Lucie Guien, comédienne
Alain Guiraudie, cinéaste
Didier Haboyan, musicien
Adèle Haenel, actrice
Hervé Hamon, écrivain
Jean-Pierre Han, critique dramatique
Arthur Harari, réalisateur
Ada Harb, comédienne
Berry Hayward, musicien
Valérie Horwitz, artiste plasticienne
Daniel Jeanneteau, scénographe, metteur-en-scène
Hervé Joubert-Laurencin, cinéaste
Valérie Jouve, photographe
Karim Kattan, écrivain
Miloud Khétib, comédien
Nicolas Klotz, cinéaste
Nathalie Kousnetzoff, comédienne
Julia Kowalski, cinéaste
Julie Kretzschmar, metteuse-en-scène, direction de structure culturelle
André Laks, helléniste
Helena De Laurens, actrice
Guy Lavigerie, metteur-en-scène
Lazare, auteur-metteur en scène
Rémi Lecussan, artiste plasticien
Arham Lee, artiste autrice
Camille Lemonnier, scénographe
Blandine Lenoir, réalisatrice
Serge Lesquer, artiste plasticien
Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien
Guillaume L’Hostis, musicien
Hervé Loichemol, metteur-en-scène
Frédéric Lordon, philosophe, économiste
Michael Löwy, sociologue
Bernard Lubat, musicien
Rodolphe Macabeo, musicien et sound designer
Dalila Mahjoub, artiste plasticien
Julia Mancini, artiste
Damien Manuel, dessinateur
Joëlle Marelli, traductrice, poète, chercheuse indépendante
Maguy Marin, chorégraphe
Diane Maroger, productrice
Rosalía Martinez, musicologue
Valérie Massadian, cinéaste
Audrey Maurion, monteuse et documentariste
Muriel Modr, artiste plasticien
Marie-José Mondzain, philosophe
Pierre Monestier, peintre
Mathilde Monnier, chorégraphe
Magali Montoya, comédienne et metteuse-en-scène
Florence Morali, enseignante d’art
Gérard Mordillat, auteur, cinéaste
Edgar Morin, sociologue, philosophe
Marie Muracciole, critique d’art
Daniel Navia, musicien
Pascal Navarro, artiste plasticien
Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales 
Frédéric Noaille, comédien
Stanislas Nordey, acteur, metteur-en-scène
Marcelo Novais Teles, cinéaste
Paul-Emmanuel Odin, artiste
Annie Ohayon, productrice
Valérie Osouf, artiste visuelle et documentariste
Alexis Pelletier, poète
Macarena Peña, musicienne,
Patrick Penot, directeur de Sens Interdits
Elisabeth Perceval, cinéaste
Nils Peschanski, musicien
Katia Petrowick, danseuse, comédienne
Dominique Pifarély, violoniste
Ernest Pignon-Ernest, plasticien
Jean-Marc Poli, musicien
Anne Pollock, administratrice de production
Joël Pommerat, auteur, metteur-en-scène
Paul B. Preciado, philosophe, cinéaste
Nathalie Quintane, poète
Jacques Rancière, philosophe
Robin Renucci, acteur et metteur-en-scène
Ludovic Rivalan, vidéaste responsable du service vidéo du Théâtre National de Strasbourg
Jane Roger, distributrice de films
David Rosier, producteur
Philippe Rousselot, chef opérateur
Tamara Saade, comédienne et autrice
Frédéric Sacard, programmateur
Olivier Saccomano, auteur
Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine
Blandine Savetier, metteuse-en-scène
Marion Siéfert, autrice metteuse en scène
Marie-José Sirach, journaliste
Eyal Sivan, cinéaste
Makis Solomos, musicologue
Rosemary Standley, chanteuse
Frédéric Stochl, musicien
Nicolas Struve, comédien
Tardi, dessinateur
Joëlle Tawil, peintre
Nadia Tazi, philosophe
Jean-Pierre Thorn, réalisateur
Véronique Timsit, dramaturge
Christine Tournadre, réalisatrice
Florence Tran, cinéaste
Nanténé Traoré, artiste visuel et auteur
Colette Tron, directrice Alphabetville
Anne-Sophie Tschiegg, peintre
Isabelle Ungaro, réalisatrice
UTO, artiste musical (Neysa Barnett, Émile Larroche, Thomas Pihan)
Eleni Varikas, politologue
Marie Vayssière, comédienne et metteuse-en-scène
Françoise Vergès, autrice
Camille Videcocq, curatrice Rond-Point Project
Gisèle Vienne, chorégraphe
Vanina Vignal, cinéaste
Christiane Vollaire, philosophe
Éléonore Weber, cinéaste
Zoé Wittock, cinéaste
Sergio Zamora, écrivain
Josiane Zardoya, monteuse
Stéphane Zaubitzer, photographe


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