Démouchecrassie

« La société démouchecrassique, organisée autour du droit de vote nous berne deux fois »

paru dans lundimatin#331, le 21 mars 2022

Comme à chaque élection présidentielle, mais peut-être encore davantage pour celle-ci, la question du vote refait surface. Ne pourrait-il pas s’avérer « utile » ou de moindre mal ? Les plus radicalisés vont jusqu’à parler d’acte politique voire d’un devoir. L’auteure de ce texte, y voit l’expression d’une « démouchecrassie ».

Depuis 240 millions d’années, sur Terre, la merde attire la mouche. Excréments, saletés, détritus, macchabés… L’offre est abondante et même plutôt diversifiée. Munie de sa paire d’ailes, la mouche hésite, passe d’une merde à l’autre. La couleur, la texture, l’odeur, l’éclat… A chacune son petit plaisir. Ainsi, elle tâte ou tatillonne. Et finalement se pose sur une merde plutôt qu’une autre. Depuis 240 millions d’années, il en est ainsi, la mouche finit toujours par trouver une merde pour promontoire et bombance.

Depuis presque 240 années, on vote. Conservateurs, réformistes, populistes, communistes, socialistes, libéraux… Munis de notre carte d’électeur, on erre d’un débat à l’autre. Immigration, chômage, sécurité, environnement… A chacun son petit marché. On doute ou barguigne. Et finalement on dépose un bulletin plutôt qu’un autre. Depuis presque 240 années, on finit toujours par trouver un élu pour gouvernant.

La mouche ne souffre d’aucune exception dans son choix de la merde. Chez les hommes, c’est une autre affaire. Quelques-uns préfèrent l’abstention. La souveraineté ne leur sied guère, disent les uns. La citoyenneté ne les apprête que trop, renchérissent les autres. Ils verront bien quand ils ne pourront plus !, concluent les derniers.

Seulement, avons-nous déjà pu ?

La société démouchecrassique, organisée autour du droit de vote nous berne deux fois.

Le premier mensonge sent le manager à plein nez. On se rend aux urnes comme à un rendez-vous de carrière. Sommés de réfléchir en un moment, en un lieu et en une case, nous consentons à une parole par intermittence. Surtout, électeurs impatients, nous attendons passivement le moment où il sera fait appel à notre bon sens et à notre moralité pour choisir le parfait candidat-programme. Nous allons bientôt les remercier de nous retirer la peine de penser.

Le deuxième mensonge nous fait croire que du nombre vient l’unité. A défaut de pouvoir le faire parler, le droit de vote a mis le peuple en équation. Dites-moi combien d’individus, je vous dirai combien de représentants. Dites-moi combien d’espèces de mécontents, je vous dirai combien de programmes. La mesure pour principe. Sauf que le Peuple est autre chose que la simple somme des individus. La mise en Commun engendre de nouvelles propriétés. Propriétés imprédictibles donc rebelles à tout programme. Fuir les isoloirs et respirer à grands coups d’interdépendances, refuser l’addition de sa parole à celle de son voisin ; premières conditions d’une vie commune.

Ceci fait, tout reste à faire pour qu’enfin nous puissions faire usage de nous-mêmes. D’abord, détachons-nous de ce que nous prenons pour des bienfaits. Pour premier, celui d’être gouvernés. On a tant modelé et accoutumé nos esprits et nos goûts que la tâche paraît insurmontable. Et eux, farouches opposants à l’idée de Commun, ils le répriment par uniformisation. Nous vous simplifions la vie ! Tout est pensé. Temps d’étude, temps de travail, retraite, santé, loisirs, nombre d’enfants…Il y a une case pour tout. Nous refusant ainsi le droit de faire Peuple, ils nous obligent à faire masse. Amassés dans les Grandes Ecoles, amassés dans les usines, amassés dans les zones résidentielles, amassés dans les tours, amassés dans les centres commerciaux. Face aux écrans, corps entre les murs ; nous voilà bien casés.

Egaux dans le même désir d’accéder à quelques conditions d’existence, nous nous sommes rendus indifférents. Nous nous agitons dans un espace mais n’agissons point. Nous entreprenons mais ne décidons de rien. Souveraineté confisquée, souveraineté oubliée. Ils feignent de l’autoriser les jours de comédie électorale.

Mais notre souveraineté, nous la voulons pleine et constante. Mettons fin au bla-bla de la procédure électorale et Organisons Communément nos Existences.

Il est grand temps d’atterrir de notre vol démouchecrassique, ailleurs que sur une merde.

Dyna Mythe

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