Circonscrire l’antagonisme, défaire la confusion

D’une alternative entre la guerre et la guerre
Catherine Hass

paru dans lundimatin#407, le 13 décembre 2023

Ce texte est la version remaniée et annotée de l’intervention de Catherine Hass lors de la rencontre du 2 Décembre 2023 au Consulat, à Paris. Avant le 11 septembre 2001, le « terrorisme » n’est pas assigné par les États à l’espace de la guerre. Il le deviendra par la suite. Alors que lesdits « terroristes » se proclamaient ennemis politiques en guerre contre l’État et son monde ; les États leur adressaient une fin de non-recevoir en les ravalant au rang de simples criminels de droit commun. Après le 11 septembre, une opération inverse a lieu qui vient bouleverser ces anciens régimes de pensée. Désormais, les terroristes ne sont plus des criminels, ils ne sont plus non plus de simples ennemis de l’État - les voilà devenus ennemis d’un mode de vie. Or, à cela, les États répondent par la guerre. La guerre contre la terreur n’a pas toujours existé. Elle n’existera pas toujours. Dans ce laps où s’effondrent les catégories politiques, l’alternative qu’on nous propose devient : la guerre ou bien la guerre.

Pour mon intervention, je suis partie de l’intitulé qui nous réunit : « Circonscrire l’antagonisme, défaire la confusion ». Cet intitulé, je l’appliquerai ici à ce que l’on nomme avec constance, depuis le 20 septembre 2001 et jusqu’à aujourd’hui, la guerre contre le terrorisme, puisque, depuis cette date, et en rupture avec les décennies précédentes, il n’y a plus, de la part de nombre d’États, de terrorisme sans guerre et ce, aussi bien dans le champ de la politique intérieure qu’extérieure puisqu’elle les traverse, les articule. C’est en son nom, par exemple, que le président de la République souhaita, au lendemain du 7 octobre 2023, mobiliser la coalition contre l’État islamique contre le Hamas ; et c’est également en son nom qu’une femme vivant en France depuis 48 ans se trouve sous le coup d’une obligation à quitter le territoire français pour l’Algérie, pays qu’elle ne connaît pas. Elle est, comme d’autres mères ayant envoyé argent ou poussette à leurs enfants partis en Syrie, inculpée de financement du terrorisme [1]. Son fils, né en France, est, lui, après trois mois passés en Syrie auprès des révolutionnaires contre le régime d’Assad entre 2013 et 2014, et 8 ans et demi de prison pour « association de malfaiteur terroriste », déchu de sa nationalité française et en voie d’expulsion vers un pays...qui à ce jour ne le reconnaît pas comme citoyen [2]. C’est qu’en France comme ailleurs, les lois successives élargissent toujours davantage la portée, la possibilité de cette guerre dont l’une des particularités est précisément de combiner, selon ses besoins et objectifs, droit international, droit pénal, droit administratif voire droit des conflits armés.

Les effets toujours plus nombreux et diffus de ladite politique antiterroriste rendent selon moi impératif l’ouverture d’un vaste chantier intellectuel et politique sur ce que, depuis 2001, le mot terrorisme, sa généralisation, son extension, a fait, à la guerre, à la politique, au droit et à la vie des gens puisque les quatre vont de pair. Ce chantier, qui balaierait l’ensemble du spectre de cette guerre, m’apparaît comme une condition si l’on souhaite rendre possible la constitution d’une prise politique à même de mettre à distance le champ de la peur et de la menace que la guerre contre le terrorisme entend instituer toujours plus amplement – une peur dont le maniement, dit Thomas Hobbes, est une condition de la loi et de l’exercice de la souveraineté. Le principe de ce chantier pourrait se dire ainsi : pour défaire la confusion, il faut commencer par défaire l’antagonisme. Déposer en quelques sortes l’antagonisme, comme on le dit d’un meuble ou d’une serrure afin d’en mieux saisir l’ensemble des termes comme leurs articulations.

Comme il ne saurait être ici question de déployer ce chantier, je me contenterai de suivre une première piste de réflexion portant sur les transformations du traitement, par les États, de l’antagonisme terroriste à partir de 2001. En effet, si j’ai donné la date du 20 septembre 2001, c’est que ce jour-là est celui où George W.Bush, dans le cadre de son discours « Réponse aux attaques terroristes du 11 septembre [3] », commence à forger la doctrine de la guerre globale contre la terreur. Cette dernière sera officiellement abandonnée par Barack Obama en mai 2013 au profit d’action plus ciblées via notamment l’usage des drones. Si je précise ce point, c’est que la guerre globale contre le terrorisme n’est pas une expression flottante qui aurait fini par qualifier, plus ou moins précisément, les guerres américaines de 2001 et 2003. Elle est expressément une doctrine dont le caractère flou – on ne saurait faire la guerre contre une forme de violence – n’a jamais interdit son utilisation. Au contraire, pourrait-on dire, plus un concept ou une doctrine sont confus, plus il est facile de se les approprier.

Le terme de global est ici décisif car, en la nommant ainsi, les États-Unis indiquaient qu’ils mobiliseraient l’ensemble des outils juridiques et guerriers à leur disposition, indiquaient la multiplicité des fronts de cette guerre comme la multiplicité de leurs ennemis, à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire national. Ils indiquaient en substance que cette guerre serait sans limitation de lieux, de temps, de cibles, d’objectifs, et que ni la victoire, ni la défaite, ni la paix n’en constitueraient la butée. L’essentiel du dispositif de cette guerre s’est construit dans les semaines qui suivent le 11-Septembre puisque : le 14 septembre 2001, le Congrès autorise le président « à user de toutes les forces nécessaires et appropriées » contre les nations, organisations ou personnes ayant commis ou aidé à commettre les attentats. Le 26 octobre, le Patriot Act visant essentiellement le territoire national est promulgué. Le 13 novembre 2001, un décret prévoit l’institution de tribunaux militaires habilités à détenir plus qu’à juger les ressortissants étrangers accusés de terrorisme.

Pour prendre la mesure, par contraste, de ce qui change en septembre 2001 quant au traitement du terrorisme, je ferai un bref détour par son traitement en Allemagne et en Italie durant ce qui s’est appelé Les années de plomb. En effet, au-delà de l’hétérogénéité des situations comme de leur traitement, il existe alors un trait récurrent et partagé : le refus, de la part des États, de nommer la situation comme relevant de la guerre. Dans l’Italie confrontée au terrorisme des Brigate Rosse comme dans l’Allemagne confrontée à celui du groupe Rote Armee Fraktion, les autorités refusent de le considérer comme un antagonisme de type guerrier, soit de concéder à leurs adversaires le statut de combattants et, avec lui, une certaine légitimité politique. Ainsi, aux militants révolutionnaires qui ont fait de l’État leur cible politique, qui se sont déclarés en guerre contre eux [4], les États ont opposé une fin de non-recevoir [5]. On peut même dire, plus largement, et chaque fois pour des raisons différentes, que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, en Europe, et, de façon exemplaire, sur ce point, depuis la guerre d’Algérie, qu’il y a un refus, de la part des États, de dire la guerre en leur sein. Ainsi, s’il peut y avoir des ennemis que les États pourchassent, séparent, jugent, enferment et isolent du reste de la communauté nationale [6], ils se refusent alors à parler de guerre [7].

En effet, si les membres des Brigades rouges et de la Fraction armée rouge ont été désignés comme des « ennemis d’État » (Staastfeind) [8], ils l’ont été à titre d’adversaires des principes démocratiques fondant l’État ou, selon les termes du décret dit contre les extrémistes paru en Allemagne en 1972, considérés comme des ennemis de « l’ordre constitutionnel fondamental libre et démocratique [9]. » Par conséquent, et malgré cette nomination en termes d’ennemi, ils ont été systématiquement renvoyés au statut pénal de criminels [10]. En Italie, notamment lors de l’enlèvement d’Aldo Moro (1978), les Brigades rouges sont assimilées à « une bande de meurtriers » qui, certes, cherchent à « humilier les institutions » mais qui ne sauraient se prévaloir, une fois arrêtées, d’un statut de « prisonniers politiques » [11]. De même, en Allemagne, les autorités ont toujours refusé que les membres des groupes armés puissent être considérés comme des « ennemis politiques » à part entière. À l’occasion du grand procès de la Fraction armée rouge dit de Stammheim (1975-1977), les quatre dirigeants de la RAF ont beau réclamer leur reconnaissance comme « prisonniers de guerre », ils furent jugés conformément au droit pénal en vigueur pour « meurtres », « tentatives de meurtre » et « formation d’une association criminelle » ; la qualification de « formation d’association terroriste » ne sera introduite dans le droit pénal qu’après ce procès [12].

Ainsi, à la différence d’aujourd’hui, les États nommaient des ennemis sans pour autant se situer dans l’espace de la guerre, y compris dans une période de tensions civiles extrêmement violentes [13]. Ce refus de la guerre peut être analysé comme un refus de l’antagonisme, d’une scission politique intérieure, quand bien même les voies de ce traitement diffèrent selon les traditions nationales et mobilisent des moyens d’exception [14] : la Fraction armée rouge ou les Brigades rouges sont considérées comme des affaires intérieures allemandes et italiennes que les États, défiés, entendent solder. Ce traitement du terrorisme se manifestait par l’affirmation d’une volonté de juger des États : il fallait en quelques sortes que « le droit passe [15] », que l’État « passe » : afin de restaurer son autorité, sa figure d’ordre et de souveraineté, afin de ne plus se laisser « humilier », afin de défaire ses ennemis, non seulement au sens de les empêcher d’agir, mais également au sens où il fallait défaire l’antagonisme, le rapport d’inimitié qu’ils entendaient instaurer : les ennemis de l’État devaient se révéler en simples criminels même si durement châtiés [16]. Si l’on schématise le traitement de la conflictualité politique armée pour cette période, on dira que face à des militants politiques se constituant dans un antagonisme frontal et irréductible avec l’État, ce dernier leur oppose un cadre politique, pénal et judiciaire visant à sanctionner le fait que l’État et la nation ne sauraient avoir d’ennemis en leur sein.

En rupture avec les années 1970, la projection du terrorisme dans l’espace de la guerre promue par l’Administration Bush, fonde le terrorisme depuis un antagonisme guerrier instituant et polarisant l’ennemi dans une altérité si radicale que son élimination est le seul horizon. Cet antagonisme guerrier n’identifie pas un antagonisme politique puisque les djihadistes contemporains, ou supposés tels, ne sont jamais qualifiés d’ennemi d’État ou d’ennemi politique. Au contraire, c’est bien davantage leur dépolitisation qui est mise en avant à la faveur d’une essentialisation religieuse, culturelle ou criminelle. Ils sont des ennemis dans l’espace de la guerre et doivent, à ce titre, être combattus voire abattus et ce même s’ils peuvent, subsidiairement, être jugés. Mais dès lors qu’ils sont présumés terroristes ou, depuis quelques années, suspectés de radicalisation [17], ils sont, les avocats présents aux assises ou en correctionnel le disent, quasiment indéfendables puisque seule compte l’assignation terroriste, soit le nom de l’ennemi annihilant tout autre réel [18].

Plus largement, il n’y a plus, à la différence des années 1970, de vis-à-vis politique explicite entre l’État et eux : qu’il s’agisse de Georges W. Bush au lendemain du 11-Septembre, ou de François Hollande devant le Parlement réuni en congrès le 16 novembre 2015, les États ne considèrent plus que ce sont eux ou leurs institutions, leurs politiques, qui sont visés mais, aux États-Unis, en 2001 « une façon de vivre » et, en France, en 2015, « la France elle-même », voire dit Hollande, notre « vie libre », « notre amour, notre amour de la vie ». Le terrorisme aujourd’hui n’est donc plus considéré comme une contestation radicale de la politique des États mais comme une négation des pays eux-mêmes à partir des valeurs qu’ils incarneraient : le statut du terroriste est passé en quelques sortes de l’ennemi politique relationnel à un ennemi substantiel voire existentiel que l’on ne peut qu’annihiler, militairement ou juridiquement, voire les deux à la fois [19]. Ainsi, là où dans les années 1970, le paradigme punitif se faisait inclusif par le biais du jugement et des procédures judiciaires, les années 2000 placent l’ennemi dans une extériorité juridique et politique telle que, comme le montre le refus du rapatriement des Français internés dans les camps du Kurdistan syrien, il est préférable de tout faire pour qu’ils ne reviennent jamais, soit qu’on les laisse dépérir sur place, soit que l’on demande à l’Irak de les juger [20]. Ou encore, les chasser du corps national via la déchéance de nationalité, y compris pour les personnes nées en France. Plus avant, c’est bien la projection du terrorisme dans la guerre qui rend possible cet ensemble de décisions. En effet, la guerre contre le terrorisme a rendu tout à fait mouvante les séparations constituantes de ce que l’on appelait « la guerre en forme » interétatique, entre politique intérieure et extérieure, entre policier, civil et militaire, entre guerre et crime, guerre et terrorisme, paix et sécurité, ami et ennemi, soit autant de changements ayant, notamment, durablement affecté la figure de l’antagonisme comme de l’ennemi.

Pour conclure, je dirais que si « Circonscrire l’antagonisme et défaire la confusion » me semble difficile et nécessiter le chantier politique et intellectuel dont je parlais, c’est que les antagonismes sont multiples, mobiles, parfois polymorphes et difficilement saisissables. Prospérant sur la confusion, ils sont à l’œuvre sans répit lorsque, par exemple, la première ministre décrète l’exclusion du champ républicain de quiconque qualifie autrement que par le terme de terroriste le supplice des kibboutz. Ou encore, lorsqu’un professeur des universités dénonce à sa hiérarchie l’un de ses collègues en vue sans doute de le faire inculper pour apologie de terrorisme. Je ferais l’hypothèse, un peu confuse à ce stade, que l’omniprésence antagonique ne laisserait finalement pas d’autre choix qu’une alternative entre la guerre ou la guerre. Par conséquent, déposer l’antagonisme et chercher à le politiser m’apparaît comme une possibilité, non pas seulement d’opposer la politique à la guerre mais également de travailler, a minima, à la possibilité d’une alternative entre guerre et paix et donc à réfléchir les termes de cette dernière.

Catherine Hass
Le Consulat, 2 décembre 2023

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[1De nombreuses familles, et notamment des mères, sont aujourd’hui poursuivies et inculpées pour terrorisme après qu’elles ont généralement envoyé de l’argent, voire des biens, à leurs enfants et petits-enfants alors en Syrie. L’on estime, en Belgique, à 400 le nombre de parents et de membres de familles poursuivis pour financement de terrorisme. Pour la France, à notre connaissance, au moins 30 familles sont poursuivies mais le nombre total doit être bien plus élevé.

[2Les autorités, françaises comme belges, n’incriminent pas les départs vers la Syrie en 2012 et 2013, voire les saluent dès lors que les personnes rejoignent les rangs de ceux qui luttent contre le régime d’Assad (Montassir Sakhi, La révolution et le djihad. Syrie, France, Belgique, Paris, La Découverte, 2023, p. 39-40). En France, ils ne seront criminalisés qu’en novembre 2014. En effet, l’article 421-2-6 du code pénal constitue alors en « acte de terrorisme » le fait d’« avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ».

[3George W. Bush, “Address Before a Joint Session of the Congress on the United States Response to the Terrorist Attacks of September 11”, 20 Septembre2001.

[4Une stratégie que les Brigades Rouges nommèrent, à l’occasion de leur premier enlèvement véritable, celui du Juge Sossi en 1974, Attaco al cuore delle stato. Le parallèle est établi avec le cas de l’Allemagne par Henner Hess et al., Angriff auf das Herz des Staates : Soziale Entwicklung und Terrorismus, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1988.

[5Mosco Lévi Boucault, Ils étaient les Brigades Rouges, France, 2011, 124 mn. Marc Lazar , Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie des années de plomb. Le terrorisme entre histoire et mémoire, Autrement, « Mémoires/Histoire », 2010. Donatella Della Porta, “Institutional responses to terrorism : The Italian Case”, Terrorism and Political Violence, 4/4, 1992, p.151-170. Christoph Cornelissen, Bruno Mantelli, e al, Il decennio rosso : contestazione sociale e conflitto politico in Germania e in Italia negli anni Sessanta e Settanta, Bologna, Il Mulino, 2012.

[6Dominique Linhardt, « Réclusion révolutionnaire. La confrontation en prison entre des organisations clandestines révolutionnaires et un Etat – le cas de l’Allemagne dans les années 1970 », Cultures &Conflits, n°55, automne 2004, p. 113-148.

[7Ninon Grangé, « Cicéron contre Antoine : la désignation de l’ennemi dans la guerre civile », Mots. Les langages du politique, n°73, 2003, p. 9-23.

[8Fritz Sack, Heinz Steinert, Protest und Reaktion, (Analysen zum Terrorismus), Westdeutscher Verlag, 1984.

[9Tels étaient les termes du Radikalenerlaß, le décret contre les extrémistes promulgué le 28 janvier 1972 à l’origine des interdictions professionnelles visant l’État allemand à se prémunir des fonctionnaires qu’il jugeait déloyaux.

[10Dans une certaine mesure, les États se conformaient au principe voulant que « dans un État de droit il n’y a que des délinquants et pas d’ennemi. » Geneviève Giudicelli-Delage, « Droit pénal de la dangerosité — Droit pénal de l’ennemi », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 1, no. 1, 2010, pp. 69-80.

[11Discours de Luciano Lama, secrétaire général de CGIL prononcé à Venise le 25 avril 1978 à l’occasion de la fête de la libération nationale italienne et durant la séquestration d’Aldo Moro.

[12En France, la première législation dédiée à la lutte contre le terrorisme date de la loi du 9 septembre 1986. Elle sanctionne alors spécifiquement l’acte terroriste qui, jusqu’ici, était jugé à partir du droit pénal général (association de malfaiteur, assassinat, etc.) En ciblant que les actions terroristes effectives ayant eu lieu, cette loi est considérée comme relevant d’un « droit pénal de la réaction. »« La véritable rupture date de la loi du 22 juillet 1996, adoptée en réaction aux attentats de 1995, qui a pour la première fois mobilisé les outils du droit pénal. à des fins principalement préventives. C’est par cette loi qu’a été créé le délit autonome de participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui constitue encore aujourd’hui le pilier de la répression pénale en matière terroriste. À partir de cette loi, la qualification terroriste a été progressivement étendue pour saisir toute l’activité terroriste : non plus les seules actions terroristes, mais aussi tous les actes périphériques, notamment le soutien au terrorisme, depuis la fabrication de faux documents (1996) au financement du terrorisme (2001), blanchiment ou délits d’initiés (2001), non-justification de ressources (2003), provocation et apologie du terrorisme (2012 et 2014), en passant par la préparation isolée d’un acte de terrorisme (2014), ou encore toutes les formes d’approvisionnement en armes (liste régulièrement augmentée depuis 1986). » Julie Alix, Olivier Cahn, « Mutations de l’antiterrorisme et émergence d’un droit répressif de la sécurité nationale », Revue de sciences criminelles, 4/2017, p. 847-849.

[13Cette période prit en Italie le nom de Strategia dellatensione. On date son commencement au 17 décembre 1969, jour de l’attentat fasciste de la Piazza Fontana, à Milan. Attribué au groupe Ordine Nouvo,il fit 16 morts. Ainsi, la lutte armée rouge qui commence après cette date n’avait pas pour antagonisme le seul État italien mais également les groupes néo-fascistes accusés de collusion avec l’État. La stratégie de la tension avait donc une tonalité antifasciste explicite. « Entre 1969 et 1975, 83 % des faits dits de violence politique sont imputables aux groupes d’inspiration néo-fasciste, ainsi que 63 des 92 victimes de l’époque. À la fin de la décennie 1980, les différents attentats auront fait près de 2000 blessés et 380 morts, parmi lesquels 128 ont été victimes de l’extrême gauche. » Isabelle Sommier, « Les années de plomb : un “passé qui ne passe pas” », Mouvements, 2003/3, n° 27-28, p.200.

[14Par exemple, en Italie, outre le pouvoir exorbitant octroyés aux juges par les nouvelles dispositions pénales, la détention préventive, durant cette période, monta jusqu’à 12 ans – avant d’être légalement fixée à 10 ans et 3 mois. Anne Schimel, « Face au terrorisme : les lois spéciales à l’italienne », Sociologie du travail, 28ᵉ année, n°4, octobre-décembre, 1986, p. 532-533. Elisa Santalena, « Le procès 7 aprile : un cas prototypique de l’état d’urgence dans l’Italie des années quatre-vingt », Cahiers d’études italiennes, n°14, 2012, p. 70. Ginzburg Carlo, Le juge et l’historien. Considérations en marge du procès Sofri, Paris, Verdier, 1997.

[15Frédéric Audren, Dominique Linhardt, « Un procès hors du commun ? : Le procès de la Fraction Armée Rouge à Stuttgart-Stammheim (1975-1977) », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2008, 63 (5), p.1017.

[16Ibid. Maria Malatesta , « Défenses militantes. Avocats et violence politique dans l’Italie des années 1970 et 1980 », Le Mouvement Social, 2012/3, n° 240, p. 85-103.

[17Le flou juridico-politique autour de la catégorie de terroriste permet d’amalgamer, et donc d’incriminer, sous une même qualification, des actes guerriers ou criminels de masse, la consultation de sites internet, une mère de famille ayant envoyé quelques centaines d’euros à son enfant, un soupçon « raisonnable », une intention, ou encore, une personne n’ayant fait qu’un aller-retour en Syrie en 2013. D’un point de vue juridique, le lien avec un acte terroriste stricto sensu n’a plus besoin d’être manifeste. Au contraire, il est de plus en plus, soit ténu, soit inexistant. Olivier Cahn, « Sauriez-vous reconnaître un “terroriste” ? », Grief, vol. 4, no. 1, 2017, pp. 127-138.

[18Cet aspect est explicité par l’un des avocats de la défense lors du procès des attentats de janvier 2015 : « Il y a un point particulier avec le terrorisme islamiste : il est perçu en France comme une attaque exogène contre la société et ses fondements. Il est donc impossible d’en faire un débat de société où on pourrait dire “leur attitude est excessive mais justifiée” comme ce fut le cas pour le terrorisme de l’extrême gauche et comme ce sera surement le cas avec le terrorisme de l’extrême droite où on entendra – vous verrez – que même s’il ne fallait pas passer à l’acte, on peut comprendre qu’avec tout ce qui se passe, certains veulent prendre les armes. C’est une défense qu’on ne peut pas faire en matière de terrorisme islamiste. On est obligé d’être dans une distanciation totale vis-à-vis de l’idéologie, soit en disant “je n’ai jamais été radicalisé”, soit en disant “je ne le suis plus, j’ai compris mon erreur et je regrette profondément”. On est donc majoritairement sur des débats matériels. Les dossiers dans lesquels on a quelqu’un qui a été radicalisé et qui dit “je ne le suis plus”, souvent cette défense je la trouve bas de gamme. [...] Donc il vaut mieux avoir une défense matérielle : expliquer qu’il n’était pas là, que ce n’est pas lui, qu’il n’est pas radicalisé en disant “regardez les preuves matérielles que je vous amène”. Quand on a une défense matérielle, on est dans un débat normal, mais dès qu’on est dans une défense qui tente de justifier, on n’est plus audible. La seule défense valable en matière de terrorisme est forcément classique et matérielle et lorsque vous avez un « vrai » terroriste, il n’y a pas de défense possible. « Procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015. Table ronde avec les avocats de la défense (David Apelbaum Hugo Lévy, Margot Puglièse, Clémence Witt, Camille Tardé) », Les Cahiers de la Justice, 2021/2 (N° 2), p. 247.

[19C’est le cas des personnes parties en Syrie et qui peuvent être, à la fois, jugées in absentia en France, et l’objet des frappes de la Coalition internationale contre Daech.

[20« Les djihadistes étrangers détenus en Syrie ’ne pourront pas être jugés en Irak’ », L’Express, 15/12/2019.

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