1 — madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs, messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, monsieur le général, générales à mamelles, générales à couilles, directeurs, préfètes, préfets, bonjour
je me permets de vous écrire ici ces quelques mots car il se trouve que j’ai compris un truc avant-hier, en cassant un mur en parpaing, avec une massue – au manche un peu trop court – mais aussi j’avais un burin, et je n’étais pas seul
j’ai compris la chose suivante
le problème, ce n’est pas que les casseurs ou les casseuses cassent
le problème, c’est que vous, c’est-à-dire – vous, je ne sais pas très bien qui vous êtes – , disons : vous, et celles et ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions bien réelles, vous et celles et ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions réalisées par les forces dites de l’ordre, les forces, disons, de votre ordre
le problème
le problème est que vous et vos conceptions de la force et de l’ordre, vous ne laissez pas le temps aux casseurs et casseuses de finir leur travail
car, je pense, oui, qu’il s’agit d’un travail
2 — le problème, c’est que vous, madame la ministre, vous, monsieur le ministre, vous, mesdames les gouverneurs, vous, messieurs les gouvernantes, vous, madame la présidente, vous, monsieur le président, vous, madame la directrice, vous, monsieur le général, vous, générales à mamelles, vous, générales à couilles, vous, directeurs, vous, préfètes, vous, préfets
vous, et celles et ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions réalisées par les forces dites de l’ordre, les forces : de votre ordre
vous
le problème c’est que vous, je crois bien que vous êtes en actions dans une entreprise complétement dingue, et follement triste
je me dis que vous êtes en actions dans une entreprise de captation du temps
une entreprise
de tentative
de captation du temps – de nos vies
y compris de vos vies
– car, ici, petit point grammatical : dans nos vies, il y a vos vies, et
la chose est nécessairement réciproque : dans vos vies, il n’y a nos vies –
3 — comme si le temps pouvait se laisser capter
comme si les vies, nos vies, pouvaient se laisser capturer leur temps – leur temps de vies – sans se défendre
4 — et c’est avant-hier, en cassant ce mur en parpaing dont je vous parlais à l’instant, que je me suis dit la chose suivante
madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs, et messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, monsieur le général, générales à mamelles et générales à couilles, directeurs, préfètes, préfets
si
vous laissiez le temps aux casseurs et aux casseuses de pêter intégralement les distributeurs de billets et les vitrines de banque, et, les caméras de vidéo-surveillance, et
si vous leur laissiez le temps de tout bien nettoyer et de construire à la place de telle ou telle banque ce qu’elles et ils souhaitent réellement construire
car, oui, madame la ministre, oui, monsieur le ministre et mesdames les gouverneurs, messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, monsieur le général, à mamelles, madame la générale, à couilles, directeurs, préfètes, préfets
on
ne casse pas pour le plaisir de la seule casse, jamais
ça ne s’est jamais vu
on casse toujours avec l’envie d’une construction réelle
d’une construction réellement autre
5 — cela dit, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs et messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame, la directrice, monsieur, le général, à mamelles et à couilles, directeurs, préfètes, préfets
si
vous et celles et ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions bien réelles, si
vous et celles et ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions réalisées par les forces dites de l’ordre, les forces : de votre ordre
si
vous n’étiez pas engagés dans cette folle et triste entreprise de tentative de captation du temps de nos vies, il
est à mes yeux à peu près certain que les casseurs et casseuses ne prendraient même pas la peine de casser distributeurs de billets et vitrines de banque et caméras de vidéo-surveillance, et que dès lors
il vous faudrait les nommer et les considérer pour ce qu’elles et ils sont réellement
à savoir
des bâtisseurs
et des bâtisseuses
bâtisseurs et bâtisseuses d’un monde
où, le temps – de nos vies – ne serait pas sans cesse pris dans la nécessité de combattre à cette entreprise, folle, et triste, de tentative de captation
bâtisseurs
et bâtisseuses
d’un monde qui certainement n’est pas votre monde à vous, madame la ministre, votre monde à vous, monsieur le ministre, votre monde à vous, mesdames les gouverneurs, votre monde à vous, messieurs les gouvernantes, votre monde à vous, madame la présidente, votre monde à vous, monsieur le président, votre monde à vous, madame la directrice, votre monde à vous, monsieur le général, votre monde à vous, générales, à mamelles, générales, à couilles, votre monde, à vous, directeurs, votre monde, à vous, préfetes, votre monde à vous, préfets, votre monde, à vous et à celles et à ceux qui exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions réalisées par les forces dites de l’ordre, les forces, oui, de votre ordre
votre monde, à vous, qui est aussi notre monde à tous, et toutes
6 — et je me dis que si bâtisseurs et batisseuses se font casseurs et casseuses et cassent – quelques banques, par exemple – probablement ce n’est pas avec l’envie de construire sur les ruines de ces banques
mais, si bâtisseurs et batisseuses se font casseurs et casseuses et cassent quelques banques, c’est qu’à cet endroit – et cela, dans la puissance du dispositif induit par votre folle et triste entreprise, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs, messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, monsieur le général, générales à mamelles ou générales à couilles, directeurs, préfètes, préfets
c’est qu’à l’endroit de toute banque
de
votre folle et triste enreprise
bâtisseurs et bâtisseuses se font casseurs et casseuses et cassent, car il n’y a rien d’autre à faire
rien d’aute à faire que de casser pour dire : ici, il n’y a rien à faire
nous ferons ailleurs, et autrement
nous faisons déjà ailleurs et autrement
7 — je me suis fait ces quelques réflexions avant-hier, en cassant ce mur en parpaing, dont je vous parlais, pour commencer
je ne cassais pas ce mur tout seul, je le cassais avec un copain soudanais
je me faisais ce type de réflexions et je me disais, aussi, quant à moi, je ne suis casseur pour l’heure que d’un mur en parpaing, à l’intérieur de ce garage, dans ce jardin, derrière cette maison dont nous sommes les improbables propriétaires, mon aimée, et moi
et cassant ce mur en parpaing avec ce copain soudanais actuellement dans l’attente d’une réponse de l’ofpra – office français de protection des réfugiés et apatrides – suite à l’entretien qu’il a passé dans le cadre de la procédure de sa demande d’asile, en france
cassant ce mur en parpaing je me suis dit c’est bon, ici
ici, c’est bon, nous cassons
et nous ne sommes empêchés par personne, ici
pour casser, ici, c’est bon
et constatant la lente mais certaine avancée de ce travail, je me suis dit mais oui mais bien sûr
oui, c’est ça
ici, on a le temps
ici, on va pouvoir casser ce mur, puis cet autre, puis nettoyer les murs qu’on aura pas cassés – parce qu’on ne casse pas tout, n’est-ce pas, on choisit ce que l’on casse, dans la perspective de construire autre chose, on choisit ce que l’on casse
ici, on va faire venir de l’eau, ici on va installer un coin douche, un évier, on va peindre les murs qu’on aura pas casser, on va nettoyer le sol, isoler, le toit, les murs, amener un petit frigo, une ou deux plaques électriques, et transformer ce garage un peu sombre en joli petit studio, pour un ou deux trois copains soudanais, qui sont menacés, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs et messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice à couilles, monsieur le général à mamelles, générales, directeurs, préfètes, préfets
on va transformer ce garage un peu sombre en joli petit studio, avec vue sur jardin, pour ce copain, soudais, et quelques autres copains, menacés, ainsi que d’autres personnes, venant d’autres pays
tous menacés par vous, madame la ministre, tous menacés par vous, monsieur le ministre, tous menacés par vous, mesdames les gouverneurs, tous menacés par vous, messieurs les gouvernantes, tous menacés par vous, madame la présidente, tous menacés par vous, monsieur le président, tous menacés par vous, madame la directrice, tous menacés par vous, monsieur le général, tous menacés par vous, générales à mamelles, générales à couilles, tous, menacés par vous, directeurs, préfètes, préfets,
tous menacés par vous et par celles et ceux qui, disons, exécutent vos ordres et les exécutent sous la modalité d’actions réalisées par les forces dites de l’ordre, les forces, disons, de votre ordre
tous menacés par vous – quand bien même je sais si peu qui vous êtes
la seule chose que je sais c’est que les copains soudanais et d’autres personnes venant d’autres pays sont menacés d’être expulsés du squat de doulon, à Nantes
et, vous – quand bien même je sais si peu qui vous êtes – vous, madame la ministre, vous, monsieur le ministre, vous, mesdames les gouverneurs, vous, messieurs les gouvernantes, vous, madame la présidente, vous, monsieur le président, vous, madame la directrice, vous, monsieur le général, vous, générales à mamelles ou à couilles, vous, directeurs, vous, préfets, vous, préfètes
vous, puisque vous n’avez pas fait le travail – car : oui, c’est d’un travail dont il s’agit, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les gouverneurs, messieurs les gouvernantes, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, monsieur le général, générales à mamelles ou à couilles, directeurs, préfets, préfètes
puisque vous n’avez pas fait le travail d’accueillir dignement ces personnes, nous, on le fait
on le fait, me dis-je, parce que notre entreprise
n’est pas une folle et triste entreprise
de tentative
de captation
du temps des vies, mais, au contraire
elle est peut-être
folle et joyeuse
entreprise
de tentative
de quoi ?
d’ouverture de temps ?
d’ouverture de temps
et de lieux
pour nos vies
8 — si la tentative de captation du temps – de nos vies – est quelque chose de l’ordre d’une tentative de la destruction du désir
la tentative d’ouverture de temps et de lieux – pour nos vies
est quelque chose
de l’ordre de – sans ordre arrêté – la production du désir
9 — par ailleurs le désir est notre affect primordial
par ailleurs le désir est tout simplement impossible à détruire
par ailleurs il prend tout type de formes
en fonction des situations que nous vivons et de la manière dont nous sommes capables de les vivre
il prend tout type de formes
et
quand nous cassons le mur avec le copain soudanais dans la perspective de pouvoir faire de ce garage un peu sombre un studio accueillant
nous donnons cette forme, à ce moment-là, à quelque chose du désir
et quand deux jours plus tard cinq policiers de la bac – brigade anti-crimanilité – embarque un adolescent qui ne s’enfuit pas à leur approche, un adolescent, avec écharpe du f.c nantes autour du cou, et quelques attributs vestimentaires qui le désigne comme un jeune gars d’un quartier – malakoff ? bellevue ? dervaillière ?
quand cinq policiers de la bac – brigade anti-crimanilité – embarque un adolescent qui ne s’enfuit pas à leur approche
ce moment-là, aussi, parmi tant d’autres, participe à la forme du désir
10 — disons que le désir est une affaire collective dont les formes varient
est-ce un travail ?
oui, madame la ministre, oui, monsieur le ministre, oui, mesdames les gouverneurs, messieurs les gouvernantes, oui, madame la présidente, monsieur le président, madame la directrice, oui, monsieur le général, générales, à mamelles, générales, à couilles, oui, directeurs, préfètes, préfets, oui
c’est quelque chose comme un travail
qui
ne peut être détruit
d’où les violences
pour sa défense
quand il est attaqué