Petite cartographie des polices parisiennes

De la doctrine de maintien et de rétablissement de l’ordre, et des unités qui y sont employées.

paru dans lundimatin#377, le 4 avril 2023

Voilà le printemps ! dans les campagnes comme dans les villes et en sus des allergies au pollen, chacun a pu constater la prolifération de forces de l’ordre aux costumes divers et à l’hostilité variable. De nombreux observateurs en déduisent que le pouvoir d’Emmanuel Macron n’aurait plus que la maréchaussée pour se faire respecter et repousser par la violence toute idée d’une prise de son palais. Si nous sommes temporairement amenés à croiser de plus en plus régulièrement ces fonctionnaires dont le comportements ne s’avère pas toujours des plus appropriés, nous avons pu constater une méconnaissance diffuse et inquiétante quant à leur organisation, leur organigramme, leur fonction. Combien de fois avons-nous vu un voyou de la BAC accusé à tort d’appartenir à la Brav-M, un gendarme pris pour un CRS ? Cette confusion et ce brouillage semblent d’ailleurs s’étendre jusqu’à la Préfecture de police de Paris qui s’est avérée incapable de savoir pour qui travaillent les 5 militants fascistes cagoulés en intervention chez Cyril Hanouna. Trève de fake news et d’approximations : sigles, emblèmes, QG, équipement et anecdotes historiques croustillantes, l’un de nos reporters s’est plongé dans les méandres de cette institution qui maintient l’ordre... et l’institution. Voici une cartographie critique, précise, historique et imagée des différentes unités de maintien de l’ordre.

Unités policières

On cherchera ici à identifier et détailler la nature des unités et dispositifs déployés dans le cadre de cette spécialité française, devenue fierté nationale, qu’est le “maintien et rétablissement de l’ordre”. Sans rentrer dans des considérations trop techniques, il nous semble important de pouvoir distinguer les particularités des unités engagées depuis quelques mois sur l’ensemble du territoire national, avec une attention particulière portée sur Paris, dont le gouvernement craint qu’elle ne devienne le nouveau théâtre d’affrontements majeurs comme au temps des Gilets Jaunes. On précisera que les spécificités structurelles et matérielles peuvent varier d’une unité à l’autre (nombre de subdivision, équipement, etc.) mais que l’on retrouve, en général, une forme commune.

Les classiques d’abord : les Unités de Force Mobiles (UFM). Ce terme indiscriminé regroupe à la fois les Escadrons de Gendarmerie Mobile (EGM, communément désignés comme les “GM”) et les bonnes vieilles Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS). Les EGM sont donc des gendarmes, au statut militaire, reconnaissables à leurs casques bleu marine, sur lequel est collé la grenade enflammée de la Gendarmerie.

Ce sont ces EGM qui ont généreusement recouvert les champs poitevins de GM2L le 25 Mars dernier. Soit dit en passant, ces fameuses GM2L (Grenade Modulaire à 2 effets Lacrymogènes) remplacent les GLI-F4 (Grenade Lacrymogène Instantanée), dont l’utilisation avait été remise en cause après la mort de Rémi Fraisse sur la ZAD de Sivens en 2014 et les nombreuses mutilations pendant le mouvement des Gilets Jaunes. Christophe Castaner avait interdit leur utilisation en 2020, oubliant de préciser au passage que l’État est à cours de stock et que le fabriquant avait stoppé leur manufacture. Officiellement, les GM2L sont moins dangereuses et ne contiennent pas de charge explosive, contrairement aux GLI-F4 et à leur 26 grammes de TNT. Factuellement, elles ont une charge “pyrotechnique” qui conserve, en plus de l’effet lacrymogène, l’effet assourdissant (160 Décibels,merci les acouphènes) de leurs prédécesseurs. Si l’effet de souffle n’est en théorie plus présent, force est de constater que les cratères qu’elles laissent suite à leur détonation n’ont rien d’anodin. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles ne sont plus tirées qu’avec des lanceurs, et plus jamais directement à la main. Aussi braves soient-ils, nos gendarmes ne souhaitent pas prendre le risque de perdre une main. Contrairement à ce qu’affirmait récemment M. Darmanin à la télévision, elles sont bien classées comme arme de guerre (catégorie A2 - matériel de guerre).

Il est d’ailleurs intéressant de souligner que parmi la quarantaine de gendarmes “blessés” à Sainte Soline, la plupart se plaignent de “troubles auditifs”. On peut raisonnablement en déduire que se sont leurs propres armes qui leur ont abîmé les tympans.
Mais revenons à nos unités. Si les EGM ont un statut militaire, ils demeurent néanmoins sous la pleine autorité du Ministère de l’Intérieur, aux côté de leur contrepartie “civile” que sont les CRS, eux policiers. Ces derniers ont un équipement sensiblement similaire aux EGM (boucliers rectangulaires, etc), mais se distinguent par leurs casques noirs à bande jaune, et à leur insigne propre (le flambeau entouré de feuilles de chêne et de laurier). On ne s’attardera pas sur l’histoire de leur création ou celle de leur insigne, quelque peu réactionnaire, ni même sur leur devise, “Servir”, qui a le mérite de bien leur convenir. Un peu moins bien élevés mais mieux payés que les gendarmes, leurs missions sont assez similaires : CRS et EGM sont l’épine dorsale du maintien de l’ordre, conçus pour contenir et encaisser. Les EGM conservent cependant une certaine expertise militaire propre, leur permettant d’être déployables sur des terrains plus variés. Quant à la différence dans le nom d’unité, compagnie ou escadron, elle n’est due qu’à la tradition, mais leur structure est assez similaire : les compagnies (environ 110 policiers) sont généralement divisées en 5 sections (environ 20 policiers), et les escadrons (environs 110 gendarmes) en 5 pelotons (environ 20 gendarmes). Sections et pelotons sont eux-mêmes spécialisés (appui, intervention, commandement), et divisés en groupes (environ 10 policiers ou gendarmes). Pour davantage de clarté, nous vous invitons à consulter ce site.
On notera également la création, en 2021, de la “CRS-8”, une compagnie présentée comme “d’élite”, au temps de mobilisation réduit, spécialisée dans les émeutes urbaines, et souvent à l’équipement plus léger, et aux casques noirs (dépourvus des classiques bandes jaunes des CRS).

Si EGM et CRS, unités lourdes, ont la primauté historique du maintien de l’ordre, d’autres unités, plus légères (boucliers rectangulaires ou carrés), sont depuis quelques années systématiquement mobilisées à leur côtés. À Paris, les Brigades Anti-Criminalité (BAC) ne sont plus trop utilisées dans le maintien de l’ordre, leur mobilisation contre le mouvement des Gilets Jaunes ayant laissé le souvenir d’un manque de professionnalisme et d’un usage de la force demeuré jusqu’à la Préfecture de police. Ils sont néanmoins systématiquement mobilisés à Nantes, où ils ont pour habitude de faire usage de leurs lanceurs de balles de défense (LBD) avec la même ferveur que l’Amicale des Chasseurs de Pougne-Hérisson à une session de ball-trap. Depuis deux mois, à chaque manifestation, ce sont les deux sections de la BAC nantaise, soit 40 fonctionnaires, qui sont mobilisés. Mais disions-nous, à Paris, la Préfecture rechigne à mobiliser ses BAC qui, rappelons-le, ne sont absolument pas destinées au maintien de l’ordre. En revanche, elle déploie ses zélées Compagnies d’Intervention (CI). Ces CI sont propres à Paris, leurs homologues “provinciales” étant, plus ou moins, les Compagnies Départementales d’Intervention (CDI) ou Sections d’Interventions (SI) dans les villes plus petites. Les CI parisiennes sont au nombre de 8 : 6 de jour, 1 de nuit, et 1 motocycliste. Leur structure est assez semblable à celle des CRS (chaque compagnie comporte 110 policiers divisés en 5 sections, 2 groupes par section), de même que leur équipement. Ce qui les caractérise, c’est leur casque à bandes bleues (dit “bleu-roi”). Les CI sont réunies en groupes de deux à trois compagnies, dits Services d’Ordre Public (SOP). Quant à la CI motocycliste, officiellement la “24e CI”, on la connaît davantage sous son nom de scène la BRAV-M. Oui, ce sont eux. Si la BRAV-M était à l’origine une formation temporaire, faite du regroupement de plusieurs éléments (CI et Garde Républicaine à Paris, BAC , CDI, etc., en province) lors des Gilets Jaunes, et faisant suite aux DAR-M (Détachement d’Action Rapide à Moto), la BRAV-M parisienne a été “pérennisée” et constituée en unité à plein temps. BRAV-M pour Brigade de Répression des Actions Violentes - Motoportée, “motoportée” parce que l’unité n’est censée n’utiliser ses motos que pour se déplacer, et non pour intervenir directement contre les manifestants. Néanmoins, le “M” devient souvent "motorisée", ou "motocycliste". Si leurs motos les caractérisent, les policiers de la BRAV-M sont aussi distincts de par leurs casques de motos, le plus souvent blancs et parfois noirs, et leur équipement léger. Assez consensuellement méprisée de tous, sauf de ses employeurs, la BRAV-M a son siège au 7 Avenue de la Porte de la Villette (un de nos précédents articles annonçait que son siège se situait sur l’île de la Cité, une confusion due à la présence d’une autre station policière sur laquelle nous reviendrons plus tard).

Au 7 Avenue de la Porte de la Villette donc, la BRAV-M partage les lieux avec les 21e et 22e CI, ainsi qu’avec le Garage Nord de la Préfecture de Police de Paris (116 Boulevard Macdonald), où sont stockés de nombreux véhicules, notamment ceux des CRS et parfois les canons à eaux.

La présence de la BRAV-M à cet endroit n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes de voisinage, comme en témoignent ces avis Google.

Outre la BRAV-M, formation à temps plein, les CI peuvent également adopter une formation momentanée pour des missions spécifiques, la BRAV-L (L pour Légère), plus agressive.

Il convient maintenant de rectifier deux informations erronées qui ont circulé ces derniers jours.

D’abord, non la BRAV-M n’a pas été déployée à Sainte-Soline. Les policiers ont horreur de la boue, ils préfèrent la laisser aux gendarmes. En revanche, une unité motocycliste, en l’occurrence en quad, était bien présente. Il s’agit du Peloton Motorisé d’Intervention et d’Interpellation (PM2I), aux casques de motos blancs. Ce PM2I appartient effectivement à la Garde Républicaine (GR), qui rappelons le, fait partie intégrante de la Gendarmerie nationale. La GR n’a pas seulement la charge de la protection des palais nationaux : au même titre que la Gendarmerie mobile, elle fournit des unités chargées du maintien de l’ordre. Ces unités sont parfois à cheval, aux côtés de la police montée, souvent lors d’événements sportifs mais pas seulement. Elles sont également à pieds ou à moto, dont l’une d’entre elles, la PM2I, a été créée à la suite de la BRAV-M en 2019, et qui lorsqu’elle n’intervient pas en quad dans les champs contre des militants écologistes, est susceptible d’intervenir en moto dans les rues parisiennes, intégrée au dispositif de maintien de l’ordre d’un Groupement Tactique Gendarmerie (GTG, grosso modo la réunion de plusieurs Escadrons de Gendarmerie Mobile. Plusieurs GTG peuvent être eux-mêmes réunis en vue de former un Groupement Opérationnel de Maintien de l’Ordre (GOMO), comme ce fut le cas à Sainte Soline avec les 3200 gendarmes réunis.

Aussi, les policiers à moto ayant leur garage au 18-20 Rue Chanoinesse sur l’Île de la Cité ne sont pas de la BRAV-M. Parmi les différentes directions “actives” (comprendre “opérationnelles”) de la Préfecture de Police de Paris, on trouve la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC). La DOPC est elle-même subdivisée en sous-direction, dont notamment la Sous-Direction de l’Ordre Public de l’Agglomération Parisienne (qui gère les CI et BRAV-M) et la Sous-Direction Régionale de la Circulation et de la Sécurité Routières, cette dernière gérant des compagnies motocyclistes dont la première mission n’est pas la maintien de l’ordre. Le garage sur l’Île de la Cité, s’il sert très probablement également parfois de garage et de point-relais à la BRAV-M, n’est cependant pas leur QG. Cela ne rend pas le lieux moins intéressant, s’il on en croit les petites anecdotes historiques que nous partage la Préfecture :

Pour continuer notre panorama des unités policières que l’on peut avoir le plaisir de croiser en manifestation, mentionnons donc les Compagnies de Sécurisation et d’Intervention (CSI). En dehors de l’agglomération parisienne, les CSI ont tendance à se confondre avec les Compagnies Départementales d’Intervention (CDI), et Sections d’Intervention (SI) pour les petites villes, tandis qu’à Paris elles se rapprochent des Compagnies d’Intervention (CI). Si en apparence, les CSI sont assez similaires aux autres unités tout juste mentionnées, elles seront généralement plus légères, et auront des casques entièrement noirs, au lieu des casques noirs à bandes bleues de leurs congénères CDI/SI/CI. Néanmoins, il est possible que les CSI portent parfois elles-mêmes des casques noirs à bandes bleus, et qu’à l’inverse les CDI/SI/CI portent parfois des casques entièrement noirs. Pour y voir plus clair, rendez-vous ici.

Ce qui distinguera donc les CSI sera leur emploi général, tourné davantage contre la délinquance, quand les CDI/SI/CI sont plus souvent réduites au maintien de l’ordre (une fois encore, ce n’est pas exclusivement le cas, et le policier, étonnement, est bien plus multi-tâches qu’on ne pourrait le penser). Cette différence d’utilisation s’illustre bien dans le cas parisien, les CSI dépendant, comme les BAC, de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) et non de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC) comme les CI. On mentionnera également la Brigade d’Intervention (BI), elle aussi subordonnée à la DOPC, et dont le travail consiste principalement à crapahuter sur les toits parisiens, en couverture des manifestations et rassemblements. On pourrait encore continuer pendant des pages sur les centaines d’acronymes policiers désignant des structures et subdivisions d’unités, mais retenir au moins celles susmentionnées permet d’identifier l’ensemble des unités de “contact” en manifestation. Pour brièvement récapituler :

Maintenant, pour celles et ceux qui, d’un geste las et résigné, n’ont pas encore fermé leur onglet et tiennent à saisir rapidement les autres services qui participent aux répressions des manifestations, voici quelques explications supplémentaires.

Dans le cas de la Préfecture de Police de Paris, on trouve trois autres directions actives, aux côtés de la DSPAP et DOPC susmentionnées. La Direction Régionale de la Police Judiciaire (DRPJ) sur laquelle on ne s’attardera pas, la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police (DRPP), que l’on salue, et qui est l’équivalent parisien du Service central du renseignement territorial (SCRT), collaborant avec la Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) des gendarmes. Enfin, on trouve également la Direction de l’Innovation, de la Logistique et des Technologies (DILT) qui déploie les camions/canons à eaux (dits ELE pour Engin Lanceur d’Eau), drones et autres “moyens aériens” ainsi que les barrières anti-émeutes et autres moyens lourds. La DILT se rapproche en cela du Groupement Blindé de la Gendarmerie Mobile, GBGM, qui déploie également des moyens et véhicules anti-émeutes, dont ses blindés aperçus à Sainte-Soline et équipés de lance-grenades. On notera au passage toute la subtilité de la devise du GBGM : “Parfois brutal, toujours loyal”.

Pour conclure ce tour d’horizon des unités mobilisées dans les manifestations, il convient de rappeler que la multiplication des capteurs optiques (moyens vidéos) ne joue pas en faveur des manifestants. Les CRS utilisent efficacement SARISE (Système Autonome de Retransmission d’Images pour la Sécurisation d’Événements) et les EGM utilisent CNOEIL (Cellule Nationale d’Observation et d’Exploitation de l’Imagerie Légale). Le développement de ces systèmes n’est possible qu’avec la participation active de plusieurs entreprises privées, parmi lesquelles Thalès et Idemia en tête, mais également CS, ECA Group, Bertin Technologies, et dans le cas des armes “sub-létales”, Verney-Carron et Nobel Sport. Le déploiement de ces systèmes, lui, n’est pas tant limité par le droit que par leur coût. Les prochains Jeux Olympiques de Paris ont récemment permis le franchissement d’une nouvelle étape, banalisant l’utilisation de technologies de type motion capture et reconnaissance faciale, et ce dans une relative indifférence. S’il demeure possible d’accéder légalement à des données publiques) et que des initiatives permettent de se prémunir, en partie du regard policier, il apparaît primordial de saisir la nature des différentes unités, leur doctrine d’emploi, leurs manœuvres et leurs équipements afin de mieux les connaître.

Pour en savoir plus sur le maintien de l’ordre :

https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2021-12/schema-national-du-maintien-de-l-ordre-decembre-2021.pdf

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :