Choose ZAD

De « Choose France », drague macronienne pour investisseurs étrangers, à la ZAD du Carnet, il y a cet article.

paru dans lundimatin#270, le 11 janvier 2021

Il y a tout pile un an, le Président Macron conviait à Versailles 200 chefs d’entreprises pour valoriser « l’attractivité » de la start-up nation. Cet article revient sur ce sommet, son blabla et ses enjeux, et fait le lien avec l’actuelle ZAD du Carnet, en Loire-Atlantique.

« Je choisis la France, car c’est un endroit propice aux affaires […]. Nous sommes très heureux de voir l’énergie déployée par le gouvernement et ses ministres pour accueillir les entreprises internationales. Cela me permet d’annoncer en toute confiance mille millions d’euros d’investissements en France. Nous espérons que cette collaboration perdurera de nombreuses années. Coca Cola choisit la France ! »

Parmi les 200 chefs d’entreprises présents lors de la 3e édition de Choose France, événement organisé par le gouvernement et se jouant à huis clos en janvier 2020 au château de Versailles pour valoriser « l’attractivité » – on reviendra sur ce terme – de la France, c’est cette déclaration de James Quincey, P.-D.G. de Coca-Cola, qui résume le mieux le sentiment de peur qui anime nos décideurs politiques depuis des années. Et je ne parle pas d’une peur passagère, mais plutôt de celle qui vous obsède le jour et vous réveille en sursaut la nuit. Je parle de la menace d’un… déclassement productif du pays !

Avant d’arriver à notre destination finale, à savoir la lutte qui se joue actuellement sur la zone du Carnet – une zone sauvage de 395 hectares d’une beauté sans égale – située en bord de Loire, nous allons devoir faire quelques arrêts, voire quelques détours, pour comprendre les mécanismes antidémocratiques et autoritaires dont l’État use pour livrer « clés en main » nos territoires aux entreprises privées.

Je vais prendre des départementales, donc mettez-vous à l’aise, je laisse ma fenêtre entrouverte pour ceux qui veulent s’en griller une. Pas trop serrés à l’arrière ? J’avance un peu mon siège. En route !

Le départ

Un peu de contexte : d’autres pays (appelés « concurrents de la France ») ont lancé il y a quelques années un programme de renforcement de leurs industries [1] ainsi que des chantiers pour exploiter les marchés émergents (transition écologique et secteur technologique en tête de gondole). La Chine a son programme « Made in China 2025 », l’Allemagne son « New High Tech Strategy », la Corée du Sud son « Comité pour la 4e révolution industrielle ». Nous, ce sera le « Pacte Productif [2] ». Ça en jette, je sais.

Et la France peut s’appuyer sur quatre secteurs : l’aéronautique et le spatial (2e producteur mondial avant l’arrivée du COVID), l’automobile (qui compte 200 000 emplois), l’industrie pharmaceutique (toujours en excédent commercial) et le luxe (parmi les 100 premières marques mondiales de luxe, 24 sont françaises).

Ajoutez à cela la « qualité de nos infrastructures », notre position de « 2e au classement du G20 pour [notre] qualité et [notre] quantité » – comprendre un réseau routier et ferroviaire très dense ainsi qu’un potentiel d’exploitation des grands ports maritimes… (coucou Saint-Nazaire !).

Ce genre d’informations macroéconomiques permet probablement à nos diplomates de se la raconter dans les salons feutrés, mais elles sont insuffisantes pour définir avec certitude les bases d’une relance économique de la 7e puissance mondiale. Il va donc falloir produire des graphiques, des tendances, des courbes, des chiffres. Beaucoup de chiffres. Et qui de mieux que le ministre de l’Économie et des Finances associé au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour mener à bien cette mission ? Enfin, pour mandater leurs petits copains du privé pour le faire à leur place, devrais-je dire.

Car c’est le cabinet Roland et Berger qui définira les « secteurs clés » de la France, et les lauréats sont : le numérique, l’énergie, l’industrie, l’agriculture, l’agroalimentaire et l’innovation. Sûr, fallait payer une prestation à un cabinet spécialisé pour les trouver !

Pour inciter les citoyens à se tourner vers ces secteurs, l’État va ensuite confier à un autre cabinet (McKinsey) une mission d’identification des compétences recherchées afin « d’adapter les formations initiales au lycée et dans l’enseignement supérieur pour former aux métiers de 2025 », mais aussi de « créer [des] formations continues pour accompagner les emplois qui auront été transformés ou détruits par la robotisation et la numérisation de notre système productif ».

Ne manque plus qu’un comité de pilotage. Il sera présidé par Bruno Lemaire et composé des différents ministres en charge des secteurs cités ci-dessus, qui se chargeront de lancer une consultation auprès des acteurs suivants : France Stratégie, le Conseil national du numérique, les chambres consulaires, les acteurs et réseaux de l’innovation et de la formation, les organisations syndicales et les fédérations professionnelles. Petite sélection non exhaustive : MEDEF, Bpifrance, Business France, FNSEA, Michelin, Orange, FO et autres collectivités départementales.

Et la population dans tout ça ? Les gens comme vous et moi, va falloir un minimum les convaincre. Or, en cette période de défiance vis-à-vis des gouvernants, ça n’est pas avec le pauvre argument de l’augmentation du PIB qu’on va rameuter les foules. Trop abstrait, trop chiant. Non, ce qu’il nous faut, c’est un cap, une direction et, pourquoi pas ?, un rêve à atteindre.

Je dois reconnaître qu’ils ont fait fort sur ce coup-là… Prêts ?

« Le Pacte Productif vise à construire un nouveau modèle français respectueux de l’environnement pour atteindre le plein emploi. »

PAW ! T’as bien lu mon cochon : tout le monde au turbin et en prime on sauve les ours polaires. Imparable.

Il est intéressant de noter que nos « concurrents » utilisent quasiment la même rhétorique : la Corée, pour ne prendre que cet exemple, va d’abord invoquer la peur de voir son retard se creuser sur l’Europe dans le secteur de l’IA ou des « usines intelligentes », pour ensuite promettre de verser des torrents de pognon (430 000 milliards de wons, soit 330 milliards d’euros) sur ses citoyens. Sans oublier le petit chantage à l’emploi à destination des détracteurs, avec l’annonce de la création de 800 000 d’entre eux [3].

La présentation grossière du Pacte Productif, c’est fait.
Pour consulter en détail ce document, c’est par ici : https://www.economie.gouv.fr/pacte-productif

Mais je vous préviens, lire ce genre de document revient peu ou prou à manger un grec avarié tout en essayant de le digérer dans un grand huit. Et si vous pensez que j’exagère, je tiens pour preuve des phrases du type : « Lorsque le secteur aéronautique ou automobile produit un euro de valeur ajoutée, il entraîne plus de quatre euros de création de valeur générés par la production de services et de biens utilisés par le secteur pour produire ses véhicules. » Ou encore : « À intensité sectorielle inchangée, si notre industrie avait le même poids et la même structure que l’Allemagne, notre dépense de R&D serait plus élevée de 1,33 point de PIB, soit 30 Md€. »

Cette lecture déshumanisée du monde prend racine dans le secteur privé. Pour convaincre un industriel d’injecter ses capitaux dans ton pays, il faut parler son langage et répondre à ses désirs, il faut réorganiser le pays comme une entreprise, c’est-à-dire sécuriser les secteurs porteurs et délaisser les moins performants ; mais aussi analyser, rationaliser, segmenter, puis découper les territoires pour ensuite les servir sur un plateau aux plus offrants. Et là, on tient l’objectif (à peine voilé) du gouvernement.

Je te propose d’analyser leur méthode, calquée sur celle du privé, en se mettant à leur place, comme dans un jeu de rôles. Prends le jeu de cartes qui traîne dans la boîte à gants, tu seras gentil.

Le jeu du capital

Quand un industriel souhaite ouvrir son capital auprès d’investisseurs étrangers ou tout simplement revendre son affaire, il commence par réaliser un audit comptable de ses activités, ensuite il va créer la matrice suivante : forces/faiblesses/opportunités/menaces pour agir en fonction des résultats obtenus. Puis il sélectionne certains de ses « clients vitrines » sur lesquels ses commerciaux s’appuieront pour en attirer de nouveaux. Il complète enfin ces démarches en occupant l’espace médiatique, en se payant un passage TV sur BFM business ou en organisant des événements à sa propre gloire.

En ce qui concerne la France, la matrice donnerait :
– Forces : certaines de ses industries et sa main-d’œuvre qualifiée.
– Faiblesses : sa compétitivité sur le plan international en baisse.
– Opportunités : son instabilité économique politique et sociale (propice à faire passer des lois et des programmes économiques ambitieux).
– Menaces : un déclassement productif.

Je fais un rapide crochet pour revenir sur la notion d’attractivité des territoires.

Elle se définit comme une unité de mesure qui prend en compte les infrastructures (permettant la circulation des marchandises et des personnes), la fiscalité (qui doit être la moins contraignante possible), les compétences (avec, dans l’idéal, un bassin d’ingénieurs spécialisés en IA), les contraintes juridiques (une capacité à démolir le code du travail ou à accorder aux préfets le droit de déroger au code de l’environnement comme bon leur semble) et la stabilité politique (si t’as des gilets jaunes qui déglinguent tout sur leur passage chaque samedi, tu perds des points ; en revanche, si t’arrives à écraser un mouvement social quitte à arracher des mains, crever des yeux et jeter des gens par paquets de dix en prison, là, tu en marques. Facile.). Le climat, le nombre de grandes écoles et leur prestige, la proximité de ressources naturelles en grande quantité viennent compléter le tableau.

Tout semble en place. Il ne manque plus qu’une petite sauterie pour faire savoir au monde entier que la France est à vendre.

Un gros banquet à huis clos sur une journée, au cœur du château de Versailles pour en foutre plein les mirettes à ceux que ça impressionne, et le tour est joué. L’événement Choose France est né [4].

Et quand on regarde la liste des invités, on se dit que si l’événement s’appelait « Comment exterminer le vivant en dix ans », ça marcherait aussi. Florilège desdits invités et de leurs annonces pour cette édition 2020 :
– Coca Cola et son milliard d’investissements promis.
– Toyota, qui souhaite injecter 400 M€ sur le site de Valenciennes [5].
– Facebook, qui mise 10 millions d’investissements sur l’IA.
– L’armateur italo-suisse MSC, qui va construire des nouveaux paquebots pour un investissement total de 2 milliards.
– Ericsonn, qui promet la construction d’un centre de R&D sur la 5G.
– Pure Salmon qui va construire un site d’élevage de saumons.
– Mais aussi Ikea, AstraZeneca (entreprise pharmaceutique), Google, J.P. Morgan (banque), Netflix, General Electric, ArcelorMittal, Bosch, Alibaba, SAP, Rolls Royce, Nokia, Samsung, etc.

Au total, 4 milliards d’investissements ont été promis par l’ensemble des participants [6].

Si ces chiffres vous paraissent démesurés, notez que ces entreprises ont toutes intérêt à les crier haut et fort. Ce ne sont que des annonces, et contrairement à un contrat, ça ne les engage en rien.

De plus, le gouvernement a annoncé en septembre dernier un plan de relance économique (nommé « France Relance ») d’un montant de 100 milliards d’euros pour « répondre à la crise sanitaire », qui a pour but de « compléter les mesures économiques d’urgence et les plans de soutien sectoriels » ; on mettra donc massivement nos impôts à contribution pour rassurer ce beau monde. À quatre pattes ou à plat ventre, on ne sait plus trop dans quelle position se trouve le gouvernement face aux industriels.

C’est à présent au tour des commerciaux de rentrer dans la danse. Ils vont aller chercher des contrats avec les dents et essayer de mordre dans de belles commissions. Le groupe Business France servira de liant entre les institutions et les investisseurs étrangers pour promouvoir l’attractivité des territoires. Issu d’une fusion en 2015 entre Ubifrance et l’AFII (Agence française pour les investissements internationaux), ce groupe de 1 500 collaborateurs répartis dans 70 pays se définit comme « l’agence nationale au service de l’internationalisation de l’économie française ». Son produit phare est une liste de sites (industriels) promis « clés en main » issus des consultations évoquées précédemment. Soixante-dix-huit sites ont été recensés, dont 12 font plus de 50 hectares. Voici la liste des heureux gagnants :

– Axioparc, Drusenheim et Herrlisheim (Bas-Rhin/Grand Est)
– MOSL Parc, Mégazone d’Illange-Bertrange (Moselle/Grand Est)
– Europôle de Sarreguemines, Hambach (Moselle/Grand Est)
– Grand Port Maritime de Dunkerque, zone Grande Industrie (Nord, Hauts-de-France)
– Pôle d’Activités de Haute-Picardie (Nord/Hauts-de-France)
– Parc d’activités de La Boitardière, Amboise (Indre-et-Loire/Centre-Val de Loire)
– Pôle d’Innovation des Couronnes [7], Petit-Couronne (Seine-Maritime/Normandie)
– Grand Port maritime de Marseille, PIICTO (Bouches-du-Rhône/Provence-Alpes-Côte d’Azur)
– Induslacq & Chem’pôle 64 Chemical Parks (Pyrénées-Atlantique/Nouvelle-Aquitaine)
– Le Carnet, Frossay (Loire-Atlantique/Pays de la Loire)
– Parc Industriel de la Plaine de l’Ain, Saint-Vulbas (Ain/Auvergne-Rhône-Alpes)
– Pôle d’excellence industrielle Rennes-La Janais (Ille-et-Vilaine/Bretagne)

Comme tout bon commercial, Business France dispose d’une proposition claire, intégrant son catalogue produit (ci-dessous, au hasard, la fiche produit du Carnet [8]), et surtout, d’une adresse mail, de préférence très engageante : ready-to-use-sites@businessfrance.fr, ça ne s’invente pas... La chasse est ouverte !

Si le déploiement de tels moyens peut impressionner, il reste néanmoins insuffisant. Car derrière leur fiche produit – qui n’a rien à envier à celle d’un aspirateur – se cache une volonté d’accélérer les processus de mise à disposition des parcelles de territoires. Le député LREM Guillaume Kasbarian, dans son rapport remis en septembre 2019 au Conseil national de l’industrie, déclarait : « Ouvrir une usine ressemble parfois aux douze travaux d’Astérix selon les industriels, avec des lenteurs inexplicables et des délais de réponses qui engendrent eux-mêmes leurs délais de réponses [9]. »

Eh oui, obtenir un permis de construire, faire des études d’impacts écologiques, puis avoir les autorisations environnementales adéquates, viabiliser le site, subir d’éventuels recours juridiques d’associations, ou faire face aux riverains mécontents, à une presse curieuse, tout ça, l’investisseur, ça l’emmerde. Il préfère encore aller s’installer en Chine.

Alors je vous laisse imaginer la gueule d’un industriel ayant signé tous les papiers pour dézinguer un terrain comme bon lui semble, quand une ZAD débarque sans lui demander son reste !

On a déjà bien roulé, il est temps de faire une pause. En attendant, je vous invite à inspecter la liste des sites « clés en main » détaillés dans la carte ci-après [10] ; cela vous permettra de vérifier s’il en existe un près de chez vous pour éventuellement questionner votre élu local sur le type d’industrie pressentie (et, si ce n’est pas le cas, de vous tenir au courant).

Le site du Carnet

Si vous avez attentivement regardé la carte, vous distinguerez sur la partie ouest, au niveau de Nantes, un petit point rouge. C’est le site « clés en main » du Carnet, un projet « de développement du Grand Port Maritime (GPM) de Nantes-Saint-Nazaire ». L’histoire qui s’y déroule vaut le détour. Mets ta ceinture, ça risque de secouer.

Tout se passait comme sur des roulettes pour notre gouvernement et ses amis investisseurs en cette fin de mois d’août 2020, les travaux allaient gentiment commencer quand, d’un coup, sans crier gare, d’irréductibles défenseurs du vivant ont déboulé pour dire non à la bétonisation en entrant en résistance et en investissant le lieu de l’écocide programmé, créant barricades et tranchées pour défendre la zone, mais aussi des lieux de vie pour accueillir celles et ceux qui souhaitaient passer du temps sur site. Le tout en se payant le luxe d’expérimenter une autre façon de vivre.

Et quand je vous parle d’écocide, ce n’est pas une figure de style : 395 hectares dont 51 de zone humide (pour te donner une idée, un terrain de foot c’est 0,7 hectare), où vivent 116 espèces animales et végétales protégées dont certaines menacées d’extinction. Cette zone est aussi l’un des plus grands corridors d’Europe, permettant aux oiseaux migrateurs de rejoindre les pays du Sud l’hiver. Sans parler du rôle vital que joue la zone humide dans la biodiversité locale (restauration de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, régulation des crues).

Et tu verrais comme c’est beau. Un mélange de roseaux, d’herbes hautes, mares saumâtres, de prés salés et de roselières, sans aucune pollution sonore ni lumineuse ou presque, le tout longé par l’estuaire de la Loire. Une fois sur place, tu te jetterais sans hésiter le couteau entre les dents sur le premier bulldozer qui oserait toucher un cheveu du lieu.

Allez, assez rêvassé, concentre-toi, la suite se corse un peu.

Je n’apprendrai rien à personne en vous disant que le camp qui soutient le développement du GPM est puissant et nombreux. Il compte parmi ses rangs le préfet de la région, le gestionnaire de Nantes-Saint-Nazaire Port (établissement public possédant la maîtrise foncière de nombreux terrains le long de l’estuaire et composé de la Région des Pays de la Loire, le Département 44, l’Agglo de Saint-Nazaire et de Nantes Métropole, des multinationales telles que YARA, ENGIE, TOTAL, CARGILL). Sans oublier certaines associations de protection de l’environnement qui sont aussi de la partie. Et elles ont de très bonnes cartes en main.

Encore un jeu, vous allez me dire ! Oui, mais à une différence près : il nous est imposé et les règles sont truquées. Elles étaient pourtant claires, ces règles, on les retrouve même dans le code de l’environnement (article L411-1) où elles prévoient un système de protection stricte des espèces de faune et de flore sauvages.

Quant au préfet, lui, il a tous les jokers (appelés aussi décrets et qui lui permettent sur décision unilatérale de déroger à toutes les règles environnementales et de santé publique qui pourraient être considérées comme d’intérêt public). https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041789766/

Les associations, elles, sont plus sournoises encore. Elles vont te faire croire qu’elles sont dans ton équipe, mais qu’elles n’ont que des cartes pourries. Alors qu’elles disposent en vérité de tous les as et rois du jeu et veulent t’éliminer au plus vite. On les compte au nombre de trois (BRETAGNE VIVANTE, FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, LPO Loire-Atlantique) et, d’après le collectif Stop Carnet, elles auraient récemment effectué une jolie volte-face. Réticentes au départ, elles ont fini par accepter d’accompagner le projet industriel en négociant des « mesures de compensation » et de « préservation/restauration » sur les 285 ha restants du Carnet.

Pour appréhender leur logique, il me faut rappeler la règle de la séquence ERC (éviter, réduire, compenser). Prenons un cas pratique, comme l’implantation d’une éolienne (puisqu’il en existe un prototype sur l’île du Carnet). Un promoteur, avide de gros pognon, veut implanter un parc éolien dans un endroit où il y a du vent. Il va alors faire appel à un bureau d’études (idéalement avec qui il déjeune souvent) pour effectuer une étude d’impact (spoil : il y en a toujours) et récolter suffisamment de données pour mesurer l’impact sur l’avifaune, les chauves-souris, les riverains, le patrimoine culturel, etc. Vu que l’implantation d’une éolienne n’est jamais neutre pour le vivant, le promoteur et son bureau d’études devront, en théorie, appliquer la fameuse séquence ERC, à savoir : est-ce que je peux éviter les impacts ? Si non, puis-je les réduire, et si oui, comment ? Et dans le cas où rien de tout ça n’est possible, comment compenser ?

Je continue à me demander comment on compense la mort d’une espèce menacée d’extinction, mais ça c’est un autre sujet.

Le collectif Stop Carnet a écrit fin août 2020 une lettre ouverte aux trois associations, et leurs questions ont le mérite d’être claires :
– Pourquoi soutenez-vous le projet destructeur du GPM ?
– Pourquoi trahir à ce point votre mission de protection de la biodiversité ?
– Que pensent les adhérents qui vous font confiance de ces liens étroits que vous entretenez avec le GPM ?
– Quel est votre positionnement sur l’étude d’impact du projet commandé par le GPM13 indiquant que les mesures de compensation ne suffiront pas à compenser la perte des habitats de nombreuses espèces protégées du site ?
– Pourquoi déclarer, vous les défenseurs de la nature, que la destruction du site du Carnet est un « épiphénomène » ?

Je vous invite à aller sur le site de Stop Carnet pour voir combien leurs questions sont construites autour d’une argumentation étayée :
https://stopcarnet.fr/le-projet-du-grand-port/la-loire-en-danger-le-carnet-un-site-naturel-a-proteger/lettre-ouverte-aux-assos-environnementales-accompagnant-le-carnage-prevu-au-carnet/

Face à une attaque aussi directe, on se dit que la réponse des associations va être foudroyante !

Eh bien, vous allez être sacrément déçus. La faiblesse de leurs contre-arguments destinés à maintenir le projet met presque mal à l’aise. Vraiment. Cela se résume au fait « qu’il sera difficile de gagner sur le plan légal » à cause des précédentes défaites, qu’un « projet d’aménagement global est préférable à une multiplication de projets ponctuels » et, pour finir, qu’il y aurait une « progression des espèces invasives [11] ».

Concernant ce dernier point, Stop Carnet a convié des naturalistes sur site pour vérifier leurs allégations. Aucun envahissement significatif n’aurait été observé

Je viens de voir la pancarte indiquant Frossay ; on arrive au Carnet !

There is no planet B

Tout le monde descend, prends ton K-way.

On ne va pas se mentir, la notion de confort est somme toute relative en plein hiver. Mais il suffit de se munir d’une paire de bottes, de plusieurs paires de chaussettes, d’une tente (une grande partie de la zone étant bien drainée, le sol est plutôt sec) et d’un petit surnom (sécurité oblige), et nous voilà parés pour la découverte du lieu. Sachez qu’il y a aussi des dortoirs aménagés et un free-shop bien garni pour se saper comme jamais.

La population est éclectique : des curieux, des voyageurs, des riverains, des citadins, des Marx + 8, des étudiants et quelques gentils toutous.

On est tout de suite frappé par la bienveillance qui règne sur place. Même si des tensions se font et se défont avec le temps comme dans toute vie de groupe, le câlin règne en maître. L’échange et les affinités jouent un rôle de garde-fou pour démêler les éventuels désaccords, et c’est une volonté assumée que de tenter de les régler ensemble, par la médiation entre autres, ou en faisant appel à une aide extérieure en dernier recours. Lutter contre toute forme d’autoritarisme (pas une mince affaire) est une règle d’or.

Résultat, on se sent plus en sécurité en pleine nuit sur la ZAD que dans n’importe quelle zone urbaine à la même heure. La seule menace qui plane est finalement la même qu’en manif : les flics. Car la surveillance est de mise [12]. Un tag sur la seule route goudronnée le rappelle : « La police existe. »

Et elle dispose de moyens, la police : la surveillance par hélicoptères et drones est régulière. Un système de vidéosurveillance a récemment été retrouvé sur un point de passage. Des caméras étaient dissimulées dans des fausses pierres et des faux troncs d’arbres, le tout relié à des modems, des puces GPS et des batteries de grande capacité.

Seule une petite partie des alentours de la ZAD fait l’objet d’un arrêté interdisant de stationner ou de circuler, sauf pour les riverains. Mais un SMS via l’application Signal quelques heures avant d’arriver vous confirmera ou non leur présence pour éviter une amende (ou un grand détour).

Si les flics se donnent du mal pour ficher la zone, il faut dire qu’en face, on leur donne du fil à retordre. Les barricades paraissent infranchissables, les tranchées sont profondes et des gardes de nuit se relaient quotidiennement (un chouette moment pour discuter avec son binôme).

La journée, impossible de s’ennuyer. On a le choix entre aider à retaper un lieu (ou simplement passer un coup de nettoyage si vous êtes une bille en bricolage comme moi), faire à manger, ravitailler en eau les lieux de vie. On peut participer à différentes permanences pour apprendre des trucs en tout genre (celle appelée juridique est très utile pour connaître ses droits et se préparer en cas de GAV), ou lancer des initiatives (comme organiser une fête pour le solstice d’hiver, l’accueil des riverains, etc.). La liste des tâches à disposition est infinie.

Si je n’ai pas spécialement envie de vous en dire plus – l’expérience de la ZAD est subjective –, cela fait longtemps que je n’avais pas ressenti autant d’espoir. On a beau se dire que l’on va dans le mur, que rien n’est fait pour endiguer l’inévitable écroulement de notre modèle sociétal, il ne faut pas vivre le sentiment d’impuissance face au désastre écologique (visible dans notre quotidien ou via nos écrans) comme une fatalité. Loin de moi l’idée de romancer la vie sur une ZAD, mais ces lieux, en plus d’être un rempart efficace et direct contre l’artificialisation du monde, sont aussi des territoires d’expérimentation nouvelle. Repenser nos rapports au vivant sans distinction (végétaux, animaux, humains), en éjectant le patriarcat, le modèle marchand et toute forme d’oppression n’est pas une simple utopie. Que vous décidiez ou pas de vous rendre sur le site du Carnet, que vous ayez ou non envie d’aller questionner vos élus sur les projets de sites « clés en main » dans vos régions respectives, ou que vous envisagiez de monter votre propre ZAD, et ce malgré tous vos impératifs (votre boulot, protéger vos proches, etc.), les pistes existent. Et rappelez-vous que le vivant, c’est un ensemble, dont on fait bien partie. Donc quand il est attaqué, on le défend !

Ah, une dernière chose avant de vous laisser. Devinez quel genre d’entreprises sont pressenties pour s’installer sur le site du Carnet une fois que le béton sera coulé ? Des entreprises écotechnologiques.

Thomas Jusquiame

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