Un an après le coup d’Etat, la diaspora soudanaise en France toujours mobilisée

[Sudfa]

paru dans lundimatin#362, le 5 décembre 2022

Il y a un an, le coup d’État militaire au Soudan suscitait le rejet massif de la population et le retour des manifestations révolutionnaires, dans le pays mais aussi à l’étranger. Nous publions ce lundi deux articles article rédigés par Sudfa. Ce second article revient sur une année de mobilisations de la diaspora soudanaise en France.

Octobre 2021 : à la suite du coup d’État, une réponse immédiate de la diaspora soudanaise

Le jour même du coup d’État, le 21 octobre 2021, les Soudanais-e-s de France ont immédiatement publié un communiqué de presse pour le dénoncer (voir cet article) . A Paris, des dizaines de personnes sont spontanément allées manifester devant l’ambassade du Soudan.

Le 30 octobre 2021, des millions de personnes sont descendues dans les rues à Khartoum pour manifester leur rejet des militaires. Des manifestations ont éclaté dans le monde entier en soutien : à Washington, à Londres, mais aussi en Ukraine, au Canada, en Allemagne, en Belgique, même en Egypte, en Libye, au Tchad et au Brésil (voir cet article). En France, pas moins de 12 rassemblements ont eu lieu. D’après les observateurs et les collectifs militants, il s’agissait là d’une mobilisation inédite, avec des nombres de manifestants qui n’avaient jamais été atteints jusque-là, même pendant la révolution de 2019.

Carte des villes de mobilisation prévues le samedi 30 octobre. / par Nasredin Gladeema, RAS-LYON.

Ce jour-là, suite à la manifestation place de la République à Paris qui a rassemblé plus de mille personnes, une conférence de presse a été organisée au bar « The dissident club » qui, chaque semaine, donne la parole aux activistes en exil du monde entier.

Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs activistes soudanais-e-s et leurs camarades français-e-s se sont mobilisé-e-s pour faire du plaidoyer auprès de différents partis politiques français afin qu’ils condamnent le coup d’État. Grâce à leur travail, plusieurs partis politiques (la France insoumise, le NPA, Europe-Ecologie-les-Verts), ont publié des communiqués de condamnation du régime et de soutien au peuple soudanais.

Des événements de soutien et de sensibilisation tout au long de l’année

D’octobre à décembre, toutes les semaines, des manifestations ont eu lieu dans différentes villes de France pour soutenir les cortèges de masse (« millioneyas ») qui avaient lieu au Soudan. Les manifestant-e-s reprenaient les chansons, slogans et même les banderoles qui avaient déjà été utilisés lors de la révolution de 2019, mais en y ajoutant aussi de nouvelles créations plus actuelles (sur les slogans, voir cet article / sur le rap dans la révolution soudanaise,voir ici

Rassemblement à la place Bellecour de Lyon, 300 personnes rassemblées à l’appel du Réseau Activistes Soudanais, venues de toute la région.

Dans le même temps, des événements publics ont été organisés pour faire connaître la situation au Soudan à un public français et alerter sur le danger que représente Al-Burhan pour le peuple soudanais. Des membres de la diaspora soudanaise ont ainsi participé à des conférences publiques, comme celle organisée le 10 novembre à la mairie du 9e arrondissement de Paris par le collectif « Urgence Darfour », ou à l’institut du monde arabe.

Conférence organisée par le collectif Urgence Darfour à la mairie du 9e arrondissement de Paris

Durant l’hiver, en région Rhône-Alpes, plusieurs événements de sensibilisation ont été organisés en soutien à la révolution soudanaise dans des lieux associatifs et militants. En novembre, dans le bar « l’amicale du Futur » à Lyon, des activistes de la diaspora ont présenté la révolution soudanaise, ainsi qu’une exposition photo. Début décembre, les soudanais-e-s de Lyon ont organisé à « l’Île Egalité », un lieu de solidarité de quartier autogéré à Villeurbanne, un repas de soutien dont les revenus ont été envoyés pour financer les soins hospitaliers de victimes de la répression policière lors des manifestations à Khartoum. En janvier, à Grenoble, l’association anticolonialiste « Survie » a invité des militants soudanais à partager les enjeux de la révolution avec un public français.

Cantine de soutien à la révolution soudanaise à Villeurbanne, décembre 2021. Photo : Sudfa media

La cause du peuple soudanais a été défendue lors de plusieurs événements culturels et festivals. En mars 2022, l’association « Lumière », montée par des soudanais-e-s de Paris, a organisé le « Festival lumière », qui a mis en avant les mobilisations soudanaises pendant deux jours de festivités, expositions, conférences, et repas partagé. Toujours en mars (19/03), l’association « Migrance » à Lille en partenariat avec le cinéma « L’Univers » a organisé une projection de film, accompagnée d’une intervention d’étudiant-e-s de la diaspora pour témoigner du processus révolutionnaire en cours.

Exposition au festival Lumière, source : Association Lumière

Ces festivals ont pu être l’occasion de partager l’expérience de la révolution avec d’autres peuples en lutte du monde entier. Ainsi, le 13 novembre 2021, les activistes soudanais-e-s en exil étaient présent-e-s aux côtés des militant-e-s chilien-ne-s et syrien-ne-s au festival internationalistes « Les peuples veulent », qui s’est tenu à l’AERI de Montreuil. Au cours de l’été 2022, lors d’autres festivals internationalistes, sur le plateau des Mille-vache et à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les soudanais-e-s ont activement participé à faire connaître leur lutte aux militant-e-s rassemblé-e-s.

Les activistes soudanais-e-s ont également mobilisé le milieu universitaire français, en animant des table-rondes sur la révolution soudanaise au Collège de France (20 janvier 2022) et lors d’une semaine de recherche-action à Calais (29 mai 2022). En lien avec des associations et syndicats étudiants, les soudanais-e-s en exil ont co-organisé des événements sur le Soudan dans plusieurs universités : à Science Po Paris (décembre 2021), Paris 3 La Sorbonne (22 février 2022), à l’ENS de Paris (4 mars 2022) l’ENS de Lyon (13 avril 2022).

Calais, journées d’étude Territoires et savoirs partagés, 29/05/2022, source : Sudfa

Enfin, les activistes soudanais-e-s de la diaspora ont régulièrement été invité-e-s à prendre la parole dans différents médias pour parler de la révolution à un public francophone. Voici le lien vers deux émissions radio auxquelles ont participé des membres de notre équipe ’Sudfa’ :

https://blogs.radiocanut.org/lacauserie/2022/01/21/la-causerie-n423-du-23-janvier-2022/ (Lyon, 23 janvier 2022)

https://www.micros-rebelles.fr/site/soudan-ou-en-est-la-revolution/ (Lille, 24 mars 2022)

Emission de radio sur Fréquence Paris Pluriel, mai 2022, source : Sudfa

En 2022, d’autres occasions ont suscité le retour des manifestations de la diaspora. Les femmes soudanaises de l’association « Ensemble pour le changement » ont formé un cortège à l’occasion de la Journée Internationale pour les droits des femmes le 8 mars 2022 à Paris. Le 7 mai, suite aux massacres au Darfour qui ont fait plus d’une centaine de mort-e-s à Al-Jenina, un rassemblement a été organisé place de la République pour dénoncer la poursuite et l’impunité des violences au Darfour et réclamer la justice pour les victimes. Puis, le 5 juin, à l’occasion du troisième anniversaire du massacre de Khartoum, plusieurs organisations de la société civile soudanaise se sont à nouveau rassemblées place de la République à Paris.

Rassemblement du 5 juin 2022, Place de la République, Paris. Source : réseaux sociaux

Enfin, en lien avec la diaspora soudanaise de toute l’Europe, différentes mobilisations internationales ont eu lieu :

  • A Bruxelles en Belgique, le 09 mars 2022, où une soixantaine de personnes ont manifesté devant l’ambassade du Soudan. Selon la presse, le rassemblement comptait majoritairement des Soudanais-e-s, mais aussi des membres du collectif Getting the Voice Out, qui vise à faire entendre des témoignages de personnes détenues en centres fermés, et quelques citoyen-ne-s engagés. Les participants ont fait écouter le témoignage d’un Soudanais qui a pris part à la grève de la faim entamée pour dénoncer les violences dans les centres fermés.
  • A Lahaye aux Pays-Bas le 08 avril 2022 devant la Cour Pénale Internationale, à l’occasion du procès du chef Janjaweed Ali Kushayb, accusé d’avoir commis 31 crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour, plusieurs dizaines de Soudanais-e-s venu-e-s de différents pays d’Europe ont manifesté pour demander que le procès ne s’arrête pas là et que l’ensemble des militaires soient jugé-e-s devant la Cour Pénale Internationale.

Squats et lutte pour les droits des demandeurs d’asile en France

Les Soudanais-e-s de France ne se sont pas uniquement mobilisé-e-s en soutien à leur pays d’origine, mais également pour leurs droits en tant qu’immigré-e-s, réfugié-e-s et demandeur-euse-s d’asile. Plusieurs événements, en présentiel ou en ligne, pour informer les soudanais-e-s de leurs droits, ont été organisés partout en France.

Les mobilisations les plus visibles se sont créées autour de deux squats qui ont ouvert à Paris au début de l’année 2022, pour répondre aux manquements de l’État français qui ne loge pas les demandeurs d’asile, contrairement à ce que prévoit la loi. Le squat de bâtiments abandonnés est ainsi un moyen, pour les personnes qui se retrouvent massivement à la rue, de se mettre à l’abri.

Le premier squat, surnommé « Al Zol », qui rassemble des dizaines de soudanais à Pantin, mobilise autour de lui un large réseau de solidarité de la part de différentes associations parisiennes. Un rassemblement de soutien a eu lieu le 26 août lorsque l’occupation de ce bâtiment a été jugée devant le tribunal. Plusieurs cantines de soutien et assemblées de quartier ont également été organisées pour subvenir aux besoins quotidiens, comme assurer les repas et payer l’électricité, mais aussi « échanger sur la situation du squat, les risques d’expulsion et faire le lien avec les luttes existantes sur le quartier et le territoire (accès aux droits, accès au logement, accès à la santé) ».

Façade du squat « l’Ambassade des Immigrés » Paris, mai 2022, source : réseaux sociaux

En avril, un deuxième squat a ouvert, surnommé : « l’Ambassade des immigrés ». Dans le communiqué publié à l’ouverture du squat, les habitant-e-s s’exprimaient ainsi :

« Nous ouvrons [ce bâtiment] pour tous nos camarades ici, pour toutes celles et ceux qui ne sont jamais arrivés ou ceux qui viennent de revenir de Calais, ceux que la mer ou la rue a tué. (…) Nous luttons contre le racisme de la police, de la préfecture, de l’OFII, des assistants sociaux. Contre le racisme de la loi (…) Nous luttons pour avoir le droit de vivre n’importe où, de parler et d’écrire dans nos langues, de ne plus faire la queue ou de devoir mendier quoi que ce soit, car l’égalité ne se négociera jamais (…)

Ce lieu est une ambassade, c’est une arme et un outil. C’est l’ambassade des immigrées. Une ambassade de paix dans un monde en guerre. C’est l’ambassade de celles et ceux à qui on répète qu’ils sont étrangers, celle depuis laquelle nous préparons nos victoires collectives, celle depuis laquelle nous obtiendrons l’égalité de toutes et tous. »

Le mercredi 19 septembre, ce lieu d’habitation collectif a été expulsé dans la violence, malgré des négociations en cours avec la préfecture et la mairie de Paris. 6 personnes ont été arrêtées et placées en garde à vue. 79 personnes ont été embarquées dans des bus sans certitude quant à un éventuel relogement. De nombreuses personnes se sont rassemblées en soutien pour dénoncer cette expulsion.

Du Soudan à la France, une année exceptionnelle de mobilisations

Un millier de personnes rassemblées sur la Place de la République, le 30/10/2022, source : réseaux sociaux

Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive et bien d’autres mobilisations ont eu lieu partout sur le territoire français et au-delà ! … Notons que ce sont aussi sur les réseaux sociaux que les membres de la diaspora sont le plus mobilisés au quotidien, en partageant sans cesse des vidéos et des informations de ce qui se passait sur le terrain et permettant de faire connaître les faits qui étaient occultés par les principaux médias.

En définitive, la mobilisation de la diaspora soudanaise a pris plein de formes différentes, et s’est étendue de l’exigence de la chute du régime militaire à d’autres causes, comme la défense des droits des réfugié-e-s sur le territoire français. Lors de chacun de ces événements, de nombreux liens se sont noués avec des activistes du monde entier, créant un mouvement de solidarité internationale d’une grande ampleur.

Autant que cela a été possible, au cours de l’année 2021-2022 notre petite équipe de « Sudfa » a été là pour faire des interventions publiques, traduire, documenter, faire des reportages au cours de ces mobilisations et tenter d’en rendre compte sur notre blog, notre site internet ou nos réseaux sociaux. Merci donc à tou-te-s celles et ceux qui nous suivent et nous donnent la motivation de continuer !

A l’occasion de l’anniversaire du coup d’État, nous espérons que l’année qui vient s’ouvrira sur une nouvelle flambée de mobilisations !

Equipe de Sudfa

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