Poème sur une non-dissolution

paru dans lundimatin#404, le 26 novembre 2023

Ok, cela c’est de l’air et cela ça m’a l’air d’être mon corps,
mon corps dense, désireux, plus sauvage que soumis,
plein, plein de quoi, de révoltes, de joies encore, et de rage aussi.

Tout me traverse, me soulève,
autant que je m’emplis et expire ensuite cet air vicié qui continue tant bien que mal à me faire vivre en me tuant dans le même mouvement.

Je suis pleine de doutes aussi, et cet air vicié les renforce – les endurcit même, j’ai des doutes comme nos vieux avaient des certitudes,
je les regarde – mes doutes- peupler mes luttes intestines - détourner les fausses certitudes que j’avalais – enfant - du biberon de lait liophilisé... Le monde, ça va...

Non, ça va pas si bien, non.
Nous sommes ces générations qu’on veut dissoudre,
Nous sommes flou.e.s, nous avons appris à l’être, pour le confort de celleux qui ont d’autres croyances...

Nous avons appris très tôt à être flou.e.s, parasité.e.s, insoumis.e.s autant qu’engoncé.e.s, tordu.e.s entre un iPhone et les coupes rases de la forêt ou de nos poils d’aisselles.

Nous avons appris qu’il y avait la nature, puis qu’il n’en aurait plus, non, qu’il n’y en avait plus, puis nous avons appris que le concept de nature ne disait rien de moins que ladite nature n’existe pas, je sais pas, je ne sais plus, je ne sais plus si je proviens de la nature – si j’ai un instinct ? –
et puis toujours cette peur qui plane de basculer dans l’essentialisme, bref de devenir facho, de louper l’embranchement subtil de la conversation, de se retrouver avec une pensée conservatiste et pourtant dans notre colère nous luttons, je lutte,
on filerait bien des poings,
on sent fort -très fort- tout ce qui nous a été empêché à nous maintenir flou.e.s,
on ajoute des points médians,
car... dans le brouillard qu’ils ( ils : les agents du système ) ont tapissé pour nous sur le monde qui est un peu le nôtre aussi – je crois, oui - nous avons dû utiliser - plus tendrement que ce que nous avions appris à l’école - nos sens et notre connaissance pour l’approcher pour l’apprivoiser, le monde, et nous avons découvert ce que vous ne voyez pas dans la pleine lumière de vos projecteurs de police/milice, nous avons découvert mille variations, non, une infinité de variations, et qu’elles étaient belles, qu’il fallait les regarder une à une, ne pas les forcer à être un ensemble - une catégorie – c’est moche les catégories - nous avons vu leur force vive, leur âme, et nous avons vu que tout, tout coopère, à l’exception de quelques humain.e.s plutôt complétement raté.e.s en terme d’humanité.

C’est vrai, nous regardons la politique sans comprendre comment on a pu en arriver là, ni comment on va pouvoir en sortir, s’en sortir.
On vit, on se prend en pleine face des écocides, des génocides, des féminicides.

Galère à trouver de la poésie, de l’espoir,
mais nous avons quand même une croyance en la vie qui ne s’efface pas... un truc qui tient, mine de rien ! et qui vient de je ne sais pas trop quoi.
Devant les gosses, devant nos enfants - c’est vrai, certain.e.s en ont des enfants ! - , c’est galère aussi.
Nous pleurons devant ce trop plein d’innocence qui va être détruit à coup de saccages et de massacres. Avant ça devait être un sentiment en phase avec la réalité, l’innocence... L’innocence maintenant c’est le piège : le meilleur moyen d’adhérer au système.

Pas d’innocence pour nos marmots d’après 2000 – colère encore. Le bug de l’an 2000, il s’est passé dans nos cerveaux, d’un coup le concept de la fin a pris, a germé – la mauvaise graine, c’est pas les gens, c’est ce qu’on leur fourre de force dans les méninges et qui croît discrètement – on l’a rejoué bêtement 12 ans après encore, disons qu’on s’est doucement habitué.e.s au collapse, comme une fiction qui prendrait de l’importance dans nos vies.

Mais ça n’a rien à voir avec la fiction. C’est le collapse pour de vrai, avec son halo flou qui nous trouble. Entité qui s’avance vers nous, vers notre ère, nous / vous, plutôt - sans vouloir me déresponsabiliser - l’avez beaucoup appelée ! Vous, les hauts dirigeants, vous avez pensé qu’elle ne viendrait pas. Que Nous serions aptes, que Nos vies sont toujours moins, que ...

Merde.
Je ne veux pas être dirigée, merde. Et surtout pas comme ça.
Je ne veux pas être dirigée.

Alors,
Nous reprenons la main, le bras, le corps, sur la mer, le bois, la terre.
Parfois je nous rencontre,
au travers d’autres, se reconnaître,
c’est bien,
des allié.e.s,
là au bout du monde,
à cet endroit où la connerie de nos dirigeants a tellement enflé que c’est dur de passer...
dans cette zone : une frange, la frange où l’habit noir ne signifie pas le deuil mais l’espoir et la rage, l’envie de commencer autre chose,
face au mur du collapse - et comme ce mur semble haut et vénère...
je nous rencontre, je vous prolonge et ces hordes de blindés font pitié.

Mais nous reprenons la main, le bras, le corps, la tête, sur la mer, le bois, la terre, l’air.
Nous sommes la lutte pleine de doutes, sur place, nous existons, nous existons comme la rivière existe, parfois nous existons comme le torrent. Nous existons parce que chaque fois que le vivant souffre, chaque fois qu’il meurt ou s’éteint, chaque fois, il faut des personnes pour au moins penser que partout, aussi, malgré tout il naît, il lutte, que l’équilibre est à chier mais que ça peut basculer ! Nous décidons de faire ensemble, nous mêlons nos mille variations et nous devenons.

Alors,
Nous reprenons la main, le bras, le corps, sur la mer, le bois, la terre.
Nous devenons l’âme de la tête, du corps et du bras, de la main qui reprend ses droits et les jette au vide. Nous vidons nos corps, nos âmes, nos têtes des droits qu’ils pensaient être légitimes d’avoir sur la terre, la mer, les bois, l’air, les êtres. Nous purgeons, nous nous purgeons.

Nous ne titubons plus de la même manière, dans le flou de ce monde que nous -êtres flous- avons appris à connaître en caresses, en écoutes, en patience et en empathie.
On y décèle des bribes de sens qui racontent une quête infinie, à perpétuer, une culture de la lutte, et des arbres, une culture qui souhaite s’incarner dans le regard porté à l’autre. On n’écrasera pas. On cassera, c’est certain, on désarmera évidemment, on sabotera, ça va de soi. Mais on n’écrasera pas. Notre violence s’appelle réparation.

Notre rage s’appelle espoir.
Nos manifestations face à vos sbires de pacotille en plastique bleu marine s’appelle Joie / Danse deter ou Puissance de vie collective.

Et vos blindés font pitié, et cette dissolution fait pitié. Et Darmanin, plus que tout encore tu fais tiépi.

Comment dissoudre une – deux générations, voire trois générations, comment dissoudre notre sensibilité, comment dissoudre la colère que vous faites germer en nous sans vous dissoudre vous ? Soyez logiques !
Nous, nous allons dissoudre : des kilomètres de bitume, sous nos pas, sous notre volonté de vivre, sous notre révolte, sous nos variations multiples, puis nous irons laver les crasses dont vous nous dégueulassez (lacrymos et paperasseries) dans des baignoires immenses dites méga-bassines d’eau volée que vous nous avez volé, puis laborieusement nous essorerons nos cheveux mouillés sur les forêts, et comme nous serons des milliers, des milliards, nous serons la pluie sur la forêt. Et jamais personne ne saura dissoudre la pluie !

Nous allons riposter, dans le ciment, dans les champs, dans les bois, dans les médias. Cette lutte c’est notre attachement à ce que nous avons découvert en palpant doucement le monde. C’est ce qui donne de la chaleur dans nos réveils insomniaques, dans le beau milieu de la nuit de la fin des temps où nous somnolons – jamais paisibles- jamais serein.e.s.

La hyène pour le comité local des soulèvements de la terre du Béarn

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