Vivre (sous, pendant, avec, malgré) Gaza

« L’enfer est vide. Tous les démons sont ici ». Shakespeare, La Tempête

paru dans lundimatin#422, le 1er avril 2024

Right now

Peu de temps avant de s’immoler devant l’ambassade d’Israël à Washington, Aaron Bushnell publiait sur les réseaux sociaux un message qui éclairait la radicalité de son acte :

« Beaucoup d’entre nous aiment se demander : “Que ferais-je si j’avais vécu pendant l’esclavage ? Ou dans le Sud durant les lois Jim Crow ? Ou l’apartheid ? Que ferais-je si mon pays commettait un génocide ?” La réponse est : vous le faites. En ce moment même [1] [2]. »

Aaron est ce jeune homme [3] qui, pour « ne plus être complice du génocide » à Gaza, s’est engagé « dans un acte de protestation extrême » [4]. Ces derniers mots, il les prononce alors qu’il se dirige devant l’ambassade où il va s’asperger d’essence et s’enflammer en criant « Free Palestine », quatre fois, avant de s’effondrer. Il succombera à ses blessures.
S’imposer donc une douleur physique indescriptible, s’ôter définitivement la possibilité de sentir quoi que ce soit dans la mort, et exprimer ainsi son opposition absolue à un crime tout aussi absolu.

Il est difficile de commenter un tel geste. La moindre des choses serait de le prendre au sérieux et de lui accorder la gravité qu’il réclame : voilà une manière, la sienne, de prendre la mesure de la situation. C’est alors à son interpellation qu’il faut revenir :

« ‘What would I do if my country was committing genocide ?’ The answer is, you’re doing it. Right now. »

Cette question nous est familière. Elle accompagne plus ou moins consciemment la connaissance que nous avons des crimes absolus qui constituent le fond de l’histoire occidentale depuis l’époque moderne. Sans remonter si loin, qu’aurions-nous fait quand la police française raflait des juifs, et quand les Allemands les chassaient sur le territoire français occupé, ou si nous avions été Allemands sous le troisième Reich ? Qu’aurions-nous fait pendant la guerre d’Algérie, si nous avions été appelés par exemple, et témoins de la torture systématique ? Qu’aurions-nous fait en métropole le 17 octobre 1961 et les jours qui ont suivi le massacre des Algériens ? La question appelle une alternative : aurions-nous été de ceux qui se sont opposés d’une manière ou d’une autre à la violence nazie ou coloniale, ou bien aurions-nous fait partie de ceux qui se sont accommodés et se sont tus ?

La force de la proposition de Aaron c’est de dire que cette question ne se pose ni au passé, ni au futur, ni même au conditionnel, mais au présent, là maintenant, tout de suite, « right now » ! Que faisons-nous alors que nous sommes les témoins directs d’un tel crime ? Ce n’est pas une question qui appelle une réponse articulée, laquelle ressemblerait trop à une justification pénible. La réponse s’incarne de manière immédiate dans ce que nous faisons, aujourd’hui même, les jours d’avant et les jours d’après. Nous sommes les contemporains au sens strict d’un génocide qui ne saurait se dérouler sans la complicité et le soutien des principales puissances occidentales, Etats-Unis en tête. C’est en ce moment-même que les Palestiniens se font massacrer et affamer par l’Etat israélien et son armée, sans discontinuité depuis le 7 octobre, et que tout ce qui fait la trame de leur existence est méticuleusement détruit, que Gaza est flattened, aplati [5]. La question n’est pas rhétorique. Elle interroge la rencontre entre cette violence extrême et notre propre existence, et les effets de cette rencontre. Que faisons-nous ? Que fais-je ? Comment réagissons-nous les uns les autres à ce génocide ?

Il y a toujours une manière un peu contingente dont l’événement pénètre nos petites vies, la mienne s’il s’agit de la nommer, faite comme toutes les autres de petites habitudes, de petites contraintes et d’attachements divers. Et soudain, au détour de la question d’une amie : « t’as vu Gaza ? ». Curiosité, intérêt, désir de comprendre. Réseaux sociaux et sites d’infos pour saisir ce qu’il se passe : Hamas, attaque, terrorisme, condamnation, Israël, droit de se défendre, soutien inconditionnel. Une descente aux enfers inséparable d’une manière d’être affecté. C’est le bombardement intime. Viennent au fil des jours la tristesse, la colère, la haine aussi et l’impuissance, la sidération. Et l’impossibilité de détourner les yeux et le reste. La petite vie d’avant est suspendue. On n’est toujours pas sorti de ce bain d’horreurs continues dans lequel il faut naviguer depuis le 7 octobre [6] (compris) mais qui remonte à 1948, au minimum et qui s’inscrit dans le projet colonial israélien. On plonge dans un univers d’images et d’énoncés, et dans la nécessité d’en produire à son tour, pour soi, et autour de soi. Carnets intimes d’une guerre intime : ici ce ne sont pas des obus livrés à flux tendu par les USA que nous nous prenons sur la gueule et qui déchirent nos corps et nos quartiers. Vivre Gaza à 3000 km. Sous les bombes, mais dans sa tête. Six mois et 35 000 morts plus tard, la machine de mort [7] est toujours en marche. Que faisons-nous ?

You’re doing it

Nous tenons que la remarque de Aaron n’est pas une question moralisante et culpabilisante. Elle peut être lue de la sorte mais c’est mal la comprendre et lui rendre mauvaise justice. Il a décidé de s’ôter la vie. Voilà sa réponse. Il n’y a aucune injonction même si elle contient une certaine force d’appel [8]. Nous ne la lisons pas d’abord comme l’exigence d’un « que faire ». Il y a du désespoir dans l’apostrophe qui constate que la plupart ne font rien, que le génocide passe à peu près, et que ce n’est pas suffisant pour bouleverser nos existences, pratiquement en tout cas. Le régime est descriptif, pas normatif.

Car voici l’énigme. A la violence génocidaire, violence militaire en acte du gouvernement israélien et folie fasciste qui semble avoir emporté une grande partie de la société israélienne, s’ajoute ce constat effroyable : le camp informe de ceux qui y sont relativement indifférents, ou qui en tout cas ne sont pas emportés par la nécessité de s’y opposer d’une manière ou d’une autre, est massif.

Un non-dit autant qu’une opinion commune accompagne les représentations du « crime des crimes » que fut la destruction génocidaire des juifs d’Europe de l’Est. L’idée vague que si les gens avaient su, ils n’auraient pas laissé faire, accompagnée de la certitude qu’une telle monstruosité ne saurait avoir lieu à l’ère de la communication de masse. « Plus jamais ça » semble exprimer le pacte secret qui nous engage au lendemain des atrocités de la seconde guerre mondiale [9]. Las. « C’est le premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction, en direct, dans l’espoir, pour le moment vain, que le monde fasse quelque chose » déclarait pour la délégation sud-africaine l’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh devant la Cour Internationale de Justice. « The first live streamed genocide in history » dont les images arrivent en direct sur nos téléphones et nos ordinateurs portables. Chacun pourtant, gouvernements, institutions internationales, et aussi quidams quelconques, semble relativement disposé à s’accommoder du « ça » dont il est question dans le « plus jamais ça ». Never again… for anyone, ont ajouté fort à propos américains juifs et antisionistes. Mais ça ne change pas grand-chose au constat d’impuissance. Voilà l’horreur supplémentaire avec laquelle il faut bien vivre. Nous savions déjà que le mythe sur lequel l’Europe occidentale s’était racheté une bonne conscience après 1945, sur le dos des Palestiniens de surcroît, n’était qu’hypocrisie, il explose cette fois-ci dans la pire des violences. « Pas de justice, pas de paix » n’est pas tant une demande impossible sous forme de slogan ou de menace, qu’un aveu de lucidité. C’est avec nos petites lâchetés et nos petits égoïsmes qu’il faut composer.

Il y a pourtant une multitude de formes d’opposition à travers le monde au massacre en cours. Il est impossible de les présenter ici dans le détail : manifestations, rassemblements, boycott, étiquetage ou destruction des marchandises israéliennes dans les magasins [10], grèves de la faim, blocage des usines d’armement qui fournissent Israël [11], blocage des navires qui transportent des armes à destination d’Israël comme à Vancouver [12], prolifération des signes de soutien aux palestiniens, etc.

C’est sans doute aux États-Unis que le mouvement a pris le plus d’ampleur où il constitue un facteur de politisation important sur les campus. Dans certaines universités des étudiants font pression sur leur administration pour qu’elle se désengage financièrement des entreprises israéliennes impliquées dans le conflit [13]. Alors que la présidentielle arrive, les démocrates ont peine à tenir un meeting sans qu’on leur rappelle le sang qu’ils ont sur les mains. De nombreuses voix juives et antisionistes sont engagées dans cette bataille et ont occupé par exemple à plusieurs reprises Central Station, la grande gare de New-York [14]. Avant Aaron, une autre personne avait d’ailleurs tenté de s’immoler début décembre.

Au Japon, certains manifestants ont passé plusieurs nuits devant le ministère des affaires étrangères. Dans les pays arabes, comme en Algérie, en Tunisie, en Égypte, ou actuellement en Jordanie [15] devant l’ambassade israélienne ou au Maroc engagé dans des rapports de normalisation avec Israël, les gens se sont retrouvés en masse pour apporter leur soutien aux palestiniens malgré le silence complice de leurs chefs d’État. En Angleterre et aux États-Unis les manifestations sont souvent massives. Moins impressionnantes en France, elles sont constantes malgré la répression lors des premiers rassemblements avec son lot d’interdictions de manifester et d’amendes. Jamais des manifestations en soutien à la Palestine n’avaient tenu si longtemps et rassemblé tant de personnes.

Sur le terrain institutionnel, la Bolivie a rompu ses relations diplomatiques avec Israël. L’Espagne, l’Irlande, Malte et la Slovénie se disent prêtes à reconnaître l’État de Palestine. Et l’Afrique du Sud a réussi à faire reconnaître par la cour de justice qu’il y avait un risque plausible de génocide à Gaza. L’affaire est loin d’être terminée et prendra des années. Les historiens et les juristes ont du travail pour 50 ans.

On peut légitimement supposer que ces rapports de force ne pèsent pas pour rien dans la situation générale, et imaginer la marge de manœuvre totale dont disposerait Israël et son allié principal s’il n’y avait eu aucune opposition. Celle-ci pourtant ne parvient pas à arracher un cessez-le-feu et à enrayer la logique génocidaire. A quoi bon alors ?

Qu’est-ce que faire ?

Si nous nous en tenons à la France, et à ce que nous avons pu observer de façon forcément incomplète à Paris et dans des petites villes de « province », la mobilisation regroupe essentiellement des militants : Urgence Palestine et autres collectifs de soutien à la Palestine, France insoumise, NPA, Paroles d’Honneur, UJFP, Tsedek, etc. S’y ajoutent des collectifs de quartier et aussi des familles, souvent musulmanes.

En un mot et sans mépris aucun il s’agit d’un espace essentiellement militant qui se déploie avec ses propres codes. C’est dire que les manifestations sont restées relativement circonscrites. Il n’y a pas de mouvement massif. Aucun sujet politique singulier particulièrement puissant ne s’est inventé et découvert dans sa volonté de s’opposer et de mettre en échec le massacre. C’est bien sûr la naïveté qui parle en nous. Elle nous surprend nous-mêmes. Nous aurions pu imaginer par exemple que des inconnus se retrouvent par milliers devant les mairies et les préfectures, et décident de prendre place tant que le massacre perdurerait. Nous les aurions rejoints avec notre tente quechua. C’est de cette naïveté-là dont il faut faire le deuil. Que serait en effet une manière de faire réellement à la hauteur de la situation ? Il n’y aura pas de gilets jaunes anti-génocidaire. C’est une souffrance supplémentaire. Nous sommes relativement seuls.

Il faut bien avouer aussi qu’autour de nous l’indifférence a laissé sa trace. Certains préféraient ne pas trop se pencher sur l’affaire afin de ne pas s’en trouver trop affecté. Principe de précaution et de préservation. Le milieu anti-milieu se méfiait totologiquement (sic) du « milieu propalestinien ». Les manifestations ne sont pas de celles que l’on déborde : vacances de l’action politique. D’autres encore avançaient ce qu’il faut bien appeler un argument politique : ce n’est pas notre terrain, pas notre manière de faire ou d’éprouver notre puissance. D’un point de vue révolutionnaire, il n’y a rien à tirer de cette séquence, pour la bonne raison qu’il n’y a aucune manière de peser sur la situation. Pourtant d’autres révolutionnaires se demandaient s’il ne serait pas possible de réussir après le 7 octobre ce qui n’avait pas su être fait après le 11 septembre : « Convertir une déstabilisation de l’édifice mondial en situation révolutionnaire ».

Se dessine alors l’expérience d’une certaine étrangeté, à l’égard du monde tel qu’il va, comme à l’égard du monde d’où l’on vient. Il faudrait comme s’excuser de faire partie de ces fous qui n’arrivent pas à ne pas penser continûment à la situation, prendre garde de ne pas trop parler de Gaza pour ne pas dévoiler sa faiblesse. Il y a quelques années, le film Don’t look up, une production Netflix calibrée pour les fêtes de fin d’année, moquait cette civilisation qui ne voulait regarder pas la catastrophe arriver sur le coin de sa gueule sous la forme d’une comète. Don’t look away, assènent ceux qui pensent qu’il faut contempler l’abime pour en prendre la mesure. Beaucoup regardent ailleurs en effet. C’est pourtant de nous aussi dont il s’agit dans cette tragédie.

C’est en fait toute une conception de l’action qu’il y aurait à démêler. Car que faisons-nous quand nous faisons quelque chose ? Il y a bien sûr une conception pratique de l’action politique qui vise la transformation du réel, et l’abolition de l’état de choses existant les jours de fête. « Transformer le monde » disait l’autre. Une morale d’ingénieurs qui conçoit l’action à partir de son utilité et de son efficacité. Le propre de la guerre et de tout événement politique molaire c’est de ramener notre micro-politique à une certaine insignifiance en imposant une temporalité et un espace sur lequel nous n’avons pas ou peu prise. Y a-t-il réellement un calcul politique qui persuadé de son incapacité à peser sur le réel, y trouverait une justification pour se tenir à distance des multiples formes de contestation qui ne manquent pas pourtant de se déployer ici et là et qui participent alors au grand jeu de ce qui constitue plus ou moins aléatoirement le monde, sans que cette fin n’entre dans ses intentions ?

C’est une possibilité mais ce n’est pas en dernière instance une question de choix ou de clairvoyance. Nous en resterons au plan descriptif, ou métapolitique, qui est le nôtre. En tout cas on voit mal comment on pourrait rendre compte de la multiplicité des manières de s’opposer à la situation avec un schéma si simpliste. Cette multiplicité dessine plutôt une appartenance au parti de ceux qui ne s’accommodent pas et qui tiennent à le faire savoir comme ils peuvent, en marchant sans plaisir d’un point à un autre le jour d’une manifestation déclarée, en gâchant des repas de famille en ne laissant passer aucun mensonge, ou en usant de n’importe quel autre moyen dérisoire ou pertinent qu’ils trouveront à leur disposition. Nous ne revenons pas sur la multitude de formes d’actions existantes. Peut-être alors qu’il serait possible de voir que même l’action du militant n’est pas réductible au code qu’elle est censée incarner.

Cette manière de faire relève davantage du témoignage en ce sens particulier qu’il témoigne simplement d’un certain type d’existence, ou de présence : il existe des manières d’être par lesquelles s’exprime de la résistance à l’égard du régime de violence et de mensonges auquel nous sommes soumis. Précisons. Certes Israël est un Etat colonial structurellement raciste qui a mis en place un régime d’apartheid et dont la politique repose sur une logique de purification ethnique. A ce titre, la Nakba désigne un processus continu depuis 1948. L’explosion génocidaire actuelle dévoile le fond réel du sionisme réellement existant. Mais ce n’est pas seulement ce qui est en jeu. Ce qui nous hallucine derrière l’écrasement quotidien des corps des hommes, des femmes et des enfants palestiniens, c’est le soutien inconditionnel et continu des grandes puissances occidentales, un soutien politique, logistique, économique, militaire et idéologique, secondé par une couverture hallucinante des principaux médias qui oscillent entre désinformation de masse et occultation systématique. Ce soutien n’est que le signe d’une solidarité absolue et systémique, de l’appartenance à un même monde dont Biden est actuellement l’un des représentants. Si nous sommes à ce point touchés c’est que nous faisons l’expérience que nous sommes intégralement hostiles avec ce régime hégémonique dont Israël est présentement le nom, à tort, mais qui désigne en vérité ce que nous pourrions nommer ici par commodité la civilisation occidentale, civilisation entre autres du capital, du pillage, du colonialisme et du massacre de masse. Le fondateur du sionisme Théodor Hezl reconnaissait appartenir pleinement à cet espace culturel européen lui qui déclarait : « Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un morceau du rempart contre l’Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie. »
Il ne s’agit pas d’une guerre de civilisation mais d’une guerre que mène l’occident. La séquence révèle sous une intensité rarement connue une polarité et une conflictualité qui n’est pas nouvelle, tout comme la violence qui explose actuellement sous sa forme génocidaire se déploie habituellement de façon plus diffuse. Aucune issue heureuse en perspective.

Que faisons-nous alors ? Peut-être faudrait-il reformuler la question de Aaron : quel est le faire par lequel nous sommes pris, si nous somme pris ? Question de grâce plus que de choix.

[1« Many of us like to ask ourselves, ‘What would I do if I was alive during slavery ? Or the Jim Crow South ? Or apartheid ? What would I do if my country was committing genocide ?’ The answer is, you’re doing it. Right now. »

[2Les situations historiques appartiennent à l’histoire américaine. Le lecteur français pourra remplacer aisément par des abominations situées de ce côté-ci de l’Atlantique.

[4“I will no longer be complicit in genocide. I’m about to engage in an extreme act of protest, but compared to what people have been experiencing in Palestine at the hands of their colonizers, it’s not extreme at all. This is what our ruling class has decided will be normal.”

[5 Le terme de domicide a été avancé pour qualifier la singularité de ce génocide et insister sur la destruction systématique des habitations. Il faut aussi ajouter les hôpitaux, les écoles, les universités, les musées, les bibliothèques, les bâtiments publics, les routes, les mosquées, les cimetières, les serres, les usines, les commerces, les boulangeries, les banques, etc. Rarement une volonté de destruction n’a été si totale et si systématique. Autant parler de holocide, de holos, tout.

[6Sur le Hamas et le 7 octobre, il doit y avoir moyen de distinguer entre la qualification d’une organisation et la qualification d’une de ses opérations. Si l’on pose que le terrorisme renvoie au fait de tuer de manière indiscriminée des civils, on peut qualifier sans difficulté de terroristes les crimes du 7 octobre. Mais on n’épuise pas ce qu’est le Hamas en disant qu’il s’agit d’une organisation terroriste, quand bien même on limiterait ce qualificatif aux Brigades Izz al-Din al-Qassam, sa branche armée. On n’épuise pas non plus la signification du 7 octobre. Il est possible de reconnaître que le Hamas est une organisation de résistance, que de la résistance palestinienne passe par le Hamas, sans considérer qu’elle soit une organisation amie, ou que l’attaque du 7 octobre le soit. Mais la qualification de terroriste dans la bouche des puissances occidentales s’accompagne nécessairement du déploiement de tous les moyens nécessaires pour écraser ce qui est ainsi nommé, quel qu’en soit le coût humain comme le montre le sort de Gaza et de ses habitants, et le soutien inconditionnel dont bénéficie Israël dans sa riposte.
On sait d’ailleurs que de nombreux crimes imputés au Hamas (bébés décapités, bébé dans le four, femme enceinte éventrée) étaient en fait des mensonges instrumentalisés par le gouvernement israélien. Les premières accusations de viols relayés par le New-York Times relèvent de la même logique même si rien ne permet d’affirmer qu’il n’y a eu aucun viol. Dans tous les cas, on voit mal comment des crimes de guerre les plus odieux qui soient pourraient justifier une réponse génocidaire.

[7L’expression peut être prise ici au sens littéral. Le média israélien +972 révélait le 30 novembre 2023 que l’armée israélienne avait recours à une intelligence artificielle pour générer rapidement un très grand nombre de cibles tout en calculant le nombre précis de victimes : ‘A mass assassination factory’. Https ://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/

[8Annelle Sheline par exemple a récemment démissionné de son poste au ministère des Affaires Étrangères américain par refus « de servir une administration qui permet de telles atrocités ». Elle déclare avoir été hantée par la dernière publication de Aaron et fait jouer un peu différemment sa question en s’imaginant ce qu’elle pourrait bien répondre à sa fille qui pourrait lui demander dans le futur : « Que faisais-tu quand tout ça était en train d’arriver » ?

[9Inscrite sur des panneaux par des survivants de Buchenwald, la formule inspire la déclaration des droits de l’homme de 1948 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

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