Uchronie

Lucile Braly

paru dans lundimatin#391, le 11 juillet 2023

18 avril 2023. Ensauvagement généralisé. Miskinou, Macron est cerné. Il a dû annuler sa venue au Stade de France (ça siffle à la 49e minute), reporter la visite du Prince Charles (gros malaise). Dernière trouvaille en date de ses sujets : cogner sur des casseroles à chacune de ses sorties, juste comme ça, pour la beauté du bruit. Il ne manquerait plus qu’une Française remporte la palme à Cannes et l’humilie dans son discours en mondovision – mais ça, c’est pour plus tard.

Pour l’heure, c’est soir de fête. Sortie exceptionnelle pour le locataire de l’Élysée, qui se rend au concert annuel des demoiselles de la Légion d’Honneur. Filles et petites-filles de médaillés, élevées dans une forteresse au cœur de Saint-Denis, reçoivent le président en grande pompe.

Un peu fébrile, le chef d’état qui va devoir quitter son palais, glisser dans son coche – vitres teintées, motards casqués – longer les faubourgs, s’approcher du ghetto, traverser l’esplanade où s’époumonent les Dyonisiens à grand renfort de woks et de couscoussières, devant la Basilique où gisent les tombeaux des rois de France – lesquels sont vides depuis que deux cents ans plus tôt une même foule a saccagé les lieux pour s’affranchir des cadavres de l’Ancien Régime – enfin franchir le porche au-dessus duquel est inscrit en lettres d’or MAISON D’EDUCATION pour s’engouffrer dans le château de cristal à l’abris des loups.

Ouf. Dans cette parcelle civilisée arrachée à une terre hostile, on n’entend presque plus les tambours stridents du dehors. Il est temps de déboutonner son col, avaler un tictac, reprendre son air auguste et cool, s’adresser, en passant devant un portrait de Bonaparte, un mantra de développement personnel. Tandis qu’il s’installe dans l’auditorium, des parents patriotes le saluent humblement. On est bien, au lebensborn de la République.

La lumière s’éteint, le rideau se lève. Des adolescentes au teint frais, chignon moiré, jupe marine, écharpe de soie sur la poitrine, mains dans le dos, menton haut, brillent sous le projecteur. Les cages thoraciques se gonflent d’air, et dans un souffle :

Allons enfants de la patrie... Silence. Une toute petite puce, vraiment rikiki, adorable y a pas d’autre mot, s’avance. Elle crie : Siamo tutti antifascisti. Et les filles derrière tapent dans les mains : Clap Clap Clap ClapClap Clap ClapClap Clap. C’est quoi ce bordel ? Siamo tutti antifascisti. Clap Clap Clap ClapClap Clap ClapClap Clap. Elles recommencent, plus fort : Siamo tutti antifascisti. Clap Clap Clap ClapClap Clap ClapClap Clap. Qu’est-ce qui leur prend ? Crise d’ado épidémique ? Hystérie collective ? C’est la non-mixité ça, ça fait trop longtemps qu’elles sont là-dedans, ça leur monte à la tête, on devrait se méfier des enfermées – même pourrie-gâtées. Siamo tutti antifascisti. Clap Clap Clap ClapClap Clap ClapClap Clap. Il faut réagir. Mais est-ce qu’on peut vraiment quitter la pièce sous prétexte qu’on n’est pas fondamentalement contre le fascisme ?

Chut ! Le tonnerre métallique se rapproche. Une petite main ouvre la lourde porte dans un cliquetis de chaines dorées, laisse la foule se déverser dans l’école. Euh, que fait la police ? Le président sidéré, teint vert pâle, sueur aux tempes, bras ballants, est embastillé sans résistance dans un bureau élégant. Il doit réfléchir à son attitude. S’interroger sur les conséquences de ses actes. Voilà, comme ça, c’est bien, un roi qui se tient sage. Il peut même contempler, par la fenêtre, le très, très gros zbeul qui s’étend sous ses yeux.

Ça part en énorme teuf. La cité emménage : on sort les fauteuils, on apporte des enceintes, on sert à boire, on pète des vitres pour faire circuler l’air dans des couloirs dont on teste l’écho à coup de sifflets et de zagharits...mais QUE FAIT LA POLICE ?

Au cœur du cloître, les dyonisiens et les jeunes filles dansent autour d’un bûcher où crament les bureaux, crépitent les rubans, rougeoient les médailles – et toujours la petite poupée devenue barbare scintille d’une voix claire à travers la foule, sous le regard médusé des parents, qui n’ont plus vraiment d’autre choix que fermer leur gueule.

Un jour il n’y aura plus de pères
Dans les jardins de la jeunesse
Il y aura les inconnus
Tous les inconnus
Les hommes pour lesquels on échappe à soi-même
Les hommes pour lesquels on n’est la fille de personne

Paul Éluard, « Oser et l’Espoir » (poème sur Violette Nozière)

Lucile Braly

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