Service National Universel

« Les jeunes aujourd’hui ne respectent plus rien »

paru dans lundimatin#200, le 18 juillet 2019

Les humain.e.s c’est toute une histoire, c’est de l’histoire en boucle qui se répète, il y a comme deux mondes ou trois ou quatre ou mille qui existent à la fois et qui disent la même chose et l’inverse à la fois, c’est sur la même planète et c’est dans le même monde que tout avance et recule en même temps et même si on croirait que rien ne bouge, il y a des choses belles qui surgissent à force de, à force de s’acharner, de lutter, et à force de ne plus y croire ça finit quand même par exister.

Les humain.e.s ont besoin de se confronter aux choses pour les comprendre, les humain.e.s ont besoin de se prendre les choses dans la gueule pour avoir un peu d’empathie, c’est peut-être parfois le pire qui fait naître le meilleur, surtout chez les privilégié.e.s, mais tu sais, mais quand même, il y a des moments dans l’histoire où quelqu’un.e se dit qu’il n’y a pas assez de flics comme ça, qu’on n’a pas assez d’alarmes et de menottes ancrées dans le crâne et ancrées dans le corps, pas assez d’uniformes dans la bouche et les rues et qu’il faut que tout le monde devienne encore plus un petit pion bien sage, un.e méchant.e garde-fou sûr.e d’être du bon côté, alors on visse une casquette bien serrée sur la tête des enfant.e.s sans se dire que ça sent fort le déjà-vu, le déjà-cuit, c’est déjà prêt, il n’y a qu’à redire des petites phrases toutes faîtes comme les jeunes aujourd’hui ne respectent plus rien, ou c’était mieux avant, ou rien de tout cela, juste n’importe quoi pour faire de nous des flics et pas autre chose, encore plus enfoncées, encore moins éveillé.e.s.

Est-ce que c’est pas pour rien, est-ce que c’est le hasard si c’est au même moment que tout a l’air de vouloir se soulever un peu, se réveiller d’un coup, beaucoup, où tous les mois ou presque éclate une colère, un dégoût chaque fois plus fort, et que tout à la fois quelque part aux confins de leurs bunkers de vent celleux qui nous décident ont la brillante idée d’un retour à avant, quand on partait un an, ou moins, ou plus, loin de sa vie et loin de ses ami.e.s, apprendre le vivre ensemble dans un beau régiment, apprendre à la fermer et à se tenir droit.e, ce n’est pas un hasard si c’est quand de plus en plus d’humain.e.s se découvrent une bouche qu’on se précipite pour faire fermer la sienne à la génération qui voit ça d’un œil frais, il y a une génération d’enfant.e.s qui aura vu très vite et d’un coup la répression s’abattre de plus en plus fort et de plus en plus large sur celleux qui ne se laissent plus faire, qui aura vu des bouches s’ouvrir de plus en plus grand, qui aura vu dans des écrans des mots qui avant n’existaient que dans de petits livres, tous petits, bien cachés sur des tables d’infokiosques, dans des recoins de squat, des étagères branlantes, des mots bannis, ce sont de petits mots qui tous les jours existent dans de plus nombreuses têtes et qui font peur à tout ce qui se repaît d’être dans la norme, tout juste assez à l’abri pour ne pas tendre la main.

Les humain.e.s c’est toute une histoire où l’on se sent petit.e, mais parfois tout de même si l’on n’est pas trop triste on se rend compte un peu que les idées avancent en même temps qu’elles reculent, et que si des idées bien vieilles, bien dégueulasses, semblent refaire surface, c’est peut-être que celleux qui les défendent sentent bien qu’il existe de plus en plus fort des humain.e.s nouvelles qui pensent de plus en plus, se taisent de moins en moins, que disparaissent chaque jour un peu plus les entraves qui nous empêchent de péter un câble, un casque, une vitrine.

Mais ça fait peur quand même, ça fait si peur, tou.te.s les enfant.e.s en ligne, rangé.e.s comme des chiffres, comme sur les photos des livres de l’histoire qu’on nous montrait pour nous faire peur. Qu’est-ce qu’ielles nous diront demain à l’école ? Comment feront-ielles pour continuer à dire à quel point holala il était si méchant, tel ou tel méchant, et c’était si stupide, de le laisser faire ça, de ne pas réagir, et ielles furent si superbes, nos fier.e.s résistant.e.s, de se dresser ainsi ?

Les humain.e.s c’est toute une histoire, ou deux ou trois ou mille, qui se chevauchent et ne se contredisent pas si on les laisse dire, si on les laisse faire, le pouvoir sait très bien dire une chose et son contraire sans sourciller, avec l’assurance de cellui qui est certain.e d’être sage, raisonnable et pacifique, quand tout tient seulement à ses monstres derrière, tout autour et devant, sombres, armés, harnachés jusqu’aux dents. Le pouvoir est souriant et accueille certains enfants avec un sourire froid, tout en laissant les autres se noyer en Méditerranée, tout retourne en arrière parce qu’en bas ça avance, il va falloir apprendre encore à ouvrir, la bouche, les frontières et les bras, à hurler, bien grand, se prendre par les mains, il va falloir parler aux enfants, il va falloir savoir dire non si l’on ne veut pas que tout ça finisse dans une unique histoire d’humain.e.s bien aplati.e.s, écrasé.e.s, piétiné.e.s, dans un grand récit victorieux, qu’est-ce que c’est que tous ces retours en arrière si ce n’est le pouvoir qui recule face à nous qui sentons doucement qu’on peut lui avancer dessus ?

Il y a des enfants qui cette année jouaient aux gendarmes et aux gilets jaunes dans les cours d’école et il va falloir que nous nous demandions de quel côté on espère les voir être.

Lucas Ottin

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :