Constatant le saccage de leurs ressources (assèchement des rivières, disparition de la population piscicole, affaissement de terrains...), habitants, militants et motivés de tous bords, se sont rapprochés -n’en déplaise aux mesures de distanciation sociale- pour passer à l’action directe : occupations et sabotages, pour une réappropriation du bien commun, au-delà des divergences idéologiques et spirituelles.
Et si la Serbie semble plutôt épargnée quant au nombre de morts liées au Covid 19 dans la région, c’est une autre épidémie qui semble se propager, celle de la colère. Depuis les manifestations et les nuits d’émeutes qui ont eu lieu cet été contre les mesures de couvre-feu interminables, le ras le bol et le dégoût général font fleurir de belles initiatives ; comme en témoigne la photo ci-dessous (issue du documentaire “Nije reka samo reka”).
Le 15 août 2020, une centaine de personnes s’est regroupée dans le village de Rakita, armée de pioches, marteaux et disqueuses, pour saboter les canalisations en place et libérer la rivière des canaux de dérivation mortifères. Elles ont répondu à l’appel de l’organisation “Odbranimo Reke Stare Planine -ORSP ” (“Défendons les rivières de la Stara Planina”), afin d’empêcher l’entrepreneur responsable des travaux d’achever le massacre (malgré l’interdiction du Ministère de l’Environnement de construire toute nouvelle installation sur le parc naturel protégé de la Stara Planina jusqu’en 2035).
Comme le dit une des femmes dans la vidéo (4min20s) “on vient simplement libérer la vie, parce-que l’eau est l’élément nécessaire à toute vie ; c’est l’un des seuls biens communs qu’il nous reste et qui ne peut être privatisé”. Egalement, Aleksandar Jovanović Ćuta -représentant du mouvement ORSP- (2min50s) : “le but de ce type d’actions est que cela se diffuse à travers tout le pays, et que les gens soient libérés de leur peur, partout où les rivières sont menaçées”.
Depuis les 3 ans d’existence du mouvement, une trentaine de manifestations a été organisée et l’une d’entre elles a regroupé 6 000 personnes à Belgrade l’an dernier. Peu à peu, les verrous de la peur sautent ; les actions pullulent pour se réapproprier et vivre pleinement le territoire. Partout, les gens s’organisent pour empêcher la construction de centrales, pour défendre leurs forêts, leurs parcs, leur air... contre la prédation mercantile [2]. Et qu’on ne s’y méprenne pas, les revendications dépassent le cadre des “espaces naturels protégés” ; auxquels la clique dominante des gouvernants-capitalistes aimerait circonscrire la lutte. Il ne s’agit pas de protéger uniquement les quelques territoires “dignes” d’intérêt écologico-touristique, mais bien de défendre la vie sur tout le territoire contre l’accaparement des ressources !
Et cet élan vital, il est en train d’exploser. Malgré les différences et conflits inhérents au “milieu” (entre autonomes, partisans, professionnels de l’activisme conventionnel...) qui sont loin d’une vision angélique, c’est tout un espace de solidarité qui refait surface : entre les cantines populaires dont certaines distribuent un millier de repas par mois [3], le soutien aux exilés, les centres culturels autogérés et la mobilisation d’habitants contre les expulsions forcées [4] .
Dans ce climat apocalyptique de crise épidémio-capitalistico-écologico-subjective, où les dirigeants narquois fêtent leur victoire aux élections en dansant sur les décombres du pays [5] , il ne faut jurer de rien ; la peur pourrait bien changer de camp...