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Stratégie du choc et résistances à la numérisation de l’école

paru dans lundimatin#289, le 24 mai 2021

Fermée à deux reprises durant la pandémie, subitement devenue priorité nationale après l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi promise à disparaître petit à petit dans les nuages des écrans tactiles et des logiciels éducatifs : l’école est au centre des débats. Pour en explorer les couloirs et les salles, c’est à Grenoble que la fine équipe de Z a posé ses valises cette année.

La capitale des Alpes qui a fait de l’éducation sa « priorité » avec 11 millions d’euros dédiés à la retape "verte" des écoles est aussi le lieu d’une expérience pédagogique historique menée dans le quartier de la Villeneuve : une dizaine d’établissements publics investis dans les années 1970 par des instits révolutionnaires pour tenter d’y inventer une école nouvelle. 50 ans après, qui se pose encore aujourd’hui la question d’une transformation radicale de la société depuis l’école ? Atsem en grève, instits désobéissants ou en excursion dans la forêt, mères en colère, la revue Z s’est introduite masquée dans les salles de classe de Grenoble pour explorer les chemins d’une école ouverte, en prise avec le vivant, féministe, décoloniale et émancipatoire.
L’article qui suit est extrait de ce 14e numéro paru le 14 mai et dont vous trouverez le sommaire ici

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Depuis un demi-siècle, ministres et entreprises œuvrent ensemble à la numérisation de l’école pour sabrer le métier d’enseignant·e et former une main-d’œuvre adaptée au marché du travail. Si le confinement a d’abord semblé marquer l’occasion d’étendre plus clairement ce projet à l’école primaire, il pourrait bien avoir eu des effets inattendus…

Au moment de franchir le seuil des salles de classe grenobloises, on espérait presque, dans un mélange de peur et d’excitation, découvrir les horreurs produites par les lubies technophiles des différents ministres de l’Éducation : des tablettes et des tableaux interactifs à la place des ardoises et du tableau noir, des digital natives rivé·es sur leur smartphone dès le CP et des instits techno-babas. Spoiler : on n’a (presque) rien trouvé de tout ça. On a plutôt discuté avec le précédent élu municipal aux écoles qui a dû batailler pour que les ordinateurs de chaque classe soient équipés sous GNU/Linux, un système d’exploitation libre (il a réussi). Et dans les classes, on a retrouvé les bonnes vieilles cartes aux murs, des dessins, des schémas d’anatomie. Souvent seuls au fond de la classe, comme punis, deux gros ordinateurs. Ah si ! un vidéoprojecteur de temps en temps. On a dû remuer ciel, terre et Internet pour finir par mettre la main sur un professeur des écoles qui utilise des tablettes, et encore pas tous les jours, à 20 kilomètres de Grenoble.

Alors, les écoles grenobloises et françaises, derniers îlots de résistance à l’empire numérique ? Avec deux ordinateurs par classe en moyenne et seulement 14 % des enseignant·es du primaire qui disent utiliser au quotidien des outils numériques, l’informatique ne semble pas y avoir entraîné la révolution annoncée depuis plusieurs décennies. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Après avoir inondé les lycées puis les collèges (Espace numérique de travail, tablettes, informatisation des procédures d’affectation, etc.), les entreprises se lancent désormais à la conquête de l’école primaire. Et si les ministres successifs ne cessent de vanter les atouts de la numérisation de l’école, c’est bien qu’elle doit servir leur projet politique et le diable (technocapitaliste) se cacher dans les détails…

« Pour vous, la France avance »

Si les entreprises de l’EdTech1 exhortent la France à entrer enfin dans l’« ère des Lumières numériques », l’informatisation des écoles est pourtant une vieille histoire : depuis les années 1970, elles connaissent des plans d’équipement successifs. En 1979, ce sont déjà tous les lycées qui sont concernés par le plan « 10 000 micro-ordinateurs ». Qui dit mieux ? Le Parti socialiste, avec le plan « Informatique pour tous » six ans plus tard, place la barre à 100 000 ! Dès les années 1980, l’objectif du ministère de l’Éducation nationale est très clair : fournir aux entreprises des travailleurs·ses formé·es à l’informatique. En 1985, il va même jusqu’à investir dans des publicités publiées dans les journaux : « Apprendre l’informatique à nos enfants, c’est les préparer aux emplois de demain. Pour vous, la France avance. »

À l’époque, les entreprises auxquelles fait appel l’Éducation nationale sont françaises, comme Thomson. Aujourd’hui, le ministère a internationalisé ses partenariats, à l’image de ceux conclus dès 2003 avec la multinationale américaine Microsoft. En 2015, elle a ainsi mis gratuitement à disposition certains de ses logiciels et a formé des dizaines de milliers de profs à leur usage. La première dose est gratuite, mais la suite est payante : il faut bien ça pour maintenir son hégémonie à l’heure où de plus en plus de monde délaisse Microsoft pour utiliser la suite LibreOffice. Microsoft s’intéresse d’ailleurs tellement à l’école qu’elle a créé une classe expérimentale dans son siège, à Issy-les-Moulineaux, sur le modèle des écoles « Steve Jobs » aux Pays-Bas : « Des écrans au mur, sur le sol, sur les tables […], plus de cahiers ni de stylos, tout est tactile et interactif. Et les élèves sont ravis ! » Le directeur des partenariats et des programmes d’éducation de Microsoft aussi : « On ouvre des appétits […], c’est important pour la société de demain, pour les jobs de demain.2 » Miam.

À l’assaut de l’école primaire

S’il y a un endroit de la société où les écrans restent très peu présents, c’est bien les écoles primaires, et ce malgré les différents plans pour y remédier : en 2002, le plan FNADT prévoit l’équipement et l’accès à Internet de 100 % des écoles primaires du territoire ; en 2009, c’est le plan « École numérique rurale », suivi du plan « Numérique à l’école » en 2015… Équiper, c’est sympa, mais c’est vite cher. L’Éducation nationale délègue donc de plus en plus la numérisation de l’école aux collectivités locales, notamment aux communes qui sont censées financer l’achat et l’entretien du matériel informatique depuis la loi dite « pour la refondation de l’école » de 2013.

De quoi renforcer les inégalités entre les enfants des communes riches et celleux des communes pauvres, l’écart allant d’un ordinateur pour quatre élèves à un pour trente… Rien d’étonnant donc à ce que, pour trouver des écrans à profusion, nous ayons dû faire 20 kilomètres au nord de Grenoble, jusqu’au charmant village de Bernin. Après la traversée d’« Inovallée » (« zone verte pour matière grise » spécialisée dans les « smart energy, smart industry, santé, transports, ville intelligente »), l’entrée dans la commune gratifie le voyageur d’une série de villas cossues, alignées le long des pentes encore douces du massif de la Chartreuse. Et à l’heure de la sortie des classes, le parking de l’école ressemble à celui d’un concessionnaire haut de gamme où se croisent parents ingénieurs et cadres sup. Nous y retrouvons Monsieur Jourdan, instituteur, qui nous fait visiter sa classe, équipée d’un « parc » de tablettes depuis une dizaine d’années. « En 2011, j’ai été choisi pour être “classe pilote” par l’Éducation nationale. On a été équipés pendant deux mois de 30 tablettes iPad. » Une fois l’expérimentation terminée, c’est la commune de Bernin qui a financé la flotte de tablettes, à la demande du professeur, et qui la renouvelle depuis régulièrement.

Le ministère de l’Éducation nationale cherche également à favoriser l’émergence d’un secteur privé du numérique éducatif « à la française ». Aux « États généraux du numérique pour l’Éducation » de novembre 2020, on pouvait apercevoir derrière sa webcam Pascal Bringer, président de l’Association française des industriels du numérique de l’éducation et de la formation (Afinef), un groupe de pression patronal lié depuis sa fondation à Cap Digital, un « pôle de compétitivité » rassemblant Orange, Bouygues ou encore Dassault. Un secteur porteur qui bénéficie des aides d’un État généreux, dans le cadre des « investissements d’avenir »3.

Pendant le confinement, alors que parents et profs baissaient les bras quant aux temps passé devant les écrans, ces entreprises se frottaient les mains, et pas pour se les désinfecter : « La crise que nous connaissons vient paradoxalement de faire gagner quatre, cinq années de maturité pour toutes les institutions4 », se félicitait le président du cluster EdTech Grand Ouest seulement deux jours après le début du confinement. L’association EdTech France, « écosystème » de 280 PME et de start-up spécialisées dans les technologies de l’éducation, a ainsi mis gratuitement à disposition près de 200 outils numériques en ligne sur toute la durée du confinement, dans l’espoir d’« actes d’achat après cette période ».

Exemple d’outil : les Espaces numériques de travail (ENT). Déjà présents dans plus de 90 % des collèges et lycées mais seulement 15 % des écoles primaires, ils permettent aux professeur·es de communiquer avec les enfants et les familles : messagerie, échange de documents, cahier de textes, exercices en ligne, etc. Pendant le premier confinement, l’ENT développé par l’entreprise Klassroom a par exemple enregistré plus de 250 000 nouvelles inscriptions. Des sociétés spécialisées, comme Kosmos ou Open Digital Education, développent ces plates-formes avant de les ripoliner d’un nom local (Ma classe en Savoie, Nord Collèges…) et accumulent un nombre considérable d’informations alors qu’il n’existe pas de législation encadrant l’utilisation des données scolaires.

L’école et les profs à la corbeille

« La question n’est pas de savoir si les écoles doivent changer face à un virus [...]. Comme toutes les institutions où les humains se réunissent en groupe, elles vont changer. Le problème, comme toujours dans ces moments de choc collectif, est l’absence de débat public sur ce à quoi ces changements devraient ressembler et à qui ils devraient profiter : aux entreprises technologiques privées ou aux apprenants 5 ? », demande Naomi Klein. Pour certains, la réponse est claire : dès le mois de mai 2020, le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, se félicitait par exemple de la signature d’un partenariat avec la Fondation Bill et Melinda Gates pour développer « un système éducatif plus intelligent ». « Tous ces bâtiments, toutes ces salles de classe, à quoi cela sert-il, avec toute la technologie dont nous disposons désormais 6 ? » Une belle illustration de « la stratégie du choc du capitalisme numérique », déclinaison actuelle des méthodes néolibérales élaborées pendant les catastrophes naturelles du xxe siècle et analysées par la journaliste américaine.

La version française est plus fourbe. Dans une note ministérielle de la fin de l’été 2020, le ministère explique poliment en quoi les quelques semaines où les écoles ont dû fermer pour raisons sanitaires doivent transformer durablement les pratiques : « Cette crise constitue par ailleurs une opportunité pour interroger la classe en tant qu’espace physique et conforter l’enseignant dans son rôle de chef d’orchestre. Elle questionne ce qu’est apprendre et enseigner au xxie siècle 7. » En permettant de « s’affranchir des contraintes de temps et de lieux », l’utilisation du numérique marginalise la place de l’école au profit d’« accompagnateurs » privés et de plates-formes numériques qui fournissent des « services éducatifs » au sein de la « société apprenante », pour reprendre le nom d’un rapport remis au ministère en 2017. Tout doit y devenir « apprenant » : les académies (comme celle de Dijon depuis 2018), les établissements, mais aussi les vacances et les colos depuis l’été 2020, et finalement toute la nation d’après le nom d’une « opération » lancée pendant le premier confinement par le ministère. L’école reste un lieu où l’on apprend, mais n’est ni le plus essentiel ni le plus légitime. Derrière le rêve d’Ivan Illich de « déscolariser la société » (Deschooling Society 8) se cachent le cauchemar d’une vie où l’éducation est traversée par les enjeux économiques et l’évaluation des enfants étendue à tous les temps de la vie…

Quant au travail des enseignant·es, il est réorienté vers des tâches de collecte de données scolaires et d’intermédiation entre les différents « acteurs ». Chaque apprenant sera en effet muni tout au long de sa vie de son « carnet de l’apprenant comme il y a des carnets de santé 9 », en réalité une sorte de livret ouvrier 4.010. Quant aux données scolaires, elles pourront être vendues, comme le souhaite un rapport du Comité d’éthique pour les données d’éducation, créé à l’automne 2019 par Jean-Michel Blanquer, pour lequel « les données scolaires agrégées sont donc une richesse nationale, et à ce titre, l’éducation est un actif stratégique national de l’État au même titre que les activités de transport, de communication numérique, ou de santé publique ».

Toujours dans la note ministérielle, les familles sont également incitées à prendre en charge « l’accompagnement à distance » des élèves en utilisant les « mêmes outils » que les profs. Ici aussi la belle idée de ne pas laisser à l’école tout pouvoir sur l’apprentissage cache mal la voie royale laissée au déterminisme social. Bref, sous un vernis démocratique, la société apprenante cache un projet antiécologique de marchandisation de l’école et de tri social où la responsabilité de la « réussite » scolaire pèse encore plus sur les familles et les individus.

Les promesses du numérique : des écrans de fumée

Un autre argument important est souvent mis en avant pour justifier l’utilisation d’équipements numériques : leur supposé intérêt pédagogique. Ainsi, d’après le ministère de l’Éducation nationale, « la révolution numérique est une chance pour l’école car les nouveaux outils offrent un potentiel de renouveau pédagogique important, pouvant améliorer l’efficacité et l’équité du système éducatif ». Sur son site, on apprend en effet que le numérique permettrait d’améliorer « l’interactivité, la collaboration, la créativité, et stimule l’engagement personnel de l’élève ». C’est que, pour rattraper le retard de la France « par rapport aux pays d’Europe du Nord », d’après le diagnostic posé par Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique au moment du plan « Numérique à l’école » de 2015, il faut au moins ça.

Allons voir de plus près la situation en Finlande, dont le système scolaire figure en tête des principaux classements internationaux11. Dans un article intitulé « L’école finlandaise, les clés de la réussite » que l’on peut trouver sur le site de l’Académie de Versailles, les raisons du succès du pays de Nokia sont déroulées sur une dizaine de pages : pas un mot sur le numérique. Tiens, tiens. Et en 2015, l’étude Pisa révèle que plus un pays utilise les TIC à l’école, moins bons sont ses résultats scolaires. En Italie par exemple, les établissements qui ont les meilleurs résultats en mathématiques et en lecture sont ceux qui utilisent le moins le numérique.

Dans leur livre Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Franck Amadieu et André Tricot, chercheurs au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), passent au crible une dizaine d’idées reçues sur le numérique en s’appuyant sur une synthèse de centaines de recherches. L’apprentissage du code informatique permettrait par exemple de faciliter l’apprentissage dans d’autres disciplines en les rendant moins austères et anxiogènes. Un projet de recherche conduit à Grenoble, Expire, a ainsi été mené pour vérifier cette hypothèse. Sauf que, dans les 109 classes suivies, les résultats sont décevants : les « gains d’apprentissage en mathématiques sont globalement proches pour les deux groupes, mais néanmoins légèrement inférieurs en moyenne pour les élèves ayant suivi l’enseignement fondé uniquement sur les séquences “avec informatique” 12 ». Certes, notent les auteurs, le numérique est intéressant pour de rares fonctions pédagogiques (recherche d’informations principalement). Mais ses effets sont incertains, nuls, voire négatifs en ce qui concerne la compréhension d’un texte, la prise de notes, le développement de la créativité, la motivation, et pénalisent les élèves les plus en difficulté dans l’apprentissage des langues. Enfin, l’utilisation d’outils numériques détériore la demande d’aide et la coopération.

« C’est pour mieux te rendre dépendant, mon enfant »

Au-delà de l’aspect pédagogique inexistant, le simple fait de passer du temps sur les écrans est nocif pour les enfants du xxie siècle, loin d’être des digital natives épanoui·es. Le temps passé devant les écrans gêne le sommeil des enfants, les rend passifs·ves, et « vole » du temps à d’autres activités à coups de shoot de satisfaction et de techniques de captation de l’attention. Les plates-formes vidéo comme YouTube utilisent par exemple différentes stratégies connues sous les termes de persuasive design. En moyenne, les enfants âgé·es de 6 à 11 ans passent trois heures par jour devant un écran13, alors que nombre de pédiatres alertent sur les effets sociaux mais aussi médicaux de ces habitudes (troubles de type autistiques, myopie, sédentarité, etc.)14.

Pour les enseignant·es, c’est un renversement : alors qu’avant les élèves découvraient l’informatique en classe, désormais iels l’utilisent surtout au domicile, pour un usage non scolaire, et viennent à l’école avec leur propre équipement. Comment prendre en compte les usages des élèves tout en résistant à la numérisation de l’école ?

En 2018, un « défi sans écran » a été organisé dans une école grenobloise. Pendant une semaine, élèves et professeur·es devaient passer le moins de temps possible devant les écrans. « Les élèves s’inquiétaient : “Wouah ! Mais qu’est-ce qu’on va faire si on ne regarde pas la télé ?” L’enjeu a donc été de trouver d’autres choses à faire. On a fait des listes – une élève a dit qu’on pouvait s’ennuyer et que ce n’était pas grave –,ainsi qu’une carte du quartier pour voir tous les endroits avec des activités : piscine, parc, stade, gymnase, centre social, etc., raconte Delphine, institutrice rencontrée dans sa classe grenobloise. On a mis en place tout un programme autour de la question du rapport aux écrans et de leurs dangers. » Une véritable autoenquête : « Les élèves ont créé et répondu à des questionnaires, ils ont organisé des séances de discussion entre différentes classes, et, dans ma classe, on a réalisé des posters en sérigraphie qui ont ensuite été accrochés dans l’école. » Sur ces posters, quelques slogans : « Yeux brillants, mon enfant, c’est pour mieux te rendre dépendant, mon enfant ! », « Lâche ta télé, libère ta créativité » ou encore « Les écrans : voleurs de temps ! ».

Alors, défi réussi ? « Une de mes élèves m’a dit qu’elle n’y était pas parvenue parce que ses parents regardaient la télé le soir à table et lui avaient dit qu’elle n’avait qu’à aller manger dans sa chambre… Entre collègues, ça nous a beaucoup questionnés parce que ça nous a renvoyés au risque de culpabiliser aussi bien les enfants que les parents, et les mères en particulier. On s’est aussi rendu compte que les enfants ne pouvaient pas décider aussi facilement de regarder ou pas des écrans dans une société où ils sont partout, qu’on avait fait un truc un peu démago et qu’il ne suffisait pas de dire aux enfants de passer moins de temps devant les écrans. »

Dans une société où il est omniprésent, comment construire une éducation critique au numérique et quelles pratiques émancipatrices favoriser face aux écrans ? Œuvrer à une prise de distance vis-à-vis du numérique ne se fait pas en faisant comme si celui-ci n’existait pas. Qu’est-ce qu’une pub sur Internet ? Comment ne pas partager ses données ? Quelles sont les entreprises qui fournissent les applis qu’on télécharge ? Qu’est-ce qu’un réseau social ? le droit à l’oubli ? Le rôle des professeur·es serait de mettre les élèves en capacité de donner du sens aux informations trouvées sur Internet et de favoriser la prise de conscience de l’ambivalence profonde de ces outils. Souvent « utiles », cela ne les empêche pas d’être avant tout des armes entre les mains des pouvoirs politiques et économiques. Loin d’aider à travailler sur cette tension avec les enfants, les incitations gouvernementales poussent à la fuite en avant pure et simple.

La résistance s’organise

Retour en 1981 et à un reportage sur « l’informatique et l’apprentissage ». Des mains qui tiennent un microprocesseur, des doigts qui tapent sur les touches du clavier, puis, à chaque fois, une voix de robot : « aie », « bee », « cee ». Plan large sur l’enfant, question de la journaliste : « On dit qu’un jour l’école n’existera pratiquement plus, on restera chez soi et on prendra des cours avec des ordinateurs. Ça vous intéresse, ça ? » Réponse de l’enfant : « Oh non ! Je trouve que les professeurs enseignent bien mieux que les ordinateurs, parce qu’ils enseignent sur un cas présent, alors que les ordinateurs n’enseignent que sur un cas qu’on leur a bien déterminé 15. »

Et si, finalement, le projet de numérisation de l’école échouait grâce à la résistance des élèves et des professeur·es ? Lors du second confinement, nombreux·ses ont été les professeur·es à refuser de voir leurs écoles fermer à nouveau. Non pas pour permettre aux parents d’aller travailler et aux profits de continuer à s’accumuler, mais pour le bien-être des élèves qu’iels avaient retrouvé·es affecté·es par un enfermement de plusieurs longues semaines. Mais aussi pour ne pas se laisser gouverner par des outils numériques que le ministère cherche à leur imposer.

Le collectif « Nous, Personne » appelait ainsi le 18 juin 2020 « à ne plus laisser les tenants d’un productivisme effréné, inconscients des urgences qu’affronte l’espèce humaine, déverser leurs mensonges et imposer leurs politiques inégalitaires et dévastatrices ». Si le confinement a été l’occasion pour les entreprises et le ministère de déployer leur « stratégie du choc », il a aussi permis aux professeur·es, parents et élèves de mesurer la nécessité de se battre au quotidien contre la numérisation de l’école. Après la sidération du premier confinement, la résistance s’organise… en ligne, pour l’instant. La réinvention de la lutte « en présentiel », tout un programme !

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