Rêve épidémique - Jacques Fradin

Le coronavirus est-il anti-économique ?
(spoiler : non)

paru dans lundimatin#250, le 29 juillet 2020

Le monde politique comme les éditorialistes ont beaucoup glosé sur le coup d’arrêt qu’aurait représenté l’épidémie de covid-19 pour le monde de l’économie. Les nécessités sanitaires seraient venues suspendre la bonne marche économique ; la santé d’un côté, la production et le profit de l’autre. Dans cet article, l’économiste et philosophe Jacques Fradin démontre qu’il n’en est rien, que biopolitique et capitalisme, loin de s’opposer, ont de tous temps marchés main dans la main ; aujourd’hui plus que jamais. [NDLR : Un post-scriptum à propos du récent discours d’Emmanuel Macron à propos de l’Europe a été ajouté à cet article le 23 juillet.]

L’objet de cet article est de tenter d’expliquer que le confinement, l’intervention sanitaire, la gouvernance sanitaire, voire le droit d’ingérence sanitaire, la lutte anti-épidémique, que tout cet appareillage de contrôle (justifié par la menace) bien loin de s’opposer à la marche normale de l’économie, bien loin de mettre à l’arrêt la contre-révolution néolibérale, le confinement semblant une mise à l’arrêt des activités normales, que tout cela organise ou complète une politique exigée pour poursuivre le développement normal de l’économie, en marche néolibérale, et pour « défendre l’économie ».

La sécurité sanitaire n’étant qu’un élément, disons contingent, de la sécurité économique ; la bonne santé et son modèle sportif étant une pièce d’une bonne économie.

Comme nous glissons, lentement mais sûrement, vers un modèle sécuritaire aggravé, vers un autoritarisme croissant, on a parlé d’une courbe croissante de la coercition, vers une gouvernementalité économique de plus en plus dictatoriale et organisée par ordonnances (terme politique et de la police sanitaire ou médicale), il est évident que revient en plein à l’État sécuritaire, protecteur de l’économie et instituteur de la bonne économie (néolibérale), il est évident que revient à l’État, dont le rôle se place au niveau de la reproduction (de la démographie, en particulier de la surveillance médicale « des femmes » entendues comme génitrices, mais aussi de la surveillance sanitaire générale) et non pas de la production, il est évident que revient à l’État le rôle de garant en dernière instance, en cas de crise, terroriste ou sanitaire’ ; comme il revient à une banque centrale ce même rôle, en cas de crise financière.

Il y a un habitus de la gouvernementalité économique d’agir de manière autoritaire en cas de crise : la sécurité se déploie toujours en sécuritaire.

L’exemple qu’il faut toujours garder devant soi est celui des États-Unis après le 11 septembre 2001. Il faut toujours retourner à ce modèle : Bush junior, autant que Sarkozy, sont les inspirateurs de Macron (y compris pour la fibre chrétienne conservatrice).

Un attentat terroriste spectaculaire (il faudrait sans cesse revenir sur le rôle des médias du nouveau régime), plus que réellement menaçant pour « la sécurité intérieure », un attentat circonscrit conduit à une débauche générale de lois sécuritaires.
Suivant un modèle trop classique d’usage d’un bon prétexte : gestion policière d’une panique (épidémique ou terroriste) gonflée médiatiquement – nous retrouverons, évidemment, cette gestion policière de la peur épidémique, la question de la peur propagée médiatiquement, peur panique qui justifie la proclamation de l’état d’urgence sanitaire et toutes les obligations de se soumettre aux contrôles (encore une fois le patron américain de l’état d’urgence sanitaire français de 2020 est le si fameux Public Health Security and Bioterrorism Preparedness and Response Act de juin 2002).
Se profilent des lignes de lois sécuritaires et, cas américain, la remilitarisation de la société.

Terrorisme ou épidémie, bioterrorisme combinant les deux, voilà les meilleurs motifs de la guerre ou de la préparation à de nouvelles guerres, pour ressouder l’unité perdue, « défendre la société ».
Et ne voit-on pas Macron, encore une fois, reprendre le vocabulaire « viriliste », guerrier, militariste, de Bush junior.

Revenons à l’exemple américain : sur la crise terroriste (de fin 2001) se greffe une crise sanitaire grandement exagérée. L’imaginaire du bioterrorisme propageant l’épidémie (anthrax, rougeole) devient hystérique, gonflé, de nouveau, par un délire médiatique.
Le rôle de ce délire médiatique serait spécifiquement à étudier : nous rentrons dans le registre de la propagande (du nouveau régime), de la propagation hallucinée de la peur, afin de justifier l’autoritarisme croissant du nouveau régime économique (réactionnaire chrétien évangéliste libertarien).
Vieilles recettes de la plus vieille politique : crise montée en épingle, hystérie (voir la ruée sur le papier toilette), peur, délire et manipulation gouvernementale de cette peur. L’État protecteur qui vient pour rétablir la sûreté dans un climat de désordre ou de chaos.
Dans ce cadre d’hystérie provoquée, le gouvernement peut alors prendre des mesures sanitaires préventives extrêmes. La sécurité policière, voire militaire, contre le terrorisme se double d’une sécurité sanitaire, contre le bioterrorisme (ou la propagation de l’épidémie).
Protéger la santé, puis « la vie », devient un objet policier.
La même chose se répète en France, près de 20 ans plus tard, toujours dans le cadre d’une accélération de la contre-révolution conservatrice néolibérale (accélération dont Macron se fait le promoteur et à laquelle il lie sa carrière politique : réussir là où ses prédécesseurs ont échoué).
Reprenons le schéma américain, légèrement décalé.
D’abord face à un mouvement de révolte, dénoncé comme violence inacceptable (décalage du thème du terrorisme), une généralisation de la contre violence policière appuyée par une débauche, à l’américaine, de lois sécuritaires, également calquées sur le modèle américain.
Puis arrive, divine contingence, une crise épidémique (laquelle se place dans un espace d’unpreparedness). Crise épidémique, traitée à la Bush (comme en 2002), de la même manière que le mouvement de révolte, c’est-à-dire de manière sécuritaire (toujours l’exemple américain).

À la sécurité publique ou à la sûreté économique succède la sécurité sanitaire, sans rupture de logique ; ce qui permet de compléter, sans fin, un arsenal sécuritaire foisonnant.
Globalement, suite au terrorisme, 2015 en France, aux révoltes, 2018 en France, et à l’épidémie contingente, se met en place, de manière tout à fait justifiée, un régime autoritaire et policier prêt à achever la dislocation néolibérale nécessaire à l’incorporation européenne.
Le glissement d’un despotisme économique « modéré » vers un autoritarisme de sûreté ou une dictature néolibérale se justifie par une série d’événements aléatoires, dont l’épidémie.
Imposer à la France de rentrer dans le rang commun européen, ordo-libéral à l’allemande, défendre l’ordre économique européen passe ainsi par une politique de sécurité sanitaire.
Voilà ce qu’il faut retenir de la crise épidémique et de son traitement sécuritaire : le gouvernement économique a pu saisir un prétexte imparable, totalement justifié, comme pour les attentats, pour mener à terme le projet européen de la grande unification économique, néolibérale ou ordolibérale, autour de l’Allemagne.

La crise épidémique est le moment rêvé, le rêve épidémique, pour casser toutes les résistances, ou ce qu’il en reste, casser toutes les résistances à la mise en ordre économique (et la leçon vaut bien un endettement accru, à taux d’intérêt nul !).

Encore une fois, le gouvernement économique n’a rien imaginé : il lui a suffi de s’inspirer des États-Unis de G. W. Bush junior.
L’épidémie (providentielle) apparaît, au hasard, comme un arc électrique dans une atmosphère générale de coercition (contre insurrectionnelle), décharge électrique qui permet de compléter la marche (et de soutenir « les marcheurs ») vers la normalisation néolibérale, en style européen.
Quand verra-t-on, alors, que la crise épidémique fut un nouveau prétexte (imparable) et que les mesures drastiques de police sanitaire, comme le confinement, ne furent, en aucun cas, des mesures anti-économiques ?

Éléments d’analyse générale

Partons de deux concepts clés de Foucault, ceux de biopouvoir et de biopolitique. Concepts qui introduisent à l’analyse de cette notion, économique, démographique, statistique, épidémiologique, notion centrale, à partir du 18e siècle des Physiocrates (insistons sur le nom, qu’on peut traduire en « biocratie » ou biopolitique), la notion de population.

La population est une notion transversale qui met la démographie, l’analyse statistique de « la vie », au cœur de l’économie et permet l’analyse quantitative, statistique, comme l’épidémiologie. La population, démographique et économique, est vue comme l’entité, l’organisme productif essentiel ; déplacement du modèle militaire des masses, celui de la levée en masse.
Ce n’est pas le travail qui est la substance de l’économie (et la substance productive), c’est la population, « la vie » vue statistiquement ou en termes démographiques.
D’où l’intérêt de l’économie, de style physiocratique puis libéral, pour « la vie », pour sa protection, sa défense, son amélioration (bientôt eugénique), sa croissance (toujours l’intérêt démographique porté à « la femme » génitrice).
La population, « la vie », est à l’intersection de l’individuel et du collectif.
Cette notion permet de se décaler des notions de l’économie classique liées au travail (Ricardo, Marx) tout en conservant l’intérêt porté à la force physique, à la base physiologique (ou biologique) de la force de travail. Il s’agit d’aller plus « profond » que Ricardo ou Marx dans l’examen de la substance productive, d’arriver au socle biologique (de la force de travail), « la vie », d’associer production (exercice de force) et reproduction (l’engendrement biologique).
L’économie se décale vers la biologie.
Apparaît l’idée de SANTÉ. L’idée de santé apparaît immédiatement comme une idée économique ; le 19e siècle sera hygiéniste puis eugéniste.
La population est l’extension du collectif militaire de force, dont le dynamisme repose sur la sportivité. L’idée militaire du sport creusera sa voie jusqu’au triomphe ultime de l’identification : pratique sportive (ou esprit sportif) = bonne économie (le sport comme métaphore de l’économie).
D’où l’identité biopolitique centrale : santé = sport = bonne économie.
Bonne santé physique, mentale, morale, esprit sportif (et militaire), tout ce qui permet de gagner.
La force dynamique militaire, « la vie » enrégimentée en une forme de vie saine, est le prototype de la force de travail bien organisée, bien gérée. L’idée de capital humain n’est donc pas une nouveauté, c’est un marronnier qui traverse l’économie, depuis les marxistes du capital variable (le travail vivant, l’effet de « la vie ») jusqu’aux entrepreneurs prométhéens du capital le plus précieux.

La biopolitique, c’est-à-dire la gestion économique et sanitaire de « la vie », effort, santé, sport, est une part de la logique économique, la partie qui s’intéresse à « l’humain vivant comme capital précieux ». La rationalité gouvernementale économique, libérale puis néolibérale, met « la vie » au cœur de ses préoccupations économiques (et là se trouve un lien entre l’économisme néolibéral et l’évangélisme le plus réactionnaire, celui de « la femme au foyer »).

Il revient donc à Foucault d’avoir montré la relation qui unit l’économie néolibérale et la biopolitique, qui peut être d’abord entendue au sens traditionnel de démographie (toujours enseignée avec l’économie).
Chacun sait qu’Agamben a généralisé l’idée foucaldienne de biopolitique (introduite rapidement).
Toute politique et, donc, l’économie en particulier, concerne « la vie », sa procréation, sa croissance, son état sanitaire et psychologique. Toute politique est donc biopolitique.
C’est « la vie » sous tous ses aspects, médicaux et biologiques en particulier, mais aussi bien psychiatriques, qui est l’objet du gouvernement (dont, nous l’avons dit, l’office se situe plus du côté de la reproduction, centralisée, que de la production, décentralisée).
C’est la constitution d’une forme de vie (ou d’un mode de vie) qui est la tâche du gouvernement, l’instituteur de l’économie (écoutons les appels à la morale républicaine, à la remoralisation, comme des appels à « défendre l’économie »).

Certes, la constitution d’une forme de vie (et d’une population unifiée) est l’objet de la politique, ainsi biopolitique, depuis, au moins l’antiquité ; ne citons que Sparte et sa politique militaire intégrale. Mais une conscience biopolitique réflexive n’apparaît qu’au 18e siècle avec l’invention de l’économie, et la nécessité d’avoir des travailleurs soldats en bonne santé (et sportifs).

La généralisation de Foucault par Agamben consiste à ajouter au couple population / individu une autre structure plus fondamentale, vie civilisée / vie sauvage.
Si l’on peut définir les analyses d’Agamben comme une archéologie (recherche des fondements) de la biopolitique, cette archéologie est centrée sur le (dit) processus de civilisation, sur la colonisation, sur la mise en forme de « la vie » et la constitution de formes de vie.

Pour Foucault, la biopolitique (gestion politique de « la vie ») est liée à l’économie et, ainsi, peut se développer comme politique de santé (santé publique, hygiène, médecine) ; mais cela n’est qu’un exemple particulier de conformation d’un collectif de combat, militaire, sportif, économique (où la santé joue un rôle essentiel).
La biopolitique, au sens généralisé d’Agamben, met en lumière le sens du terme « civilisation » (progrès des populations, des mœurs et de la santé, croissance de la durée de vie en bonne santé, ce qui croise l’économie et son projet du bien-être) ; civilisation = emprise complète sur « la vie » depuis l’éducation jusqu’à la bio-ingénierie.
La conformation devient emprise coloniale.
Nous retrouvons le plus vieux modèle de l’extension à l’homme du processus de dressage des animaux. Le maître des animaux domestiqués, comme le maître des esclaves, est préoccupé par la santé du cheptel.

La biopolitique est organisée autour de la domestication et de la protection (sécuritaire et sanitaire) : procréer le plus possible, sauvegarder les nouveaux individus procréés, dresser, éduquer, soumettre à l’ordre, renforcer l’ordre (jusqu’à le rendre auto-poïétique), et pour ordonner, diviser, classer, mesurer.
À la domestication est liée l’idée d’enclos domestique ou de foyer, l’immunisation d’Esposito.
« La vie » devient alors l’objet total de la politique – comme la procréation devient un objet politique, « la femme » est un objet politique (par la démographie, la militarisation, la morale religieuse de la procréation). « La vie », et sa protection sanitaire, devient explicitement, réflexivement, l’objet de la politique avec l’économie.

Au 18e siècle, toujours, l’économie déploie une arithmétique politique avec la statistique démographique et économique du produit social ; cette arithmétique statistique se transforme en science de « la vie » (rôle central des statistiques pour la biologie naissante) ; physio-cratie signifie gouvernement des « ventres », gouvernement du cheptel à faire croître puis gouvernement sanitaire hygiéniste.

C’est au 19e siècle qu’apparaît le grand problème de l’HYGIÈNE, de la bonne santé (Pasteur et les microbes) – et l’invention du sport (pour les troupes coloniales et les premiers touristes).
L’un des éléments d’une bonne économie est ainsi la bonne santé ; toujours le rôle du sport, de la force militaire, de l’entraînement, du moral.
Sauf errance diabolique, comme le calcul économique de la survie au moindre coût dans les camps de travail (100 jours de survie sans nourriture et nécessité d’un réapprovisionnement permanent en force de travail) ou dans les exploitations esclavagistes sudistes, l’économie exige la bonne santé des populations.
Posons même un principe : bonne économie = bonne santé ; toujours le sport comme modèle économique.
En découle que la médecine, la santé publique, est un élément composant de l’économie.
Ce qui se traduit historiquement par le glissement de la médecine militaire des masses conscrites, cela après Napoléon, à la médecine du travail dans le régime minier ; puis le passage néolibéral à l’individualisation de la santé et à la responsabilité personnelle pour « la forme », avoir et garder la forme.

Si donc le biopouvoir n’est pas nécessairement diabolique, sur le modèle des médecins ou psychiatres qui assistent les tortures, il est nécessairement lié à une fonction hygiénique puis eugénique, sportive : « faites du sport » (la bonne santé obligatoire) ; le biopouvoir est toujours une fonction support de l’économie.
On connaît bien, depuis longtemps, la relation qui unit l’hygiénisme et la surveillance (police sanitaire et des mœurs). La biopolitique a toujours un aspect policier incontestable [1].

Le pouvoir médical, et ses surveillances, possède une dimension disciplinaire, ne dit-on pas que le médecin est le nouveau pasteur (chargé de la santé du troupeau), ordres, ordonnances, contrôles hiérarchiques. Dimension qui heurte et peut se heurter à la rébellion religieuse (comme le refus des vaccinations obligatoires).

Pensons seulement au problème biopolitique (biologique, politique, religieux) ou démographique (si vu depuis l’appareil statistique) de la natalité avec la mise en surveillance biotechnologique de « la femme » considérée uniquement comme matrice biogénétique ; pensons aux débats violents qui entourent l’appareil biotechnologique ; avec à la limite la mécanisation biotechnologique complète de la procréation ; l’usine biochimique permettra-t-elle la libération de « la femme » ou renforcera-t-elle la définition de « la femme » comme pot de fleur sous surveillance biotechnique (renvoyons ici à la littérature féministe sur les biotechnologies de la nouvelle biopolitique).

La biopolitique peut ainsi être une thanatopolitique par l’artificialisation biogénétique qu’elle met en œuvre ; et, en ce sens, « mortel », elle consiste en une surveillance, un contrôle serré, en l’administration de « la vie » ; « vie » entendue en un sens abstrait (gérable), processus biochimique, force vitale mesurable, force productive contrôlable, chair à canon mobilisable.
« La vie » organisée par la biopolitique économie (ou, maintenant, la bioéconomie) est une formalisation spécifique, conformée (moralement déjà) ; « la vie » que l’on devrait appeler « l’avie » (Lacan).
Encore une fois et toujours, le sport dévoile cette nature politique autoritaire : obligation de la bonne santé, obligation du sport, la santé mise sous contrôle.
Et le gouvernement empêtré par ses obligations biopolitiques pour sauvegarder l’économie.
L’économie correspond à une « forme de vie », ou un mode de vie, a way of life, forme édictée pour les besoins de l’économie, comme l’agrégation citadine ou la grégarité, et contrôlée par la machinerie biopolitique (toujours l’hygiène, défense de cracher).
Machine qui peut passer de l’ordonnancement collectif, l’époque du travailleur soldat ou du capitalisme en gésine, à l’individualisation néolibérale beaucoup plus terrible et inégalitaire, l’époque du touriste sportif et sautillant qui doit lui-même gérer sa santé dans un cadre sévère de prescriptions morales et médicales. La direction technobiologique ou génétique de « la vie » et le nouvel appareillage médical sont des renforcements de ce guidage de « la vie » vers une forme productive nécessairement olympique.

L’économie du bien-être, du plaisir de consommer (sans abus dangereux ou du café décaféiné), d’être à l’aise (à bonne distance), incorpore la biopolitique de la bonne santé : il faut un socle de CORPS SAINS.
La citoyenneté biologique, hygiène, santé, sport, est un composant subjectif essentiel de la démographie et de l’économie.
Démographie qui s’intéresse d’abord au nombre, biblique : croissez et multipliez, à la masse des travailleurs soldats puis à leur force, augmentée biogénétiquement, l’espérance de vie en bonne santé. Nous retrouvons toujours un principe militaire, la force d’abord numérique devient technologique, par la productivité thanatopolitique qui inscrit, circonscrit la citoyenneté biologique.

Le biopouvoir, qui organise la force de travail, s’intéresse à chaque corps, depuis les ligues anti-alcooliques jusqu’à la psychiatrie en passant par les vendeurs (ou charlatans) de « régimes » s’intronisant prophètes de modes de vie alimentaires. L’administration du biopouvoir n’est pas constituée que par les légions médicales disciplinées ; les adeptes et les gourous de « la santé naturelle » peuvent s’y adjoindre.
Mais quelles qu’en soient les modalités pratiques, la biopolitique organise ses interventions pour gérer les populations, au prétexte imparable de la bonne vie.
C’est là qu’apparaissent la santé publique et les phénomènes de masse, comme les épidémies.
Autant qu’il faut savoir gérer chaque cas, le coaching de forme, il faut également savoir gérer les phénomènes globaux, comme les épidémies (mais nous restons dans la gestion). Dans un cas, individuel, comme dans l’autre, collectif, cette gestion repose sur la surveillance et l’imposition disciplinaire de normes, et, à la limite, sur la culpabilisation.

Si l’économie est un système politique global de conformation, discipline, surveillance, contrôle, vérification, mesure, son sous-système médical ou biopolitique est également un système de contrôle.
Si l’on donne le nom de SÉCURITÉ à ce système global, d’assurance d’une bonne économie, alors il en découle que la biopolitique, de maintien en forme, des agents et de l’économie, est également un système sécuritaire et même très autoritaire, le système de la sécurité sanitaire.
Si la bonne santé, le bon état sanitaire des populations, si le sport ou la sportivité, sont des caractères essentiels d’une bonne économie, il devient évident qu’une bonne gouvernance économique implique la protection de la santé publique et doit toujours compléter la sûreté économique par la sécurité sanitaire.
Le confinement, qui met à l’arrêt, passagèrement, l’économie, n’est en aucune manière en contradiction avec le fonctionnement de l’économie, le confinement n’est pas révolutionnaire, il n’est que la nécessité, passagère, du maintien de la bonne santé ou de « la vie » médicalisée pour la perpétuation, future, de la bonne économie.

Certes, le confinement est une décision régalienne (policière) qui outrepasse le calcul individuel des intérêts ; mais il correspond au rôle de l’État protecteur de l’économie, à la fois État de sûreté, de sécurité sanitaire et de défense de l’ordre, contre toute panique potentielle, par exemple – le confinement, a aussi, pour fonction partielle de casser les flux paniques, sans aller jusqu’à la censure totale des médias (comme cas de guerre), mais en utilisant ces médias pour déployer une propagande forte.
Le confinement rentre dans un calcul économique global, qu’un président financier peut mener, s’appuyant sur son expérience des calculs bancaires d’endettement, la dette épidémique pouvant être circonscrite dans une structure de defeasance avec des taux d’intérêt proches de zéro ; le même calcul économique, un peu forcé ou contraint, que celui du financement d’une guerre.
Il faut bien voir le lien d’amour entre notre président banquier et la dette pour comprendre le peu d’importance qu’il peut accorder aux avanies financières découlant du confinement.
La biopolitique de la bonne santé pour une bonne économie est liée à une conception organiciste de la société qui met « la vie » et le vital avant le travail, comme source de l’économie (toujours l’aspect chrétien).
Nous l’avons dit, toute l’économie, physiocrate, et cela est dit par leur nom, libérale, néolibérale, place « la vie », et sa mise en forme, avant le travail, place donc la reproduction en surplomb de la production ; et, à ce sujet, il faudrait repenser l’ordo-libéralisme allemand (qui détermine la construction européenne) comme une doctrine économique fondée religieusement dans un christianisme vital.
« La vie » est une catégorie fondamentale, très chrétienne, et le critère normatif, la bonne vie en bonne santé, de la richesse, du bien-être et de la vérité (au sens de Foucault Badiou).
L’économie assure la bonne vie et exige donc que « la vie » soit mise en sécurité ; ne jamais oublier le caractère chrétien du néolibéralisme, version évangéliste aux États-Unis, version luthérienne en Allemagne.
De la sécurité bourgeoise des biens à la sécurité de ce bien suprême qu’est la bonne santé, se dessine le champ d’action de la POLICE, au sens du 18e siècle repris par Foucault (et Rancière) ; l’économie étant une discipline policière, la discipline de police des formes de vie.

La gestion sanitaire, la biopolitique de la bonne santé, est donc une activité policière, statistique. Inclus dans cette gestion, le corps médical ou l’ordre médical est un appareil disciplinaire, la discipline des corps, les fameux « régimes », la discipline de l’âme, le sport, appareil organisé hiérarchiquement. Le thème central de cette gestion sanitaire, la bonne santé, est un élément de la sécurité publique, de l’hygiène au contrôle biogénétique, un élément de sûreté économique.
Et puisqu’il s’agit de conformation, le devoir d’être en bonne santé, cette gestion médicale s’intègre sans difficultés à l’activité policière générale, celle de la sécurité ou de la sûreté.
Et nous l’avons dit, de la sécurité au sécuritaire, le glissement est constant.
Dès lors que l’ordre social est menacé par des déviants, des opposants, des casseurs (relire Castex dans le texte), des malades, des contagieux, l’assurance de la sécurité ou de l’ordre exige l’intervention policière (d’où la mise hors contrôle de la police, l’état d’exception d’Agamben).

L’économie s’organise toujours en régime politique autoritaire, despotisme d’entreprise, sûreté des propriétés, éducation morale économique, constitution du sujet touriste. La sécurité sanitaire n’est qu’un déplacement de ce régime économique ; ce pourquoi les régimes de santé, régimes alimentaires ou obligation du sport, courent, toujours derrière les régimes disciplinaires d’entreprise.
Le bon travailleur doit veiller à sa bonne santé, physique et morale, ne pas boire, ne pas fumer, et devenir le promoteur actif de la lutte anti-épidémique (devenir un citoyen sain).

Quelques applications

Depuis « l’occupation américaine » (Pascal Quignard) l’objet des politiques, en Europe, est l’unification économique européenne, unification suivant le modèle ordo-libéral allemand.
Le droit chemin, suivi par les marcheurs, est de placer la France dans la normalité européenne définie par l’Allemagne. C’est-à-dire de reconfigurer le modèle économique (ajustement structurel) et d’imposer une variante locale de l’ordo-libéralisme. Par exemple, mais exemple clé, en effectuant des ajustements structurels, comme la minimisation extrême, à l’américaine, des services collectifs, en particulier les hôpitaux et la santé (ce qui sera une cause de l’impossibilité d’affronter l’épidémie autrement que de manière sécuritaire – on retrouve le lien violent entre l’économie et ses ajustements structurels, la casse des hôpitaux, et les politiques de santé, délaissées).
Mais mettre la France dans la normalité européenne, ou en faire une nouvelle Irlande, se heurte à une opposition forte ; opposition non pas contre l’Europe mais contre la définition économique ordo-libérale de cette Europe, définition qui cependant constitue « l’Europe réellement existante » – avec le dumping fiscal, les paradis fiscaux intérieurs, toujours l’Irlande paradis fiscal des multinationales exonérées d’impôts.

Au fur et à mesure de la marche en avant dans le droit chemin européen, au fur et à mesure de l’approfondissement de la casse sociale et des effets que cela peut avoir en termes de crise épidémique (l’impréparation radicale), l’opposition, de plus en plus avertie (sur le tas), devient de plus en plus forte (et violente).
D’où la réaction sécuritaire du gouvernement économique.
Macron joue son prestige et son égo sur sa capacité à achever ce que tous les autres, Hollande en particulier, trop négociateur et dans le compromis et la conciliation, avaient échoué à réaliser : normaliser définitivement la France.
Et à partir du moment où le modèle visé est celui, réactionnaire, des États-Unis, avec sa sécurité sociale ramenée à l’état de la charité religieuse du 19e siècle, la fuite en avant sécuritaire (et militariste) américaine, dont nous avons glissé un mot pour commencer, avec l’usage du bioterrorisme ou de la menace épidémique comme prétexte justificateur, prétexte imparable, cette fuite en avant devait se retrouver en France, simplement décalée dans le temps (en France il se passe ce qui se passe aux États-Unis 15 à 20 ans après).
C’est dans le cadre de la contre-offensive (des marcheurs de la marche à l’Europe réellement existante) et pour achever la révolution conservatrice néolibérale, c’est dans le cadre de cette contre-offensive, au prétexte terroriste puis épidémique, qu’il faut penser la nouvelle sécurité sanitaire et son appareillage autoritaire.
Un prétexte imparable, l’épidémie, succède à un autre prétexte imparable, le terrorisme (et maintenant la violence inacceptable des casseurs) : terrorisme, bioterrorisme, menace de l’arme bioterroriste, diffuser des virus, rougeole, anthrax (charbon), surprise épidémique et encore la diffusion des virus par non-respect des règles sanitaires (port du masque, distanciation) ; un cycle sécuritaire s’amorce pour ne plus jamais s’arrêter.
Tous ces prétextes sont traités de la même manière par un état d’urgence aggravé qui, petit à petit, organise la totalité de « la vie ».
L’autoritarisme évolutif, et ici progressif, du despotisme économique désinhibé se manifeste. Imposer, propager, défendre le modèle néolibéral exige d’utiliser tous les prétextes.
Et si l’épidémie n’est pas « volontaire » (thèse conspirationniste) son usage relève de la bonne aubaine : le rêve épidémique.
La grande offensive finale pour la réunification européenne, autour du modèle économique néolibéral, peut s’emparer de l’épidémie.
La biopolitique est donc au cœur de la pratique du pouvoir souverain, contrairement à l’opposition, que soutient Foucault, entre pouvoir souverain et biopouvoir.
Le pouvoir souverain exerce le contrôle des populations, de la micropolitique à la macropolitique ; statistique, démographie, normalisation, classements, discipline, surveillance individualisée des corps.

La souveraineté exige donc la définition d’une population, le cheptel, et la circonscription conscription de cette population dans un enclos (que réalise pleinement le confinement) – on retrouve toujours la matrice cachée de la politique dans la colonisation, l’exclusion, la séparation, la définition d’un domaine, le tri, le classement, la mesure.
La population est le cheptel, et la biopolitique est la surveillance « pastorale » (religieuse donc) du cheptel, son élevage (la domestication).
Il faut maintenir « en vie » ou améliorer la race pour mieux user du troupeau et pour arriver au meilleur usage économique. Si l’on conçoit la doctrine du capital humain comme une nouvelle idée de l’esclavage, avec l’humain comme capital évaluable, alors la politique de sécurité sanitaire, salubrité, hygiène, eugénisme, quelles que soient ses limites (dues aux ajustements structurels) n’apparaît plus comme extraordinaire, mais, au contraire, comme le devoir pastoral de protection de la population ou, exactement, de protection de l’espérance de vie en bonne santé (malgré les erreurs d’agencements dues aux contradictions entre les objectifs économiques, pensés étroitement à court terme et trop financiers, et les objectifs sanitaires qui exigent une gestion économique plus large et biopolitique, à plus long terme et sans trop de soucis financiers).
Dès lors que le gouvernement a la responsabilité entière des lois répressives et de l’inculcation des valeurs morales économiques, il se doit d’exercer ce pouvoir, surtout en cas de crise sanitaire, crise qui peut générer de la panique et de la désorganisation.

Si nous posons que « la vie » est l’objet essentiel de la politique, pour des raisons économiques, politique ainsi définie indifféremment comme biopolitique ou économie politique, politique de l’organisation vitale (des formes de vie) des populations, alors l’économie, définie comme la gestion sanitaire de l’infrastructure physiologique (composée par les têtes du cheptel), se confond avec une politique de protection de la population ou de multiplication de cette population.

Biopolitique et économie tournent autour du triplet : production, démographie (reproduction), santé ; bien-être et bonne santé. La santé, en particulier la procréation, a toujours été envisagée comme un supplément de l’économie, un supplément démographique.
La défense de la bonne santé ne peut s’opposer à la défense de l’économie ; les deux fonctions entrant dans le registre policier du sécuritaire de plus en plus étendu.

De cette défense de l’économie, comme impératif de gouvernance, défense qui peut prendre une forme sanitaire (maintenir la santé), découle la supériorité absolue de la protection de la santé publique (et de l’ordre public) sur celle de la vie privée (on retrouve l’organicisme qui est derrière la biopolitique). L’objet ultime étant la conformation, l’intégration, il est évident que l’idée de « vie privée » ne peut être que subalterne, et n’est acceptable qu’en tant que vie conformée.
La santé publique participe de la tyrannie qu’appelle l’économie.
La discipline sanitaire est donc un élément clé de la défense de l’économie et de son ordre politique ; l’hypothèse pessimiste du refus de coopérer conduit à la nécessité de la contrainte ; nécessité augmentée par le danger du chaos social ou de l’hystérie collective (le fameux modèle de la peste et de l’anomie y correspondant).

Le confinement ou les quarantaines forcées ne s’opposent pas à une bonne gestion économique : il s’agit toujours de maintenir l’ordre, de défendre les structures politiques de l’économie, et de se placer au niveau supérieur de la protection des institutions.
L’autorité souveraine a aussi pour objet de contrôler le civisme, la moralité, le conformisme et d’exclure toute démobilisation.
Les États-Unis de Bush junior (vers 2003) ont (ré)inventé des Citizen Corps (de voisins vigilants) pour produire du civisme et obtenir l’engagement personnel dans la lutte (lutte sanitaire qui est aussi une guerre civile).
Devenir militant de la lutte sanitaire est la meilleure école pour soutenir l’économie.

Comme Bush, toujours lui, réclamait de maintenir la consommation pour lutter contre le terrorisme.

Post-scriptum : le rêve économique

Le fait que François Hollande ait pu juger le « deal » européen (du 20/07/2020) sur le (soi-disant) « plan de relance » d’avancée majeure doit nous mettre la puce à l’oreille.
Où se cache le lézard ?
Si l’on interprète la crise épidémique en termes strictement économique comme une crise économique, tout à fait comparable à la crise de 2008-2010, peut-être plus intense, les leçons que l’on peut tirer de la gestion de la crise de 2008 s’appliquent à cette nouvelle crise.

Ce qui veut dire qu’il ne sera pas plus question maintenant, en 2020, qu’en 2008-2010, sans parler de la crise de l’euro ou de la Grèce, toujours après 2010 (la gestion de la crise grecque étant le modèle qui sera suivi : de la dette ou de l’emprunt, toujours de la dette), il ne sera pas réellement question de relance par une intervention budgétaire massive (tout cela étant interdit par les règles européennes ordo-libérales : briser le pouvoir monétaire des États, briser leur pouvoir interventionniste de style keynésien, pouvoir qui se manifestait par le moyen d’un déficit non financé, par émission monétaire, dont la possibilité a été retirée aux États) ; pas de relance massive pour remettre l’économie en route ; pas plus d’action budgétaire qu’il n’en a été question à l’époque de la crise de l’euro. Et la différence entre les États-Unis et leur banque centrale mondiale impulsée par le gouvernement et dont la politique monétaire se coordonne à la politique budgétaire et l’Europe, avec sa banque centrale en roue libre, strictement séparée des gouvernements, ne pourra que s’accroître davantage ; au détriment de l’Europe vouée à être une vaste zone de dépression économique (avec un chômage, officiel ou déguisé, massif).

Une intervention, de relance, en Europe, maintenant comme en 2010, impliquerait de mobiliser au moins 10% du revenu européen, au moins mille milliards d’euros, et plutôt deux mille, sous forme de déficit budgétaire sans contrepartie (émission monétaire), quelle que soit la forme de l’action budgétaire, plurinationale ou fédérale.

Gardons ce chiffre : mille milliards d’intervention budgétaire (et non pas d’emprunts remboursables) à mobiliser très rapidement.
Or les discussions bruxelloises tournent autour de moins de 500 milliards (ne parlons pas de la dette) étalés dans le temps ; le reste n’étant que de l’endettement à rembourser.

Il n’y a donc pas de plan de relance, ni de discussions sur un tel plan (exclu par construction européenne : il ne peut y avoir de politique budgétaire de relance, puisque l’émission monétaire est aux mains de la banque centrale autonome qui travaille uniquement pour les banques et les grandes entreprises). Il n’y a que de l’emprunt, c’est-à-dire un décalage temporel des charges, sans augmentation de revenu (il n’y a qu’un transfert temporel de revenu, du futur sur le présent, aucune création nouvelle).

Les discussions et les débats sont un spectacle qui cache une volonté identique à celle de 2010 : celle d’accroître l’austérité (renvoi au schéma grec généralisé à l’Europe).

C’est en cela que la crise épidémique constitue, en plus d’être un rêve épidémique (celui du renforcement des autorités disciplinaires au prétexte sanitaire), un rêve économique, celui de justifier toujours plus d’austérité, celui de justifier une discipline économique renforcée, au profit des rentiers (des prêteurs).
Au vive le coronavirus, il faut ajouter : vive la crise.

Toujours plus d’autorité, toujours plus de discipline (budgétaire), toujours plus d’austérité, en écrasant les économies sous des masses de dettes (qui sont des transferts des emprunteurs vers les prêteurs, prêteurs qui pompent les ressources budgétaires).
La dette, l’endettement comme moyen disciplinaire traditionnel ; qui se combine aux disciplines sanitaires.
L’État de sécurité (sanitaire & économique) peut donc se renforcer, au travers du « deal » bruxellois.
Ce qui est donc intéressant n’est pas l’absence de volonté de « relance » (volonté laissée, par construction européenne, à la banque centrale indépendante, et volonté autonome qui agit selon les propres méthodes bancaires du soutien exclusif aux riches) ; ce qui est intéressant est le brouhaha médiatique, le cinéma autour de faux débats sur le fonds de relance (tout le monde s’accordant pour respecter les règles ordo-libérales d’interdiction du soutien budgétaire). Même le débat (clos) sur les « corona bonds » (des émissions européennes) cachait la volonté commune de ne jamais revenir à la stimulation budgétaire de type keynésien.

La réunion bruxelloise fut un gigantesque théâtre où l’on mit en scène une Europe menacée (de dislocation) et qui, finalement, réussit, oh bonheur, à surpasser les divisions (tout en restant dans les clous des normes ordo-libérales).
Un exercice magnifique de propagande.
Dépasser les divisions ? Mais vers quoi ?
Vers l’objectif constant d’une Europe strictement économiste soumise à l’hégémonie ordo-libérale et aux règles les plus ténébreuses [2].

Inutile d’insister : il suffit de se rappeler l’histoire très récente de la Grèce. Et la crainte de l’Italie d’être traitée comme une autre Grèce.
Pas de pitié pour les perdants (ou les contaminés) : la règle de la responsabilité individuelle, à la base du néolibéralisme, s’applique aux collectifs nationaux qui composent l’union économique (et sa compétition débridée – la concurrence des systèmes nationaux, fiscaux, budgétaires [3]).

L’objectif politique économique de l’Europe est : toujours plus d’austérité, toujours plus de surveillance, toujours plus de contraintes (au paradis du « libre choix »).

L’Europe n’a jamais été le champ de bataille entre les fourmis du nord et les cigales du sud ; cela n’est qu’un thème de propagande pour détourner l’attention de ce qui unit les gouvernements européens (le renforcement des disciplines austéritaires, dont la discipline sanitaire est un complément).

Si l’on doit continuer à parler de champ de bataille et de guerre, c’est d’un champ de bataille unifié dont il faut parler ; non pas guerre entre des nations (des « radins » et des « flambeurs ») mais guerre entre les gouvernements européens, tous ensemble, avec les bureaucraties européennes, et (contre) les populations ; la communauté économique n’étant qu’une union économique biaisée, sans union fiscale ni budget (fédéral) commun, juste une zone monétaire et un système de compétition entre les nations composantes (dumping fiscal ou social, paradis fiscaux) qui met en concurrence les salariés, juste une zone de circulation excluant toute solidarité ou toute redistribution (fédérale, à l’américaine).

D’abord il s’agit du champ de bataille d’une grande guerre culturelle (une guerre de religion), celle de l’imposition du dogme religieux ordo-libéral, dont les institutions européennes, toujours économiques, sont une effectuation.

Et sur ce champ de bataille, pour imposer un ordre économique, est menée une guerre vicieuse, guerre cachée ou déniée contre les populations, celle de la conformation ; et que la propagande transforme en un autre combat, dévié, récupéré, nationaliste (le plus vieux trucage politique) ; fourmis contre cigales, nord contre sud, protestants luthériens intègres et sévères contre catholiques corrompus et coureurs de jupons.
Mais la grande guerre de la conformation néolibérale est conduite par l’oligarchie bureaucratique européenne, transnationale ou bruxelloise, et DANS toutes les nations composant l’Europe ; non pas guerre entre des nations, mais guerre contre les peuples (pour leur soumission) dans chaque nation et dans toutes identiquement.
Guerre européenne générale de toutes les nations adhérant au projet ordo-libéral et gouvernées par des coalitions, conservatrices à réactionnaires (toute l’Europe est réactionnaire), coalitions menant la guerre économique dans chaque nation, la guerre pour imposer l’ordre économique.
La compétition des systèmes, fiscaux, sociaux, désignant cette guerre interne (une guerre de classe) généralisée à toutes les nations européennes.

Posons une seule question : pourquoi, lors des sommets européens, la question de l’unification fiscale ou de l’unification des règles sociales n’est-elle pas abordée ? Contraire aux accords européens qui placent la compétition (fiscale, sociale) au-dessus de tout ?

Prenons comme exemple le dumping social roumain ; qu’il faudrait analyser comme poursuite de la dictature en Roumanie avec des moyens modernisés, économiques. Cet exemple soulève la question de l’unification des structures sociales ou salariales (plutôt que des structures monétaires) et montre que cette absence volontaire d’unification sociale, érigée en norme, a pour fonction d’exercer une pression économique forte sur les salariés (concurrence salariale) ; l’état vicieux de la construction européenne correspond à une politique assurée de discipline économique (par la compétition).

Au lieu d’améliorer la situation de la Roumanie, l’intégration européenne vicieuse et à vice délibéré (et ici vice = vis, contrainte économique vers les plus bas salaires) use de cette situation de désintégration pour faire tendre toutes les nations européennes vers la situation roumaine (ou les menacer d’une telle régression).

Nous avons donc une guerre (de classe) dans chaque nation pour imposer les normes ordo-libérales (celles que défendent, avec une hargne particulière, les fourmis nordistes, qui peuvent alors prétendre être des modèles – réactionnaires). Guerre intra-nationale (Macron étant le représentant français de l’oligarchie européiste) qui peut jouer de la propagande pour enténébrer la compréhension.
Schéma typique du mensonge déconcertant ; la propagande européiste (et économiste) étant la digne héritière de la propagande soviétique, tout le schéma institutionnel économique européen, radicalement réactionnaire autoritaire, étant une imitation du schéma soviétique : totalitarisme bureaucratique de l’économie.
L’épidémie, son rôle providentiel, et la réponse européenne très limitée (comme pour la crise financière) – mais limitation masquée par une propagande tonitruante glorifiant un résultat majeur et historique – ne peuvent que mettre en lumière les coûts terribles de la construction européenne : casse sociale aggravée (par l’épidémie), enfermement généralisé par l’impossibilité de sortir de l’économie.

La propagande sur la fameuse guerre des fourmis et des cigales n’est qu’un gigantesque mensonge pour cacher ce qui est l’essence de la construction européenne : l’imposition sans retour d’une tyrannie économique, la guerre (de classe) pour rendre impossible tout changement social, pour exclure toute intervention populaire (la structure des institutions étant bureaucratique et anti-démocratique, structure pensée lors de la réaction anti-révolutionnaire – l’Europe est constituée pour interdire toute contestation de l’ordre économique imposé).

Déjà, la dernière crise financière, devenue une crise européenne (après 2010), avait massivement imposée un accroissement de l’austérité ; au détriment même de toute l’économie européenne, entraînée dans une spirale dépressionnaire, qui affaiblit chaque jour davantage toute l’Europe (et l’entraîne dans le cercle vicieux de l’autoritarisme).
La crise épidémique donnant un nouveau tour (de vis) austéritaire potentiellement dévastateur.
Et qu’en aucune manière, malgré plusieurs mois et quatre jours de gesticulations, les gouvernements de l’économie hégémonique n’ont voulu réfréner.
L’activité bureaucratique de l’Europe, et surtout ses manifestations de propagande, ne peut cacher ses limites volontaires.
Malgré le tapage, il n’a jamais été question, à Bruxelles, de lutter contre la crise.

Une telle lutte imposerait de réformer l’ensemble des règles économiques qui organisent l’Europe (en particulier d’accepter des déficits financés par de la création monétaire – la création monétaire ex nihilo : l’horreur anti-naturaliste que combat depuis toujours l’orthodoxie libérale, pour des raisons religieuses – la création ne peut appartenir qu’à dieu, jamais à l’homme ; homme qui en acceptant des déficits se trouverait en travers des lois divines, voulant concurrencer dieu).

Un soi-disant plan de relance, totalement sous dimensionné, essentiellement composé d’endettement (et donc de déplacement sans création nouvelle – on emprunte aux générations futures), prétexte à une nouvelle future vague austéritaire (faudra bien rembourser, là où les générations futures devront payer), fait l’objet d’une mise en scène criarde pour cacher sa mauvaise conception.

Et c’est cela qu’il faut retenir : le rôle ahurissant de la propagande, tous les journaux reprenant en boucle les satisfactions intéressées de type Hollande.

[1Renvoyons ici à la merveilleuse revue recherches, par exemple, n° 25, le petit travailleur infatigable ou le prolétaire régénéré, novembre 1976, n° 28, disciplines à domicile, l’édification de la famille, novembre 1977, n° 32/33, le soldat du travail, septembre 1978 ; et rendons hommage à Patrick Zylberman.

Patrick Zylberman dont on peut lire le grand livre sur la politique de santé américaine autour de 2002-2003, Tempêtes microbiennes, Essai sur la politique de sécurité sanitaire, Gallimard, 2013.
Sur Agamben, qui cite Zylberman, renvoyons aux articles publiés (traductions de textes italiens d’Agamben) dans Lundimatin depuis mars 2020.

Maintenant la question de la biopolitique fait l’objet d’une littérature impressionnante, que nous ne saurions même pas évoquer ici.
Ne citons que deux références sur la biopolitique à la Foucault.
Sam Binkley and Jorge Capetillo-Ponce, A Foucault for the 21st century, Governmentality, Biopolitics and Discipline in the New Millennium, Cambridge Scholars Publishing, 2009 ;
Vanessa Lemm and Miguel Vatter, The Government of Life, Foucault, Biopolitics and Neoliberalism, Fordham UP, 2014.
Et pour une introduction plus « féministe » à la biopolitique :
Reproductive Disruptions, Gender, technology, and Biopolitics in the New Millennium, edited by Marcia Inhorn, Berghahn Books2007.

[2Sur cette question de l’austérité volontaire comme mode de mise en ordre complétant ou se combinant à la discipline sanitaire :

Mark Blyth, Austerity, The History of a Dangerous Idea, Oxford UP, 2013 ;

Armin Schäfer and Wolfgang Streeck, Politics in the Age of Austerity, Polity, 2013 ;

Ouvrage collectif, L’Âge de la Régression, Premier Parallèle, 2017.

[3Il est important de bien noter la schizophrénie organisatrice européenne : à une union monétaire se conjugue une désunion fiscale ou budgétaire ; un chaos volontaire, organisationnel, maintenu sous le nom de concurrence.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :