Rejeter l’école

Un lycéen décrypte le quotidien de la génération Parcoursup

paru dans lundimatin#349, le 7 septembre 2022

Cette semaine, c’est la rentrée des classes ! A rebours de l’éternel marronnier médiatique qui consiste à montrer des enfants ravis de ne plus être en vacances, un lycéen lecteur de lundimatin nous a transmis cette excellente analyse de son expérience d’élève. Depuis l’intérieur, il évoque avec précision et érudition les nouvelles modalités d’isolement, de contrôle, de punition et d’auto-discipline qui trament le quotidien de cette nouvelle génération Parcoursup.

« De la primaire au lycée, déprimé, je me sentais prisonnier
Parce que les professeurs voulaient toujours me noter
Pourtant, j’aimais les cours, j’étais différent
De tous ceux qui me disaient : « Soit tu subis, soit tu mets les coups »
Moi, je rêvais d’aventure, griffonnais les devantures
J’attaquais tout ce qui m’était défendu »
Nekfeu – Nique les clones Part. II [1]

On m’avait dit, un certain Michel Foucault je crois, que l’organisation de la prison, de l’école et de la caserne avait des bases communes. Puis plus mon regard se construit et s’emplit de curiosité, plus je remarque que ma propre vie de lycéen ne fait pas exception à ces analyses.

Même si l’école, dans son sens de « système éducatif républicain », peut sembler avoir perdu ses archaïsmes, parce qu’elle préfère développer sa vocation disciplinaire en pliant les esprits plutôt qu’en rompant les corps, il ne faut pas sous-estimer les conséquences des violences qu’on « ne voit pas », car elles laissent tout de même des traces. Il ne faut pourtant pas négliger le caractère presque libérateur de l’école pour certains élèves, car malgré la coercition certaines formes de domination ne s’exercent plus pendant ce temps, comme celles liées à la famille.
Si on reprend les idées qui germent depuis Foucault, on peut dire que l’école pour certains peut sembler être une prison plus confortable qu’une autre. Puis, il y a bien sûr dans l’école la présence d’un lieu commun entre bon nombre d’individus, ce qui en fait aussi un lieu de vie et pas seulement de contrainte. En effet, l’école a parfois des monopoles relationnels notamment sur l’amitié.

Une fois ceci-dit, les remarques sur les appréciations personnelles de chacun peuvent être écartées. Il n’est pas question ici de faire part de sa satisfaction subjective à l’égard d’une institution, mais de l’analyser sous différents angles structurel, observer l’écart entre les attendus et les faits et étudier les conséquences de ces structures. Voilà, donc un témoignage de la part d’un lycéen, membre du MNL [2] et lecteur de Lundi Matin. Tout ceci, je l’espère, permettra de dégager les conséquences de ces structures sur le quotidien des lycéennes et des lycéens.

La surveillance généralisée et donc l’auto-discipline sont au cœur de la vie des lycéens, et peut-être de la vie de la majorité des humains des sociétés moderne. Les transformations sur le plan technologique et managérial de l’école, accompagnent donc les discours dits « sécuritaires » et plus généralement tous les discours sur le rôle de l’école préparant à la « réalité du monde ». Autrement dit, sous tout le vernis d’intentions paternalistes, il s’agit de rentrer dans le moule pour normaliser et légitimer les systèmes d’oppressions déjà en place. Le contrôle prend alors forme de manière visible, par exemple dans la multiplication des caméras ou lorsque les élèves de ma classe d’Humanité Littérature et Philosophie font régulièrement remarquer les écarts entre le discours du programme, qui parle de l’école qui émancipe, et la manière dont l’école dicte ce qu’il faut penser pour « réussir ». Ce faisant ils rendent visibles une forme de contrôle normalisée le reste du temps.

Mais alors concrètement qu’est-ce qu’un lycéen peut vous apprendre sur tout ça ? Vous les avez sûrement déjà purgées vos années d’école, à vous de voir…

« Le rite de la scolarité ne sert ni l’acquisition individuelle des connaissances, ni l’égalité sociale »
Ivan Illich – Déscolariser la société

Les fondements de l’école républicaine n’ont pas attendu Blanquer pour être problématiques sur de nombreux points. Ici, j’ai choisi de mettre en avant la surveillance et la discipline, mais on aurait pu aussi évoquer : comment l’école retire l’envie d’apprendre chez les élèves, leur amour du savoir [3] et blesse leur curiosité. Tout cela pour correspondre aux logiques évaluatrices, soumettant les élèves aux stress du culte de la performance.

On aurait également pu évoquer le tri social et donc la reproduction sociale, maintes fois démontrés par la sociologie, qui n’a que pour principale réponse des pouvoirs publics l’abaissement des tarifs des écoles après le bac et la mise en place de bourses. Réponse d’une efficacité très mitigée, car elle ne s’attaque qu’à l’héritage du capital économique, mais cette prétendue aide (servant surtout à légitimer la méritocratie) aux vues des tournants néo-libéraux en cours ne devrait pas tarder à se dissiper.

L’organisation disciplinaire nationale ou « l’éducation nationale »

« L’enseignement fait de l’aliénation la préparation à la vie »
Ivan Illich – Déscolariser la société

Quand des élèves se plaignent de l’aliénation à l’école, dans le secondaire principalement, ils dénoncent leurs conditions de travail ou de vie c’est-à-dire (liste non-exhaustive) :

– le concept de travail en lui-même qui entre en collision avec le début de prise de conscience sociétale sur le consentement « Si j’ai pas envie de le faire je ne le ferai pas. » (citation d’élève de terminale générale)

– la charge des devoirs et des examens parfois trop nombreux et épuisant, générant anxiété, stress, angoisse, etc. « Je fais une crise de panique durant mon exposé et la prof me dit que je ne fais aucun effort. » (citation d’élève de première professionnelle)

– les inégalités vite ressenties comme des injustices entre ce qu’ils doivent faire et ce que semblent devoir faire leurs donneurs d’ordres « Il rend les copies des semaines en retard et nous sanctionne quand on rend en retard nos devoirs. » (remarque courante)

– les idées que les cours essayent de leur inculquer soit par le programme scolaire « L’environnement, entre protection et exploitation : un enjeu planétaire  [4] », soit par des professeurs sortant de leur réserve toute républicaine « La prof hier elle a dit que s’il n’y avait plus de lois, ça serait la loi de la jungle comme dans les quartiers. » (citation d’élève en classe de philo HLP)

Certains, dans une bien trop grande mesure, trouvent alors un réconfort dans des addictions, par exemple j’ai pu voir : « C’est pour oublier les cours. » (citation d’élève de première professionnelle, glissant une bouteille d’alcool dans son sac, déscolarisé dans l’année) « Je suis contente de pouvoir me bourrer la gueule ce week-end, parce que la semaine d’évaluation a été dure. » (citation d’élève de première générale).

Ces problèmes sont souvent relayés à une échelle individuelle, les causes structurelles paraissant éternellement figées ou ne dépendant pas des actions des concernés, généralement n’y pensent même pas, tellement le fonctionnement de l’école s’est ancré dans les imaginaires collectifs. Si on veut vraiment changer des choses de l’intérieur on ne peut pas, quand on s’adresse au directeur ou à la vie scolaire ; car il faut « respecter les textes nationaux ou régionaux » . Quand on s’adresse aux profs ; c’est parce qu’il faut suivre le programme pour le bac ou tout simplement parce que la vie d’après sera dure tout aussi dure « Quand tu auras un patron il te faudra faire ce qu’il te demande » (prof de philo hlp). C’est donc ça l’émancipation ? L’émancipation selon l’école républicaine, donc l’école qui prépare à « la citoyenneté et à la démocratie », c’est de faire ce que l’on te demande de faire et d’obéir aux règles que d’autres ont décidées pour toi. Vous saisissez l’ironie, ce n’est ni émancipateur ni démocratique, mais le système en place a cette tendance à utiliser des mots cool pour leur faire dire autre chose, bien loin de leurs connotations anti-autoritaires.

Alors même dans les élans d’entraide du quotidien, il sera conseillé par exemple à l’élève qui craque, tel le travailleur qui fait un burn-out, d’aller suivre une thérapie.

On ne questionnera pas les fondements de l’école, ni du salariat. Je n’ai pas les connaissances pour développer sur les manières dont les institutions vont pathologiser ou psychiatriser les personnes, pour ne pas se remettre en question [5], mais cette logique est évidemment présente dans les structures scolaires que j’évoque.

Puisque le problème est encore plus banalisé, car la structure du système scolaire reprend celles des autres structures dominantes dans la société et que presque tous les individus sont contraints d’y passer, les opinions s’en ressentent. En effet même dans des conversations avec des militants des plus radicaux, les solutions proposées pour de nouvelles formes d’éducation font parfois preuves d’un étonnant réformisme. Certains vont même considérer la scolarité comme un moment de la vie à part du militantisme, il faudrait bien travailler à l’école, puis militer dans son temps libre. Beaucoup parlent d’une pédagogie qui laisserait plus de temps aux élèves, mais toujours du temps pour l’exécution du travail qu’on leur a imposé, d’autres parlent de faire de petits groupes, mais toujours dans le but de sanctionner le travail d’une note qui correspondrait mieux au « mérite » de l’élève… On remarque vite, que beaucoup se basent sur leurs souvenirs de l’école, qui dans de nombreux cas contiennent de bons moments, ces souvenirs pourront induire un « relativisme » sur la violence que produit l’école de la République. Moi-même, j’en ai bon nombre, car comme dit précédemment l’école détient une forme de monopole relationnel, autrement dit nous sommes nombreux au même endroit pendant la majeure partie de la semaine. Rencontrer son amoureuse, ramener la moitié de sa classe en manif [6] après un débat sur « Que faire face au changement climatique ? », discuter en fin de cours avec un professeur d’histoire-géo qui se demande si le néolibéralisme n’est pas une nouvelle forme de totalitarisme ou avec un professeur de philosophie qui se dit être un « assidu lecteur de lundi matin », bref, je ne retiens pas que du négatif, mais ces bons souvenirs me semblent plus liés aux marges du système qu’à ses effets structurels, d’où la nécessité d’un changement.

Pourtant, de l’intérieur, les fondements ne semblent vraiment pas pouvoir changer, alors que les élèves ne semblent pas satisfaits et que sans même avoir eu le besoin de réfléchir à tout ce qui a été dit précédemment, les conflits de multiples formes se perpétuent. Les violences structurelles n’ont pas des effets qui se limitent à être encaissés par les élèves, bien que beaucoup d’élèves en subissent : il suffit de rester quelques heures devant l’infirmerie pour voir régulièrement passer des lycéens et lycéennes en larmes. Certains élèves vont rendre ces violences ou vont s’évader et c’est là que l’on découvre l’arsenal de répression scolaire déployé pour ces dissidents, ces perturbateurs de l’ordre si durement établi. Hausser la voix pour s’en prendre à un dissident bavard ou agité, tenter de lui faire une remarque humiliante, le rabaisser ou le menacer, et le menacer de quoi ? D’un avertissement, d’une heure d’enfermement supplémentaire ou d’une « heure de colle », d’une exclusion dans le but de marquer son casier judiciaire d’élève communément appelé « Dossier » (qui passera devant le juge « Parcoursup » [7]). Pour les évadés les conséquences sont similaires, mais s’ajoutent des leçons de morale aux élèves osant dire qu’ils n’aiment pas aller en cours : « Vous pensez que c’est pas dur d’aller au travail » « Vous vous rendez compte le coût de votre formation […] ce qu’on a fait pour vous ».

Les punitions sont institutionnalisées, et distribuées non seulement de manière autocratique par des détenteurs de l’autorité scolaire, mais aussi lors des conseils de discipline ou des commissions éducatives. Ces tribunaux ne mènent pas toujours à des punitions supplémentaires, mais ils ont en commun la représentation des principales conséquences qui peuvent survenir directement après chaque acte jugé problématique pour un lycéen, par exemple, un acte jugé insolent ou menaçant, (car les menaces ne doivent aller que dans un sens) mais aussi pour un « refus d’obéissance » ou une « contestation ». Pourtant, sur le bâtiment on voit écrit « Liberté Égalité Fraternité » est-ce une forme de publicité mensongère ? Non, simplement c’est « pour après », comme me l’avait dit une de mes profs principales, « essaye de mettre de côté tes idées, une fois que tu seras vraiment libre tu pourras les exprimer », je n’ai pas osé lui dire qu’après avoir obtenu un diplôme, on obtient pas l’autonomie, je préfère y aller doucement auprès des croyants aux principes républicains que je fréquente régulièrement. Toutes ces formes de sanctions dépendent notamment d’un facteur, la surveillance, et avec les états d’urgence successifs et nombre d’autres phénomènes, on peut parler d’une surveillance généralisée.

Toujours avec un manque d’originalité flagrant, les techniques de surveillance au lycée sont, comme ailleurs : portiques, grilles et caméras. Installées soi-disant pour notre protection face aux éventualités d’intrusions, elles deviennent vite un argument de maintien de l’ordre lors des « débordements » « ça y est on a eu la société au téléphone et ils vont commencer à monter les caméras, donc petit à petit il y aura des caméras dans les circulations de l’internat, donc on saura qui est-ce qui sort, qui est-ce qui sort pas » (citation du proviseur suite à des bêtises à l’internat).

Ce fut rapide, les nouvelles caméras se multiplièrent à l’extérieur comme à l’intérieur, dans le hall comme dans les couloirs, et même dernièrement à l’internat entre les chambres et les salles de bains. La plupart des jeunes, surtout au niveau de l’internat s’indignent de cette intrusion dans la vie privée. Leur colère se retrouva alors canalisée dans les réseaux où elle a le droit de s’exprimer, c’est-à-dire à travers les délégués et les réunions, ce qui laissa le temps à la colère de s’évanouir, de faire disparaître le sentiment de responsabilité collective face à une oppression collective, en mettant l’espoir et les responsabilités sur quelques-uns. Et cerise sur le gâteau, le proviseur n’a rien accordé aux délégués. Ceux-ci, rentrant bredouilles, constatèrent de toute façon que leurs camarades semblaient s’acclimater à l’idée de ne plus avoir de vie privée.

Voilà, surveillance et punition, voir répression, vont bien de pair. La punition a vocation à affirmer la surveillance et ses capacités, l’architecture d’un lycée n’étant pas une prison cela laisse des marges libres, des zones en dehors, ainsi certains élèves pensent pouvoir être discrets, être tranquilles, donc des punitions viennent parfois s’occuper de ces élans de liberté. Ces deux éléments produisent l’autodiscipline que désirent nos sociétés hiérarchisées, que désire la République, que désire le despote, etc.

Un des moments où la hiérarchie semble se dissiper sont ceux qui tournent autour de « l’écologie » ou plus généralement avec les vivants non-humains. C’est par exemple le cas avec l’éco-lycée, dans une balade où l’on observe les oiseaux ; là professeurs, élèves et surveillants partagent leur émerveillement de manière conviviale. Ce vivant, que j’ai la chance de voir dans mon lycée, fait partie des choses qui m’ont permis de tenir au fil des semaines dans l’usine disciplinaire. Se lever de l’internat la boule au ventre parce qu’on a des évaluations toute la journée et voir des oiseaux au milieu des arbres fleuris, cela donne de l’espoir. Puis, petit effet zadiste, malgré un jardinier génial qui a permis une croissance de la biodiversité, l’envie d’occuper la zone se matérialise avec quelques radis. Visiblement le seul élève du lycée à tenir des positions aussi « radicales » concernant l’école, je reste dans le thème des « racines » [8] en plantant des radis autour du lycée. Quelques internes ont apprécié ce type de désobéissance vivante et se sont joints au mouvement, cela était un réel plaisir de discuter de jardinage avec eux, et cela permet parfois même de parler concrètement d’écologie.

Partant du constat précédent sur la discipline dans l’école, on pourrait se dire que c’est une bien mauvaise nouvelle pour nos luttes d’avoir des usines qui formatent des millions de gens pendant des années pour être bien conditionnés à ce que l’on combat. Mais au-delà de ça, on peut réaliser l’importance d’une implication de tous dans le renversement de cette institution, et là j’appelle les professeurs engagés, qui font de leur mieux pour aller à contre courant, mais aussi les proches des élèves.

C’est-à-dire ; tout le monde, il ne faut pas laisser le sujet aux « concernés », car on ne cherche pas une école alternative, mais bien une alternative à l’école. On ne peut que difficilement attendre l’apparition d’une jeunesse qui sera prête à renverser les autres structures oppressives, si on la laisse germer bien tranquillement dans ces structures disciplinaires. Désormais, il faut soit occuper les classes et résister, soit les déserter et résister quand même, soit les deux. En tous cas avant de faire cela il faut permettre à tous, élèves comme autres individus, de se rendre compte de la nature politique de ce qu’ils subissent au quotidien, pour balayer le fatalisme et permettre d’ouvrir le champ des possibles de l’imagination et de la création d’alternatives, pour réinventer des manières d’apprendre et de transmettre. Mais ça, ça mériterait un nouvel article.

« L’entreprise scolaire n’a-t-elle pas obéi jusqu’à ce jour à une préoccupation dominante : améliorer les techniques de dressage afin que l’animal soit rentable ? »
Raoul Vaneigem – Avertissement aux écoliers et lycéens

[1J’aurais pu citer une musique beaucoup engagée comme ACS – Cas d’école https://www.youtube.com/watch?v=CvlJfE3-v70 mais cette citation sert à montrer les critiques sur le sujet de l’article dans la culture dite « mainstream ».

[2MNL soit Mouvement National Lycéen est un syndicat de lutte. https://www.mnl-syndicat.fr/

[3Vidéo sur le sujet sur la page du MNL Tarn https://www.instagram.com/tv/CcoGV5elPWr/?utm_source=ig_web_copy_link

[4Vous pouvez aller faire un tour sur ce chapitre de géopolitique sur le capitalisme vert https://www.education.gouv.fr/bo/19/Special8/MENE1921254A.htm

[6A ce sujet un rapport sur les risques mondiaux du World Economic Forum cite 22 fois la « désillusion des jeunes - youth disillusionment » pour évoquer les protestations croissantes de la jeunesse notamment au sujet de l’écologie. https://reports.weforum.org/global-risks-report-2021/

[8Radical → racine
Qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l’on veut modifier

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