Qui protège Martine Gozlan ?

La République, Marianne et le féodalisme

paru dans lundimatin#269, le 4 janvier 2021

Martine Gozlan est journaliste pour l’hebdomadaire Marianne, pour lequel elle a récemment rédigé un articule intitulé « Qui protège Bouteldja ? ». Notre journaliste d’investigation Serge Navi, s’est penché sur le protectorat dont bénéficierait Mme Gozlan avant de tenter de la recruter comme crêpière pour lundimatin, en vain.

Le 29 décembre 2020 est paru sur le site de l’hebdomadaire Marianne un article signé Martine Gozlan, intitulé « Qui protège Houria Bouteldja ?. La journaliste y évoque la récente fanfaronnade de l’ex-porte-parole du PIR, dont elle résume ainsi le propos : « Ce galimatias fait semblant d’être complexe. En réalité il se réduit à cet élément simple : l’essentialisation du peuple israélien se confond ici, comme depuis longtemps, avec l’antisémitisme ».

Martine Gozlan observe ensuite qu’à l’exception d’une poursuite judiciaire intentée, et perdue, en 2011 par une organisation d’extrême droite (l’AGRIF), Bouteldja n’a jamais été inquiétée par la justice. Cependant, prévient-elle, avec la nouvelle direction de la LICRA (aujourd’hui présidée par Mario Stasi), les choses pourraient changer. Et il faut d’autant plus s’en féliciter que la LICRA a cru bon, par le passé, de se faire l’avocat du diable :

« La période précédente avait été en effet marquée par une dérive qui culmina avec l’affaire Georges Bensoussan, poursuivi pour provocation à la haine raciale. Des sympathisants de l’organisation évoquent leur ‘‘honte’’ à cette évocation. Comment avait-on pu se retrouver aux côtés du CCIF contre l’historien et n’avoir jamais bronché devant l’antisémitisme de Bouteldja ? Cette époque est heureusement révolue. Aujourd’hui, la réaction de la Licra aux propos de la récidiviste du PIR est claire : ‘‘Nous examinons l’opportunité de saisir la justice. Car à supposer l’infraction pénale établie, on ne peut pas être antisémite innocemment’’ tweete l’organisation, en riposte à la formule de la provocatrice préférée des salons gauchistes. »

L’historien Georges Bensoussan, sur France-Culture, au cours d’une émission d’Alain Finkielkraut, avait cité un sociologue arabo-musulman qui aurait dit que « dans les familles arabes en France, tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère ». Mais le sociologue arabo-musulman a aussitôt contesté être l’auteur d’une telle formule, si bien que Georges Bensoussan a dû l’assumer pour son propre compte. Et l’ancienne équipe de la LICRA l’a donc poursuivi, avec d’autres associations, pour « provocation à la haine raciale ». Est-ce une « honte », non pas que Bensoussan, responsable éditorial au Mémorial de la Shoah, ait proféré une ânerie pareille, mais que la Licra l’ait poursuivi ? Je dirais pour ma part que la judiciarisation grandissante, envahissante de la bêtise ordinaire prend une tournure irrésistiblement grotesque, plutôt que honteuse, ainsi qu’en témoigne la récente poursuite intentée contre Eric Zemmour pour… antisémitisme. Et je ne comprends pas comment la justice française peut accepter de se livrer à de telles bouffonneries, qu’il s’agisse de juger Bensoussan, Zemmour, Charlie Hebdo, Dieudonné ou demain Bouteldja. Mais ce n’est donc pas l’avis de Martine Gozlan, qui se réjouit à l’idée de voir Bouteldja traînée devant les tribunaux par la nouvelle équipe de la LICRA.

Le problème que pose l’argumentation de Gozlan est toutefois que, si on s’efforce de suivre son raisonnement, on a le sentiment que le serpent se mord la queue. En effet, son propos comporte trois temps : 1. Bouteldja est coupable de provocation à la haine raciale, puisque « l’essentialisation du peuple israélien se confond ici, comme depuis longtemps, avec l’antisémitisme ». 2. C’est une « honte » d’avoir poursuivi Bensoussan pour provocation à la haine raciale. 3. Il faut se réjouir que la LICRA ait changé son fusil d’épaule et s’apprête peut-être à poursuivre Bouteldja, sachant qu’ « on ne peut pas être antisémite innocemment ».

Mais Bensoussan, en affirmant à la radio que les arabes tètent l’antisémitisme avec le lait de leur mère, ne s’est-il pas livré à une « essentialisation » ? Et si « on ne peut pas être antisémite innocemment », n’est-ce pas une manière de dire qu’on ne peut pas être arabe innocemment ? Dès lors, comment distinguer l’essentialisme de Bouteldja de celui-ci de Bensoussan ? J’avoue que j’y perds mon hébreu. Ce qui est sûr, c’est que la justice devrait avoir autre chose à faire qu’à débrouiller ce galimatias. Personnellement, en tant que professeur de philosophie, j’aurais réglé le problème rapidement, si j’avais eu à corriger au baccalauréat les devoirs de Bouteldja et de Bensoussan : j’aurais mis la même note aux deux copies, à savoir 1/20, pour l’encre déposée sur le papier.

Le cas de Martine Gozlan, en revanche, est plus complexe. Car pour noter sa copie, il faudrait recourir non pas au zéro, non plus qu’aux nombres négatifs, ou aux irrationnels, mais plutôt aux nombres imaginaires, si du moins on veut approcher ce dont il est question, à savoir quelque chose valant autour de √-1. En effet, après avoir exposé au grand jour son inaptitude ontologique non seulement à penser, mais à s’imaginer que quelque chose comme la pensée puisse exister, sinon chez elle, du moins chez son semblable, par exemple son lecteur, elle s’interroge : « qui protège Bouteldja ? ». Car Bouteldja travaille à l’Institut du Monde Arabe. Et la journaliste le sait. Donc elle décide de mener l’enquête. Et voici ce que cela donne (c’est la conclusion de son article) :

« [Bouteldja] dénonce « l’État français raciste et colonial » mais jouit d’un poste bel et bien payé par ce même État à l’Institut du monde arabe qui ne s’est jamais ému de ses activités militantes. Contacté par téléphone, Jack Lang, son patron, le président de l’Institut du monde arabe, est même exaspéré. Voici notre échange : « Je suis très loin de la France, à 4000 kilomètres et je n’ai entendu parler que très vaguement de ce que vous évoquez ! Mais je suis juriste et la personne dont vous parlez respecte absolument le droit du travail, nous n’avons aucun problème à l’IMA avec elle et ceci constitue une intervention extérieure. Si je dois donner un avis, je le ferai en temps utile et après avoir pris connaissance de toutes les données éventuelles.Mais Houria Bouteldja n’en est pas à sa première déclaration...Le Pir, son livre, son idéologie...Écoutez, assez ! Je vous en ai déjà trop dit ! » Mais ce parrainage nous suffit pour comprendre. »

Interrogé par téléphone, Jack Lang explique donc à la journaliste qu’en droit du travail, un délit d’opinion n’implique pas automatiquement un licenciement. Et Martine Gozlan d’en conclure : « ce parrainage nous suffit pour comprendre ». Alors bien sûr, on sait pertinemment que la bourgeoisie (patronale, médiatique, universitaire, etc.) a ses listes noires et qu’elle s’évertue à licencier les gêneurs, lorsqu’ils ont la chance d’avoir été embauché. Priver quelqu’un des ressources financières nécessaires à la vie matérielle de sa famille, c’est en effet un moyen de pression efficace. Et à suivre Marx, le salariat, en dernière analyse, n’est fondé sur rien d’autre. Mais sans même en venir à l’extorsion de la plus-value en régime capitaliste, ou à la nouvelle de Marguerite Duras, Le coupeur d’eau, il se trouve que jusqu’à nouvel ordre, dans un Etat de droit, les licenciements abusifs sont des pratiques qui se font « en douce », et non au grand jour, ce dont la journaliste de Marianne n’est manifestement pas informée. Il est vrai que « l’essentialisation », « l’égalité devant la loi », le « droit du travail », etc., apparemment, ce sont des notions bien trop abstraites pour elle. Ça la dépasse complètement.

J’en suis donc venu à me demander, forcément, qui protège Martine Gozlan ? Car si Bouteldja peut débiter publiquement des âneries xénophobes le soir, en rentrant chez elle, sur sa page Facebook ou son blog, et par ailleurs faire convenablement son travail le jour, à l’Institut du Monde Arabe, en revanche, on se demande qui, à Marianne, juge utile de payer Martine Gozlan pour débiter ses âneries féodales dans Marianne. Du moins c’est la question que je me suis posé. J’ai donc mené mon enquête. Et la première chose à faire était bien entendu de contacter la rédaction de Marianne. Voici notre échange :

Moi : Allo, c’est bien la rédaction de Marianne ? – Marianne : Oui, à qui ai-je l’honneur ? - Moi : Serge Navi, philosophe et journaliste d’investigation, je mène une enquête pour le site d’information alternatif Lundimatin. - Marianne : Et c’est à quel sujet ? – Moi : C’est au sujet de l’article de Martine Gozlan, « Qui protège Bouteldja ». - Marianne : Je m’en doutais. Ça n’arrête pas. Vous êtes au moins le dixième à nous téléphoner. Vous allez me dire que c’est incohérent et contraire aux règles élémentaires du droit français, scandaleux, indigne, obscène, etc., ça va, ça va, on a compris. - Moi : En ce cas, vous n’avez qu’à la virer. - Marianne : Mais on ne peut pas ! C’est ce que j’ai déjà expliqué dix fois aujourd’hui : - Moi : Pourquoi vous ne pouvez pas ? Qui la protège ? - Marianne : En fait, elle se protège toute seule. Elle finance l’hebdomadaire. - Moi : Comment ça ? Vous voulez dire qu’elle n’est pas salariée, ni même rétribuée pour ses articles ? - Marianne : Non seulement elle n’est ni salariée, ni rétribuée pour ses articles, mais elle paie pour écrire dans Marianne, et elle paie même très cher. Pour tout vous dire, sans l’apport financier de Martine, avec les ventes qu’on fait, on mettrait la clé sous la porte. Donc ou bien vous supportez un article d’elle de temps en temps, ou bien Marianne, c’est fini ! - Moi : Pas possible ! Vous êtes en train de me dire qu’elle paie pour pouvoir écrire dans votre hebdo, et qu’elle paie même très cher ? - Marianne : Absolument ! Vous croyez quoi ? On n’est pas complètement stupide ! On sait bien qu’un article de Martine c’est au mieux un tissu d’âneries incohérentes. Mais on n’a pas le choix. Il y a des dizaines de salariés à Marianne, et encore une fois, sans son apport financier, on met la clé sous la porte. - Moi : Et elle donne dans les combiens ? Par exemple, l’article sur Bouteldja, vous lui demandez combien pour le publier dans votre hebdo ? - Marianne : Ecoutez, assez ! Je vous en ai déjà trop dit. [La rédaction de Marianne me raccroche au nez].

J’appelle aussitôt mon contact à LM, un site d’information qui, je dois le dire, paie très mal ses contributeurs.

Moi : Allo M., c’est moi, Serge, j’ai un filon pour remplir les caisses de LM. - LM : C’est quoi ton filon ? - Moi : On embauche Martine Gozlan, une journaliste de Marianne. - LM : Quoi, Martine Gozlan, la frappa-dingue ? Tu dérailles ! – Moi : Pas du tout. Je viens d’avoir la rédaction de l’hebdo au téléphone, et figure-toi que j’ai un scoop : elle paie pour publier dans Marianne, et apparemment elle fait vivre des dizaines de salariés. Pourquoi ne pas lui laisser une tribune de temps à autre ? - LM : C’est hors de question. On préfère squatter des cartons Gare du Nord avec femmes et enfants plutôt que de la laisser écrire dans LM. – Moi : Vous êtes vraiment psychorigides les zozos. Bon, mais tu m’avais pas dit que vous pensiez ouvrir une crêperie, en forme de coopérative, pour qu’il y ait un espace de convivialité autour de LM ? - LM : En effet. Mais quel rapport ? – Moi : Eh bien, on n’a qu’à l’embaucher à la crêperie ? – LM : Faut voir… si elle paie vraiment bien, ça peut être une idée. – Moi : Bon, puisque j’ai ton feu vert, je vais la contacter. Donne-moi son numéro de téléphone. – LM : Mais je n’ai pas son numéro ! – Moi : Demande à Plenel. Il passera par les RG. S’il a obtenu les écoutes de Benalla, il doit bien pouvoir obtenir le numéro de Martine Gozlan. – LM : Okay, je vois ça et je te rappelle.

Une heure plus tard, j’ai le numéro de téléphone personnel de Martine Gozlan. Sans perdre une seconde, je l’appelle. Voici notre échange :

Moi : Allo, Martine Gozlan ? - MG : Oui, c’est moi, qui est à l’appareil ? - Moi : Serge Navi, journaliste à Lundimatin, site d’information alternatif. – MG : Lundimatin ? Ça ne me dit rien du tout. – Moi : C’est un site un peu récent, mais on est en train de monter en puissance. Chaque semaine, on a de plus en plus d’abonnés. Vous savez, internet, c’est l’avenir. Et pour vous dire d’emblée le fond de ma pensée, une journaliste aussi talentueuse que vous, je me demande vraiment ce qu’elle fait encore à Marianne. C’est un hebdomadaire qui n’est plus du tout mainstream. Il n’y a que les retraités laïcards de l’Education Nationale qui le lisent, et encore, parmi eux, essentiellement les parkinsoniens, les conseillères d’éducation et les dépressifs. LM, en revanche, c’est une start-up dynamique, des jeunes qui ont du talent à revendre, et qui sont en train de gagner des parts de marché sur le net. Mais attention, dans ces affaires-là, il faut pas attendre de prendre le train en marche, parce qu’il va beaucoup trop vite. C’est même de la très, très grande vitesse. Là, on est encore en train de quitter la gare. Je peux encore vous ouvrir la porte. Mais il faut vous décidez très rapidement. – MG : Ecoutez… euh… Comment vous appelez-vous déjà ? – Moi : Serge Navi, mais appelez-moi Serge. – MG : Très bien. Enchanté Serge. Ecoutez, il faudrait que nous puissions – Moi : Martine, je peux vous interrompre ? – MG : Oui. – Moi : Voyez-vous chère Martine, je pense qu’il serait plus convenable que nous nous tutoyions, entre confrères, d’autant que nous serons vraisemblablement amenés à nous côtoyer, dans un proche avenir, je veux dire si vous intégrez l’équipe. – MG : Euh, bon, pour le tutoiement, d’accord, mais je ne sais pas… que me proposez-vous ? Euh… je veux dire « vous », la rédaction de Lundimatin – Moi : C’est très simple, Martine, on te propose exactement les mêmes conditions qu’à Marianne, sauf que tu travailleras dans une start-up dynamique, entourée de beau gosses plein d’avenir, et que tu n’auras pas besoin d’écrire un seul article. – MG : Comment ça ? Mais qu’est-ce que je ferai alors ? – Moi : On ouvre une crêperie, et il nous faut une journaliste talentueuse en cuisine. – MG : Non mais ça va pas bien ! Vous n’allez pas me faire le même coup que le site machin et le NPA !? – Moi : Quel site « machin » ? Et qu’est-ce qu’ils t’ont fait comme coup le NPA ? – MG : Il n’y a pas deux heures, un type m’a appelé pour me proposer d’intégrer le comité de soutien d’un site appelé La Baste, ou Tapas, ou je ne sais plus quoi – Moi : Ballast, peut-être ? MG : Oui, quelque chose dans ce genre, mais je lui ai dit que j’étais une journaliste, pas une Pom Pom Girl ! Et voici qu’une demi-heure plus tard, un certain Julien Salingue m’a proposé d’intégrer le bureau politique du NPA, figurez-vous ! Non mais je rêve ! Je n’ai rien en commun avec ces gauchistes ! Mais comme j’ai du métier, j’ai voulu savoir de quoi il retournait, alors j’ai fait mine d’être intéressée, et vous savez ce qu’il m’a répondu quand je lui ai demandé quelle serait ma fonction au bureau politique du NPA ? – Moi : Non, qu’est-ce qu’il t’a répondu ? – MG : Il m’a dit que je serai chargée de porter un regard artistique sur les affiches de campagne. Mais je suis une femme de plume, pas une conseillère artistique ! – Moi : Franchement Martine, ça ne m’étonne pas. Le NPA, c’est pas un parti sérieux. Et Salingue, je peux te l’assurer, n’a strictement aucune idée de ta valeur. Ils ont cherché à se rendre intéressants auprès de toi, c’est tout. Quant à Ballast, c’est un site fondé par des anciens de la CGT, et leur dada, c’est la construction ferroviaire, c’est donc complètement hasbeen. Alors oublions vite tous ces importuns, et parlons de nous Martine : Lundimatin, c’est une start-up promise à un rayonnement mondial – MG : Excusez-moi, mais vous, à Lundimatin, avec votre crêperie, ce n’est guère mieux que Salingue avec ses affiches ! Je ne pense donc pas que nous soyons amenés de sitôt à nous côtoyer, monsieur Serge. – Moi : Attendez Martine, ce n’est pas une crêperie comme les autres. Il y aura du beau monde, croyez-moi. Et si vous n’êtes pas intéressée par la fabrication des crêpes, on peut vous caser à la comptabilité, ça vous dit ? – MG : Ecoutez, vous me faites perdre mon temps, je suis une femme de plume, pas une expert-comptable. Alors je vous dis au revoir ! – Moi : Martine, attendez ! Laissez-moi passer un ou deux coups de fil, et je vous charge de la déco, ça vous irait ? – MG : Serge, on n’arrête-là, je suis une journaliste, une écrivaine, pas une décoratrice de crêperie ! – Moi : D’accord Martine, vous écrirez les menus. Top là ?

Hélas, apparemment excédée, la journaliste m’a raccroché au nez. Mais j’aurais au moins mené mon enquête. A présent, vous savez pourquoi Martine Gozlan écrit dans Marianne  : ils n’ont pas le choix. Et franchement, je ne sais pas vous, mais moi, ça me rassure.

Serge Navi, philosophe et journaliste d’investigation

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