Quelques considérations sur une blessure

Lettre sous perfusion

paru dans lundimatin#377, le 4 avril 2023

Après avoir été touché au visage par l’explosion d’une de leur grenade, en réalisant le nombre et la gravité des blessures du week-end dernier, en apercevant tous ces vilains dans une presse elle-même vilaine, j’ai écrit ces quelques mots depuis mon lit d’hôpital. Il s’agit ici de faire le tri dans le flux des sentiments et des idées, puis de conserver ces paroles qui sortaient de mon corps impacté et blessé. Préparer la suite, réfléchir et lutter, même perfusé.

« Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c’est dans les occasions où tout est à craindre, qu’il ne faut rien craindre ; c’est lorsqu’on est environné de tous les dangers, qu’il n’en faut redouter aucun ; c’est lorsqu’on est sans aucune ressource, qu’il faut compter sur toutes ; c’est lorsqu’on est surpris, qu’il faut surprendre l’ennemi lui-même. » Sun Tzu

Légion & généraux

Chronologiquement, la première image marquante que l’on peut retenir des affrontements du week-end dernier à Sainte-Soline, c’est celle de notre arrivée aux abords de la bassine, ce trou fortifié. Là, devant nous, se tenait une cavalerie moderne de quads juchés par des hommes casqués et armés. Juste derrière, sur les hauteurs dominant ce qui allait devenir un champ de bataille, une sorte d’état-major qui scrutait notre avancée et salivait déjà à l’idée de ce qui ne pouvait manquer d’arriver. A travers cette image, véritable tableau napoléonien, on pouvait s’apercevoir que nous étions tombés en plein coeur d’un jeu de petits soldats bien malsain. Rapidement, les grenadiers de la garde ont tiré leurs premières munitions, des grenades GM2L. Courageux et toujours aussi déterminés, c’est pourtant nous qui avons été à l’attaque, comme prévu, absolument pas découragés par cette démonstration de f(a)orce.

Empire de droit

On a entendu dire qu’un maintien de l’ordre à 5 millions d’euros la journée et l’envoi de 5000 grenades sur une foule afin de protéger un trou avait quelque chose de d’aberrant ou de dérisoire. La situation prise isolément et matériellement, c’est vrai, cependant pour prendre la mesure de cette démesure, il faut bien comprendre tout ce que la défense coûte que coûte de ce trou représente pour nos ennemis. Il en va d’ailleurs de même pour notre assaut. Il suffit pour d’en convaincre de contempler la vague d’intoxication médiatique qui s’est immédiatement enclenchée ou plus simplement de lire les propos du grand général de la gendarmerie :

« Concrètement ce n’est pas qu’un trou, il y a un Etat de droit [...] je considère que l’on est un peu dans un Etat de droit et que c’est un peu à nous de faire respecter la loi »

Dans ce climat de démesure politique généralisée et dans ce qui était jusqu’à peu un climat pré-insurrectionnel, Sainte-Soline est venu réactualiser la lutte farouche et cruelle d’un appareil gouvernemental et politique en lutte pour sa survie. Il s’agissait de défendre et justifier une nouvelle fois le monde injustifiable qu’il porte.

Duel

Il s’avère Monsieur le Général, que ce trou n’est pas qu’un trou et que nous voulons un peu votre perte. Vos lois sont une supercherie et votre Etat de droit vous pouvez vous le mettre là où je pense. Les lignes de partage sont assez simples et claires : la vie contre votre droiture d’État, notre jeunesse contre celle du fameux lieutenant Martin. L’insurrection, voilà la véritable menace pour un monde rendu si détestable. Ce monde, qui portant la mort, a depuis toujours pris un malin plaisir à jouer des explosifs : des boulets napoléoniens aux obus de 14-18, en passant par la blitzkrieg. On en a eu une des représentations modernes le week-end dernier à Sainte-Soline : la contre-insurrection par le pilonnage. Grenade sur grenade, on a voulu nous mettre hors d’état de nuire. À chaque fois qu’un de leurs engins nous arrivait dessus, des amis tombaient, blessés. On ne voit pas arriver la grenade malgré la concentration, on la voit seulement exploser puis on s’écroule, accusant le choc, désormais blessé et marqué dans la chair. Mais il semblait aussi qu’à chaque fois la détermination et la résistance restait inébranlable. À chaque grenade, on reprenait ensemble et de plus belle, déterminés comme jamais. C’est dans cet esprit que doit se positionner notre futur. Malgré l’asymétrie militaire et médiatique, préserver notre flamme et notre rage jusqu’à les faire tomber.

Ce qu’il en est

« Les seigneurs s’y entendent très bien par eux-mêmes à faire que le pauvre leur devienne ennemi. Ils ne veulent pas mettre un terme à ce qui cause les insurrections. Comment voulez-vous que tout cela finisse bien ? »
Thomas Münzer

En étant à Sainte-Soline, en étant sur les Champs Élysées remplis de gilets jaunes, en étant dans les émeutes du mouvement en cours, en combattant et vivant l’oppression, en étant exploité, en étant malade de leur hégémonie, en étant tout autant acteur, témoin et victime de cette société explosée, ou bien encore en regardant simplement ce monde courir à sa perte, on ne peut que se demander comment tout cela pourrait bien se finir. Ce qui est sûr, comme l’écrivait Münzer et comme on le voit dans l’époque, c’est qu’il n’y aura pas de compromis avec ceux d’en face, qu’il s’agit de résister encore et toujours, jusqu’à la victoire : abattre l’hégémonie, voire naître et vivre l’insurrection, changer de face, vivre libres, enfin.

Nous, qui sommes du côté de la vie, pouvons avoir toutes les cartes en main contre l’empire, les empereurs, leur servants et fidèles défenseurs. Faisons en sorte que l’expérience de Sainte-Soline soit à notre avantage. Leur existence, le maintien de l’ordre sauvage par lequel ils défendent l’indéfendable est un point de non-retour en soi. Il nous faut compter sur notre combat, notre humanité, notre amitié et notre intelligence. Il nous faut un insurrectionnalisme gen-Z inventif, créatif et insaisissable. Demain sera chargé.

Vivement l’insurrection qui arrive pas à pas.
Soutient à tous les blessés de Sainte-Soline.
Et à bientôt dans les rues.

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