Pondre des gamins et des mesures

Matériaux préliminaires pour un désarmement démographique

paru dans lundimatin#412, le 28 janvier 2024

Mardi 16 janvier, à l’occasion d’une conférence de presse à laquelle il nous avait « donné rendez-vous » sur toutes sortes de chaines TV, de réseaux sociaux et de bandes passantes, Emmanuel Macron a sorti l’artillerie lourde. Ce texte vient répondre à ce qui s’est alors présenté comme une des nouvelles obsessions des prochaines années du gouvernement Macron-Attal : l’intimité des couples de la nation, et la capacité des ménages français à offrir au pays des gamins.

Mais oui enfin il a raison Manu, qu’est ce qui peut bien empêcher les femmes de mettre au monde les prochaines générations SNU-Uniforme-Préférence nationale-France Travail ? Mais qu’est-ce qu’il peut bien se cacher derrière « le fléau de l’infertilité » ? Pas de panique, le gouvernement a sa petite idée derrière la tête, et une solution toute faite : engager le réarmement démographique de la nation.

Il se trouve que mardi 16 janvier vers 21h, j’étais dans le tram t3B direction porte de la Chapelle, et, que voulez-vous, je suis une enfant de mon siècle ; quand le président me donne personnellement rendez-vous sur Twitter, même si je dois slalomer entre le verglas et les crackeux, je branche mes écouteurs et je l’écoute. Costard impeccable, 25mn de retard comme toutes les stars, coupe de cheveux millimétrée et rhétorique implacable, ce soir-là, il était pas venu pour rigoler.

J’avais en tête toutes les grandes causes du quinquennat qu’il nous avait déjà balancées : la lutte contre les violences faites aux femmes, la transition écologique, un prof devant chaque élève, le plein emploi, et c’est vrai qu’il manquait au tableau un truc un peu plus intérieur, un peu plus intime, un peu plus grandiose aussi : venir au secours de l’utérus des femmes.

J’avais en tête aussi les Cent Jours d’Apaisement (après les 5 mois d’incendies nocturnes et de barricades éphémères) et les passages de lois au forceps : j’ai souri un peu jaune et je me suis dit qu’il avait pas mal au cul quand même, et vraiment le chic pour nous montrer à quel point il sait ce qu’il nous faut, nous gentil troupeau de brebis égarées, même pas capables de trouver du taf et de faire des gosses.

J’ai entendu « fléau de l’infertilité », « que la France redevienne la France » et « mal invisible qui ronge la nation » et j’ai senti un truc partir, j’venais de lâcher ma mâchoire sur le sol du tramway, et je dois avouer avoir mis bien trente secondes avant de la ramasser. Je ne crois pas avoir été la seule ; les jours qui ont suivi ont amené leur lot de commentaires, (principalement des vannes sur la ménopause de Brigitte) mais voilà, j’me suis dit qu’il fallait peut-être marquer un petit temps d’arrêt.

Des gamins je sais que je ne peux pas en porter, je l’ai appris y a deux mois. Je suis donc dans les statistiques du fléau. Je dois avoue que la dernière chose à laquelle je m’attendais, c’était qu’Emmanuel Macron vienne à ma rescousse avec des brochures de sensibilisation, des QR code et encore moins avec des frottis obligatoires. D’ailleurs j’avais encore jamais pensé à Macron en allant chez la gynéco. Comme quoi, il en a encore sous la semelle.

Quand Macron annonce qu’il veut remédier à un fléau, il le fait pas avec le dos de la cuillère. Bon alors mais qu’est ce que ça peut bien vouloir dire de prendre au sérieux ce mal invisible qui RONGE LA SOCIÉTÉ ? Davantage de congés parentaux ? Un QCM obligatoire avant chaque IVG ou pose de DIU ? Peut-être bien, peut-être pire encore. Les premières mesures viennent de tomber : « généralisation » (donc obligation ?) d’un examen gynécologique pour les femmes à 25 ans, et d’un spermogramme pour les hommes au même âge.

On fait du corps des femmes bien nationales bien blanches bien françaises une cause MAJEURE du quinquennat, on sort de son chapeau des moyens pour déployer davantage d’examens gynéco – probablement des sous récupérés en réformant l’accès à l’Aide médicale d’Etat pour les moins nationaux, moins blancs, moins français.

Je tiens pas forcément à mobiliser un argumentaire qui viserait à souligner à quel point Macron se la joue Pétain ou se croirait dans un remake de The Handmaid’s Tale, je crois au contraire que ce gouvernement est tout à fait lui-même, tout à fait ancré dans ses bottes, et qu’il y a derrière et à travers tout ce qu’ils nous balancent dans la gueule depuis 2017 un bon panier garni de nouveaux dispositifs ultralibéraux et ultracraignos qu’il serait bien dommage de renvoyer dans l’archaïque ou la science fiction.

C’est comme ça que se gouverne la France pour la Macronie : par les corps, les annonces, les mesures et la lutte contre les « fléaux ». Immigration, chômage, infertilité : le triptyque cauchemardesque qui fait trembler les rangs de Renaissance. Maintenant relisez cette dernière phrase lentement. C’est vrai qu’on dirait que c’est vieux jeu, ou au contraire tiré d’une dystopie à l’imagerie un peu pauvre, mais non non que nenni ! Je crois qu’il est important de prendre au sérieux ce nouveau volet politique comme reflétant les contours et dynamiques tout à fait actuelles et véritables du pouvoir libéral. Un truc qui fait : « nous avons besoin de vos corps pour faire grandir la nation et l’économie. Ah oui, et faites attention à la guerre aussi, en ce moment y en a plein. »

Honnêtement, je ne pensais pas que ce gouvernement pouvait encore susciter des émotions chez moi. Après la réforme des retraites, la loi immigration, la loi Kasbarian, j’en passe et des meilleures, j’avais décidé de bloquer mes récepteurs synaptico-sensibles et de prendre la tangente. Évidemment je n’ai jamais rien attendu du gouvernement (à part peut être la prime de 100euros quand j’ai eu la mention très bien au brevet des collèges), mais là il s’agissait non seulement de maintenir cette disposition, et de déployer un régime d’attention et d’ouverture à tout ce qui pouvait éventuellement participer à son désarmement et à sa mise en échec. Mais j’avoue ne pas avoir anticipé qu’il y aurait, en interne, une bataille pour la fertilité : ça c’était une sacrée surprise.

Bon, alors, me revoilà dans le t3B, surprise, un peu choquée mais pas déçue, puis un peu fière d’être soldate du fléau. Je pense à mes rendez-vous gynéco, à mes hospitalisations, aux mauvais diagnostics, à tous les médecins qui ont dû perdre leur tact à la fin de leur PACES, aux examens à répétition, à ma mère, aux gosses dans les poussettes des autres, à la cloison dans mon utérus, à la fois où on m’a dit « alors oui oui c’est opérable mais c’est difficile comme intervention chirurgicale, on la programme uniquement si la femme a fait trois ou quatre fausses couches ». Puis je pense à Macron. Puis je pense aux femmes que je connais, que je sais fortes et prêtes à balancer un tout nouveau fléau bien profond dans sa tronche pour désarmer la démographie.

Parmi les éventuelles pistes déjà reçues à cet effet :

— Déclencher une pluie de stérilets avenue Miromesnil.

— Forcer la porte de l’Élysée en utilisant des échographies abdos-pelviennes.

— Lancer une marque de slips (made In France) avec capotes intégrées.

(liste à poursuivre)

N’hésitez pas à nous communiquer vos suggestions. Et d’ici là, protégez vous, par pitié.

Paule Position


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