Pas de flics dans les rues. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain

« Nous sommes capables de traverser cette catastrophe. »

paru dans lundimatin#234, le 21 mars 2020

Alors qu’en Chine, en Espagne et en Italie, l’État assure le confinement de la population avec l’aide de la police et de l’armée, — et que de nombreuses rumeurs annoncent que le France s’apprête à faire de même —, l’un de nos contributeurs nous a transmis ce texte qui rappelle ce qu’il en coûte de déléguer sa protection et sa santé aux forces répressives. Ou comment traverser la catastrophe sans renforcer l’appareil sécuritaire ?

Le plus d’État à légiférer nos vies est une courbe ascendante et sans fin. Cette pandémie en est l’exemple parfait. L’État sécuritaire gère la pénurie des hôpitaux. Et au regard des nombreux commentaires sur les réseaux qui attendent chaque soir une nouvelle mesure sécuritaire de l’État, qui s’inquiètent que l’État ne nous ait pas encore confiné de force, on comprend que cet État sécuritaire a de beaux jours devant lui. L’hôpital sortira de cette crise comme il est entré. Pauvre, démuni, fatigué, dévasté. Et le pire c’est qu’il y en aura beaucoup pour s’en satisfaire, pour crier de joie aux héros, quand en fait le personnel des hôpitaux aura été mis à l’épreuve, dans des conditions que peu, de ceux qui applaudiront, accepteraient. Vivre avec moins d’État sécuritaire, c’est en finir avec la facilité de la loi, du plus de lois, du plus de législation pénale. Et c’est déserter les commissariats et ouvrir des maisons où pourraient se discuter les conflits, où pourraient se prendre en charge des récits, c’est ouvrir des lieux ou s’apprend l’autogestion.

L’État sécuritaire gagne à chaque crise parce qu’il sait se rendre indispensable lorsqu’une population a perdu la capacité de s’auto-organiser, de s’autogérer, quand elle n’a pas de lieux pour en faire l’expérience. Et l’État gestionnaire, qui est une autre manière qu’il a de se rendre indispensable, gagne quand il chasse les médecins de la direction des hôpitaux, quand il chasse les enseignants de la directions des établissements scolaires. L’État n’a pas à gérer ni à sécuriser, et si toutefois il veut exister, qu’il finance les besoins, qu’il prélève l’impôt, qu’il laisse faire l’autogestion.
Donc, puisqu’il faut le redire, les appels à un confinement strict, par la force, par la contrainte, les partages sur les succès de la Corée du sud - qui a usé de la géolocalisation, des caméras de surveillances pour tracer les individus, ou du succès de la Chine, bien davantage liberticide encore, ces appels là, distribuent la terreur, incitent à la délation, proposent la police, désirent l’État total. Il y a des voies à ne jamais prendre peu importe la situation.

Oui, ne pas freiner la circulation du virus, c’est à la fin des fins, se retrouver avec un confinement sous contrôle policier et militaire, avec techniques diverses, dont celle de la géolocalisation, de la délation, du checkpoint. C’est offrir à l’État une expérience dont il tirera nécessairement des leçons. Des leçons pour l’autorité, des leçons pour le contrôle. C’est offrir à l’État et aux libéraux, le test du maintien d’une économie en situation de confinement. En conséquence de quoi, la menace imminente des prochaines heures, c’est le confinement de la population mondiale par des dispositifs autoritaires et sécuritaires.

Et nous disons ceci, que :
Nous n’avons pas besoins de la police. Nous nous ajustons aux comportements responsables. Nous sommes capables de traverser cette catastrophe. Nous avons déjà commencé massivement à le faire parfois bien avant les annonces des gouvernements. Nous savons mesurer les risques. Nous savons nous tenir à distances les uns des autres et nous savons rester chez nous autant que nécessaire. Nous savons qu’il y en a encore pour ignorer la prévention, la pandémie, mais nous savons aussi que les gouvernements nous envoient voter, nous obligent à travailler dans les usines, ne protègent pas les prisonniers, ne donnent pas les moyens nécessaires aux hôpitaux. Nous savons qu’ils ont tiré jusqu’à la dernière heure leurs profits et que maintenant ils nous menacent de nous confiner comme en Italie, comme en Chine, comme en Espagne avec des laissez-passer, des justificatifs, des amendes et des menaces de prisons. Nous n’avons pas besoin de leurs polices, de leurs conseils, nous n’avons pas besoin de leurs observations, car nous savons depuis quelques temps déjà, qu’ils ont gouverné la mort, qu’ils ont gouverné leurs profits, qu’ils tirent maintenant leur pouvoir de leur compétence sur l’urgence.

Nous avons relu toute la littérature des militants qui ont lutté contre le virus du SIDA et sa propagation. Nous savons la manière dont ils ont su se méfier de l’État et des médecins sans pour autant minimiser les risques. La manière dont ils ont acquis une intelligence de la prévention. Ont-ils été invités à discuter pour faire face à cette épidémie ? De la manière dont on pouvait sensibiliser ? Non. Et ce n’est pas minimiser le risque que de dire cela, mais accuser l’État qui s’imagine être le meilleur recours. Nous savons que ce qui nous arrive aujourd’hui n’est qu’une grande répétition de ce qui va se reproduire demain avec le changement climatique.

Nous disons aux médecins que nous nous ajustons, aussi vite que vous vous ajustez, que nous vous ferons confiance autant que vous nous ferez confiance. Qu’il est de votre responsabilité de dire autant que la nôtre, que nous n’avons pas besoins de la police dans nos rues, que se promener seul n’est pas un délit qui augmentera le nombre de morts, que faire du vélo n’est pas un délit qui augmentera le nombre de morts. Que courir ou lire un livre seul, dans un parc n’est pas un délit qui augmentera le nombre de morts. Que se promener avec un ami en gardant la distance nécessaire n’est pas un délit, que rien n’a été fait pour nous donner les masques comme rien n’a été fait pour vous les donner, que rien n’a été fait pour dépister la population pour mieux prévenir et que donc c’est ensemble que nous allons traverser cette catastrophe ; vous et nous en co-responsabilité et de manière solidaire et sans justificatifs et checkpoint volant. Et que nous le voulons pour aujourd’hui comme pour les années à venir car nous savons que les catastrophes vont s’accumuler et que nous voulons apprendre à les traverser sans État sécuritaire et avec un hôpital public plus fort.

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