Pacification et colonisation - les agents de maintenance de la servitude [2/9]

Par Jacques Fradin [vidéo]

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#124, le 27 novembre 2017

Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme. Il y a presque trois ans, nous avions publié une série de vidéo intitulées Qu’est-ce que l’économie, cette nouvelle salve en est la suite logique, dans le sens d’un approfondissement. Le propos est rapide, dense et complexe tout autant qu’il est érudit, précieux et indispensable. Enregistrées à l’hiver 2016, ces 9 vidéos demandent de la patience et de la concentration, qualités nécessaires à tout bon lecteur de lundimatin. Deuxième épisode : Les agents de maintenance de la servitude.

Première Série

La Pacification économique La colonisation par l’économie

Épisode B Maintenir la servitude, renforcer l’esclavage. Les agents de maintenance de la servitude. La sarko-berlusconisation de la politique de maintenance de la servitude.

La servitude est fabriquée, produite, usinée ; telle est la grande fabrication économique.
Le résultat, le produit, de cette fabrication est l’outil vivant, le serf.
Et comme toute machine, la machine vivante doit être surveillée, contrôlée, réparée (redressée).
Le parc des machines vivantes exige un service de maintenance.

Globalement ce service se nomme « politique », à entendre ce terme galvaudé au sens de « police ».
Les agents de maintenance de la servitude sont souvent nommés « politiciens » ; mais il vaut mieux les nommer « policiers » – politocards si l’on veut être plus spécifique (et conserver une hiérarchie dans la police).

La maintenance de la servitude, le maintien de l’ordre, cette maintenance exige la plus grande fermeté, la violence la plus constante, l’indifférence radicale à l’outil vivant, pour son exécution “sans état d’âme”, le machiavélisme le plus noir.
Où se retrouve aujourd’hui le machiavélisme, censé avoir été balayé par « le progrès des mœurs » ?
Dans l’entreprise, dans l’économie, dans la politique de cette économie.
Indifférence plus que cynisme.
Reposant sur l’invisibilité radicale des “inférieurs”.
L’indifférence du politocard dans l’exécution de son service d’ordre de maintenance. Boulot de cadre supérieur bien rémunéré pour mentir sans vergogne.
Sans vergogne : la caractéristique du monde soumis à l’économie.

Il est alors nécessaire de faire une critique de l’hypothèse de « l’humanité ».
Soit l’hypothèse de « l’humanité » : il y aurait une et une seule humanité (ou espèce humaine), tous les hommes seraient semblables, voire égaux !
Mais que veut dire : « tous les hommes » ?
Ce qui ressemble à des hommes.
Mais la plupart n’en sont pas : gueux, prolos, miséreux, mendiants, déplacés, réfugiés, déclassés, etc.
Ne peut être homme que le conformé économique (variation sur le vieil adage : qui ne travaille pas ne mange pas), le conformiste parfaitement classé et respectueux de ce classement (qui exprime la vérité contenue dans l’élitisme républicain).
Nous avons assisté à l’évanouissement, au 20e siècle, du mythe “humaniste” et de la mythologie “progressiste” des Lumières. Même si cet effacement est encore, machiavéliquement, refoulé.
Le 21e siècle sera celui de la disparition de « l’humanité » et de l’oubli de tout “humanisme”.

Et dans cet effacement se tient l’explication des exterminations de masse ; de la dératisation des RATs défectueux, faulty rational actors, pièces mal fabriquées à mettre au rebut.
Explication structurale des exterminations “sans état d’âme” de masse d’hommes animalisés : poux, vermines, dégueulasses, etc. Et, plus exactement, d’outils mal conçus.

L’évanouissement du mythe “humaniste” conduit à l’hypothèse des mondes multiples.
Ces mondes sont en guerre permanente.
Il n’existe aucune relation entre les mondes, sinon la guerre et la mise en esclavage des prisonniers.
La domination par la terreur.
Qu’est-ce que le terrorisme d’État ? Agencé par les cadres de maintenance ?
Polices, services (plus ou moins secrets), mafias, gros bras : les cadres inférieurs de la maintenance.
Managers, coaches, consultants, agents du contrôle économique, gradés des banques : les cadres intermédiaires.
Les politocards berlusconiens : les cadres supérieurs de la maintenance.
L’homme politique doit être considéré comme un « agent d’ambiance ». Il doit propager sa bonne humeur imaginaire. Et cacher sa violence rentrée.
Le terrorisme d’État est un élément de la guerre coloniale interne permanente des maîtres (et de leurs intendants) pour soumettre sans cesse les outils animés (de mauvaises intentions).

L’économie nomme, non pas un espace commun ou « en commun » (une maison commune), mais le monde des maîtres replié sur les autres mondes.
L’extermination générale des autres mondes par le monde de l’économie.
Éradiquer tous « les animaux sauvages » : ce que l’on nomme la civilisation.
L’économie nomme la conquête coloniale à l’infini : sujétion, soumission, accaparement, expropriation, enfermement, etc.

Effectuons un détour par l’esclavage antique romain ou par la servitude ancienne, le colonat.
Avec maîtres, patrons, protecteurs. Puis seigneurs et barons.
Qu’est-ce que la corvée ?
L’exploitation comme fonction générique de l’esclavage.
Exploitation de la ressource humaine comme machine animée.
Corvée, travail forcé, bagne, galères, etc.
L’exploitation n’est que le résultat fonctionnel de la structure coloniale de l’économie.
L’exploitation ne peut s’expliquer sans analyse préalable de la domination coloniale générique.
L’exploitation ne peut être comprise que politiquement, effet de l’accumulation primitive permanente.
Déportation et révolution industrielle permanente sont l’envers et l’endroit du même processus économique de guerre coloniale.
La systématique économique (« la valeur ») résulte de la guerre coloniale permanente.
Le calcul des machines vivantes.
La calculabilité économique résulte de la servitude.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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