Pacification et colonisation - La violence fondamentale et structurelle de l’économie

Par Jacques Fradin [Vidéo]

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#123, le 20 novembre 2017

Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l’évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme. Il y a presque trois ans, nous avions publié une série de vidéo intitulées Qu’est-ce que l’économie}, cette nouvelle salve en est la suite logique, dans le sens d’un approfondissement. Le propos est rapide, dense et complexe tout autant qu’il est érudit, précieux et indispensable. Enregistrées à l’hiver 2016, ces 9 vidéos demandent de la patience et de la concentration, qualités nécessaires à tout bon lecteur de lundimatin.

Première Série

La Pacification économique La colonisation par l’économie

Épisode A La violence à la fondation de l’économie La violence structurelle de l’économie

Depuis maintenant presque trois siècles, nous sommes sous le feu d’une propagande écrasante « pour l’économie ».
Cette propagande parle du bonheur (confortable), de la joie (de posséder), de la satisfaction (de dépenser) et, finalement, de la PAIX qu’apporterait l’extension de la richesse économique.
« L’économie est pacificatrice ».
Elle a été, en Europe occidentale, la solution aux guerres civiles de religion (entre les chrétiens). Elle est, de nouveau, la solution aux guerres civiles idéologiques, solution qui permet à l’Europe, depuis plus de 60 ans de vivre pacifiquement, de vivre une coexistence pacifique.
Voilà le plus vieux thème, depuis le début du 18e siècle, en faveur de l’économie.

Il est nécessaire de briser cette table de propagande.
Nous allons affirmer que la « pacification économique » s’est réalisée par une violence extrême et “sans états d’âme” ; que l’économie est structurellement violence et guerre.
Comme il est bien connu, par toutes les guerres coloniales, en particulier les campagnes de colonisation interne, ces guerres que l’économie guide, la pacification mène à la paix des cimetières.
Que soit ici élevé le mémorial pour les millions de victimes inconnues, pour les victimes de l’expansion économique ou de la modernisation infinie, pour les victimes des génocides tropicaux aussi bien que de la répression sans limite au nom des “libertés économiques”.

Ce qui revient à dire que nous allons développer dans cet épisode l’idée post-marxiste « d’accumulation primitive permanente », actualisée en colonisation interne (ou modernisation qui se modernise).
Nous allons présenter l’économie non pas comme un ensemble productif (ou de production) mais comme un régime politique de conformation.
Le régime politique institué par l’économie est le DESPOTISME.
Extension au monde du despotisme de l’entreprise.
Et chacun sait, qu’aujourd’hui, l’économie forme le régime constitutionnel de l’Europe.

Que veut dire : l’économie est un régime politique ?
Que les éléments clés du monde, du monde soumis à l’économie, sont les éléments qui structurent l’économie.
Et que ces éléments structurants de l’économie sont : le dressage, la formation (au sens fort de conformation), la discipline, l’autorité, l’obéissance, etc.

La vision de l’économie comme système de production (pour le bonheur de tous) est une vision faussée de propagande (de type stalinien).
La production régulière, chinoise, dirons-nous, exige la plus constante autorité. Le despotisme de fabrique étendu au monde.
Le monde, soumis à l’économie, est devenu l’usine universelle, sous l’autorité patronale.
Où l’économie est le prototype de l’articulation de la discipline, c’est une formation disciplinaire, et du contrôle, de l’intendance à la supervision et au management.
C’est maintenant un thème classique que d’analyser le management comme un système politique (machiavélique) : la discipline du travail et le contrôle panoptique (googlelien) des consommateurs complètent un gouvernement basé sur le secret.
Contrairement à ce que pensaient Foucault et Deleuze, on ne passe pas des “formations disciplinaires”, de constitution de l’homo œconomicus laborans, aux “formations de contrôle”, avec leurs énormes bureaucraties économiques, la comptabilité, la gestion, la surveillance permanente et le secret paranoïaque. Quoi de plus bureaucratique que l’entreprise, d’autant plus qu’elle absorbe la puissance politique de l’État ?
Discipline et contrôle sont toujours articulés et conduisent à des formes sécuritaires de plus en plus technicisées.

La légitimation de l’autorité indiscutable des patrons, maîtres et barons, entrepreneurs et ingénieurs, repose sur le plus archaïque thème de la « hiérarchie naturelle ».
Qu’est-ce qu’une « hiérarchie naturelle » ?
L’idée selon laquelle il y aurait naturellement des maîtres (natifs) et des serviteurs (naïfs).
L’idée selon laquelle il n’y aurait pas un seul monde, celui des humains semblables, mais DEUX ou plusieurs mondes, celui des élites et celui des incompétents.
Les hiérarchies naturelles sont toujours historiquement construites (par la guerre de colonisation interne) et évoluent avec l’histoire de la domination.
Les intendants, les surveillants, les officiers, les cadres de tout poil sont des exemples de ces élites (intermédiaires) fonctionnelles.

Pour comprendre l’économie comme un régime politique d’autorité, comme un DESPOTISME, nous devons faire une hypothèse :
L’hypothèse de l’éther esclavagiste (de la permanence de l’esclavage).
L’infrastructure politique des sociétés, l’économie, est un système de servitude.
La servitude est structurante.
Elle renvoie à l’immémorial dressage des chiens, des chevaux et des hommes.
Les pyramides ont été construites par des machines humaines coordonnées en une mégamachine politique.
Les usines ne peuvent fonctionner qu’autant que l’humain est réduit à l’état de machine, au milieu d’autres machines, vivantes ou mécaniques.
Et même le fameux travail immatériel, le digital labor, impose la construction, la fabrication permanente de consommateurs robotisés au milieu d’autres cyborgs.

Quelle est la spécificité propre à l’humain et qui fait si PEUR aux chiens, aux chevaux et aux humains : le cri, le hurlement, la gueulante, l’engueulade, etc.
L’économie repose sur la menace d’exclusion, de chômage, d’élimination et la PEUR permanente.
L’économie, avec son réseau de propriétés privées féodales, exige la plus méticuleuse sécurité.
C’est pourquoi le régime politique de l’économie, le despotisme, est un régime sécuritaire, un régime de sûreté (des propriétés).

Comment alors comprendre l’homo œconomicus machinisé, calculable, planifiable ?
Il faut le comprendre comme un outil vivant ou une machine programmable.
Ce qui est la définition romaine classique de l’esclave.
Que sont les outils vivants : esclaves, serfs, colons, journaliers, serviteurs, louffiats, employés, salariés, etc.

Dans ce cadre, nous pouvons réexaminer la thèse de « la désinstitutionalisation du salariat ».
Le salariat à statut est une parenthèse (courte) qui se referme. Et permet le retour de la servitude personnelle.
Le despotisme économique tend toujours vers son prototype féodal et son avenir à Dubaï.

Mais le précariat averti vaut plusieurs prolétariats intégrés.
Le temps du soulèvement contre le despotisme économique est arrivé.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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