PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°6

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#287, le 15 mai 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

Miettes 6

Schéma un peu plus détaillé de la non dialectique
ou de la dynamique de la dualité.

Nous le savons :
Le schéma en dualité de la non dialectique exige DEUX axiomes :
AXIOME 1 : En Réel, la détermination en dernière instance (DDI) :
Le Réel est déterminant, mais selon la DDI ; il est déterminant négativement.
Le Réel (est) désastre.
AXIOME 2 : La réalité, en autonomie relative.
La réalité reçoit toute son énergie de la puissance Réelle ; la réalité est un gigantesque processus (une immense centrale) de réalisation, de conformation ou de concentration.
Autonomie relative veut dire que la réalité est « alimentée » en Réel, mais que sa structure (systémique) est « auto-organisatrice » (le pouvoir est constructif, et seul le pouvoir est constructif).
Pour reprendre les termes de l’analyse systémique (Luhmann) la réalité est « auto-poïétique ».
Elle est une centrale (une prison) de captation, capture, canalisation, dressage, civilisation (au sens actif), de transformation de la puissance Réelle, inutile, en énergie utile.

La réalité est un énorme transformateur « spirituel » (la manipulation de l’amour) qui produit de l’énergie organisée.

Il faut alors interpréter ce schéma comme une généralisation de « l’ontologie du travail » hégélo-marxiste (pour une introduction à cette ontologie, nous renvoyons au grand classique, José Arthur Giannotti, Origines de la Dialectique du Travail, 1971).
Cette généralisation consiste à désubstantialiser le Travail (nous mettrons une majuscule pour désigner le concept hégélien). « Le Travail » n’est plus une substance, ni, surtout, la substance de la production ou de la valeur (la valeur travail des marxistes). Le Travail est pensé comme le résultat d’une capture esclavagiste ; nous sommes donc « déplacés » du Travail (substance) à la puissance Réelle.
Le Réel est la formulation généralisée de ce qui était sous-entendu par le Travail.
Désormais, le Travail est produit.
Il est le résultat d’une transformation énergétique et d’une conformation « spirituelle ».
Le Travail est plus à penser dans les termes de la physique du travail (à laquelle il faut ajouter la conversion spirituelle) que dans les termes hégéliens (du fond qui fonde).
En termes anciens marxistes, on peut dire que « le Travail » est un élément du système (capitaliste) et non pas un élément extérieur au système et « fondateur » (ou « fossoyeur », notons la dualité, la contradiction non théorisée) de ce système.
Travail & Capital forment un cercle qui organise la circularité ou les circuits de l’économie (renvoyons à l’économie générale des circuits de Bernard Schmitt et de ses descendants, souvent hétérodoxes).
Le Travail ne peut, donc, avoir de fonction destituante ou subversive ; ce n’est qu’un pôle de la réalité systémique. Le Travail est un élément de l’Éco-Nomique et à ce titre est l’objet de toutes les attentions de la police.

Précisons un peu.
Axiome 1 : Réel et DDI.
Le Réel est « l’en-dehors » anté-catégorique que l’on peut nommer, en termes apophatiques, « l’impossible » (ce qui est une thèse de Lacan : le Réel est l’impossible).
Cet « impossible » désigne le Réel comme puissance ou potentialité (la fameuse potentialité de NE PAS, d’Agamben).
Nous pouvons également le nommer « poussée », poussée Réelle.

Tous ces termes ont une fonction : celle d’éviter le terme de « vie », ainsi que tous les sous-entendus liés à ce terme (l’idée de « vie » est une des idées les plus dévastatrices de la pensée, sa polysémie foisonnante – comme « la vie » – rend cette idée totalement vide, ce qui nous amène au Vide Réel – on pourrait pratiquer une déconstruction de « la vie », assez analogue à la transformation de la théologie négative, « la vie » étant d’abord un concept théologique).
Nous évitons décisivement le terme de « vie ».
Car ce terme engage dans un débat « vitaliste », un débat qui parcoure toute la philosophie, depuis, au moins Nietzsche.
Nous refusons d’entrer dans un tel débat.
Et nous n’avons pas la place d’examiner critiquer ce débat ; puis de le dépasser étape par étape (critiquer le « racialisme » de Gobineau, éliminer les travers « biologisants » de Nietzsche, critiquer les liaisons dangereuses du « vitalisme » avec le fascisme, l’élan vital, l’espace vital, etc.).
Donc, radicalement, nous éliminerons « la vie » de toute réflexion.
Et, pour reprendre le jeu de mots extraordinaire de Lacan, nous dirons : Le Réel n’est pas « la vie », « c’est l’avie », terme négatif (Rrose Sélavy, de Marcel Duchamp, 1920).
Si l’on veut la notion de « poussée » (puissance) généralise l’idée de « force vitale » (force qui sera prescriptive de la réalité et, donc, d’une conformation – analogie au « dépassement » du Travail). Il est nécessaire de bien différencier la puissance à vide (avide) et la force formante ou conformante, la forme forcée (de « la vie »).
Comme « le travail », l’esclavage, « la force vitale », l’élan vital (brame), est de l’ordre de la réalisation, elle renvoie aux captures énergétiques, à « l’amour » – lier « la vie » et « l’amour » obligerait à une déconstruction systématique du religieux.
Si l’on veut, en termes Simondon Deleuze (pris avec de longues pincettes), la poussée est pré-individuelle ; elle est même pré-humaine ou a-humaine (ce qui pourrait nous amener à une récupération de Latour) : elle inscrit l’humain DANS le cosmos et comme pièce cosmologique (et, peut-être, comme processus physico-chimique).

Mais ce qui importe (au-delà des légendes latouriennes), pour cette poussée, est qu’il s’agit d’une dynamique.
La notion de poussée a pour objet de faire passer d’une pensée substantialiste (comme celle du travail, ou de la vie) à une pensée dynamique.
Le Réel n’est pas un état, ni une substance.
C’est un flux dynamique.
Et cette dynamique est illimitée ; nous parlons de dynamique de l’irréversibilité.
Aucun arrêt n’est possible.
L’irréversibilité de la dynamique implique que le Réel n’est ni appropriable, ni récupérable.
Ou, plutôt, l’appropriation ou la récupération sont de l’ordre des réalisations.
Il n’y a pas de retour concevable (vers un état primitif bienheureux).
Le « retour » lui-même, du style « revenir en arrière » ou « récupérer des voies perdues », etc., le retour est toujours de l’ordre de la fuite en avant, de la fuite sans fin (le passé supposé « rédimé », racheté, n’est qu’une réalisation parmi toutes les réalisations imaginables de l’imaginaire).

Il faut insister sur cette idée que le Réel n’est pas récupérable.
Nous l’avons dit et redit : le Réel n’est pas un espace, un lieu, une localisation, ni une « banlieue » (Khôra, en un sens spatial, réalisé, et non pas Réel – la Khôra de Platon est le vide de l’illocalisation ; pour Platon, la Khôra se confond avec le Chaos Réel, la puissance démiurgique).
Le Réel n’est pas un fond (le concept de Réel est même construit pour critiquer l’idée métaphysique de fond – ou, encore, c’est lorsque l’idée de fond est repoussée, lorsque la métaphysique est déconstruite (par Heidegger), que peut se produire l’idée de Réel).
Le Réel doit se penser comme « sans fond », Abyme.
Le Réel ne peut renvoyer à un quelconque état archaïque ou primitif, et en position de commandement (l’archisme du commandement est remplacé par l’an-archisme de la DDI).
Le Réel a la primauté (de la DDI) ; non pas le commandement (la réalité est en autonomie relative). Le Réel est toujours là agissant, mais il n’est que le flux de la puissance négative désubstructurante.
Parler de « repos » en Réel est « impossible ».
Le Réel ne renvoie jamais à un paradis « retrouvé » (voir, plus haut, ce que nous avons dit des « retours »).

Nous parlerons du Réel de rébellion. La rébellion (révolte, insurrection) pouvant être un nom du Réel.
La rébellion est la puissance Réelle qui destitue tout. Et qui, « en même temps », est la source primaire d’énergie – la puissance récupérable.
La rébellion ne s’arrêtera jamais : il ne peut y avoir de fin de la rébellion.
Une capture complète des esclaves ou la réalisation intégrale d’une utopie signifierait la fin du monde, la fin de l’humanité (la solution finale). Ce qui est impossible.
Pour le dire dans les termes de la théorie critique de Francfort, Adorno, la réalité est « presque » totale, mais « pas toute » (Lacan, Zizek) ; il y a un reste de mesure nulle ; mais ce reste est « irrécupérable » et relance sans cesse la machinerie politique d’emprise, ainsi que l’insurrection (cercle de la rébellion et de la répression : la poussée est compressée pour augmenter la force).
Nous avons dit que le Réel était ambigu ou ambivalent, désastre et puissance.
Cette ambiguïté est une expression de la dualité Réel / réalité réalisée.
Le Réel est la poussée désubstructurante de désastre ou de destitution (puissance négative).
« En même temps », en dualité, elle alimente les conformations. Elle est la source de l’énergie qui conforme, elle est la source de tout pouvoir (la rébellion est la source de tout pouvoir – renvoi à la dialectique marxiste du Travail).
C’est pourquoi on lie si facilement le pouvoir et le sexe ; en réduisant la poussée à la « pulsion sexuelle » (et non pas à « la vie »), on peut donner une théorie du pouvoir, pouvoir qui est alors lié à la capture des « femmes » (Christophe Darmangeat, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était, Aux origines de l’oppression des femmes).
Pour cette réduction (« sexuelle » de la poussée – l’énergie libidinale est réduite à l’énergie sexuelle), le Réel pourrait se nommer « En Femme » ou « Infâme » (au sens de Foucault). La Femme (l’affame de l’avie) pouvant être un nom pour désigner la rébellion Réelle (La Femme serait un nom pour le « dieu » apophatique).

Le Réel Chaos propage la dispersion, la fragmentation.
Mais cette propagation désastreuse est « nécessaire », au sens de unilatérale et irréversible (nécessaire sans suffisance, non commutativité).
Le complément en dualité du désastre ou de la puissance énergétique destructrice, le vent solaire peut être plus facilement introduit par l’intermédiaire de l’axiome 2, dual de l’axiome 1.

Axiome 2 : la réalité en autonomie relative (l’autonomie Éco-Nomique).
Du point de vue de la réalité, des forces de pouvoir, du système ou de l’ordre, le Réel avec DDI peut être envisagé comme « affirmatif » : c’est une puissance que l’on peut récupérer.
Posons alors, en dualité, que le Réel est affirmatif (du point de vue des réalisations).
Le Réel affirmatif est une source énergétique et même une source inépuisable (la rébellion n’aura pas de fin).
C’est même la seule source indéfiniment renouvelable, « la prolifération », sauf la mythique « grève des ventres », et qui peut, alors, être considérée (du point de vue de la réalité) comme « infrastructure » de l’histoire (l’infrastructure n’est pas l’économie ou le travail, mais la puissance Réelle).
La réalité s’effectue comme une turbine énergétique (la turbine du Travail) ou comme une centrale à énergie.
Avec, au centre de la conversion (de la puissance en énergie) « la concentration », l’oppression, la concentration ou la canalisation des poussées.
Le modèle de la réalité est l’ordre militaire avec son organisation ; l’ordre qui a décidé de la supériorité de la chasse (sur toute autre activité).
La réalité, envisagée comme capture, esclavagiste (la grande chasse est la chasse à l’homme) ou rapt « des femmes », la réalité se déploie comme un retournement de la puissance ou de l’agir en force ou en action rationnelle (Foucault : la rationalité est inséparable de la violence).
Ce retournement ou cette conversion (énergétique), qui est au centre de la centrale énergétique (au centre du processus de réalisation), se manifeste par un déferlement de violence.
La conversion étant à la fois matérielle (au sens ordinaire de l’exploitation) et spirituelle (la conversion religieuse) la violence se déploie partout (la colonisation est, également, un processus religieux de « conquête des esprits », par les méthodes mêmes de la colonisation, comme « conquête militaire » ; donc : conquête des esprits = conquête militaire).
Le Réel, vu depuis la réalité, est envisagé comme une « terre vierge » à coloniser, une source d’énergie exploitable, « sans titres de propriété ».
L’exploitation, la capture, l’extraction, la colonisation, la conversion, constituent le rouage central du processus de réalisation de la machine social-politique réalisée, le noyau atomique de la centrale énergétique (le monde qui turbine en religion).

Encore une fois, nous reprenons déplaçons le schéma marxiste : ce n’est pas seulement l’exploitation DU travail, le circuit économique, qui importe (il n’importe qu’en termes de la réalité économique) ; c’est la conformation esclavagiste par la mise AU travail (l’accumulation primitive qui se répète sans cesse). L’exploitation doit se penser comme la constitution du Travail.

Et, en particulier, point qu’il faudrait longuement développer, ce monde qui turbine est métaphysique : commandement, unification, destination ; la métaphysique est la dogmatique du despotisme.

Si l’on combine les termes de la dynamique impliquée par les DEUX axiomes, nous obtenons une généralisation de la dialectique hégélo-marxiste.
Chaque analyse précédente, selon l’axiome 1, en Réel, ET selon l’axiome 2 de la réalisation en réalité, chaque analyse doit être dédoublée (nous avons beaucoup parlé de l’ambivalence ou de l’ambiguïté, du clivage et des contradictions – les fameuses « contradictions motrices » que nous repensons).
La puissance Réelle est ambivalente (en dualité), génératrice ET destructrice (clivage sans séparation qui constitue « l’un en deux »).
La réalisation des réalités conformées est aussi ambivalente (ou double), capture en conformation, formation des formes, ET impossibilité d’accéder à un état stationnaire (d’harmonie) ou impossibilité d’accéder à un état final de conformation (l’histoire ne peut s’arrêter).
La capture énergétique de conformation génère son auto-dissolution, son auto-destruction.
Le système auto-poïétique est auto-destructeur (rongé par la puissance Réelle).
L’explication apophatique (la démonstration par l’absurde) est : si le système, auto-nome (relativement) n’était pas menacé par le désastre ou la destitution, alors l’histoire (l’historial exactement) n’existerait pas (le fameux tournant d’Être et Temps à Temps et Être). « Même le cosmos » (cosmologique et non pas mythologique, représentatif de « l’ordre stable ») est cassé par l’histoire cosmologique ; et même la cosmologie (l’astronomie physique) pense l’histoire et possède une histoire.

L’auto-destruction, régulière ou infiniment répétée, du système auto-poïétique peut se désigner (en déplaçant la physique cosmologique) en termes de dégradation de l’énergie ; en nos termes « a-humains », l’erratisme et la corruption.
Prenons ce point, l’erratisme (nous avons beaucoup écrit, par ailleurs sur la corruption, ce phénomène envahissant).
Nous pouvons nommer le Réel CHAOS (ou Khôra au sens de Platon).
La puissance Réelle propage le chaos.
(Et nous le répétons depuis le début, le militant de l’insurrection Réelle doit « faire face au chaos », doit accepter que le chaos soit « sa règle », et que ce ne seront pas des constructions mytho-fantastiques qui fixeront « son chemin ». Le chemin de l’Officier de l’Abyme ne mène nulle part, mais « ouvre » devant – le Futur ouvert et indéterminé étant un nouveau nom pour le Réel – la politique négative est un « ouvroir des potentialités »).
La ligne d’immanence radicale :
puissance → constitution, institution → pouvoir
ou
poussée → organisation → force
est une ligne brisée : ce n’est pas un mouvement harmonieux, c’est la description analytique d’un champ de bataille, avec fractures, ruptures, clivages, etc.
Nous le répétons (principe central) : toute réalisation désigne une guerre.
Le Réel est le Chaos permanent (ni d’avant, ni d’après) ; ce n’est pas le calme paradisiaque d’avant la tempête ; il n’y a pas d’avant, au sens métaphysique « d’état primitif » ou « d’anarchie originaire » ; le Réel agit sans cesse et toujours là (l’accumulation primitive se répète en permanence).
La puissance Réelle désastreuse de désagrégation agit DANS la configuration des formes ou des institutions, elle agit comme corruption (corrosion). Les formes ou institutions ne peuvent être qu’évanescentes, des fumées.
LA MORT, l’arrêt de mort (le stable), ne se combat certainement pas par la stabilité, en rajoutant du fixe à l’immobile ; la mort (l’ordre stable) ne se combat certainement pas par un montage mytho-poétique de l’imaginaire d’un état de vie calme et harmonieux (comme celui attribué, par erreur, aux vers de terre).
La mort se combat par la reprise SANS CESSE et illimitée (infinie) du combat contre l’ordre ou l’ENTROPIE. Le travail mort est celui qui est mis en forme, en une forme supposée durable.
La puissance Réelle, indéterminée, ambivalente, peut être source de « beauté » (mais laquelle ?) ET aussi bien, « en même temps » que source « d’horreur » (mais la beauté fatale n’est-elle pas l’horreur absolue).
Nous prenons comme (autre) principe la thèse constante de l’école critique de Francfort, en y adjoignant Benjamin : il y a indistinction entre « la beauté » et « l’horreur », entre la civilisation et la barbarie – toute œuvre d’art est une œuvre de barbarie – toute construction est désastreuse.

Distinguons, à la Foucault Rancière, « la politique » en Réel ET « la police » des réalisations.
En Réel, le communisme tribunicien, la politique révolutionnaire négative, est ce qui empêche toute réalisation de se congeler. Même si ces réalisations sont supposées être le résultat de projets « anarchistes » vers une utopie d’harmonie (« amoureuse »), elles finiront par se réifier et tomber dans la corruption (ce que manifeste l’histoire désastreuse des colonies anarchistes).
Même les plus belles petites histoires des anthropologues « anarchistes », les plus belles inventions des libertés sur les hauts plateaux finissent toujours dans un désastre colonial (désastre souvent accéléré par le mimétisme nécessaire à la défense – le modèle du « socialisme dans un seul pays » qui finit, par mimétisme imposé, en dictature militaire).
La politique révolutionnaire ne peut être que négative.

MAIS la puissance désubstructurante, qui pousse cette politique, est a-humaine (et s’analyse en termes « anti-humanistes » – l’humain n’est qu’un porteur, « le fidèle de l’événement »).
La politique ne se pense pas comme expression d’une volonté (la volonté est de l’ordre de la réalité). Dans les termes de Badiou, cette politique est « événementielle » : c’est un événement du dehors dynamique et cassant (événement qui peut être pensé en continu ou en répétition démultipliée) qui pousse (pour ou contre).
Insistons, nous pouvons reprendre les analyses de Badiou sur l’événement a-humain (involontaire, non décidé) en y ajoutant la répétition et la démultiplication.
Il y a sans cesse des micro-révolutions dans des domaines diversifiés.
Être militant révolutionnaire ne peut donc consister qu’en « une acceptation » de la puissance destituante ; ne peut consister qu’en une prise de parti (ce que nous nommons éthique politique) pour le NON ou le refus ; ne peut donc consister qu’en un « engagement » DANS le flux Réel du désastre (renvoyons aux Miettes 1).
La révolution ne peut être constructive.
Elle est la négation de tout ordre.
Surtout d’un « ordre révolutionnaire ».
MAIS, en dualité, cette négation doit sans cesse être reprise, puisqu’elle est, sans cesse, menacée par les forces constructives ou utopiques, forces elles-mêmes soumises à la corruption.
Il y a toujours trop de constructeurs ou d’inventeurs d’utopies ; il est temps de passer à la révolution permanente de la destruction.
Le projet révolutionnaire ne peut jamais être celui d’un état d’harmonie, de beauté et de bonté, d’amour. Parce qu’il n’y a pas de projet durable ; qu’il n’y a que des pro-jets, des projections désastreuses.
Le pro-jet (la jection ou poussée) révolutionnaire Réel doit sans cesse s’affronter à la réalisation, qui est effectuation, réification.
On peut alors dire, du point de vue de l’immanence radicale : nécessairement, le Réel se réalise, la colonisation est de l’ordre de la nécessité ; ET cette réalisation est une catastrophe, un renversement de la puissance en force policière, en force de l’ordre.
MAIS c’est une catastrophe qui sera, également, retournée (en catastrophe de la catastrophe – dialectique sans synthèse).
Aucune réalisation ne peut se maintenir.
La liberté est alors l’engagement, en Réel (dans le parti du NON), dans l’ouverture illimitée de ce qui désastre.
Tout pouvoir constituant, puis constitué, établi, toute utopie réalisée, supposée stable voire fixe (définitive), sera toujours destituée, sans arrêt.
Et la définition précise du collaborateur est : celui qui jugeant que « le temps » de la réalisation stable est suffisant, ou, au contraire, que « le temps » de la destitution « nous dépasse » (et qu’il n’y a jamais à prendre parti pour ce « qui nous dépasse » – l’événement), « décide » (dernière volonté) qu’il est nécessaire d’être suffisant (de se contenter du monde et de ses chamailleries). Le collaborateur est celui qui rétablit la logique commutative du nécessaire et suffisant : l’ordre nécessaire (l’utopie réaliste réalisée) est (bien) suffisant.
Et qui donc « participe » (collabore) au monde plat ou au monde de l’ontologie plate.
Et imagine une fin (heureuse, happy end) à l’histoire en voie de se faire.
Pour suivre l’analogie énergétique : si l’on conçoit la puissance Réelle comme un réservoir énergétique (ce qui est le point de vue de la réalisation), la puissance est liée à l’agitation (la rébellion est un nom possible du Réel), à la chaleur (a-humaine) ; or pour pomper dans le réservoir, il faut limiter, freiner, contrôler l’agitation, la refroidir (sans la supprimer – tout l’art de la police) ; ce qui s’avère, finalement, impossible. Ce pourquoi le Réel peut être dit « l’impossible ».
Finissons par un schéma énergétique :
La puissance est le chaos de l’agitation thermique « chaleureuse » ;
La réalisation est une réduction de la puissance « inutile » (ou « libre ») en force « utile » ; cette réduction exige une cage de limitation, pour encadrer encager l’agitation (la subversion est un autre nom possible du Réel).
Le pouvoir s’envisage (du point de vue réalisé) comme l’arrêt de l’agitation, arrêt qui peut se nommer destination, destin, deed (dead).
Et implique de faire tomber des barres de refroidissement.
Dans le complexe (en dualité) que nous examinons, l’arrêt, le refroidissement implique la manipulation discursive, la promesse (du mariage pour sceller l’amour).
Mais nulle promesse ne peut être tenue. Et « la fidélité » est un combat douteux (douteux au sens québécois).

Si l’on envisage « la commune communiste » comme (d’abord) puissance (communiste tribunicienne ou puissance négative), cette puissance ne peut se constituer en espace, en domaine : elle est la dissolution de tout espace.
Expression du chaos, de la fragmentation, de la dispersion, de la dissolution.
Encore et encore : le Réel n’est pas récupérable, il est réalisable, localement si l’on veut, mais certainement jamais sous une forme harmonieuse (l’harmonie que le mythe associe aux localités campagnardes). Et, en tant que réalisation (même « parfaite », si cela a un sens), toute harmonie locale sera désastrée.
La vocation communiste, ainsi définie, l’office de l’Abyme, l’éthique politique en Réel, est illimitée. Le militant du chaos peut donc se penser dans les termes de l’infini (l’in-fini, l’in-finissable).

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :