« Nous n’avons pas peur d’eux, nous n’avons rien à perdre »

Iran : la révolte d’une génération no future contre la République islamique

paru dans lundimatin#129, le 15 janvier 2018

Hamid Mohseni est un activiste germano-iranien, journaliste indépendant, vivant à Berlin. Actif au sein des réseaux de solidarité iraniens depuis l’insurrection de 2009, il nous livre ici son analyse des récents soulèvements contre le pouvoir.

Le peuple iranien est en pleine rébellion ; des millions de personnes ont pris la rue pour protester contre le gouvernement ; vingt personnes ont perdu la vie, et plus de 1 700 ont été arrêtées. Malgré la répression, la colère ne s’apaise pas. La période actuelle de révolte semble avoir beaucoup plus de potentiel que celle de 2009 car c’est une génération sans avenir qui se soulève, s’apparentant à un no future thatchérien, cette fois made in Iran. Une génération qui n’a rien à perdre et prête à tout risquer.

En Iran, on a l’habitude de dire qu’un changement de régime survient tous les trente ans : en 1979, une révolution populaire chasse le Shah d’Iran du pouvoir, avant que les alliés du Guide suprême de la Révolution islamique, l’Ayatollah Khamenei, ne prennent violemment le contrôle de l’État, et le transforment en République islamiste d’Iran (RI). Exactement 30 ans plus tard, en 2009, le pays connu son dernier grand soulèvement, récupéré dans un but intéressé par un courant de realpolitik réformiste. De ce mouvement, naissait l’espoir d’une réelle possibilité de changement, chez les réformistes évidemment mais également pour toutes celles et ceux qui aspirent alors à une vie meilleure. Finalement, ni le gouvernement controversé de l’ancien président conservateur Mahmoud Ahmadinejad et de l’actuel Guide suprême Ali Khamenei, ni les principes fondamentaux de la République islamique ne seront ébranlés et le mouvement de contestation sera étouffé. Le cycle du changement serait-il brisé ?

De récents événements en Iran ont ravivé l’espoir que ce cycle de changement avait seulement pris un peu de retard. Ce mouvement (qui ne fait certainement que débuter) affiche beaucoup plus de potentiel que celui de 2009, notamment parce qu’il est dans son fondement même, différent de ce dernier. Il fait trembler l’élite de la République islamiste et ravive la flamme de toutes celles et ceux qui souhaitent la fin de la République et voir le peuple iranien vivre dignement et librement.

Une brève introduction à la situation actuelle en Iran

Nous assistons à la transformation d’une révolte populaire en un mouvement social de plus en plus radical, et cela, à l’échelle du pays. Il s’agit de la plus grosse vague de manifestations que l’Iran ait connu en 8 ans. Si l’on peut résumer le mouvement en quatre revendications (pain, travail, dignité et liberté), un nombre important de manifestants et manifestantes parmi les millions qui prennent la rue n’exigent rien de moins que la destitution de la République islamique.

Les causes à l’origine de la gronde populaire sont complexes et fermentent depuis des années, sinon des décennies. Les journaux évoquent la montée du prix des œufs et le chômage comme étant les éléments déclencheurs. L’inflation a effectivement des effets dévastateurs en Iran, et couplée aux politiques sévères d’austérité, elle supplante largement le taux horaire des salaires et le revenu moyen. Cette situation économique pousse les chômeurs mais également les travailleurs iraniens (déjà dans une situation précaire) aux limites même de la survie.

Cela explique en partie pourquoi l’Iran connait beaucoup d’agitation, qu’il s’agisse de grèves sauvages ouvrières dans les usines ou d’actions des retraitées et des travailleurs du secteur public, ce qui ne s’était pas vu depuis bien longtemps. L’organisation subventionnée par l’État Isargara estime qu’environ 1 700 actions à « caractère social » ont eu lieu depuis mars 2016 et cela malgré d’impitoyables poursuites judiciaires contre les syndicats ou toutes autres organisations jugées trop radicales.
La fin des douloureuses sanctions imposées par les Nation Unies sur l’Iran n’a pas réussi à engendrer une reprise économique satisfaisante, sauf évidemment pour une poignée de Mollahs corrompus et le complexe militaro-industriel des Gardiens de la Révolution.

Pour les iraniens et iraniennes, les difficultés économiques de l’État sont cependant loin d’être le seul problème. L’autoritarisme grandissant sous Ahmadinejad n’a pas cessé avec l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani, même s’il est ironiquement considéré comme un politicien réformiste, ou du moins modéré. La pression quotidienne de l’autoritarisme religieux se manifeste particulièrement dans le harcèlement des femmes et des jeunes « alternatifs » ; et le nombre d’exécutions au nom d’Allah n’a pas baissé.
À cela s’ajoute le problème de la pollution qui touche particulièrement les grandes villes où l’air est tellement irrespirable qu’il a fallu limiter la circulation dans certains quartiers et imposer le port de masques. Enfin, de nombreux iraniens sont furieux que la République islamique expansionniste finance à coup de milliards de dollars des organisations idéologiquement alignées avec elle au sein de luttes régionales, comme en Palestine ou encore au Liban, tout en restant indifférente à la souffrance à l’intérieur de ses propres frontières.

Que se passe-t-il donc en Iran aujourd’hui et qui se distingue du soulèvement avorté de 2009 ?

Les caractéristiques du mouvement de protestation et les raisons de son existence

Le soulèvement de 2009 était un mouvement de protestation traditionnel, dans le sens où ses préoccupations s’exprimaient en termes de realpolitik. Il a été orchestré et organisé au sein du courant politique réformiste iranien, avec l’ancien candidat présidentiel Mir-Hossein Mousavi à sa tête, le même Mir-Hossein Mousavi qui était Premier ministre sous Khomeini lors des exécutions de masses de 40 000 opposants politiques vers la fin des années ’80 (nous reviendrons plus tard sur l’état désespéré du réformisme iranien).

Le soulèvement avait culminé par la tenue d’élections dans un régime autocratique et totalitaire. Les réformistes visaient à prendre le pouvoir de la République islamique, et si possible, améliorer les choses dans une certaine mesure : plus de démocratie, plus de liberté individuelle, moins de harcèlement et une légère ouverture vers les pays occidentaux. Des changements qui sont parfaitement réalisables dans le cadre de la République islamique, qui tolère ce genre de réformes depuis 1997, année de l’élection du président réformiste Mohammad Khatami.

À présent, la situation s’est complètement retournée. Les réformistes gouvernent avec Hassan Rohani, mais les problèmes sont toujours les mêmes, sinon pires. C’est pourquoi les revendications sont plus existentielles, et que la lutte, le conflit, est bien plus fondamental. Il ne s’agit pas de choisir entre les courants politiques au sein de la classe dominante, mais bien de la remise en question de la classe dominante elle-même. En fait, le premier rassemblement qui a mené à ce soulèvement a eu lieu le 28 décembre dernier dans la ville de Mashad et était organisé par l’opposant ultra-conservateur de Rohani, Ebrahim Raisi. Cependant, ce dernier a rapidement perdu le contrôle de la vague contestataire. Les gens en ont assez d’être utilisés comme des outils de négociations entre les courants réformistes et conservateurs de la realpolitik, qui s’avèrent tous deux incapables de résoudre les problèmes existentiels et fondamentaux du peuple iranien. Cela a clairement été exprimé lors d’une des premières manifestations du présent cycle de contestation qui s’est tenue à l’université de Téhéran, lorsque la foule a scandé le slogan « réformistes ou conservateurs, la paix sociale est terminée ».

Les revendications au cœur de la lutte

Le soulèvement de 2009 était mené par une classe moyenne urbaine et éduquée, qui ne remettait pas en cause la souffrance existentielle d’un point de vue matériel, mais plutôt idéologique. Les manifestants s’insurgeaient (et avec raison) contre une montée agressive de l’autoritarisme sous Ahmadinejad, dont l’administration avait massivement attaqué les droits démocratiques fondamentaux et les libertés individuelles, telle la liberté de presse, le droit d’assemblée, la liberté d’opinion et ainsi de suite. Ahmadinejad a amené l’Iran à jouer un rôle de plus en plus important en tant qu’opposant de l’Occident (qui, malgré les sanctions, n’a néanmoins jamais cessé de faire d’importantes affaires avec la RI), et a mobilisé le pays et ses alliés de la région pour contrer l’influence occidentale ; une sorte de ‘bloc anti-impérialiste’ du XXIe siècle.

Alors qu’Ahmadinejad était capable d’unifier la classe ouvrière en faisant appel à leur identité nationale, la classe moyenne demandait à faire partie de la mondialisation du monde occidental, mais n’avait aucune envie d’une révolution en Iran. Cette dernière avait placé ses espoirs dans le candidat présidentiel réformiste afin de réaliser ses objectifs par la voie parlementaire, qui, de toutes façons, présente un problème structurel dans un État totalitaire puisque le Guide suprême doit au préalable approuver tous les candidats.

Aujourd’hui, c’est un tout autre groupe social qui se révolte : il s’agit majoritairement des classes inférieures, d’ouvriers et d’ouvrières (souvent précaires), de sans-voix, d’étudiants (qui participent à chaque soulèvement important en Iran), mais surtout, de femmes progressistes qui dirigent le front de la lutte. La plupart de cette gigantesque tranche démographique du peuple iranien n’a véritablement aucun avenir ; pas la moindre perspective. Ces gens veulent vivre dignement, ils veulent pouvoir se nourrir, avoir du travail pour subvenir à leurs besoins élémentaires et dans ces conditions sont frustrés par les justifications religieuses de la misère. Contrairement à la classe urbaine de 2009, ils n’ont rien à perdre et sont prêts à tout risquer. S’exprimant durant les émeutes, un jeune du sud du pays avait lancé : « Je vis avec mes parents, et nous pouvons difficilement mettre du pain sur la table pour notre famille. Je ne trouve pas de travail. Que peuvent-ils me faire ? Je n’ai pas peur d’eux. Je n’ai rien à perdre ». Il est fascinant de voir comment ces paroles, dans ces mots exacts, pourraient également s’appliquer à la jeunesse sud-européenne, durement touchée par la crise économique de 2008, qui, même en vivant dans un tout autre monde, souffre des mêmes problèmes de sous-représentation, est considérée comme dispensable aux yeux de la classe dominante, et qui finalementl devient de plus en plus ingouvernable.

L’esprit et la symbolique de la lutte

Il est important de mentionner que l’appareil répressif iranien est l’un des plus sophistiqués et des plus impitoyables du Moyen-Orient, sinon du monde. On y retrouve non seulement des corps policiers, mais également les Gardiens de la révolution et son bras paramilitaire officieux, la milice du Bassidj, fondée par Khomeini lui-même. C’est pourquoi il faut beaucoup de courage pour sortir dans la rue, même pour y manifester pacifiquement. Le droit de manifester en soi n’existe pratiquement pas, en particulier lorsque les manifestations sont considérées comme anti-gouvernementales. Dans ce contexte, les slogans que scandent actuellement les manifestants durant ces assemblées illégales sont notablement audacieux : pratiquement aucun d’eux n’est de nature religieuse. Il s’agit d’une différence majeure avec les événements de 2009, où un des slogans principaux était « Allāhu ’akbar » (Dieu est grand), afin d’exprimer une loyauté envers les principes de la République islamique. Aujourd’hui, ce slogan est mis de côté ; les masses de toutes les villes chantent plutôt « À bas Rohani ! », « À bas le dictateur ! », « Mollahs, dégagez ! », et même « À bas Khamenei ! » ainsi que « À bas la République islamique ». Il est important de préciser que prendre part à ces chants constitue une infraction criminelle appelée « mohareb » (péché contre Dieu), un crime punissable de mort. Tout comme lors de la révolution de 1979 (ou de toutes autres révolutions occidentales), le peuple demande « Indépendance et Liberté » ainsi qu’une « République iranienne », et par conséquent la fin de la RI.

Le peuple semble se radicaliser chaque jour un peu plus, il ne se laisse plus disperser par la police. Il n’est pas rare de le voir tenir tête aux escouades anti-émeutes et incendier voitures et commissariats de police. On observe une grande attention dans les émeutes ; dans les vidéos d’actions militantes, on voit les gens s’occuper les uns des autres et empêcher certains de blesser des civils innocents. Les cibles des actions directes sont très claires ; les gens dirigent leur rage contre les forces de l’ordre et leurs biens matériels, contre les banques et les bureaux gouvernementaux, mais surtout, contre la détestée Garde révolutionnaire. D’autre part, ils arrachent les affiches géantes du Guide suprême et brûlent le drapeau de la République Islamique. Un indice très important de la nature progressiste et laïque de la révolte est la présence et l’implication active des femmes, dont plusieurs manifestent sans le hijab. Une jeune protestataire transformant son hijab en drapeau est d’ailleurs devenue le symbole de cette mouvance féminine.

La géographie de la protestation

Contrairement à 2009, les acteurs du soulèvement d’aujourd’hui ne sont pas limités à un petit groupe démographique, c’est-à-dire la classe moyenne de trois ou quatre grandes villes ; le mouvement s’étend sur tout le pays. La société iranienne, avec une majorité ethnique perse représentant 60% de sa population (qui revendique souvent de façon agressive sa suprématie de la nationalité iranienne) est très hétérogène, et compte plusieurs minorités ethniques, culturelles et religieuses de différentes importances, telles que les Kurdes, les Azéris, les Lors ou les Bahaïs, pour ne nommer qu’elles. Le soulèvement de 2009 présentait une problématique majeure : il était incapable de rejoindre ces minorités car il ne pouvait les convaincre qu’un président réformiste améliorerait leur condition, ce qui, au final, ne s’avère pas surprenant considérant que le droit des minorités n’occupait pas une place importante au programme de leurs revendications.

Bien que la contestation sociale d’aujourd’hui n’avantage pas nécessairement ces minorités ethniques, elle revendique tout de même des changements fondamentaux et inclut tout le monde. Alors que 2009 a été orchestré par Téhéran et Ispahan, le présent cycle de contestation s’est déclenché dans le nord-ouest (près du Kurdistan iranien), avant de se propager à Téhéran et dans environ 70 (!) villes réparties sur l’ensemble du territoire, y compris dans les provinces du Khouzistan, de Kermanshah et du Kurdistan, où habitent plusieurs minorités. Il s’agit d’un mouvement pan-iranien fort de millions de personnes regroupant une large partie de la société, à l’instar de 2009.

L’organisation au sein du mouvement

La contestation de 2009 fut un mouvement politique traditionnel, avec des revendications bien précises, et, de façon plus importante, des leaders à sa tête ; Mousavi et sa femme Zahra Rahnaward, ainsi que le colistier réformiste à la présidentielle Mehdi Karroubi se considéraient eux-mêmes comme les leaders, et étaient également reconnus comme tels. Avec leurs équipes, ils étaient responsables du programme politique ainsi que de la logistique de la contestation, et décidèrent ainsi des revendications qu’ils jugeaient importantes, et rejetèrent naturellement celles qui leur paraissaient trop radicales. Or, dans un État totalitaire, ce type d’organisation du haut vers le bas est aussi bien une erreur idéologique qu’un manque de pragmatisme. Cette forme d’organisation hiérarchique a permis au pouvoir d’ébranler fortement et facilement la dynamique du mouvement, l’État n’a en effet eu qu’à emprisonner ses leaders. La contestation ne s’arrêta pas tout de suite, mais le mouvement était rapidement acéphale.

La présente révolte prend la forme d’un mouvement bien plus autonome et décentralisé. Les gens des différentes villes communiquent par internet et suivent le déroulement des évènements grâce aux vidéos. Les gens se retrouvent après l’école ou le travail, une fois le soleil couché, ils discutent de la politique et de la vie et se mettent à scander des slogans puis partent s’attaquer à des cibles, frappent, se dispersent et disparaissent. Et même si les forces de police répliquent en arrêtant et en tuant des manifestants, les protestataires sont résilients et continuent encore et encore à se donner rendez-vous. La spontanéité de la contestation est un phénomène inédit et qui ne saurait être toléré par le pouvoir, cependant l’incapacité des autorités à cibler des leaders qui n’existent pas (du moins, pour l’instant) leur complique énormément la tâche.

Réactions de l’État et perspectives d’avenir

Bien que l’appareil étatique ait hésité pendant un certain temps avant d’annihiler la contestation, il se met maintenant lentement en position. Après que les manifestations furent devenues si grandes qu’il était impossible de les ignorer, l’État a usé de sa stratégie habituelle pour décrédibiliser la contestation : des terroristes, agents provocateurs, étrangers ou autres, ennemis du régime, sont responsables de la révolte. Toutefois, la rumeur court que des policiers et des soldats auraient démissionné et refuseraient de participer à la répression. De leur côté, les forces conservatrices tentent de détourner le mouvement à leur profit en criant par exemple « Allāhu ’akbar » dans leurs megaphones. De récentes « démonstrations de force » du pouvoir, pendant lesquelles des loyalistes au régime sortent en « masse », se sont avérées bien en deçà des attentes. Toutefois, l’État n’a pas encore mobilisé, ou du moins pour l’instant, la totalité de son appareil répressif. Les Gardiens de la révolution et la milice du Bassidj se concentrent à l’heure actuelle sur les grandes villes, et ne semblent pas en mesure de faire face à un soulèvement continu dans les provinces.
De leur côté, les réformistes (considérant leur impuissance et leur espoir niais de transformer efficacement un régime totalitaire en ne se contentant que d’installer un nouveau président au pouvoir) se feront probablement les complices des conservateurs, et chercheront en bout de course à former un gouvernement « de coalition de la raison », c’est-à-dire une administration qui voudra conserver la République islamique et visera à étouffer la vague de contestation.

Cependant, on note encore un fois une autre différence fondamentale avec la révolte de 2009 : il en faudra bien plus pour effrayer les gens et les faire rester chez eux. Le peuple a faim, il est au chômage (ou se sent si misérable au travail que c’est tout comme), il n’en peut plus du régime islamique et n’a aucune perspective d’avenir. Hormis le nombre de morts relativement élevé comparativement à 2009 (plus de 20 personnes en 7 jours contre 60 à 70 morts en l’espace de 6 mois à l’époque), les gens continuent de descendre dans la rue. C’est justement ce qui les rends dangereux et imprévisibles, et c’est également pourquoi il est probablement impossible, pour des raisons politiques, de réprimer le mouvement manu militari. Si l’État peut compter sur des hommes et sur du matériel, il craint toutefois une intensification des violences, ce qui l’exposerait au grand jour sur la scène internationale.

L’ineptie du réformisme iranien

La mouvance réformiste ne fait pas réellement partie du mouvement de contestation, on l’imagine même hostile à son égard. En premier lieu, l’homme présentement au pouvoir est associé à leur courant politique ; les réformistes ont célébré comme une victoire son élection (imaginez leur désespoir actuel…). L’ère Rohani s’est avérée désastreuse et a constitué un argument de plus prouvant l’inutilité d’une option réformiste au sein de la République islamique.

Considérant la présente révolte, on pourrait par ailleurs spéculer sur le fait que les promesses réformistes et les résultats qu’elles ont produits expliquent une bonne partie de la colère que le peuple ressent, et pourquoi il a pris la rue. Malgré sa campagne électorale, le cabinet des ministres de Rohani est particulièrement conservateur, de sorte qu’il ne compte ni femmes, ni représentants des minorités, et n’est en fait qu’une lettre d’amour au Guide suprême. Si Rohani se montrait extrêmement critique des Gardiens de la révolution lors de sa campagne, ils semblent aujourd’hui partager le même lit au point que le président assimile leur relation à une "confrérie". De plus, il a été révélé que plusieurs milliards de dollars du budget gouvernemental ont été investis dans des projets religieux, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, aucuns de ces programmes ne venant en aide aux iraniens dans le besoin. Mais Rohani a-t-il au moins réduit le nombre d’exécutions ? Absolument pas ! C’est certainement pourquoi la campagne « Je regrette » a fait le buzz il y a deux mois. Il s’agissait de civils anonymes et de célébrités, telle l’ancienne star de football Ali Karimi, qui ont exprimé leur déception face au gouvernement réformiste.
Le réformisme, tant en Iran qu’ailleurs, avec ses fausses promesses ainsi que sa constante collaboration tout au long de l’Histoire avec des conservateurs et des ultra-conservateurs, qui vend aux peuples « le moindre mal », est un des responsables de la misère en Iran, et en est certainement un pourvoyeur à l’échelle mondiale. Les réformistes ne méritent rien de moins que d’être trainés dans la boue.

Comment soutenir la lutte ?

Il faut organiser la solidarité. Plusieurs sources en Iran confirment qu’il est crucial que la lutte bénéficie d’une attention internationale. En plus de revigorer l’esprit de révolte des protestataires en soulignant la justesse de leur combat, cette démarche a une importance stratégique : un seul tweet de la part de l’Ahmadinejad américain, Donald Trump, avertissant la République islamique de ne pas violer les droits humains (quelle ironie), fera réfléchir à deux fois la RI avant qu’elle n’ouvre le feu sur les manifestants. D’autre part, le régime islamique s’est hautement perfectionné dans l’art d’utiliser de telles déclarations pour créer des fake news, dans lesquelles on affirme que les étrangers sont responsables de la contestation ; une récupération idéologique importante. Malgré cela, nous ne devons jamais, et par aucun régime, être réduits au silence par ce genre de stratégies qui visent à nous décourager d’apporter notre soutien aux luttes. Si des actions de solidarité sont organisées en Europe ou à travers le globe, cela fera certainement trembler davantage la RI, même si elle prétendra évidemment le contraire.

De surcroît, dans le contexte d’une économie mondialisée comme la nôtre, la lutte en Iran nous concerne tous. Il suffit de jeter un œil sur les profits faramineux qu’encaissent les capitaux européens grâce à leurs échanges commerciaux avec la République Islamique et cela malgré les sanctions. Selon la campagne « Antifa Téhéran » (2009-2010), le nombre d’entreprises européennes qui entretiennent des échangent commerciaux "spéciaux" avec l’Iran est surprenant. Il y a par exemple de nombreuses entreprises allemandes et britanniques qui fournissent des renseignements ainsi que du matériel militaire et policier, sous forme d’uniformes et d’équipement anti-émeute, ainsi que d’armement non-létal pour la dispersion des foules.

Il y a plusieurs façons de montrer sa solidarité. Saisissez-en le potentiel et n’hésitez pas à clarifier vos positions de solidarité par rapport à la justice sociale, la laïcité, la liberté et la paix, et ce avec quoi vous n’êtes pas d’accord. La communauté d’expatriés iraniens est hautement politisée et inclut toutes sortes de courants politiques, dont beaucoup sont extrêmement bien organisés (un bon nombre de courants gauchistes, moudjahidines, nationalistes, néolibéraux et monarchistes).
N’oublions pas l’importance régionale et géopolitique de l’Iran, qui est maintenant évidente. Surtout, rappelons-nous que le peuple iranien (comme tout autre peuple) mérite de meilleures conditions de vie que celles qu’il subit aujourd’hui au sein de République islamique ultra-conservatrice et cléricale. Le mouvement iranien de 2009 a été le point de départ d’une vague de contestation mondiale, qui a balayé les pays arabes, et qui s’est frayé un chemin jusqu’en Amérique et dans les squares d’Europe pendant la période Occupy ; même si ces révoltes n’ont pas toutes été fructueuses, ou qu’il n’y a pas eu d’actions directes reliées à la situation en Iran. À présent, suite à l’écœurante montée planétaire des formations de droite autoritaire, notre temps semble venu…Et encore une fois, l’Iran pourrait être la première étincelle.

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