Metacarpes

[Musique]

paru dans lundimatin#395, le 19 septembre 2023

« On fait partie des gens qui pensent qu’il n’y a aucune raison de ne pas être en colère et qu’on voit pas pourquoi on se calmerait. Comme on se dit que c’est un peu pareil de votre côté, y a moyen que ça vous parle. » C’est avec ces quelques mots que Métacarpes nous ont transmis ces quatre morceaux d’électro-punk. Après écoute, il nous est apparu évident que non seulement leur musique nous parlait mais qu’elle parlerait aussi à nos lectrices et lecteurs.

Métacarpes · Bande Démo

GIEC

Aujourd’hui, j’ai laissé une méduse rouge dans la cuvette.
Elle voulait peut-être repartir à l’état sauvage.
Une petite fille, c’est la seule image que j’avais dans la tête,
quand je m’étais dit que j’aurais bientôt plus l’âge.
Elle a un visage, elle a un prénom, mais je ne le dis à personne.
Comment rêver quand les océans deviennent acides ?
Partout où le déni s’endort la colère sonne.
Les slogans criés laissent sur ma langue un goût insipide.

Sur mon ordi le rapport du GIEC,
Je n’ose pas l’ouvrir depuis des semaines.

Les politiciens brassent de l’air avec des discours trop grands pour eux.
Les grands chalutiers déplacent de l’eau dans les océans.
Les riches font tous leurs trajets dans leurs petits avions pourris.
Le déséquilibre voyage dans des navires géants.
On a observé des invasions de méduses au bord du pacifique.
Comme ma mémoire s’égare, j’y ai cherché ma fille.
Certains proposent de les manger comme solution pratique,
mais bouffer mes problèmes ne m’a jamais suffi.

Sur mon ordi le rapport du GIEC,
Je n’ose pas l’ouvrir depuis des semaines.

Il n’y a pas de tache dans ma culotte,
mais mon ventre est resté plat.
Ce n’est pas la volonté ou le culot
C’est juste que ça ne s’accroche pas.
Mais j’arrête de pleurer pour des fantômes.
Je me répète des règles comme dans un théorème.
De toute façon, ce monde n’est pas fait pour un môme,
alors dans mon ventre il n’y aura que des poèmes.

Sur mon ordi le rapport du GIEC,
Je n’ose pas l’ouvrir depuis des semaines.

L’autre nuit j’ai rêvé qu’on mourrait tous par suicide assisté
et que ma mère devait me tuer d’une balle au visage.
Il n’y a pas de générations coupables je ne vais pas insister
Surtout que mon père s’est fait arrêter dans des blocages.
Parfois j’ai envie de faire un enfant juste pour pouvoir y croire
et me dire qu’on va trouver des solutions grâce au génie.
L’humain n’est peut-être pas si con que ça, regarde l’histoire.
Les méduses restent immortelles grâce au déni.

Sur mon ordi le rapport du GIEC,
Je n’ose pas l’ouvrir depuis des semaines.

Dans mon ventre il n’y a que des poèmes.
Dans mon ventre il n’y a que des poèmes.
Dans mon ventre il n’y a que des poèmes.
Dans mon ventre il n’y a que des poèmes.

SCAPHANDRE

Je ne sais pas comment
commencer
ce poème.

Comment lui dire
que lorsqu’elle a pris la parole
sur la scène
moi j’ai perdu des mots
sur ma page ?

Comment lui dire
sans que ça ressemble
à ces garçons
qui balancent
leur bagage émotionnel
sans prévenir,
ces messages facebook
longs de plusieurs kilomètres
pour expliquer comment
ils sont redevenus adolescents
à travers un regard ?

Les amours non réciproques
prennent en filature,
ils ont le poids collant
des lettres non répondues,
car il est difficile de jeter,
même les choses que l’on n’aime pas.

Comment lui dire
que si c’est elle qui me regarde,
j’accepte d’être regardée,
moi qui déteste pourtant les yeux
parce qu’ils volent des images ?
Comment lui dire
que le soir souvent je l’imagine
alors que c’est justement ça,
voler des images ?
Pourtant j’avais fait du bruit,
crié des phrases,
donné des coups de pieds,
pour que les images s’envolent.
Mais quand on a volé des images,
on ne peut plus les rendre.

Comment lui dire
que sa voix a rempli mon appartement
et que même ma baignoire ne me permet plus
de me baigner dans le silence ?

Comment lui dire
sans que ma voix
ne prenne trop de place,
sans dire n’importe quoi,
sans avoir l’air stupide ?
Mon amour,
depuis que je suis amoureuse de toi,
je ne suis plus capable de te parler
normalement.

Comment lui dire que mes « je t’aime »
ne sont pas normaux,
qu’ils s’accordent en genre et en nombre
à leur manière ?
Parce que non,
je n’aime pas comme les hétéros,
et je refuserai toujours l’assimilation.
Je n’ai pas besoin que mon amour soit pareil
pour mériter les mêmes droits,
mais souvent je manque de mots,
pour mes ami·e·x·s,
pour mes amant·e·x·s,
pour celleux qui sont les deux à la fois.
Alors comment lui dire « je t’aime »
sans que mon « je t’aime »
contienne tous les « je t’aime » normés du monde
et leurs conséquences ?

Comment lui dire
que la distance
entre sa ville et la mienne
ne me fait pas peur,
parce que je suis la première
à mettre de la distance
entre moi et les autres ?
S’il y a des cœurs à prendre
et des cœurs à emprunter,
le mien,
est à regarder de loin.

Comment lui dire
que sortir avec moi,
c’est comme sortir avec un scaphandre ?
Il faut composer avec des émotions
qui ne sortent pas.
Il y a plusieurs mondes
sous mon armure
et parfois ils explosent,
mais je ne te demanderai jamais
de me sauver de la noyade.

Comment lui dire
que tout cela ne sert à rien ?
A quoi bon planter des graines
qui ne pousseront jamais ?
J’ai emprunté ces mots
dans une chanson en anglais,
écrite par le dernier garçon
dont je suis tombée amoureuse.
Quand je dis « dernier »,
on pense que c’était il y a longtemps,
mais c’était il y a deux semaines.

Comment lui dire
qu’avant elle il y avait quelqu’un d’autre,
et encore avant aussi ?
Les quelqu’un d’autres se suivent,
comme des vagues d’obsession.
Après elle il y aura quelqu’un d’autre,
et puis quelqu’un d’autre,
et puis quelqu’un d’autre encore,
des quelqu’un d’autre qui se ressemblent,
mais ne se remplacent pas,
des quelqu’un d’autre
dont je n’attends rien.
Je sais bien
que la personne qui me manque
c’est moi,
et pas quelqu’un d’autre.

Mais comment lui dire
que cela ne change rien ?
Cela ne change rien à la beauté.
Cela ne change rien à la douceur.
Cela ne change rien à la mémoire.

Je ne sais pas comment
terminer
ce poème.

LA DÉTRESSE DES FILLES

Mon téléphone sonne au milieu de la nuit.
Elle t’a quitté parce que tu l’as trompée.
Tu as l’air d’un con seul sous la pluie,
et tes vêtements sont tout trempés.
Si on avait dix-sept ans, je t’aurais ouvert la porte,
j’aurais dit « toutes des connasses,
c’est notre amitié la plus forte ».
Mais tu sais, je n’ai plus la place
pour les excuses d’avant.
De toute façon quoi qu’on fasse,
on n’aura plus dix-sept ans.
Et puis ça se voit que tu ne rends pas heureux,
avec tes airs de mauvais de garçons.
Mais tu as des yeux qui donnent envie d’être amoureux,
et même moi, je me suis posé la question.

Mais dans tes yeux il y a la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.
Moi dans tes yeux je vois la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.

Je me souviens des éclats de rire,
quand on courait torse nu,
rien à perdre, que des sourires
et des espoirs déjà perdus.
A dix-sept ans on était beau,
surtout toi.
C’était pour me demander ton numéro,
que les filles s’approchaient de moi.
Mais je n’étais pas en colère,
je voulais tellement être toi
que je ne pouvais pas être amer.
Puis ça se voyait que tu n’étais pas heureux.
Tu étais déjà cassé, tu étais déjà trop loin,
à dix-sept ans tu étais déjà trop vieux
pour que tu puisses aimer quelqu’un.

Mais dans tes yeux il y a la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.
Moi dans tes yeux je vois la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.

Pardon, mais c’est ta faute.
Je ne peux pas te sauver,
si tu cherches dans les bras des autres,
ce que tu ne pourras jamais donner.
Je t’aime, merde, tu es comme mon frère,
mais là je ne peux pas, je n’y arrive pas.
Je ne peux pas couvrir tes arrières,
et te laisser faire n’importe quoi !
Ça me fait mal quand tu te détestes !
Il est contagieux ton désarroi !
Mais quand tu as perdu tout le reste,
tu ne peux pas tout lâcher sur moi.
Parce que tu sais, ça ne rend pas heureux,
de t’avoir à nos côtés, de te voir dans cet état.
Je ne sais plus quoi faire pour que tu ailles mieux.
Est-ce que si je pars ça s’arrangera ?

Mais dans tes yeux il y a la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.
Moi dans tes yeux je vois la détresse des filles
qui n’ont pas compris qu’avec toi c’était peine perdue.

Mais moi aussi ça me sidère,
qu’il y ait tant de garçons cassés.
Mais les filles ont d’autres choses à faire,
que de tenter de les réparer.

Mais moi aussi ça me sidère,
qu’il y ait tant de garçons cassés.
Mais j’ai d’autres choses à faire,
que de tenter de te réparer.

LNJPDF

La nuit tous les rêves sont gris
et parfois les miens disparaissent.
Je crois qu’ils sont devenus aigris
entre les murs de cette pièce.

La nuit les souvenirs meurent,
mais je déteste les enterrements,
alors je sèche mes pleurs
et je continue à faire semblant.

La nuit les idées sont des lumières.
Ça me donnerait presque l’espoir
que mes idées soient très claires,
mais mes idées sont clairement noires.

La nuit les pensées se perdent,
alors j’essaye de prendre des notes,
comme ça s’il m’arrive une merde,
Il restera un antidote.

La nuit les visages s’effacent,
mais je ne suis pas d’accord
de jouer à pile ou face,
si je dois oublier ton corps.

La nuit je peins des filles.

La nuit j’ai envie de ta couleur,
de la coucher sur une toile.
Je sais, ça porte malheur,
je ne devrais pas lever ce voile.

Mais la nuit mes sentiments
ont tendance à se déshabiller.
Je sais, c’est un peu gênant,
mais on peut s’y habituer.

La nuit je hurle des choses,
à peu près n’importe quoi.
Ce n’est souvent pas très rose,
mais ça me soigne un peu de toi.

La nuit je trace tes courbes
à l’encre anecdotique.
Mes pinceaux sont fourbes
et sans doute pas assez pudiques.

La nuit le ciel te jalouse,
mais je reste ferme sur mes arçons.
Il peut aller renfiler sa blouse.
Je dessine rarement les garçons.

La nuit je peins des filles.

Mais la nuit ce n’est pas si facile.
La nuit mon cœur tremble.
Il a beau être agile,
il ne tient pas très bien ensemble.

La nuit je regrette beaucoup,
et je sais qu’il n’y a pas que moi.
On a tous fait les 400 coups
et brisé un autrefois.

La nuit je pense beaucoup trop,
et je sais plus sur quoi me baser,
alors je couche mes mots,
à défaut de pouvoir les peser.

La nuit je m’enregistre
pour garder une trace.
J’aime bien tenir un registre
de mes douleurs les plus tenaces.

La nuit j’essaye un peu trop fort,
la nuit je mens, la nuit j’espère,
éviter les bras de la mort.
On est trop à vouloir se la faire.

La nuit je peins des filles.
La nuit je refuse de détester
parce qu’on a essayé de m’apprendre
une jalousie tout empestée
d’un goût de sang, d’un goût de cendre.

La nuit je refuse de t’en vouloir
et je ne veux pas que tu m’en veuilles.
La rancune est un défouloir
qui nous empêche de faire le deuil.

La nuit je refuse qu’on se quitte,
même si on peut plus se voir.
Je préfère être hypocrite,
transformer nos larmes en ivoire.

La nuit je ne veux pas tu saignes
même si ça te fait moins souffrir.
Je préfèrerais que tu me peignes.
Il y a d’autre façon de s’ouvrir.

La nuit je t’imagine et je crois.
La nuit je m’imagine et je prie.
Un peu pour toi, un peu pour moi,
la nuit je peins des filles.

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