Merci les bleus

« Perdre un peu les pédales »

paru dans lundimatin#153, le 25 août 2018

Je suis dans le métro et tout le monde crie.

J’ai emprunté la ligne 1 pour tenter de rejoindre mon amie près du Musée du Louvre. Concorde est fermée pour cause de victoire. Je dois sortir à Tuileries. On me répète que l’ON est champion, que ça y est, JE suis champion. Un champion sur qui on hurle une Marseillaise sanglante dans une ligne de métro mouchetée de regards inquiets, pas encore insurrectionnés. Le train saute comme sur une montagne russe, les bondissements des champions font onduler notre trajectoire. L’inquiétude du déraillement possible surgit sur certaines lèvres qui se pincent. On a amené la fosse sous la rue.

Finalement, ON a fermé Tuileries aussi.

Alors le train continue.

Il semble même qu’il accélère, gare après gare. Chaque station grillée redonne un peu de cœur dans les hurlements, chaque station grillée déforme un peu plus les visages des usagers qui ne savent plus exactement où tout cela va se finir. Nous sommes tous dans un wagon qui a cessé d’avoir une destination.

Le train fantôme finit par se ramasser grassement Porte Maillot, dans une masse de gens euphoriques et terrifiés. Nous sortons doucement, ensemble, épaule contre épaule, torse contre dos, petit pas de manchot. Des manchots champions. On recommence à hurler. Moins pour la Nation, mais plus pour pouvoir sortir.

Le soleil se couche. ON se rapproche de l’arc. Une voiture se renverse. Je sors une bouteille de cidre que j’avais déjà oubliée. Il ne me reste plus qu’à descendre cette rue d’ambassadeur. Et siroter. A Paris, les « supermarchés », les « galeries marchandes », cela ne se fait plus depuis longtemps. ON ne se contente plus de torturer les territoires, il nous faut contrôler la situation. J’échoue devant le drugstore Publicis.

Un champion vient me parler. Il veut ma bouteille. Je suis confus, j’ai descendu la bouteille aussi vite que les Champs-Elysées. Elle est aussi vide que les Champs grouillent. Il me répond qu’il s’en fout. Je la lui donne. Je lui demande pourquoi. Il me répond.

« POUR LA CASSE »

Je lève la tête, des uniformes nous font face, sans doute champions eux-aussi. Ils nous envoient leur gaz. Leur fumigène.

Un homme monte sur Publicis. Cherche la meute du regard. Il est seul.

Nous aussi.

Guillaume Mathieu

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