Massacre en Oromia

Depuis la mort du chanteur Hachalu Hundessa, le peuple oromo se soulève en Ethiopie.

paru dans lundimatin#253, le 8 septembre 2020

L’auteur de « Maalan Jira », une chanson qui avait été largement reprise par les manifestants lors du mouvement de protestation de 2016, a été tué le 29 juin, dans des circonstances troubles, à Addis Ababa. Dès son arrivée à l’hôpital, puis lors de ses funérailles, des milliers d’Ethiopiens sont descendus dans la rue, subissant rapidement une répression féroce. On parle désormais de plusieurs centaines de personnes tuées. En s’appuyant sur le témoignages de militants, cet article revient sur la situation, alors que de nouvelles manifestations sont en préparation, notamment à Paris.

Depuis l’assassinat du chanteur oromo Hachalu Hundessa fin juin, icône de la lutte pour la liberté oromo, l’Éthiopie brûle. Des milliers de manifestants, membres de l’ethnie majoritaire à 35 % de la population, sortent dans les rues et demandent justice pour l’artiste engagé. Ils revendiquent l’indépendance de l’Oromia et le départ du premier ministre Abiy Ahmed. Les manifestations ont été réprimées par le sang et le feu. Mi-juillet, les rapports de la police éthiopienne font déjà état de 239 personnes tuées et de quelque 2.000 personnes arrêtées, dont des dirigeants de l’opposition. Le pays est au bord de la guerre civile. Durant cette crise identitaire que vit l’Éthiopie, Oumar se cache en campagne éthiopienne pour éviter les balles des militaires. Djibril, lui, est à Paris, mais ses pensées sont ailleurs. Tous deux racontent les évènements de ces dernières semaines, leurs inquiétudes et leurs colères.

« Mes appels sont surveillées par le gouvernement, j’ai peur. Je suis recherché. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je veux partir mais je ne peux pas. Les soldats sont positionnés à toutes les frontières. J’ai dû quitter ma ville, Bale Robe, car ils voulaient me tuer. » Oumar a une voix tremblante. Il n’a que quelques minutes pour témoigner de ce qu’il a vu et vécu ces dernières semaines en Éthiopie. Cela fait seulement quelques mois qu’il est de retour dans son pays d’origine, après avoir passé trois ans dans les campements calaisiens dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre, sans succès. Après un énième refus de sa demande d’asile en Allemagne, il a décidé de retrouver sa terre natale, sans grand espoir de paix. Il avait dû quitter l’Éthiopie en 2016 après sa participation aux manifestations contre le projet de loi du « Master plan » relatif à l’expansion de la capitale sur les terres Oromos. Il avait réussi à fuir la prison dans laquelle il avait été arrêté pour rejoindre l’Europe et essayé d’y trouver avenir et sécurité.

Avant d’être organisateur des manifestations Oromos à Paris de ces dernières semaines, Djibril a été traducteur oromo pour la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) jusqu’en juin 2019. Il a quitté son poste lorsqu’il s’est rendu compte que les demandes d’asiles de ses compatriotes étaient systématiquement rejetées. « Je sais à quel point ils ont souffert pour arriver jusqu’ici et ils ne leur donnaient pas l’asile. Cette situation me stressait et je ne pouvais plus le supporter, c’était devenu trop difficile. Les juges justifiaient leurs refus par l’arrivée de Abiy Ahmed au poste de premier ministre en Avril 2018 et estimaient qu’il n’y avait plus de risque pour les Oromos en Éthiopie. »

Djibril est arrivé en France en 2016 après avoir quitté l’Éthiopie précipitamment. Il a obtenu l’asile directement. « J’étais athlète de haut niveau. Je faisais partie des plus doués mais ça ne se passait pas bien avec la fédération. J’étais destiné à avoir le titre de champion du monde cadet. Ils m’ont écarté de la course à cause de mon ethnie. J’ai dû fuir. »

Il a dernièrement obtenu la nationalité française mais est toujours en lien constant avec son pays natal et ses habitants. Il raconte là où tout a commencé, le 29 Juin 2020, à 1h30 du matin heure locale.

Récit d’un soulèvement

Le meurtre de la figure nationale de la lutte pour l’indépendance oromo a été l’élément déclencheur d’un soulèvement spontané et international. Djibril a suivi toute la nuit les évènements rapportés par le média indépendant « Oromia Media Network » : « Ils l’ont assassiné le soir dans sa voiture. Beaucoup de personnes pensent que c’est une fille qui lui a rendu visite le soir qui l’a tué. Elle est liée au pouvoir par la famille de son mari. La fille s’est échappée et la police ne l’a pas poursuivie. »

Le pouvoir tente alors de dissimuler l’affaire de manière grotesque. La réaction de la population est immédiate. Le 30 Juin au matin, des milliers de personnes convergent vers la capitale et bloquent la circulation. « Sans autopsie et discrètement, ils ont fait sortir le cadavre de l’hôpital pour le ramener dans son village natal. Beaucoup de jeunes Oromos sont sortis dans la rue. Une foule est sortie des villages pour bloquer la route au cortège qui ramenait le corps du chanteur. Les manifestants demandaient à ce qu’ils soient enterrés à Addiss Abeba qu’ils revendiquent comme la capitale des Oromos. De retour à Addiss Abeba, le corps de l’artiste a dû être exfiltré par hélicoptère. La foule était devant la Mairie. Les militaires protégeaient le bâtiment. »

Jawar Mohammed, membre du Congrès Fédéraliste Oromo (OFC) et fondateur de « Oromia Média Network » est alors arrêté par la police éthiopienne. Il critiquait depuis 2018 la politique du premier ministre Abiy Ahmed, l’accusant d’encourager la marginalisation politique et économique subie par l’ethnie depuis le XIXe siècle et le partage colonial de l’Afrique. Selon Djibril, « un policier s’est fait tuer par un autre policier alors qu’il contestait l’arrestation de l’opposant politique. Une fois au commissariat, Jawar mohammed a été ensuite accusé d’avoir un lien avec la mort du policier. »

Réprimer la révolte dans le feu et le sang

L’arrestation du leader d’opposition a soufflé sur la colère des manifestants. Les rues se sont remplies de rage et de désir de révolte, directement étouffés par la brutalité militaire. « Les policiers ont commencé à tirer à balle réelle sur la population. » Deux semaines après le début des manifestations, les rapports officiels de la police éthiopienne font déjà état de 239 personnes tuées, bien que des rapports non officiels indiquent un nombre beaucoup plus élevé. Selon la même police, quelque 2.000 personnes ont été arrêtées, dont des dirigeants de l’opposition.

Oumar s’énerve : « Ils mentent. D’après moi, plus de 100000 personnes ont été arrêtées et mis en prison. Plus aucun opposant politique est en liberté. Ils violent les femmes dans les villages. Ils tuent tout le monde dans la rue. Nous devons nous cacher pour rester en vie. La situation n’a jamais été si dangereuse. Abiy Ahmed n’a plus de limites, Il se pose maintenant comme un roi dictateur. Ils vont dans les hôpitaux et les écoles pour arrêter les gens. »

Djibril a attendu plusieurs jours avant de découvrir sur les réseaux des dizaines de photos et vidéos de cadavres d’enfants, de militaires tirant à bout portant sur les manifestants ou brûlant des maisons de villages. « Internet a été coupé jusqu’au 24 juillet, aucune info ne pouvait sortir du pays sur les derniers évènements. Tous les opposants politiques sont aujourd’hui en prison. Les journalistes de « Oromia Média Network » ont été arrêtés. L’armée est dans les rues et considèrent tout oromo comme opposant politique. Les militaires viennent brûler des villages entiers qu’ils considèrent comme les foyers de l’opposition. Tout le monde fuit en ville pour la campagne. Mon ami m’a appelé, il m’a dit qu’il descendait en ville uniquement pour charger son téléphone mais ne peut pas être vu dans la rue, on lui tirerait dessus. »

Le rêve perdu de la réconciliation

Des manifestations s’organisent depuis trois semaines aux États-Unis, en Angleterre et en France. La communauté oromo se soulève et demande justice pour l’assassinat de Hachalu et la libération des opposants politiques. Elle réclame la fin immédiate des persécutions dont elle est victime et revendique l’indépendance de l’Oromia.

Abiy Ahmed, présenté en 2018 comme l’homme de la réconciliation semble provoquer aujourd’hui haine et division. « Nous demandons le départ de Abiy Ahmed. Aucune de nos revendications n’a été entendue par le premier ministre. Notre langue n’est toujours pas admise comme langue officielle (amharique comme langue officielle), et nous ne disposons pas de capitale comme les autres ethnies (ahmara, tigré). Seulement trois ministres sont Oromos. Il a installé des statues du roi Mennilik II sur les places de Adiss Abeba. Ce roi est connu pour avoir rendu en esclavage les oromos, il coupait les bras des hommes et les seins des femmes. C’est une provocation inacceptable. Les fonctionnaires ont pour ordre de manifester publiquement leur allégeance à Abiy Ahmed sous peine d’être arrêtés. Des policiers ont été emprisonnés pour avoir refusé de tirer sur la population. »

Depuis 1990, les Oromos sont peu à peu privés de leurs terres au nom de l’expansion urbaine manœuvrée par les promoteurs et les dirigeants tigréens appartenant au gouvernement. Ces dix dernières années, 150000 fermiers ont été obligé de quitter leurs villages sans compensation financière.

Chaque tentative de résistance se solde par des représailles totalitaires du pouvoir. Lors des manifestations de l’été 2016 contre « le Master plan » et l’expansion de la capitale, la répression amène à des centaines de morts, pour la plupart d’étudiants et au moins un million de déplacés.

Oumar n’a plus d’espoir sur une sortie pacifique de ce conflit : « Nous sommes dans la peur permanente d’être tués, nous ne faisons plus confiance à personne. Nous pensions que la démocratie pouvait arriver dans notre pays, mais la situation n’a jamais été aussi dangereuse ici pour les oromos. »

Le fédéralisme mis en place en 1995 par l’ancien premier ministre Meles Zenawi (1955-2012), dessinant la carte administrative en fonction de sa carte ethnique semble aujourd’hui récolter les fruits de sa division. Le le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), la plateforme politique réunissant les différentes ethnies ne tient plus qu’à un bout de ficelle. La nomination de Abiy Ahmed en 2018 perçue comme une remise en question de la suprématie tigrée au niveau politique n’aura pas suffi à renouer le dialogue entre les différentes régions. Le nouveau premier ministre poursuit les politiques d’expansion de la capitale et l’oppression territoriale et économique sur la population rurale oromo.

Diplomatie complice

La France se fait discrète sur les exactions du gouvernement éthiopien et ce malgré les évènements de ces dernières années témoignant des dérives autoritaires du pouvoir vis-à-vis des Oromos.

L’intérêt économique rime forcément avec la diplomatie française. Deux mois avant cette décoration, le 22 Juillet 2019, Abiy Ahmed demandait à la France de l’aider « à renforcer l’armée de l’air éthiopienne » en lui fournissant, à crédit, un arsenal de pointe détaillé sur trois pages. Cette liste comprenait : 12 avions de combat (dont des Rafale et des Mirage 2000), 18 hélicoptères et 2 avions de transport militaire fabriqués par Airbus, 10 drones Dassault, des systèmes de brouillage électronique et, encore plus surprenant, une trentaine de missiles M51 d’une portée de plus de 6 000 kilomètres et à tête nucléaire. Djibril ne croit plus en la solidarité des pays européens : « Les demandes d’asiles des Oromos sont constamment refusées en France, et encore plus en Allemagne. Ces deux pays ont beaucoup trop d’intérêt économique en Éthiopie. Ils y installent leurs entreprises depuis des années et ne s’opposeront plus au gouvernement. »

« Nous allons nous battre »

Les évènements récents semblent être le point de non-retour d’une disjonction intérieure alimentée depuis des dizaines d’années par le pouvoir éthiopien. « Ça fait 150 ans que les Oromos sont persécutés, nous sommes fatigués. Nous avons essayé de faire des concessions mais ça ne marche pas. C’est pour ça que nous demandons aujourd’hui l’indépendance. La guerre va éclater avec la région tigrée. Ils ont beaucoup d’armes et ont géré l’Éthiopie pendant 27 ans. Eux aussi veulent l’indépendance et Abiy ahmed n’arrive plus à contrôler cette région. Ils veulent de nouvelles élections et le premier ministre s’y oppose. Ils se préparent à la guerre. Nous allons entrer en guerre » souffle Djibril.

Oumar espère une réaction des pays Européens. Il ne sait pas s’il sera encore en vie dans quelques jours.

Djibril, lui, prépare déjà la manifestation de samedi prochain. « A Addiss Abeba, manifester est devenue impossible mais nous continuerons à nous rassembler en France. Samedi prochain, les éthiopiens « pro-Abiy » seront là aussi place de la République pour nous marcher dessus. Samedi prochain, nous allons nous battre ».

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