Les candidats à l’importance

Littérature

paru dans lundimatin#145, le 10 mai 2018

On les rencontre dans tous les milieux. Cela leur va d’ailleurs très bien : c’est souvent au milieu qu’ils choisissent d’exister. Quand on a entendu parler, voire, même si c’est plus rare, lu Descartes, on a bien retenu qu’il fallait fuir les extrêmes. Mais les candidats à l’importance n’ont pas le temps de réfléchir à ce qu’est un extrême. Ils font donc confiance à leurs magazines et déploient des trésors d’énergie à toujours se situer au milieu ...de rien.

Les candidats à l’importance ont souvent une écriture illisible. Elle les soulage de cruelles contingences orthographiques à leurs yeux honteuses. Et puis, au-delà du cauchemar des consonnes doubles ou de la règle de l’accord du participe passé, ils songent avec fierté que leur belle patte de mouche est unique et qu’elle est l’écho graphologique de leur immense valeur. Les candidats à l’importance sont très nombreux à se penser singuliers.

Les candidats à l’importance aiment à faire croire qu’ils travaillent à foison. Ils sont souvent très doués et ont brillamment réussi leurs études dans les meilleures écoles (les plus chères mais aussi les gratuites, que si peu peuvent s’offrir). Mais ils sont d’autant plus conscients que « le travail, c’est ingrat » qu’ils excellent dans l’art de ruminer celui des autres.

Si l’on tient compte du travail que les candidats à l’importance disent fournir, il nous faut bien admettre que leurs nuits sont incroyablement plus courtes que les nôtres, que leurs journées font plus de vingt quatre heures, qu’ils n’ont jamais le temps de faire caca. Pourtant, ils s’intéressent avec passion à la télévision -média totalitaire qui gangrène tous les autres- puisque c’est là qu’aiment à se répandre les candidats à l’importance devenus importants et qui peuvent enfin passer leur temps à répondre à des questions qui sont déjà des réponses. Ils trouvent aussi le temps de bien manger, d’écrire du vide, de bien se reposer et même parfois de faire de l’exercice ou de sauter des maîtresses. Les candidats à l’importance ont appris de la conduite de leurs aînés - ils sont bien placés pour savoir qu’il faut davantage faire confiance aux actes qu’aux discours - qu’il est impossible de briller en étant austère. Il est précieux d’être en très bonne forme pour pouvoir asséner à son entourage que le travail est épanouissant. Les candidats à l’importance sont toujours disposés à se sacrifier en ce sens pour obtenir que les autres donnent le meilleur d’eux- mêmes. Les exemples les plus convaincants ne sont-ils pas ceux que l’on invoque sans les suivre soi-même ?

Les candidats à l’importance ont parfois lu Clausewitz, Sun Tsu, Machiavel et le Cardinal de Retz, mais les listes de citations qu’ils dressent et apprennent par cœur sont issues d’œuvres plus pacifiques. Ils adorent en tous cas en accoutrer leurs boniments et les choisir avec soin en fonction du profil de ceux qui les écoutent et du nombre de mensonges qu’ils ont à faire avaler.
Il existe bien sûr une autre catégorie de candidats à l’importance : ceux qui n’ont rien lu. Tant pis pour eux.

Les candidats à l’importance prônent la singularité et le mérite. Mais fidèles à leur inconsciente vertu suprême [1], ils pataugent dans le conformisme et vivent de réseaux d’accointances qu’un soupçon de panache les convaincrait d’abandonner aux gueux.

Les candidats à l’importance étaient souvent des braves types, avant. Mais comment s’en souvenir alors qu’ils l’ont eux-mêmes oublié ?

Trop occupés à s’inquiéter des modes et d’autres toutes petites choses, les candidats à l’importance considèrent souvent que « dans le fond, l’Histoire, ç’est un truc qui sert à rien ». Ils finissent de fait toujours dans ses poubelles.

Les candidats à l’importance ont un étrange rapport au vulgaire. Ils méprisent avec force tous ceux qui sont moins riches ou moins bien nés. Ils doivent pourtant, en nos époques « démocratiques », se donner la peine d’entamer leur immense capital d’hypocrisie à faire penser le contraire. Cette aptitude au mensonge méprisant est, il est vrai, partagée de façon beaucoup plus maladroite par la plèbe, qui a souvent autre chose à faire. Passer son temps à mentir est pourtant la pire manière d’apprendre à exister et de loin la plus triviale. C’est pour cela que lorsque le masque de finesse et d’assurance d’un candidat à l’importance vient à tomber, celui-ci croit être enfin authentique, alors que le pire des poissards le jugerait vulgaire.

Les candidats à l’importance sont capables de faire preuve de beaucoup d’humour, sauf lorsqu’il concerne deux sujets à propos desquels ils ne rigolent plus du tout, même s’ils ne sont pas avec n’importe qui : eux-mêmes et la sciencéconomique. Ils ne peuvent concevoir que la sciencéconomique est depuis toujours incapable d’établir des lois fiables puisqu’ incapable de les vérifier, impropre à la moindre prévision qui ne relève pas, dans le fond, de la superstition. La météorologie elle même est bien plus fiable que la sciencéconomique qui n’est capable de prévoir que le passé, mais les candidats à l’importance traitent de médiocres ceux qui passent leur temps à parler du temps qu’il fait et méprisent instinctivement tout ce qui peut s’opposer aux thèses de la sciencéconomique. A tel point que pour eux, il ne s’agit plus d’une science mais d’une transcendance. Mais ne le faites pas remarquer à un candidat à l’importance...Il saurait vous montrer qu’il est rationaliste jusqu’au bout des ongles et réussirait à ensevelir ses présupposés idéologicomagiques sous des tombereaux d’équations, démonstrations et autres scories positivistes. Les candidats à l’importance ont du mal à se détacher des idées majoritaires. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont candidats à l’importance.

Les candidats à l’importance ont toujours de mauvaises nouvelles à annoncer aux autres. Ils s’acquittent avec un zèle faussement attristé de cette tâche ingrate en rappelant que c’est la réalité, et l’indispensable adaptation à cette réalité, qui les y oblige. Les candidats à l’importance ont toujours sous la main une réalité qui les arrange. Ils devraient savoir que l’on ne voit que ce que l’on croit mais claironnent que la seule réalité qui vaille, c’est la leur. Comment peut-on parler de réalité lorsque l’on ne connaît pas le prix d’une baguette, que l’on ne torche jamais ses mioches et que l’on croit sottement que les pauvres sont toujours assez nigauds pour faire confiance à des candidats à l’importance sans qu’une police ne les y force ?

Les candidats à l’importance savent exciter le candidat à l’importance qui sommeille en chacun de nous. Ils sont très fiers d’avoir compris que la flatterie est beaucoup plus efficace que la sincérité et cela les arrange, car ils ne sont pas très courageux. Ils caressent ceux qui leur sont soumis, leurs « médiocres », sans se donner trop de mal mais toujours avec ce qu’il faut de mépris. Ils savent endormir leurs ennemis qui, trop heureux de mesurer leur importance en se mesurant à un candidat à l’importance, s’en voient secrètement flattés et en oublient leurs griefs.

Les candidats à l’importance savent causer. Ils font très peu d’erreurs d’expression et bafouillent encore plus rarement. Ils en sont très fiers, car cela impressionne beaucoup les gobe-mouches. Cela ne fait pourtant que prouver qu’ils mentent tout ce qu’ils racontent. Il faut toujours se méfier des gens qui parlent trop proprement. Au moins autant que de ceux qui croient que, tandis qu’ils pensent nous duper, leur visage et leur regard reste lui aussi docile et muet.

Les candidats à l’importance sont foncièrement conservateurs, mais aiment répéter, avec une moue attendrie et un sourire condescendant, que les utopies sont nécessaires et que ce sont elles qui font avancer le monde. Ils ne savent pourtant pas vraiment ce que cela veut dire et restent très « pragmatiques », même si ce pragmatisme (se) repose sur des fantasmes. Pour un candidat à l’importance, il faut se méfier de tout projet qui ne soit pas à la mode, car il est forcément utopique et irréaliste. Ils ont en cela raison : rien n’est en effet possible jusqu’à ce qu’il le devienne, même en syntaxe.

Les candidats à l’importance ont compris beaucoup de choses sur l’âme humaine, mais ne s’en vantent que lorsqu’ils pensent que cela peut leur être utile. Ils ont une haute opinion de la hiérarchie puisque c’est elle qui confère de l’importance. Ils se montrent donc aussi inflexibles et tyranniques avec leurs sous-fifres que soumis et craintifs à l’égard de leurs supérieurs, qu’ils envient. Ils savent qu’un candidat à l’importance n’est tenu de respecter des règles que si cela se sait et brûlent parfois d’envie de dénoncer l’hypocrite absurdité du pouvoir, mais rechignent à remettre en cause quelque pouvoir que ce soit ; les candidats à l’importance ont peur de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Les candidats à l’importance sont de très grands comédiens. Ils ne reculent devant aucun artifice facial ou corporel pour se faire aimer et comprendre, mais craignent comme la peste les grimaces incontrôlables de l’humiliation ou de la défaite. Les candidats à l’importance savent se montrer humbles, mais uniquement quand ils comprennent que quelqu’un qu’ils croyaient comprendre a lui-même parfaitement compris qu’ils croyaient le comprendre.

Les candidats à l’importance défient les principes de non-contradiction en matière de morphologie lexicale. Ils parviennent en effet à être à la fois et en permanence dans la posture et l’imposture.

Les candidats à l’importance ne seraient pas grand-chose sans tous ceux qui choisissent d’abdiquer leur puissance à leur bénéfice. Tous ces complices des candidats à l’importance ont oublié la puissance du collectif et se croient brillants quand ils pensent dans leur toute petite tête et leur triste coin qu’un humain seul ne peut agir sur son destin. Ce sont souvent les mêmes qui, ne reculant devant aucune contradiction, décident collectivement de mettre leur destin entre les mains des hommes si seuls que sont les candidats à l’importance. Pour ces derniers, l’importance est quelque chose qui ne se partage pas.

Les candidats à l’importance n’ont pas toujours un physique généreux. Si c’est le cas néanmoins, ils ont beau jeu d’abuser les niais qui pensent que la plastique est le reflet de l’âme. S’ils ne sont pas séduisants, ils choisissent tout de même l’uniforme de ceux qui ont toujours quelque chose à cacher et qui tirent une grande partie de leur autorité de leur simple apparence : le costume, la cravate et les souliers cirés. Leur coupe de cheveux devient l’unique indice de leur extravagance, non dénuée de calculs. Les candidats à l’importance ont parfaitement compris que l’on peut se permettre beaucoup de choses lorsque l’on ne risque pas d’être victime d’un délit de sale gueule. Et pourtant, quels que soient les efforts qu’ils prodiguent à rester séduisants, les candidats à l’importance finissent toujours fort adipeux, au moins du dedans.

Les candidats à l’importance aiment comprendre ou du moins le laisser croire. Ils restent pourtant très perplexes devant ceux qui n’ont rien à prouver, les timides qui ont appris à parler, mais qui ne jugent pas utile de s’exprimer pour ne rien dire. Les candidats à l’importance sont convaincus qu’il est impératif de pérorer pour exister. Il ne leur vient trop rarement à l’esprit que ceux qui parlent le moins ne sont pas toujours ceux qui ont le plus peur.

Les candidats à l’importance sont souvent obligés -par eux-mêmes- de parler de choses qui les emmerdent avec des gens qui les emmerdent. Ils se consolent en se disant qu’un jour, plus personne ne les emmerdera. Ils auront pourtant toujours à supporter une bien encombrante compagnie : la leur.
Les candidats à l’importance attendent de leurs amis qu’ils soient réellement loyaux et fidèles. Ils sont très déçus quand par malheur ils comprennent qu’il n’y a pas plus vil et bas qu’un candidat à l’importance qu’un autre candidat à l’importance. Ils reprochent alors à leurs anciens amis, leurs semblables, ce qu’ils ne peuvent se reprocher à eux-mêmes, mais en sont doublement et profondément affligés. On le serait à moins.

Les candidats à l’importance sont toujours en compétition. Ils passent leur temps à se mesurer à leurs proches et s’efforcent de contenir ceux qui pourraient manifester l’envie de prendre leur place, de leur arracher un peu de leur part d’importance. La compétition est l’alpha et l’oméga des candidats à l’importance. Ils y baignent avec d’autant plus de gourmandise que, sans illusion, ils savent qu’il ne faut pas compter sur leur propre valeur mais sur les faiblesses et la médiocrité de leurs adversaires emporter la victoire.

Les candidats à l’importance savent qu’il faut toujours se dire que l’on a moins peur que son adversaire. Leur pouvoir est là pour les y aider mais ils se disent parfois, et des rides naissent alors sur leur front, qu’avoir moins peur, c’est encore avoir peur...et puis ils pensent à autre chose.

Plus ils deviennent importants, plus les candidats à l’importance se rendent compte que pour être important, il vaut beaucoup mieux savoir mentir que penser.

Une grande majorité de candidats à la puissance le restent toute leur vie, aveuglés par leur folie, aveulis par leur vanité. D’autres deviennent nos caciques. Le pâle miroir de leur puissance ne réfléchit pourtant jamais autre chose que le vide reflet d’une fade soumission.

[1Le mensonge

Cher Lundimatin,

Ouh là là, ça rigole pas les textes… Mais présentons-nous : on est des
écrivains convaincus de notre talent, mais à peu près seuls à l’être.
Comme on a malgré tout nos égos et qu’on écrit des choses gratuites qui sont pas pires que bien d’autres choses qu’il faut payer pour lire, on te propose des textes que tu pourras trouver là http://nosdesirs.ouvaton.org/. On en met quatre en pièces jointes parce qu’on a conscience que notre site est austère, qu’il clignote pas beaucoup de partout.
Alors évidemment, tu vas nous objecter : « « vous êtes sympas, mais vos textes sont déjà publiés, on recycle pas »…. On est pas d’accord : à notre grande surprise (non dénuée de dépit, avouons-le), aucun éditeur n’a jamais accepté de nous publier et on a environ 3 visites (dont beaucoup de membres de nos familles) par trimestre sur le web . On ne peut pas décemment parler de recyclage.
Essai désinvolte ? Traité nébuleux ? Poésie bancale ? Littérature de tract ? "Nos désirs sont vos désordres" ne ressemble pas à grand-chose.
Des esprits malveillants pourraient même prétendre que ça ne ressemble à rien (nous en serions pour notre part assez flattés…). Et pourtant, au risque de sembler présomptueux, nous nous targuons d’être subversifs.
Nos mots ne changeront peut-être pas la vie mais changent les nôtres et c’est déjà pas mal. A propos, bien que (de) peu, les auteurs sont plusieurs et tiennent à rester anonymes. Non par coquetterie post-situ, mais plutôt par peur de la vanité...

Allez, dis-nous et quoi qu’il en soit, bon vent.

Maquis

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