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Les années 70 en Italie

Oreste Scalzone contre la montre

paru dans lundimatin#40, le 14 décembre 2015
77 n’a pas été comme 68. 68 a été contestataire, 77 a été radicalement alternatif. Pour cette raison, la version “officielle” présente 68 comme le bon et 77 comme le méchant ; en fait, 68 a été récupéré alors que 77 a été anéanti. Pour cette raison, 77 ne pourra jamais, à la différence de 68, être un objet de célébration facile. Nanni Balestrini, Primo Moroni, L’orda d’oro
La nouvelle d’une situation insurrectionnelle en Italie, situation qui dura plus de dix ans et à laquelle ON ne put mettre un terme qu’en arrêtant en une nuit plus de 4 000 personnes, menaça à plusieurs reprises de parvenir jusqu’en France dans les années 70. Il y eut d’abord les grèves sauvages de l’Automne Chaud (1969) que l’Empire vainquit par le massacre à la bombe de Piazza Fontana. Les Français, chez qui « la classe ouvrière (ne) saisit des mains fragiles des étudiants le drapeau rouge de la révolution prolétarienne » que pour signer les accords de Grenelle, ne purent alors croire qu’un mouvement parti des universités ait pu mûrir jusqu’à atteindre les usines. Avec toute l’amertume de leur rapport abstrait à la classe ouvrière, ils se sentaient piqués au vif ; leur Mai en aurait terni. Aussi donnèrent-ils à la situation italienne le nom de “mai rampant". TIQQUN 2, Ceci n’est pas un programme, 2001
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L’histoire est écrite par les vainqueurs, c’est un fait entendu. Ce n’est pas un hasard que l’on ne sache rien, ou presque, en France, de ce qui s’est déroulé pendant plus d’une décennie de l’autre côté des Alpes : la naissance d’un mouvement insurrectionnel de masse et son écrasement.

L’Italie, dans les années 70, c’est avant tout l’explosion de toutes les formes classiques de la politique. Dans son excellent livre Autonomie !, Marcello Tari désigne un communisme « impur, qui réunit Marx et l’antipsychiatrie, la Commune de Paris et la contre-culture américaine, le dadaïsme et l’insurrectionnalisme, l’opéraïsme et le féminisme ». L’autonomie fut un mouvement de refus de masse dans la jeunesse. Refus de l’État et du capitalisme autant que des syndicats et de la gauche parlementaire. Refus de la représentation, du travail et de la distribution des subjectivités. Ce fut une guerre civile de basse intensité autant qu’une décennie d’expérimentations politiques, affectives et révolutionnaires.

Oreste Scalzone fut, entre autres choses, l’un des dirigeants de Potere Operaio, une organisation née en 1969. Trois axiomes politiques sont privilégiés : le refus du travail, la construction d’un parti de l’insurrection et la conflictualité permanente. La carrière politique de M. Scalzone lui valu les honneurs de la justice italienne qui l’arrêta en 1979 afin de le poursuivre pour association subversive terroriste et « tentative d’insurrection armée contre le pouvoir de l’État ». Il parvint à fuir l’Italie et à se réfugier en France.

Lundimatin a choisi de demander l’impossible à M. Scalzone : raconter dix années en dix dates à raison de dix minutes par date. Un feuilleton forcément lacunaire, une bataille contre la montre. Comme vous le verrez au fil des épisodes, le vainqueur ne fut pas la montre.

Chaque semaine, nous tenterons autant que possible, d’illustrer chaque date par des textes d’époques, des affiches, des journaux et des analyses. Il s’agira d’une tentative humble de comprendre ce passé, à partir de notre présent.

Introduction

Premier épisode : Juillet 1960

En 1960, le président démocrate-chrétien du conseil italien, Tambroni, souhaite intégrer des membres du parti fasciste MSI dans son gouvernement. Organisant un meeting politique à Gênes, ville historique de la Résistance, il est accueilli par une manifestation qui vire à l’émeute populaire. Tandis que les dockers manifestent au cri de “Azet 36, fascista dove sei ?” [Clé à molette de taille 36, où es-tu fasciste ?], la jeunesse rebelle en “tee-shirts rayés” à la mode de l’époque s’affronte avec les flics au cours d’une révolte généralisée. Des anciens partisans préparent les armes qu’ils n’ont jamais rendues et établissent de véritables plans de bataille... Finalement, le meeting sera annulé, le PCI et les syndicats hurleront aux provocateurs contre les jeunes voyous et le gouvernement présentera ses excuses à la ville de Gênes.

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