« Le mouvement féministe a remis en circulation le mot révolution »

Rencontre avec Veronica Gago

paru dans lundimatin#398, le 9 octobre 2023

Cette rencontre et cet entretien ont eu lieu à Buenos Aires en mai 2023 avec Véronica Gago, animatrice du mouvement Ni Una Menos, théoricienne et autrice de plusieurs ouvrages important sur et depuis le mouvement féministe en Amérique latine comme tels que La Puissance Féministe ou Le désir de tout changer.

Entretien mené et traduit depuis l’espagnol par Lucas Amilcar.

La puissance de la vague féministe qui a surgit en Amérique latine pendant la dernière décennie a vraiment été impressionnante pour nous en Europe. Mais depuis la pandémie, nous avons l’impression que le mouvement est entré dans un rythme différent, moins intense. Comment vois-tu cette évolution en Argentine et plus largement, en Amérique latine ?
Veronica Gago : Le mouvement féministe a connu une véritable extension à l’échelle internationale entre 2017 et 2019. De plus, tout au long de l’année 2019, le mouvement a été connecté avec des soulèvements, des révoltes et des luttes dans beaucoup de pays d’Amérique latine. En effet, la pandémie a été un point d’inflexion, une coupure brutale dans ce cycle ascendant. Cela a affecté le mouvement féministe tout particulièrement car cela nous a acculé à une sorte de repli dans les territoires les plus proches et les espaces domestiques.

La fameuse injonction à “rester chez soi” peut être vu comme le renversement contre-révolutionnaire de ce qui avait été fait dans le mouvement : ouvrir les maisons, discuter de ce qu’est l’espace domestique, montrer le terrain de la reproduction sociale comme un terrain ample et avancer en connectant les dynamiques de mobilisations féministes à d’autres dynamiques de luttes comme les luttes indigènes, les luttes populaires, les luttes contre l’extractivisme.

Cette convergence était en train de créer quelque chose de très puissant, une dynamique anti-néolibérale, féministe, populaire. C’est assez unique car jamais nous n’avions vu ces caractéristiques réunies. Le processus féministe avait posé un ton, un vocabulaire, des formes et des manières d’organiser la reproduction de la lutte elle-même de façon nouvelle.

Pendant la pandémie, toute cette énergie pour penser comment reproduire les conditions de lutte a été remplacée par l’urgence de savoir comment reproduire la vie menacée. Nous avons dû nous replier pour nous demander comment ne pas être confinées dans la maison, dans les foyers, dans des familles violentes. Je crois que pendant la pandémie, nous avons été obligées de changer totalement nos priorités, nos rythmes, et notamment la possibilité de se déplacer, chose très importante pour notre mouvement : être connectées, faire des rencontres etc. Tout ça a été dramatiquement réduit.

Je vois donc une coupure comportementale et abrupte provoquée par la pandémie à un moment où, j’insiste, nous voyions une augmentation des articulations politiques féministes et où était en train de s’accélérer les processus de révoltes.

Cependant après la pandémie, en Argentine nous avons obtenu une victoire énorme : la légalisation de l’avortement. Ce fut un effort et une lutte immenses. En décembre 2020, après l’approbation de la loi, les féministes sont sorties dans la rue en masse, ce qui fut cathartique après une année très dure. Pour moi, c’est un point très important d’avoir soutenu et obtenu une telle revendication, d’avoir su mobiliser en plein milieu d’un confinement extrême et d’une crise générale.

Ce qui se passe depuis la pandémie, c’est que nous assistons à une offensive brutale du capital ainsi qu’à une concentration de la richesse et à un appauvrissement immense. C’est-à-dire à une guerre contre la possibilité de reproduction sociale du plus grand nombre.

Malgré tout cela, aujourd’hui nous recommençons nos actions. Nous recommençons à organiser des assemblées, des manifestations ; à reconstruire nos rencontres plurinationales qui avaient été suspendues pour la première fois depuis 30 ans. Tout cela nécessite d’autant plus d’efforts que les conditions matérielles sont de plus en plus extrêmes et difficiles. Dans le cas de l’Argentine en particulier, nous sommes dans une crise économique terrible qui nous rappelle directement la crise de 2001. Soit les deux crises les pires depuis le début de la démocratie.

Si au Chili, ils sont en train de discuter des 50 ans de la dictature, ici nous discutons les 40 ans de la démocratie. Au moment de faire ce bilan collectif, la situation est très dure. J’insiste, c’est une offensive du capital qui montre plus que jamais son visage impérialiste et extractiviste. La question du lithium dans le triangle Bolivie, Argentine, Chili est clairement pointé comme l’un des objectifs des États-Unis. On assiste à des formes de militarisation en Patagonie et dans chaque endroit où il y a des ressources minières. Nous avons un système politique qui est au service de ces intérêts, qui se doit de garantir ces marchés et d’offrir les services militaires aux entreprises pour qu’elles puissent continuer malgré les résistances sur locales.

C’est un scénario dans lequel nous voyons la fin de certaines médiations politiques et des négociations. Un moment de guerre contre la reproduction sociale, une avancée militaire extractiviste où la faiblesse complète du système politique ainsi que son accaparement progressif par la droite et l’extrême-droite sont de plus en plus clairs. Enfin, au milieu de toute cette ronde de saccage, il y a une augmentation de la violence machiste.

Concernant le mouvement féministe, c’est donc une situation très dure avec des possibilités de nous rencontrer, de nous mobiliser qui ne sont plus celles du début du mouvement. Il est difficile dans ce scénario, de penser comment s’organiser. Pourtant je crois que le féminisme contient ce désir de continuer et de fournir une ligne de blocage à l’appauvrissement et à la cruauté. Je crois qu’ici, il y une mémoire très vive et encore récente du féminisme comme énergie de mobilisation, capacité d’installer un agenda et d’intervenir dans la situation et ce, toujours en alliances avec d’autres mouvements de luttes. Il est très intéressant de voir comment le mouvement féministe en Amérique latine a réussi à s’articuler, à se mélanger, à évoluer.

Toi qui voyage beaucoup, je voulais te demander ce que tu penses de la situation dans d’autres pays d’Amériques du Sud. Après avoir passé plusieurs mois là-bas j’ai le sentiment qu’il y a un débat important au sein du mouvement féministe entre se lier plus ou moins avec les gouvernements sociaux démocrates et les institutions en général ou au contraire revenir plus aux territoires, à la base, à l’autonomie du mouvement. Sans pour autant opposer fondamentalement ces deux stratégies et leurs articulations possibles je voulais te demander ce que tu penses de ce débat au Chili, où tu as des liens, et en Argentine où j’imagine qu’un tel débat existe aussi.

Ces dernières années, en Argentine, mais je crois aussi dans d’autres endroits, il n’y a pas eu une opposition marquée au sujet des postes institutionnels qu’ont occupés certaines compañeras. Je crois que s’est déconstruite la façon dont se présentait, en d’autres temps, l’opposition entre autonomie et institutionnalisation. Cette binarité rigide a été regardée d’autre manière. Certaines compañeras qui avaient la confiance du mouvement ont donc fait l’expérience de l’institution.

C’est maintenant le moment de faire le bilan de cette expérience institutionnelle. Et ce bilan n’est pas très bon. La possibilité de capter des ressources, de faire des modifications conséquentes ou de soutenir un lien permanent avec la dynamique du mouvement ont été limités. Cela dépend de chaque pays d’Amérique latine et demanderait un bilan collectif concret et spécifique… Mais de manière générale, si je crois que ces bilans ne sont pas positifs, cela n’implique pas, pour autant, une remise en question totale du fait que ces espaces institutionnels aient pu avoir une fonction et qu’il est donc important qu’ils soient occupés par des compañeras.

Car dans plusieurs de ces endroits, les gouvernements ont récupéré la légitimité du féminisme dans leurs discours, leurs programmes, leurs campagnes politiques. Mais quand ces gouvernements ont gagné, ils ont peu respecté les promesses et ont mené des politiques chaque fois moins populaires. Ce qu’on observe donc c’est qu’il n’y a eu que peu de capacité de la part des féministes à intervenir dans l’orientation concrète de ces programmes. Ce qu’on a vu ici c’est qu’on a enrobé l’institution de féminisme sans soutenir réellement les lieux aux marges, sans ressources. Il y a eu une extraction de légitimité et cette extraction ne s’est pas traduite en pouvoir politique. Donc à cet endroit, nous nous sommes retrouvées un peu piégées. En Argentine, au moins, pour plusieurs compañeras la décision reste de soutenir ces espaces en tachant de sortir de ces limites et en essayant de construire des espaces de bilans, organisés avec le mouvement. Ce qui n’est pas facile car les temps et les espaces sont différents mais je crois que nous sommes obligés d’en faire partie car : “le féminisme est devenu inéluctable comme disent les compañeras du Chili. Même au niveau des gouvernements, et même si cette présence ne se traduit pas à l’intérieur des gouvernements en position de pouvoir réel ou en ressources.

Je crois que c’est un dilemme classique pour les mouvements sociaux qui, en Amérique latine, tiennent une relation avec les instances de gouvernement toujours plus poreuse. Comme le Mouvement des Sans Terre au Brésil qui a fait partie du gouvernement ou le mouvement des indigènes qui font partie d’instances de gouvernement. Je crois que c’est un dilemme toujours présent. Pour moi ce qu’il y a d’intéressant en Amérique latine, c’est que le pouvoir institutionnel est toujours affecté par la dynamique des mouvements. Ce n’est pas une boite fermée. Il y a une sorte d’exigence de la part du mouvement pour affecter et intervenir sur la dynamique institutionnelle.

Nous savons que c’est une instance réformiste, partielle, mineure mais je crois que ça reste ouvert en Amérique latine. Il n’y a pas de mépris de la politique concrète qui pourrait être faite depuis les espaces institutionnels pour faire changer la réalité. Si une compañera peut récupérer des ressources, reprendre un territoire, ça fait la différence, il n’y a pas de mépris pour ce type de politique publique. C’est une capacité partielle mais qui reste une capacité de réappropriation de la richesse publique. Cependant, pour que cela soit possible, il faut qu’il y ait la force d’un mouvement derrière car, isolées, à l’intérieur du système de pouvoir nous devenons rapidement faibles.

Et tu ne crois pas que trop se concentrer sur l’institution peut entraîner une déconnexion avec l’aspect populaire du mouvement qui était une des forces du mouvement féministe ?

Je crois que l’institutionnalisation a ses inerties, ses manières de figer certains vocabulaires. La question est donc de savoir comment mettre des forces en jeu qui ouvrent ces lieux. Mais c’est beaucoup de travail. Ici, il y a une cartonera (personne qui ramasse et recycle les déchets laissés dans la rue pour les vendre) qui est devenue députée. Sa présence dans le congrès est très importante. C’est une histoire de vie, une voix en lien avec le mouvement social qui n’avait jamais été vue au parlement. Tout à coup des questions totalement invisibles par le parlement sont entendues. Ça a aussi ses limites, mais c’est quelque chose d’important : comment impacter la représentation pour qu’elle écoute réellement la société. Ce sont des scènes qui rompent un peu la dynamique classiste du système représentatif. Pas beaucoup certes, mais ça reste de petites victoires.

Tu parles souvent de la puissance du féminisme d’Amérique latine qui a su allier mouvement de masse et radicalité. Quel lien y a-t-il selon toi entre l’idée de révolution et le féminisme ?

Pour moi, il y a un slogan féministe très important qui dit « Le temps de la révolution est maintenant ». Loana Berkins, une leadeuse travestie, répétait souvent cette phrase.

Le mouvement féministe a remis en circulation le mot révolution. Il y eut un déplacement par rapport à la mélancolie de gauche dont parle Traverso. C’est très important. La question à présent c’est de savoir de quel type de révolution nous sommes-nous en train de parler, non ? L’idée se réouvre et revient mais qu’entendons-nous par-là ? Quel sens mettons-nous derrière le mot révolution ? Que vivons-nous de révolutionnaire ? Quelles expériences sont révolutionnaires ? Comment se lient-elles avec ce que l’on nomme réformisme ? etc.

L’idée est aussi de laisser un peu de côté le langage du mouvement social pour le remplacer par le paradigme de la révolution. Le mouvement féministe parvient à les mélanger. On parle de mouvements sociaux mais aussi de révolution.

Dans mon livre sur la puissance féministe, ce qui m’intéresse c’est, à partir de Rosa Luxembourg, de poser ces images de révolutions et réformes pour essayer de les penser dans cette dynamique de politique concrète dont on a parlé avant. Ne pas abandonner l’horizon révolutionnaire et en même temps, penser ce que nous sommes en train de révolutionner en termes de liens, d’expériences avec les territoires, de manière de penser le travail, de réorganiser la vie quotidienne. Tout cela est révolutionnaire, disputant aussi une idée sacrée de la révolution qui est seulement liée à l’expérience du XXe siècle. En ce sens, je crois qu’il faut poursuivre et ouvrir ce débat.

Un autre élément important pour réfléchir à la question de la révolution, c’est la dimension internationale. Car cette question prend place dans la pensée et le terrain révolutionnaire de l’internationalisme. C’est une tradition et une exigence de penser ce que cela signifie. Le débat reste ouvert mais nous devons l’actualiser. Quelles sont nos perspectives et nos attentes ? Quel type de révolution sommes-nous en train d’impulser.

Le mouvement féministe ouvre le champ des possibles et invite à utiliser de nouveau le mot révolution : poser la discussion au moins. En faire un terme qui circule à nouveau.

Nous sommes aussi en train de débattre avec les idées du passé au sujet de la révolution. Nous sommes en train de revoir les chemins qu’ont pris les féministes dans d’autres moments historiques, nous sommes en train de penser avec quelles autres constellations de mouvements nous pouvons nous nous lier de manière nouvelle ? Comme le mouvement indigène par exemple.

Aussi, si la dynamique de mouvements est très différente, nous sommes en train de faire certaines choses et d’en voir d’autres qui évoquent et nous invitent à revenir à penser les années 70. Comme la guerre, l’exploitation et la répression de plus en plus forte. Nous sommes dans une dynamique de violences qui y ressemble, ça aussi il faut le penser.

Je crois que c’est aussi très important pour comprendre les types de contre-révolutions auxquels nous faisons face. Comment pouvons-nous caractériser la contre-révolution ? Afin de lire à contre-jour le type d’offensive que nous sommes en train d’ouvrir.

La dernière fois que nous nous sommes croisés, je te racontais que l’année dernière, alors que nous préparions les rencontres internationalistes Les Peuples Veulent, nous nous posions la question de penser le mouvement féministe comme fer de lance du mouvement révolutionnaire.
Oui et tu me disais que justement avait surgi à ce moment-là la révolution féministe en Iran !
Oui exactement. Que ce soit en Iran, au Liban ou même au Chili, le mouvement féministe a pris les devants des révoltes. Et cela dans différents sens : Au niveau des mots d’ordres : sur l’anti-capitalisme, les frontières, l’inclusion des minorités, l’entraide avec les exilés (avec les réfugiés syrien.ne.s ou palestinien.ne.s ou les travailleuses domestiques au Liban ; avec les travailleuses migrantes au Chili, etc). Sur l’internationalisme, comme tu insistes, au sujet duquel le mouvement féministe est bien plus impliqué et bien plus fin que la plupart des autres composantes. Le soutien aux dictatures ou aux forces anti-féministes comme le régime Syrien, la Chine autoritaire, la Russie de Poutine ou le Hezbollah libanais y est en général autant inimaginable que celui de l’impérialisme américain ou le colonialisme. Enfin en termes d’imaginations, de formes, de nouvelles pratiques, de nouvelles esthétiques, etc. Je voulais parler de cette possibilité de penser le mouvement des femmes et des dissidences sexuelles et le féminisme comme une avant-garde du mouvement révolutionnaire. Un peu comme le mouvement ouvrier et le communisme l’ont été au XXe siècle.
Le concept d’avant-garde a une longue histoire, c’est donc une notion sensible. Mais je pense en effet que le mouvement féministe historique a réussi à condenser le meilleur. A comprendre la superposition de violences capitalistes : à remettre sur la table la discussion entre violence et capital ; à faire un lien entre violence en terme général, la violence contre les corps, contre les territoires. On revient à discuter la violence au sens du capital mais de manière très située, en relation avec les liens quotidiens. Et cette innovation politique pour moi est très importante car elle lui donne un caractère anticapitaliste qui n’est pas juste idéologique.

Pour moi, ici, le féminisme créeune espèce de pédagogie. Si on peut parler d’avant-garde, c’est en ces termes. Les idées peuvent être anticapitalistes ou non mais la pratique même de localiser de cette façon la discussion sur la violence et de faire de ça une pédagogie de masse, je crois que ça c’est un élément d’avant-garde.

Impulser socialement un mode de lecture de la totalité de la violence du capital à partir d’un espace très concret et situé. C’est un élément très impressionnant en termes politiques. Aussi, c’est une dynamique qui, si elle a s’exprime différemment dans chaque territoire, est internationale. C’est donc un combat transnational avec la dynamique globale du capital.

L’autre élément, c’est la capacité du mouvement féministe à occuper la rue, à mobiliser et à traduire ça continuellement dans la réorganisation logistique, productive et revendicative de la vie quotidienne. Ses revendications et les formes de prise de la rue se traduisent dans la forme que prennent les liens. Cela ne veut pas dire que ce sont automatiquement des succès mais ces scènes de mobilisations affectent au-delà de l’espace de la manifestation. Elles ne se contentent pas d’être des moments de visualisations publiques. Elles se traduisent aussi par des réorganisations sociales. Elles affectent les relations sociales. “Comment se produit la connaissance à l’Université ? ”, “comment s’organise l’autorité politique d’un territoire ? », « comment luttent les syndicats ? », « comment s’enseigne l’éducation sexuelle intégrale dans les écoles ? ». C’est sa capacité d’affectation. Depuis ces moments de mobilisation et dans des espaces aux échelles très différentes.

Je crois que nous parlons de cela quand nous parlons de modifications sociales, n’est-ce pas ? Voilà un autre élément très intéressant. Un élément révolutionnaire dans le sens dont nous parlions avant

J’ai compris ici à quel point le “separatismo” (ce que nous appelons non-mixité ou mixité choisie en Europe) a été un élément constitutif du mouvement féministe en Amérique latine. Les manifestations monstres du 8 mars au Chili, en Argentine ou au Mexique par exemple sont des moments où ce sont uniquement les femmes et les dissidences sexuelles qui marchent.

J’ai entendu au Chili et ailleurs que le débat de maintenir ce séparatisme strict se pose à nouveau aujourd’hui ? Dans la même lignée de pensée que bell hooks par exemple qui dans ses ouvrages “Tout le monde peut être féministe” ou “De la marge au centre” défend l’idée que pour être révolutionnaire et transversal le mouvement féministe devra trouver des moyens de conclure des alliances et d’inclure au-delà des femmes. Comment se joue ce débat en Argentine ?

Je crois que le separatismo fut très important au début du mouvement. C’était une manière de construire sa propre force, de produire un espace dont nous serions enfin les protagonistes. Tout ça pour répondre à tous ces espaces ou des compañeras et compañeres quand iels ne sont jamais parvenu.e.s à être des protagonistes de leurs propres espaces. Donc je crois que ce séparatisme a été très important pour leur donner cette présence et disputer le “protagonisme” dans le mouvement.

Maintenant si on pense à la période de 2017 à aujourd’hui, nous avons une nouvelle génération, qu’on appelle ici la “génération ni una menos”, d’enfants pour qui la situation n’est plus la même. Aux marches féministes par exemple, il y a des très jeunes lycéens qui viennent à la manif et prennent des tâches en charge. Ils viennent d’une situation totalement distincte en termes de subjectivité politique que des hommes de 50 ans par exemple. C’est donc un processus intéressant dans lequel l’aspiration du mouvement est d’être toujours plus inclusif.

Le séparatisme fut un premier moment d’affirmation. Ensuite s’est construit une dynamique plus inclusive du mouvement. Puis des processus de subjectivations politiques font évoluer des personnes qui se sentent faire partie du mouvement. Et là, il y a un phénomène générationnel très intéressant pour moi. Qui fait que le mouvement est beaucoup plus ouvert, avec des nouvelles composantes. Tout ça, c’est un processus très rapide, on parle seulement de 7 annnées. Mais c’est une génération. Une génération qui a commencé l’école quand a surgi ni una menos. C’est donc une dynamique en pleine évolution.

Pour autant, maintenir certains espaces propres est important et ce serait une erreur que de les dissoudre. Notamment pour s’assurer que cette évolution continue et entendre les compañeras raconter que leur organisation ou leur syndicat mixte leur a proposer de les rejoindre pour ne finalement leur laisser aucune place. C’est une lutte permanente dans ces espaces et une lutte permanente pour savoir comment traduire notre puissance propre.

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