Le coup d’après

10 septembre : « Les formes les plus explosives sont encore à inventer. »

paru dans lundimatin#486, le 2 septembre 2025

La mobilisation pour le 10 septembre arrive à grands pas. De nombreuses actions de sensibilisations et d’appels à ses journées de blocages voient déjà le jour. Bayrou tente le baroud d’honneur en mettant en jeu le gouvernement par un vote sur le budget le 8 septembre, replaçant l’attention sur la politique institutionnelle. La gauche hésite à son habitude, plus personne ne l’attend vraiment, alors qu’un grand nombre de bases syndicales sont déjà en mouvement. Le 10 est sur toutes les bouches, faisons en sorte qu’il soit le début de quelque chose.

De nombreuses idées émergent, de la grève générale au blocage des rocades. Si l’on souhaite un dépassement du mouvement des Gilets Jaunes, il semble important de se donner quelques pistes pour que la lutte dure, grandisse et ne meurt pas, que ce soit dans la répression, l’épuisement où le manque de perspectives révolutionnaires. Un moment de révolte est une expérience collective qui doit être un pas de côté vis à vis de la politique institutionnelle, celle qui décide pour nous et qui nous réprime. Ce pas de côté est notre capacité à créer autre chose, d’autres quotidiens en espérant qu’ils perdurent. Pour cela, il faut renforcer des réseaux de solidarité, il faut développer notre autonomie. Pour cela, il faut imaginer le coup d’après.

Si nous considérons cette mobilisation comme le début d’un mouvement, alors cela nécessite que chaque groupe et personne puisse agir en mutualisant ses moyens et que localement, on se retrouve pour lier nos forces, tout en restant vigilant.es à prendre soin de nous et du collectif. Concrètement, cela veut dire répondre aux besoins de base : manger et boire, se reposer, discuter, prendre soin, se défendre, attaquer et le faire dans un élan commun.

Manger : Le territoire abrite de nombreux et nombreuses personnes ayant des capacités matérielles de faire de la bouffe, en petites ou grandes quantités. Il nous semble important de s’organiser en amont pour prévoir des repas sur les points de blocages, mais aussi prévoir des banquets aux fins de manifestations pour que l’on se rencontre sans être pressé par l’agenda ou la répression, permettant aux personnes ne pouvant pas se pointer dans des actions de discuter et sentir le mouvement. Partageons nos plans récup, invitons les maraîchers, les magasins et restos à donner ou amener à manger sur les points de mobilisations proches, préparons des stocks de petits déj’, du matériel de cantine et de quoi tout transporter. Déjà, de nombreuses cantines militantes se mettent en lien pour s’organiser. Rejoignons ce mouvement. Lorsqu’elles se mettent à plein régime, comme à Rennes ou à Nantes, cela change la situation. Ainsi le ventre plein, nous pourrons durer.

Le repos : la différence entre un blocage à là demi-journée et un mouvement sur le temps long est bien sur l’impact réel sur l’économie et la vie normale, mais aussi sur notre fatigue. Combien de piquets de grève finissent avec une négociation bâclée à cause d’une fatigue générale ? Il nous faut donc penser le rythme de cette mobilisation. Prévoir des relais, des matelas, des zones d’accueils pour les camarades fatigués ou blessés, des cuisines, des toilettes. De nombreuses personnes ont des ateliers, qui pourraient permettre de fabriquer en amont des cabanes, des structures ou des palais pour nous abriter, à vos outils ! Beaucoup de trésors traînent dans les greniers et dans les garages. Offrons-leur une seconde vie en les partageant pour rendre les occupations pérennes et rejoignables.

Discuter : la parole est au centre du mouvement. Des centaines de groupes Telegram, Signal, Facebook existent déjà et sont le lieu de débats, de partage et de débuts d’organisation. Bien que cela donne parfois l’impression d’une masse infinie de messages, de trolls et d’idées en tous sens, il va falloir qu’on trouve une langue commune, qu’on développe une manière de s’entendre sans que le pouvoir ne nous comprenne, qu’on puisse échanger pour le surprendre, pour toucher les endroits qui lui font mal. Cela passe par des diffusions de textes, de vidéos, de chants, d’idées, le tout sur des canaux qui nous rassurent, qui sont le plus possible sécurisés afin que cela échappe à la répression. Il faut qu’on s’apprenne à flouter les visages, à effacer les métadonnées, à chiffrer les communications, à sécuriser nos listes de contacts et nos comptes-rendus d’AG, à publier des appels, à revendiquer des actions. Signal, s’il est bien configuré, reste pour le moment la meilleur appli pour communiquer rapidement. Les sites Mutu sont des sites sécurisés, régionaux, gratuits et participatifs modérés par des gens participant aux luttes pour les gens participant aux luttes, idéals pour témoigner, appeler, revendiquer. Tout le monde peut se faire un compte, il est donc possible de se les réapproprier. Les GJ nous ont appris que le gouvernement ne ménage aucun moyen pour ficher, surveiller et réprimer. Au lieu d’en avoir peur, nous allons nous préparer. De nombreux guides existent déjà, partageons les !

Prendre soin : Les temps de repos sont aussi des occasions de prendre soin - de soi et des autres ; L’organisation de garderies autogérées et le soin des plus fragiles doivent être pris en compte pour permettre à chaque personne se sentant concernée par le mouvement d’être en capacité matérielle de le rejoindre. Les moments d’actions et de manifs doivent prendre en compte la santé de tous les participants. Médecins, infirmiers, étudiants, ainsi que toutes les personnes qui ont des connaissances ou qui veulent apprendre peuvent mutualiser leurs efforts et leurs matériels pour relancer des équipes de street medics, de moments et d’espaces d’écoute contre les violences psychologiques et physiques qui peuvent exister durant une lutte de longue haleine. Vivre le mouvement dans le soin, créer des confiances mutuelles qui nous donnent les moyens d’aller plus loin dans l’offensive, ne pas sous-estimer ces aspects permet au mouvement de ne pas faiblir face aux attaques du pouvoir.

Se défendre : les mobilisations passées nous ont apprises de nombreuses techniques de défense collectives. Des réseaux de défense juridiques avec leurs contacts d’avocats, jusqu’aux formations de bon conseils en manif et en garde à vue, nous avons de quoi prévoir la répression.
De nombreux collectifs (tels que le réseau de défense collective nationale Rajcol) et brochures (celle-ci ou celle-ci) référencent tout cela. Il est essentiel de prévoir comment payer les avocats, les frais juridiques, les amendes grâce à la création ou au renforcement de caisses de luttes ou chaque personne met ce qu’elle peut pour permettre de collectiviser l’argent pour se défendre. Nous avons besoin d’avocats réactifs pour donner de bons conseils en garde à vue, mais aussi pour attaquer les arrêtés préfectoraux qui se multiplient toujours plus illégitimement à chaque fois que des gens se réunissent. Il faut dés-à-présent se procurer du matériel défensif en nombre pour pouvoir le partager. Masques Ffp3, lunettes de protection, gants, casques, parapluies... Tout le monde doit pouvoir rentrer d’action en bonne santé. De nombreuses entreprises permettent « ces emprunts » de matériels pour la bonne cause.

Attaquer : faisons confiance à l’énergie et à l’intelligence collective pour cibler le pouvoir et ces ramifications. Depuis longtemps, des groupes informent par des articles, des cartes et des documentaires sur les espaces de pouvoirs (quels sont les médias main stream à la solde du pouvoir, quelles sont les entreprises et institutions stratégiques dans l’énergie, l’armement, les décisions, etc.). Nourrissons nous de tout ce travail pour taper là où ça fait mal tout en se protégeant. Dès maintenant, on peut mettre de côté et entreposer du matériel pour les manifs, pour les blocages, pour les actions de nuits. Méfions-nous des caméras, payons en liquide, mettons un peu de distance avec notre téléphone, sortont en amont de nos domiciles tout ce qui pourrait être mal interprétés par une perquisition de la police, tout un tas de bonnes attitudes qui vont nous être essentielles pour filer entre les mains du pouvoir. Une hygiène de la sécurité permet de penser les choses en grand et d’avoir confiance en nos paris collectifs. Que l’on sabote notre propre entreprise ou que l’on fasse fuiter des informations utiles, que l’on fasse de petites équipes de nuit ou de grandes manifestations, partout, tout le temps il y a des cibles intéressantes à viser. Toucher l’industrie de l’armement qui sème la mort et la famine dans le monde, malmener ceux qui participent à l’accaparement des ressources qui rend notre eau imbuvable et notre nourriture cancérigène, bloquer les flux de transport autoroutiers, ferroviaires, navales et aériens, soutenir les blocus des sites pétroliers, lutter contre le racisme, le fascisme et le patriarcat en tenant la rue face aux flics et aux fachos, la liste est presque infinie, il faut cependant que l’on décide de ce qui fait le plus sens selon nos forces et nos faiblesses. Ne prenons pas à la légère la répression, faisons des repérages dès maintenant pour identifier les accès, les caméras, les points de fuite et le matériel nécessaire à nos actions.

Pour cela, sortons de notre léthargie ou de notre attentisme. Ne soyons pas spectateur. N’attendons pas que le mouvement soit repris par les syndicats et les partis pour ensuite s’en plaindre. Le caractère flou et désorganisé des appels peut être notre force pour être surprenants, pour que surgissent partout sur le territoire de nouvelles formes de luttes combatives. Développons nos imaginaires. Partageons-les collectivement au contact des gens qui se mettent en mouvement. Laissons notre rage s’exprimer et nos stratégies s’affûter. Les formes les plus explosives sont encore à inventer. Nous devons d’ores et déjà se mettre en action afin de faire en sorte de se faire déborder et dépasser par la situation, afin qu’elle dure et aille bien plus loin qu’une simple journée de manifestation. Nous pouvons nous donner les moyens de penser en amont les besoins matériels et les stratégies d’attaque. Alors n’attendons pas, préparons-nous dès maintenant pour le coup d’après.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :