La petite graine de la terre interdite

À Karim Khima ainsi qu’à tous les détenus du Hirak

paru dans lundimatin#271, le 18 janvier 2021

En décembre dernier, Karim Khima, président de l’Association pour la protection de la nature, « militant écologiste, connu également pour son engagement dans les activités du hirak à Béjaïa » (selon la presse), était poursuivi par le tribunal de Béjaïa dans le cadre de deux procès différents, notamment pour « incitation à attroupement illégal ». En cause ? Sa participation à l’organisation de deux rassemblements, l’un contre un projet de construction d’une nouvelle promotion immobilière de 36 logements de standing, l’autre contre la privatisation arbitraire du Lac Mezaia (devenu soudainement parc de loisirs payant Ali Vava) et pour son classement comme zone protégée. Si Karim Khima a été relaxé dans le cadre de la première affaire, il a été condamné à 2 mois de prison ferme pour la seconde.

Une lectrice nous a fait parvenir ce poème, dédié à Karim Khima ainsi qu’à tous les détenus du Hirak

C’est l’histoire d’une petite graine perdue dans les cailloux de la misère. Elle était tombée là, sur le sol rocailleux et immuable de la terre interdite. La vie ne s’épanouissait plus depuis longtemps, coincée entre le bruit des bottes et le tintement lointain d’un or qui ne ruisselait jamais jusqu’en bas. Dans cette contrée, ordre était donné de ne surtout rien laisser pousser ! Chaque jour, les bottes faisaient trembler la terre aride, et la petite graine se cachait sous les cailloux pour ne pas être écrasée.

Un jour pourtant, l’orage de la colère s’abattit sur la terre aride. La pluie du chagrin tomba à verse sur le sol ordinairement muet. Ce jour-là, les bottes, paniquées, coururent partout sur la terre interdite, et elles écrasèrent la petite graine qui s’enfonça dans la boue d’un sol inondé d’émotions.

Alors, la petite graine découvrit sa terre, et prit racine. Elle se nourrit de la pluie du chagrin et des cailloux de la misère, et elle grandit à travers les pierres. Un matin, elle sentit le soleil de l’espoir réchauffer sa tige fragile, et elle monta le plus haut possible pour se chauffer à l’Avenir. Elle grandit encore. Peu à peu, des feuilles vertes comme l’émeraude poussèrent sur la tige. Au loin au nord, le bleu de la mer lui faisait signe. Au loin au sud, la lumière dorée du désert lui envoyait son souffle chaud.

Plus près, les bottes continuaient à marcher pour amasser un or qui ne ruisselait jamais jusqu’en bas. Les yeux rivés vers l’or, les bottes ne regardaient plus la terre aride, et le petit plant, nourri des larmes de la colère et de la chaleur de l’espoir, grandissait un peu plus chaque jour.
Un matin, le soleil chauffait fort. Une botte chercha un endroit où se protéger, et alors, elle remarqua qu’un jeune arbre, vert et robuste, avait poussé sur la terre interdite. Elle alerta la troupe. Toutes les bottes se ruèrent sur l’arbuste pour l’écraser, mais trop tard ! il était déjà trop grand !

Les bottes décidèrent alors de l’enfermer derrière des murs épais, gris et sales, loin de la lumière de l’espoir, du bleu de la Méditerranée et du jaune doré des sables du Sahara. Le jeune arbre verdoyant fut emmuré vivant. Mais ses racines étaient bien plus étendues que les murs qui l’encerclaient ! Même muré, l’arbre continua à grandir, à grossir, et un beau jour, les murs se fendillèrent pour laisser place à des branches vigoureuses. Puis les murs tombèrent aux pieds de l’arbre de la Liberté, et se mélangèrent aux cailloux de la misère. Ils disparurent peu à peu sous une mousse verdoyante sur laquelle poussaient des fleurs de toutes les couleurs.

Nourri des larmes de la colère, des cailloux de la misère et du soleil de l’espoir, entre la splendeur bleue de la Méditerranée et la merveille dorée du désert infini, l’arbre vert de la Liberté, profondément enraciné, libéra la terre interdite du bruit des bottes et du tintement lointain de l’or qui ne ruisselait jamais jusqu’en bas. Grâce au Vent de la solidarité, l’arbre de la Liberté dispersa ses graines partout sur sa terre et plus loin encore, au-delà de la mer, au-delà du désert, pour permettre à la vie de s’épanouir à nouveau.

Pour les détenus du Hirak
Pour Karim Khima, militant écologiste

Marjorie Keters
Gilet Jaune et militante écologiste PEPS
le 12/01/2021

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