« La mort et la nature s’étonneront »

Requiem

paru dans lundimatin#236, le 30 mars 2020

22 septembre 2020

J’espère que vous vous portez bien. Ainsi que vos proches.

Puisque vous ne demandez pas de mes nouvelles, je vous en donne : je suis en train de mourir, ma femme, que Dieu la garde en son sein, est déjà morte dans sa chambre et git sur son lit depuis deux jours, le chien hurle la mort au point où les fics sont venus ce soir voir ce qui se passait, mais quand ils ont entendu mes râles d’asphyxié et mes cris de haine contre Macron - « Emmanuuuel Macroooon ; Oh quelle têet‘ de coooon ; on vient te chercher chez tooooooi ! » - ils se sont barrés, terrifiés.

[Illustration : Caterina Rafanell & Khadija Rock]
Bon j’espère, dans ces dernières heures qui me restent à rêvasser comment la vie fut belle avec tant de chers amis pleins de sollicitude, que vous tenez bon.

24 Septembre 2020

Non, en fait, ma femme n’est pas morte, elle était bourrée, elle roupillait, tellement elle est devenue alcoolo. Carrément on ne sait plus comment faire pour acheter nos cubis de Corbières à 12 euros le 5 litres. Et puis le chien j’avais juste oublié de lui donner à manger depuis quatre jours. Mes difficultés respiratoires c’était juste une crise d’angoisse. Et les flics ce n’étaient pas de flics mais les éboueurs avec leur calendrier de Noël un peu en avance pour ramasser quelques tunes. Les cons, ils n’ont qu’à travailler comme les traders dans la haute finance. Car la bourse continue à flamber. On ne sait pas pourquoi. Et puis quoi encore, même les livreurs DELIVREO vont finir par venir mendier aussi en faisant le porte-à-porte. Et les confinés dans les goulags d’AMAZON vont-ils aussi rappliquer ? Et puis quoi encore, les infirmières et les toubibs après les applaudissements de 20h vont-ils aussi finir par se pointer contaminés à 99 % pour faire la manche dans ma copropriété ? Les cons. Mais merde alors, tous des criminels-contaminateurs que je vous dis.

Et puis tous ces taux de mortalité et ces comptabilités funèbres journalières, et des morts encore et encore t’en voilà tu vas en bouffer. Mais on va leur en foutre une émeute que je vous le dis aux Précieux et Précieuses qui nous font leur sale morale de testés. On va leur cracher à la gueule des mollards infectés au corona quand ça va se calmer. Nanani, nanana vous êtes des irresponsables, des sacrés imbéciles à vouloir encore respirer dans un parc, des gros porcs à vouloir encore baiser dans les temps qui courent. Préférez-vous l’Empire Chinois qui arrive avec sa biopolitique high-tech et sa cybernétique de mes deux et ses décors de mauvais goût de salle de fêtes monumentale et leurs Routes de la Soie serpentines ? Voulez-vous vraiment que le vieux monde avec ses grandes productions Hollywood s’écroule, fini, et dans les décombres seulement des white-trash surarmés ? N’avez-vous pas encore le Louvre que vous pouvez parcourir sur internet en accès libre, et la mémoire de la Révolution Française et François Furet, et le cinéma d’Art et Essai et la Nouvelle vague et Godard et ses jérémiades sur Tenk ? Ne pouvez-vous pas bouquiner encore Beckett et lire le lundimatin  ? Vous êtes dans un pays LIBRE !

Car après-tout il y a combien de zombies contaminés ? Et il y en a combien qui clamsent dans les hostos qui regorgent de vieux ? On n’en sait plus rien. C’est quoi tous ces pourcentages ? C’est pas beau mourir asphyxié sous morphine jeté comme une merde dans un couloir des souterrains d’un hosto à 98 piges oublié des siens qui se disent putain on va enfin hériter du putain de pavillon péri-urbain de Cholet. Mais merde mourir d’une cancer de l’anus, d’une crise cardiaque, d’un accident de la route complètement bourré, d’une cirrhose ou d’une consommation chronique de neuroleptiques c’est pas génial non plus. Ni mourir d’ennui. Après tout, quand la mort arrive elle est morte disait Tolstoi.

25 février 2021

Aujourd’hui, je n’ai pas grand chose à vous dire mes chers amis.

Comme vous la savez, depuis deux mois il y a une nouvelle vague de contaminés.

J’ai fini par manger les corn-flakes qui me restaient avec la mayonnaise. J’ai tout mis dans une grande assiette et ça fait un peu Nouvelle cuisine française. Mais en vérité ce n’est pas top, pas génial moi qui adorait épater mes amis graphistes avec des recettes napolitaines tarabiscotées. J’ai trouvé un tube de mayonnaise dans un marché clandestin de biffins dans le bois de R., à 500 mètres de la maison. Il n’y a presque plus de flics dans la rue pour contrôler. Sauf les immunisés qui ont miraculeusement pu se faire tester et qui vivotent en patrouillant avec indolence, il ne reste plus pour nous emmerder que les obstinées, les plus psychopathes, ceux qui veulent continuer à toucher leur prime de la Task Force Economie. Mais il n’y a presque plus d’économie. Macron s’est suicidé. Il a été remplacé par Grivaux qui est retourné aux affaires. Il a même eu le culot d’afficher sa bite sur la page d’accueil du site web de l’Elysée. Donc on peut aller faire des courses en catimini dans des endroits insolites. Ça ne manque pas d’un certain charme, un peu mélancolique. Et puis, je n’ai plus de Smartphone pour me faire pister car je n’ai plus de batterie. Lallement a été de toutes les façons interné dans une unité psychiatrique de la prison de Fresnes après avoir envoyé des communiqués de presse, piratés, s’est-il justifié, signés Joseph Goebbels. Castaner a démissionné. On dit qu’il a mis en place un réseau de jeux clandestins avec la mafia corse. Les milices de la BAC se sont mises à braquer les cabinets de médecins généralistes et des services hospitaliers pour revendre au prix fort des masques, avec des dosettes de morphine, parfois un caillou de crack en prime qu’ils ont raquetté aux modus de La Chapelle. The Economy is dead. Ma batterie du Smartphone aussi. Le dernier Lycamobile de mon quartier a fermé. Les Pakistanais qui le tenaient sont partis en mode clando au travers les Balkans jusqu’en Grèce. Il paraît que les Chinois ont crée au Port du Pirée une colonie florissante avec des labos où ils produisent de la viande synthétique. Ils accueillent pas mal de monde.

Quoi dire, alors ? Ma femme va bien. On s’est fait les deux une cure de sevrage, à la dure. De toutes les façons il n’y a plus une goute d’alcool, nulle part. Le chien se balade seul dans les rues et semble bien se démerder. Il mange des pigeons, même s’ils sont devenus agressifs. Nom de Dieu, ils se défendent bien ! Je l’ai vu de mes yeux. C’est la guerre des pigeons, des chats et des chiens errants.

Un ami m‘a parlé par Internet de la chôra. Il dit que ce qui nous arrive c’est le retour des mystères orphiques. La polis est morte. Depuis quelques semaines un exode interminable a lieu vers les campagnes du pays. L’arrière-pays. A pied, en bagnole, en vélo. Je ne veux pas partir avec les autres. Je préfère fouiller le poubelles des derniers supermarchés dévalisés, presque vides, à bonne distance de Rroms qui squattent les premières places avec un regard torve, parfois ricanant. C’est de bonne guerre. C’est leur revanche. Non, je ne veux pas partir pour revivre en société. J’ai peur qu’elle se refasse une santé. Non, même pas en rêve.

Josep Rafanell i Orra

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