La dualité quantique de Macron

« Macron pérore sur le travail coopératif de la recherche alors que son modèle est bien la compétition. »

paru dans lundimatin#272, le 26 janvier 2021

Ce jeudi le président Macron était en déplacement au « pôle de Paris-Saclay » pour annoncer un « plan d’investissement national dans les technologies quantiques ». C’est à cette occasion, et bien que la rumeur d’un 3e confinement enfle, qu’il a annoncé que les étudiants pourraient retourner une journée par semaine dans leurs universités. Mais surtout, puisqu’il s’agissait de la raison première de son déplacement, il garantissait « 200 millions par an » pour « le quantique ».

Derrière cette opération de communication (selon l’auteur de la tribune que nous publions) il y a la politique réelle du gouvernement vis-à-vis de la recherche, et l’« état bien identifié dans lequel il veut la plonger complètement : celui du capitalisme ».

Jeudi 21 janvier 2021, Emmanuel Macron présentait sa stratégie nationale sur les technologies quantiques au Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies de l’Université Paris Saclay [1]. Il s’agit d’un plan important de financement de la recherche d’une thématique à la mode : « la Quantique ». On sait que la physique quantique, inventée au début du 20e et développée tout au long de ce siècle est un outil utilisé quotidiennement aujourd’hui dans de nombreux domaines de la physique, mais on nous promet aujourd’hui une seconde révolution quantique, rien que ça !

La principale caractéristique d’un système quantique est la dualité onde-corpuscule, ou la propriété qu’il a d’être dans un état hybride, ou plutôt dans deux états différents à la fois : un électron tourne sur lui même en même temps sur sa gauche et sur sa droite, il est à la fois à un bout et à l’autre d’un tunnel sous une montagne d’énergie. Impossible pour les objets de taille humaine en physique classique. Sauf pour Macron !

La visite du Président sur le plateau de Saclay a été pour lui l’occasion de se montrer, comme il aime le faire, accessible aux gens d’en bas, sympa et cool, discutant avec des vrais chercheurs et des vrais étudiants, répondant à leurs problèmes. Mais cela ne l’a pas empêché d’inviter les huiles du monde académique et privé, de flatter les maires du coin présents, de tutoyer la présidente de l’Université Sylvie Retailleau, de féliciter dans son discours les patrons de quelques start-up et fonds d’investissement, de faire un clin d’œil au député Cédric Villani... Cela n’empêche pas son cabinet de donner l’ordre aux gendarmes mobiles de museler soigneusement la moindre contestation, la moindre contradiction. Les petits rassemblements organisés dans l’urgence la veille, l’évènement étant jusque là tenu secret, se sont fait refouler loin des regards, puis nasser sans déplacement autorisé pendant deux heures, le temps que le Président soit loin de cette gênante agitation démocratique.

Macron manie remarquablement, on le sait, les ficelles de la Communication, c’est-à-dire la dualité du discours, ou plutôt sa duplicité. Si l’évènement paraissait basé sur du concret, sur la visite d’un laboratoire de recherche et de son personnel, la couverture médiatique a été également préparée pour qu’aucune anicroche ne ternisse le beau tableau vendu aux médias. Ces derniers, visiblement non invités, ont repris en cœur les vidéos et communiqués de presse de l’Élysée pour relater la visite et le discours du Président, se contentant dans le meilleur des cas d’afficher les milliards investis et de narrer les merveilles que la mécanique quantique nous a apportées et nous apportera. Ils ont surtout mordu à l’hameçon que Macron leur a tendu pour les détourner des sujets de fonds : la petite phrase provocatrice sur les « 66 millions de procureurs » qui n’a pas manqué de faire le buzz.

Car il fallait mieux que les journalistes ne prennent pas trop le temps de traiter des sujets de fond : la Quantique et la recherche en France. La grande promesse de ce plan est celle de l’ordinateur quantique, décuplant les possibilités des ordinateurs actuels. Cela fait plusieurs décennies déjà que les chercheurs ont ce Graal en tête, mais cela fait plusieurs années aussi qu’ils savent la part d’esbroufe de cette promesse et qu’ils ont malgré tout appris à manier ce mot clé magique qui leur ouvre la porte aux subventions. Parce que la recherche repose de plus en plus sur cette hypocrisie qui consiste à devoir vendre les travaux par de la poudre aux yeux, des applications qui changeront notre société ! Macron l’a dit, la Quantique nous apportera demain des technologies aussi révolutionnaires que l’ont été le transistor ou le GPS, et elle sera même salvatrice parait-il pour les crises sanitaires et le réchauffement climatique... D’ailleurs, a-t-il précisé, c’est le progrès que de voir les terres fertiles du plateau de Saclay disparaitre sous le béton de cette nouvelle Silicon Valley. Et rassurons-nous, la Quantique sera aussi utile pour la cybersécurité et l’industrie de l’armement, ouf.

Le discours Macron a été enfin surtout l’occasion de vanter son modèle hybride de la recherche, un compromis qui serait parfait entre le meilleur du système anglo-saxon et le meilleur du système hexagonal. C’est le modèle de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), si décrié par l’ensemble de la communauté mais voté à l’automne dernier. Mais le monde réel n’est pas quantique, le ’à la fois’ des états des électrons que propose Macron pour la recherche cache en fait un état bien identifié dans lequel il veut la plonger complètement, celui du capitalisme. Les 1,8 milliards pour 5 ans du plan Quantique contribuent encore un peu plus à changer la façon de financer la recherche : il s’agit d’argent ciblé sur une thématique ’stratégique’ sensée promouvoir l’innovation technologique, alors que les découvertes majeures sont toutes issues de recherche sans but applicatif. Cet argent ne renforce pas le budget de la recherche en France mais déplace simplement l’argent des financements classiques (argent récurrent attribué aux laboratoires ou appel à projets « blancs » ouverts à toutes les thématiques) vers un petit nombre de domaines. Avec ce plan, Macron loue la recherche publique mais donne des millions aux entreprises. Il prône une recherche fondamentale à long terme mais vise l’ordinateur quantique hybride dans 3 ans. Il préconise des emplois stables mais va financer des emplois précaires en masse. La LPR n’offre aucun avenir aux jeunes chercheurs. Au contraire, les « chaires de professeurs juniors » prévues ne sont en fait que des périodes d’essai rallongeant les années d’exploitation et de précarité que sont la thèse et le post-doctorat. Elles contribueront à rendre encore plus inégales les chercheurs et les équipes du point de vue des financements, mieux vaut donner aux riches. Macron pérore sur le travail coopératif de la recherche alors que son modèle est bien la compétition. L’Excellence si souvent donné en exemple est un euphémisme pour l’Inégalité.

Le Macron quantique, on nous la fait pas !

Guillemin Rodary

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :