La Bataille de Sainte-Soline : s’improviser stratège ?

Un regard ancré et à chaud

paru dans lundimatin#377, le 4 avril 2023

Des participantes et participants au rassemblement de Sainte-Soline nous ont transmis ce retour critique et précieux. Il invite à ouvrir une réflexion collective quant à l’échec tactique de la prise de la bassine et à s’interroger sur les articulations nécessaires lorsque l’État choisi de défendre militairement et dans le sang les intérêts écocidaires.

Renouvellement de l’offre militante

En à peine deux années, les Soulèvements de la Terre sont devenus une offre militante incontournable. Cette offre s’est construite à partir de rencontres entre des personnes issues de divers milieux militants. Son essor a pris grâce à la mise en commun d’expériences et de savoir-faire accumulés. L’ambition initiale qui était de faire composer des mondes jusqu’alors cloisonnés en un même mouvement de masse est désormais en bonne voie pour se réaliser. Elle nourrit les espoirs de celles et ceux qui ont vu les dynamiques autonomes puis écologistes être neutralisées aussi vite qu’elles avaient émergées dans le cycle de la guerre sociale et climatique actualisé ces dernières années. C’est qu’à mesure que les conditions de possibilité de l’accumulation du capital se contractent face aux limites écologiques, la violence autoritaire des capitalistes n’en finit plus de s’exprimer toujours plus brutalement à travers l’appareil d’État assurant leur action dévastatrice. Les moyens de la lutte en sont progressivement affectés dans le sens d’une généralisation de la défense active et passive afin de s’en protéger. Les Soulèvements de la Terre se sont constitués dans ces circonstances favorisant l’auto-organisation et l’acceptation populaire de pratiques offensives.

De l’adaptation de la doctrine militaire

Les problèmes de maintien de l’ordre posés par la contestation de l’ordre social capitaliste conditionnent l’adaptation de la doctrine répressive qu’exerce l’appareil d’État. À chaque lutte et mobilisation, cette doctrine est modifiée et renforcée en tenant compte de l’évolution des pratiques contestataires. Elle est expérimentée de longue date, au moins depuis la répression instaurée dans les quartiers populaires puis élargie aux mouvements sociaux, et en passant par les opérations militaires dans les territoires d’Outre-mer, ou encore celles visant à l’expulsion des ZAD. Ainsi d’années en années, l’emprise policière et la militarisation du maintien de l’ordre sont intensifiées en même temps que la figure des ennemis intérieurs est étendue à des fractions plus diversifiées de la société. Faire composer certaines de ces fractions autour d’une même dynamique stratégique, c’est là l’ambition que tendent à concrétiser les Soulèvements de la Terre.

Une première bataille victorieuse

La bataille de Sainte-Soline est significative du rapport de force qui se joue présentement entre les capitalistes et leurs ennemis de l’intérieur défendant ici la cause de l’eau. En l’espace de quelques actes, l’accroissement rapide des forces rejoignant cette bataille (de 700 à 3000 personnes, puis aux alentours de 6000, et désormais entre 25 000 et 30 000) démontre qu’une telle offre militante répond à des aspirations multiples à la radicalité et même à l’action révolutionnaire. Elle y répond par une capacité non seulement à mobiliser ensemble des personnes ou des groupes hétéroclites, mais aussi à produire une culture de lutte partagée à travers une socialisation commune à des modes d’organisation et d’action d’ordinaire opposés les uns aux autres. Cette capacité est porteuse de victoires dont la dernière en date eu lieu lors de la première bataille de Sainte-Soline où le dispositif de maintien de l’ordre était mis en échec par une tactique démontrant la pertinence stratégique des Soulèvements. Mais cette victoire s’accompagnait déjà de dizaines de personnes blessées et de son lot d’interrogations sur les dangers liés à la répression que faisaient encourir la tactique employée.

L’erreur tactique de la seconde bataille

Pour la seconde bataille de Sainte-Soline, les conditions de possibilité de la victoire avaient changé en étant beaucoup plus défavorables. Elles demandaient de fait un niveau plus important d’engagement et de risques à l’ensemble des personnes et groupes mobilisés. À commencer par les bénévoles qui devaient faire face à des contrôles d’identités incessant pendant les deux jours de préparation dans la ville de Melle précédant l’acte. Ensuite, l’ensemble des personnes et groupes mobilisés devaient ruser pour passer entre les mailles d’un important dispositif de barrage routier afin de se rendre dans le campement servant de zone de ralliement. À cela s’ajoutaient la précarité des installations du campement et des conditions météorologiques désastreuses.

Comme la fois passée, la tactique côté Soulèvements consistait à former trois cortèges : un premier cortège permettant un mode d’engagement défensif actif comme passif et deux autres cortèges donnant libre cours à un mode d’engagement offensif. Cependant, la tactique militaire d’en face n’était plus la même que celle opérée lors de la précédente bataille qui avait conduis à mettre « la préfète en pls ». C’est que les militaires, apprenant de leurs erreurs, choisissaient de tout miser sur une tactique défensive. Cette tactique visait à laisser les cortèges atteindre la zone environnant la bassine, entourée de camions et d’unités de gendarmes mobiles, puis de déployer tout un arsenal de guerre pour tenir cette position coûte que coûte. Une fois sur le champ de bataille, la tentative d’encerclement de la bassine était difficilement suivie par les dizaines de milliers de personnes composant la masse des trois cortèges réunis, ce malgré les tentatives de coordination à l’œuvre. Au premier rang, les groupes les plus offensifs éprouvaient les violents effets des armes répressives. Face au déferlement de violence de la part des gendarmes, les personnes blessées s’additionnaient de minutes en minutes jusqu’à ce qu’ai été causées des blessures mortelles. Une manœuvre des unités de la BRAV-M en quad prenant à revers la masse créait la panique et mettait un terme aux affrontements. Les forces se regroupaient et faisaient une pause goûter avant d’être gagnées par un nouvel élan de détermination. Cet élan allait être de bien courte durée. Par-delà les groupes qui revenaient les affronter, les militaires n’hésitaient pas à tirer des grenades GM2L avec un camion blindé dans la masse comptant de nombreuses personnes sans équipements de protection. La peur d’être à son tour blesser gagnait les esprits, alors que les personnes blessées étaient déjà en nombre très important. Leur violence allant jusqu’à faire retarder les secours pour mettre à mal la détermination des troupes adversaires. Dans ces conditions, impossible d’entrer dans la forteresse de la bassine, la tactique militaire l’emportait.

L’exploit de la base arrière, les faiblesses de la base avant

La mobilisation d’autant de personnes et groupes, estimés entre 25000 et 30000, a dépassé les attentes qui pouvaient être entendues ici et là. Cette mobilisation a été rendue possible par un travail militant titanesque réalisé en quelques mois à partir des leçons qui ont été tirés des actes précédent. Une base arrière diversifiée s’est montée pour répondre aux nombreux besoins inhérents à une telle mobilisation à travers la création ou le renforcement de différents pôles : l’intercantine, le juridique, les médics, la gestion des violences sexuelles et sexistes (riots fight sexism), le soutien psychologique-emotionnel, le devalidisme et la garderie. Elle dénote d’une importante amélioration qualitative des moyens qui sont élaborés pour faire croître quantitativement la mobilisation. Néanmoins, l’importance accordée à la base arrière semble avoir conduis à une sous-estimation des moyens et des revirements tactiques à prévoir au moment de la bataille. Le très faible nombre de personnes au rôle de coordination des cortèges a suffit pour l’orientation le temps de la marche jusqu’à atteindre la bassine, mais il s’est montré extrêmement insuffisant une fois l’assaut lancé. Alors une majorité de personnes composant la masse ont difficilement trouvé comment se rendre utile sans alourdir le nombre des personnes blessées durant les affrontements. Les groupes affrontant les gendarmes ont grandement pâti de cette difficulté à être relié avec le reste des personnes mobilisées. Les répercussions sur la base arrière ont été considérables et le seront plus encore après.

Dans les discussions à chaud, l’une des questions qui revient est : pourquoi être aller aussi directement à l’affrontement sans prendre le temps d’interroger la tactique des gendarmes ? La prise en compte de cette question est cruciale pour la suite, car elle met en jeu la stratégie de composition des Soulèvements qui a fais ses preuves jusqu’ici. Y répondre invite à un élargissement de la réflexion collective autour des problèmes posés par la tactique et les moyens qui y sont associés. Par exemple, chaque personne ou groupe pourrait s’approprier un rôle qui correspondrait à son niveau d’engagement en étant formé et équipé au même niveau que les autres. Cela supposerait de penser des temps et des espaces dédiés à cet effet plus en amont des actes ou même à d’autres moments saisonniers. Il s’agirait aussi de se donner des moyens de coordination de plus grande ampleur pour renforcer les liens entre les différentes composantes mobilisées. Le travail énorme effectué en base arrière a montré qu’une telle réflexion collective est déjà bien amorcée. Elle apparaît d’autant plus nécessaire au regard de la propagande médiatique et politique qui fait déjà rage visant à réactiver la figure des ennemis intérieurs afin de justifier les violences policières abjectes perpétrées au cours de cette seconde bataille.

Pour le moment, notre soutien va aux personnes blessées et aux autres qui vont continuer à subir la répression dans les semaines et les mois à venir.

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