Car l’Amour révolutionnaire n’a rien à voir avec le règne des passions sèches, deux êtres qui se haïssent en bonne intelligence...
Il n’y aura plus de mascarade. Et bien que je sache très bien que cette mascarade n’est pas toujours dénuée de vertiges et de sincérité... Mais il n’y aura plus de mascarade. J’ai trop donné. J’arbore désormais un art des dilutions. C’est notre histoire. Et c’est notre poème.
Il ne s’agira pas de grossir les rangs de la pestilente postmodernité : notre dilution n’implique aucunement l’abolition des hommes et de leur histoire. Mais cette histoire sera déterritorialisée, profane, décoloniale. Et nous jetterons au loin nos derniers résidus de désir infecté. Et nous serons fidèles à la mémoire des vaincus. Et nous serons fidèles à la lame de ceux qui se sont tus. Et de Louise Michel à Carola Rackete, notre dilution sera terreau de nouvelles incarnations.
Clairvoyance du poète capable de renoncer à sa musique et à sa prière, de chanter le printemps des peuples, et de permettre ainsi l’irruption de nos histoires collectives sur la scène vendangée de leur Histoire défunte.
Car nous sommes tous sœurs et frères de floraison. Et à ce titre : entièrement vierge de rancœur. (Ne confondez guère, je vous en prie, la colère expiatrice et la rancœur : il n’y a d’amour que dans la première.)
Bravo à toi peuple algérien ! Il n’y a rien de plus triste qu’un printemps sans révolte ; il est dans la nature même du printemps de voir naître la révolte. Et la révolte, en son point le plus culminant, conjugue l’art de voir et celui d’agir. Elle est donc contemporaine du printemps, elle est donc contemporaine du poème.
Oh toi vieil Occident, ayant savamment orchestré notre installation dans l’antichambre du printemps (il faut entendre « antichambre » en son sens le plus littéral : l’aménagement d’un à-côté, la relégation de toutes les douceurs et de tous les berceaux et des amours balbutiants), oh toi vieil Occident, je te perce le flanc et le flanc de tes conquêtes ! C’est toi qui nous as condamnés à regarder les étoiles, à épuiser notre sève dans cette contemplation, à épuiser notre divinité à grands coups d’objectivations métaphysiques ; c’est ton art du discours abstrait qui a asséché nos cœurs. Apprends-le, vieil Occident, que la passion suppose son objet, et qu’une passion sans objet, est comme une plante privée d’eau et de rayons.
Envoie valser le sanglot de l’homme blanc ! Le drame a l’outrecuidance de contester à la tragédie son caractère d’évidence. Le drame est le théâtre d’engagements mort-nés. C’est une nuance de style, un frisson frelaté. Et que dire des secousses de l’amour conjugal ? Si j’avais osé la perpétuation de nos secousses... Mais dans le fond, comme les étoiles... Toujours cette histoire de poème à finir.
Je ne me coucherai plus devant notre amour. Un cœur perfide sous un beau masque de lune. Spectre terrible de notre lâcheté insupportable. Ayons enfin l’orgueil de nous passer des étoiles, et de sa propension à repeindre le monde entier à la couleur un peu terne et violacée d’une fin d’été.
Et nous crèverons ainsi les baudruches et les vieux refrains de nos amours suffocants.
Car dans la clarté du jour, les couleurs ne trichent pas. Et les rayons sont nus. Les étoiles se désagrègent sous l’impulsion d’un torrent de vie pure.
Et nous enfanterons des trésors sans aucune larme amère, et des champs de violettes et des soleils de dune.
Car ici, il reste des hommes, il reste des femmes, et des drapeaux troués et des soleils vengeurs, et des éclats de poudre et des sentiers rageurs.