Hommage à David

paru dans lundimatin#275, le 15 février 2021

Jeudi 28 janvier, au petit matin, David est décédé en passant au travers du toit d’une usine désaffectée de Saint-Étienne, bâtiment vide qui aurait pu devenir un nouveau squat, une nouvelle réquisition, une éclosion d’utopies.

David faisait partie des militant.e.s ayant réquisitionné le bâtiment de la Maison des Peuples - Le Bourgeon, en juin 2019, un bâtiment vide du centre-ville de Saint-Étienne. David faisait partie des militant.e.s déterminé.e.s à ne pas laisser l’injustice et l’absurdité prendre racine. David était engagé et révolté.

Mercredi 3 février avait lieu, après la cérémonie de crémation officielle et intime, une deuxième cérémonie dans une amicale laïque de Saint-Étienne pour permettre à tou.tes ceux et celles qui avaient connu David de rassembler souvenirs, mots personnels et affections. La police nationale est arrivée dans l’après-midi, armes aux bras.
Pendant le contrôle d’identité de chacun.e, l’un de nous a été menotté, embarqué, et a passé la nuit en GAV. Il sera convoqué devant la « justice » pour rébellion.

À vous, qui ne vous êtes pas manifestés, bons flics, lors de nos appels et demandes explicites à se montrer.

À vous, et votre commissaire,
vu trop souvent à l’œuvre ces dernières années,
marionnettiste des situations les plus honteuses.

À vous,
qui entrez dans nos tristesses avec vos bottes crades, vos violences au poing et à l’œil, votre masse impotente.

Vous avez fait naître une lueur intarissable, imperméable sous mes paupières, vous avez ébréché la poche à rage que vous avez en partie nourri.

Une sœur nous avait annoncé avoir rencontré l’une d’entre vous, au cœur connecté, aux oreilles respectueuses et grandes ouvertes. Vous avez plusieurs visages. Pourvu que le visage de cette une parmi vous se propage et vous avale aussi vite que se propage la peste.

Vos ignominies sont trop souvent pointées du cri
et pourtant,
pourtant j’espérais,
et cet espoir aussi était une petite flamme sous mes paupières.
Mais vous avez vous-même jeté de l’eau dessus,
et la flamme s’est tari.

Vos cœurs je les ai vus,
je vous ai aussi vus être persuadés de les sentir
et c’est probablement pour cette raison
que vous avez ri de nous.

J’ai d’abord cru que mon regard dans le votre allait droit au cœur,
et puis, portant mon attention d’un peu plus près,
j’ai compris.
Votre malheur est ce manque de connections,
du cœur
à tout le reste.
Vous l’ignorez, yeux et dents rivées, oreilles fermées sur vos armures et vos canons,
n’écoutant que les aboiements, ne vous nourrissant que de...
de quoi, d’ailleurs ?

Votre cœur bien présent est bien seul
dans un grand corps,
il dépérit.
La lueur derrière vos paupières est ce feu qui prend l’eau.

Et puisque votre cœur ne peut se connecter,
vous êtes dépourvus d’un pouvoir magique.
Celui de connecter les cœurs aux cœurs
autour d’un grand feu de joie. Et devinez
qui dispose de ce pouvoir...

Un petit effort... Vous l’observez devant vous...
Connectez les gars... Un petit effort...

Vous passez donc à côté de tout.
Du tremblement fécond de nos ruches qui brillent de mille feux, de mille yeux dressés sur vous.
La fourmi est petite et n’a pas d’arme à embrase, mais la fourmilière est grande, et s’attarde à frotter les braises.
De tout. Du tremblement fécond de l’utopie, qui s’étire dans nos yeux et devant eux, jusque dans nos membres ; si tant est que vous ne nous les ayez pas volés

vous,
incapables de supporter le poids de la joie qui anime nos corps
empotés, de vos armes trop lourdes pour vos cœurs,
nos morts eux-mêmes régénèrent la vie, davantage
à coups de pieds qui valent le coup.

Nous,
qui sommes nombreuses et nombreux dans le même corps
attendez, que nos lueurs s’enlacent et s’entre-nourrissent.
Vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer.

Nous avons l’affection
et le repos. Le votre est au bout d’un bâton
qu’un autre agite.

Vous, remuants de la queue.

Vous ne nous
ferez pas taire,
c’est ce que vous ignorez, de vos rires.
Vous n’aurez pas nos lueurs sans en subir l’étincelle sauvage. Vos entraves seront nos pavés.

Vous n’avez pas les crocs des animaux majestueux et dangereux
vous êtes guimauves aux dents de sucre.
Nous n’avez pas les corps montagne inatteignable
vous êtes des riens du tout de petits êtres :
nous vous soufflons dessus,
et vos poussières ne sont ni accueillies ni recueillies ni cueillies
elles n’atterrissent nulle part
elles s’évaporent, sans cérémonie.

Prudence, puisque nous inondons vos pas,
pailletons vos vestons presque... impénétrables.
N’oubliez pas de regarder derrière vous,
nous sommes à vos semelles,
nous sommes vos ombres et vos reflets.
Nous sommes dans le grincement
des rires de vos collègues,
des portières qui se ferment.
La paillette vous dévorera tout cru.

Le voilà, l’effet que vous me faites,
il sera toujours plus puissante alarme,
plus arme à larmes que votre gaz lacrymogène.

Nous avons incinéré vos rires,
sans cérémonie.
Ci-gisent vos cendres inondées.
Regardez-les bien en face,
et si vous le pouvez, connectez-vous, bande d’écœurés écœurants.

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