Hommage à Maurice Rajsfus

Samedi 4 juillet à La Parole Errante

paru dans lundimatin#249, le 29 juin 2020

À l’initiative de sa famille, de ses amis et camarades, un hommage à Maurice Rajsfus aura lieu samedi 4 juillet à La Parole Errante à Montreuil. Vous pouvez découvrir le programme ci-dessus. À cette occasion, nous reproduisons ci-dessous le dernier édito de Que fait la police ? le journal qu’il tint de 1994 à 2004 et dont le titre résonne tout particulièrement avec sa disparition et le climat policier actuel : Aurons-nous des successeurs ?

Aurons-nous des successeurs ?

Il fallait bien terminer (peut-être provisoirement), cette aventure de Que fait la police ? Après la création de l’Observatoire des libertés publiques, le 6 avril 1994, un an jour pour jour après le véritable assassinat du jeune Makomé M’Bovolé (17 ans) au commissariat des Grandes Carrières, dans le 18e arrondissement de Paris, bien connu pour sa tendresse immodérée envers la population issue de l’immigration colorée, nous étions bien seuls avec mon camarade Jean-Michel Mension pour montrer la police de la République pour ce qu’elle est réellement, et non pas une troupe de gardiens de la paix destinée à apaiser les conflits au sein de la population.

Les difficultés envisageables ne devaient pas nous empêcher de publier 122 numéros imprimés du bulletin Que fait la police ?, puis après le décès de Jean-Michel, en juin 2006, la poursuite de cette action de salubrité publique avec 88 numéros parus sur Internet. Une certitude : ce bulletin intéressait vivement nos premiers lecteurs qui, avec 300 abonnés payants entretenaient des liens très forts avec l’Observatoire des libertés publiques, rassemblant des milliers de signataires dans nos pétitions contre la violence policière ou pour la dissolution des BAC. Par la suite, lors du passage, gratuit, sur Internet, notre audience – j’étais seul désormais – devait se décupler, jusqu’à atteindre près de 1 000 visites par jour sur notre site, mais il n’était plus possible de connaître ceux qui s’intéressaient à notre activité. Toujours est-il que les méthodes et les mauvaises manières policières n’ont guère évolué durant les vingt années qui viennent de s’écouler, depuis qu’en 1994, un ministre de l’Intérieur comme Charles Pasqua – dans la droite ligne d’un Raymond Marcellin – s’appliquait à créer le désordre au nom d’un ordre nullement menacé. Cela ne pouvait qu’étonner mais il faut bien constater que, vingt ans plus tard, le socialiste proclamé Manuel Valls, ne se conduit pas tellement différemment de ce mafieux gaulliste, et la provocation est restée l’arme habituelle d’une police qui n’est trop souvent républicaine que de nom. Ce qui s’est passé à Nantes, le 22 février 2014 ne fait que le démontrer. C’est donc sur ce dernier exploit de notre police que va se clore le bulletin Que fait la police ? qui, au cours des deux décennies écoulées, a relaté quelque 6 000 « faits divers » policiers. Nous ne nous sommes jamais aventurés dans l’éternel débat sur l’utilité de la police mais toujours est-il que lorsque les forces de l’ordre sont absentes, les situations ne dégénèrent jamais aussi violemment que lors de leur présence active. Par ailleurs, si les « racailles » ne sont pas plus nombreuses qu’il y a un siècle, il faut bien constater que les victimes de l’ordre se trouvent face à des fonctionnaires d’autorité assermentés, armés comme s’ils partaient en guerre. Ce qui paraît bien naturel car, comme de toute éternité, il faut bien mater la « canaille ». C’est pourquoi nos sociétés modernes se sont donné les moyens nécessaires pour y parvenir au prix de nombreuses vies humaines. Sans que soit évoquée, bien évidemment, l’abolition de la peine de mort, en octobre 1981.

Rien n’a changé, ou presque, durant les années écoulées. Ceux qui, depuis la place Beauvau, dirigent une armée policière plus répressive que préventive, tendent à se ressembler. La pseudo-défense des institutions leur procure cette nuque raide qui sied aux grands républicains pour qui l’existence d’une police d’ordre présente plus d’intérêt que la défense des libertés fondamentales. C’était le leitmotiv de Jean-Pierre Chevènement, lorsque cet homme, soi-disant de gauche, était ministre de l’Intérieur. Si notre actuel Premier flic de France ne cesse de proclamer qu’il est inflexible dans le combat contre le racisme et l’antisémitisme (pourquoi séparer ces deux aspects de la sinistre stupidité populacière ?), il a malgré tout tenu le cap du rejet des Roms, initié par Nicolas Sarkozy, lors de son calamiteux discours de Grenoble, le 30 juillet 2010, annonçant l’ouverture de la chasse, avec l’honnête Brice Hortefeux en porte-flingue.

Inutile de trop s’attarder sur la politique de l’ordre (musclé) régnant au pays des Droits de l’homme – on nous croirait de parti pris. Si les hommes (et les femmes) qui nous gouvernent ont peut-être, parfois, des états d’âme, il en va très différemment de ceux (et celles) qui manient la matraque et prétendent assurer aussi bien l’ordre moral que l’ordre public. Tant que les contrôles d’identité au faciès resteront la pratique habituelle de nombre de nos anges gardiens, il sera possible d’affirmer que les mœurs policières n’ont pas changé depuis la période de l’occupation nazie, lorsque les policiers harcelaient ceux dont le profil ne leur paraissait pas très catholique. Tout comme ceux qui, de nos jours, n’hésitent jamais à détruire les campements précaires des familles roms, veulent oublier que leurs anciens défonçaient les portes des logements de ceux qu’ils étaient chargés de rafler, de l’été 1941 à l’été 1944, lorsque leurs victimes désignées tardaient à répondre à l’injonction : « Ouvrez, police ! »

Restons-en là de ces comparaisons qui pourraient paraître outrageantes, en espérant qu’un jour lointain, la police pourrait devenir un véritable service public, en lieu et place d’une force répressive dont il est quasiment interdit de critiquer les pratiques.

Il paraît qu’il ne peut être question de comparer la gestion policière de nos prétendus socialistes à la main de fer de la droite, lorsque celle-ci est au pouvoir. En fait, les uns et les autres font en sorte qu’il est difficile de les différencier, en matière répressive. C’est là un constat désespérant mais la nature humaine est ainsi faite que les possibles victimes de l’ordre ne cessent d’apprécier ceux qui affirment hautement qu’ils sont les régulateurs de la société.

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Du Larzac à Nantes…

Qui aurait pu imaginer que les socialistes, de retour au pouvoir, auraient eux aussi cette profonde épine dans le pied que représentait le Larzac, au temps où Michel Poniatowski régnait sans partage sur les services de la place Beauvau. Il était alors nécessaire de chasser de ce plateau, où venaient s’alimenter les brebis, les incorrigibles écologistes qui s’opposaient à l’installation d’un camp militaire. Il y avait eu un mort et de nombreux blessés, mais contrairement à la morale dite républicaine, force n’était pas restée à la loi. Devant la détermination des militants venus de la France entière, et même de l’étranger, nos CRS et gendarmes mobiles n’avaient pas eu d’autre alternative que de se retirer de ces terres ingrates où il n’est possible que de brouter…

Près de quarante ans plus tard, c’est un scénario presque identique qui nous est proposé, à Notre-Dame-des-Landes. À la volonté forcenée de construire un aéroport sur les terres humides de Loire-Atlantique, répond, depuis une trentaine d’années, le refus des agriculteurs, soutenus par les écologistes. Le projet pharaonique, conçu pour accueillir le Concorde n’est pas de saison, mais l’ancien maire de Nantes, devenu Premier ministre, s’accroche à ce possible chantier, pour la plus grande satisfaction du groupe privé de travaux publics Vinci. Tout comme pour le Larzac, de nombreuses forces de l’ordre sont régulièrement sur le terrain pour remettre à la raison ces rêveurs, présentés comme de dangereux opposants au progrès. Il n’y a pas encore eu de morts mais cela pourrait bien arriver si les policiers de Manuel Valls continuent à être mis sur le terrain.

Ce qui s’est passé, le samedi 22 février, dans les rues de Nantes, à l’occasion d’une grande manifestation, qui se voulait pacifique, ne fait que démontrer l’acharnement du pouvoir, socialiste cette fois, à réaliser cet aéroport dont bien des experts estiment qu’il est coûteux et inutile. Qu’importe, une fois de plus, force doit rester à la loi et les manifestants n’ont pu que constater la difficulté de s’opposer aux certitudes d’un pouvoir démocratique n’ayant nullement l’intention de discuter ses décisions irrévocables. D’où la nuque raide du ministre de l’Intérieur et l’attitude rugueuse des forces de l’ordre.

Comme nos CRS et gendarmes mobiles sont toujours disponibles pour réprimer, cela fait donc bien des années qu’ils répondent à l’appel du préfet de Loire-Atlantique et du ministre de l’Intérieur de l’époque en utilisant les grands moyens contre les militants écologistes et les petits paysans de la région qui défendent farouchement leurs terres. À ce stade, tout comme lors de l’affaire du Larzac, il ne peut être question d’erreur de jugement mais bien de la volonté d’en découdre avec des manifestants qui ont le grand tort de faire face à la volonté du pouvoir […].

Ce qui est certain, et il est important d’y revenir, c’est que lors des affrontements des manifestants anti-mariage pour tous, avec les forces de l’ordre, les 26 janvier et 2 février 2014, les réactions policières avaient été nettement moins vigoureuses. Pourtant, la violence déchaînée par des éléments ouvertement fascistes, comme ceux du mouvement catholique intégriste, Civitas, les groupes nostalgiques de l’Action française, les gros bras du Comité anti-islam, et les néonazis de l’Œuvre française, n’ont pas connu la réaction brutale, répétons-le, mise en œuvre à Nantes, le 22 février 2014.

La police serait-elle moins sensible aux gesticulations des nervis de l’extrême droite, censés agir au nom de la morale que face à un mouvement populaire ? Cette interrogation est récurrente et la réponse est évidente. Les manifestations relevant de problèmes sociaux propulsent dans nos villes des hordes « d’individus » incontrôlables, alors que les démonstrations relevant de la défense de l’ordre seraient bien plus conformes aux préoccupations de nos supposés gardiens de la paix.

Ce n’est peut-être qu’un au revoir

Que fait la police ? prend momentanément congé de ses lecteurs, avec ce constat : sous la gauche, comme sous la droite, le comportement policier ne s’est guère amélioré. Il n’en reste pas moins qu’avec le retour probable de la droite au pouvoir nos policiers se sentiront bientôt de plus en plus légitimes pour représenter la colonne vertébrale d’un État fort. Au service de ceux qui ne songent qu’à remettre au pas ceux qui ont eu l’audace de les marginaliser.

Avril 2014.

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