Hold-up : un récit alternatif ?

Par Ivan Segré

Ivan Segré - paru dans lundimatin#264, le 28 novembre 2020

Ivan Segré, philosophe et talmudiste conspiratif, a visionné Hold-Up, le documentaire a succès qu’il n’est plus besoin de présenter. Il en synthétise ici les thèses principales et la philosophie générale.

« Le peuple méprise la mort parce qu’il cherche avec trop d’ardeur les moyens de vivre. »

Lao-Tseu, Tao Te King

« […] qu’un seul grain de blé soit placé sur la première case d’un échiquier, puis doublé chaque jour à compter de ce jour jusqu’à ce que la dernière case soit remplie. »

David Berlinski, La vie rêvée des maths

Le documentaire Hold-up. Retour sur un chaos est apparemment un phénomène de société : mis en ligne le 11 novembre, il aurait été visionné plus de deux millions et demi de fois dès le 16 novembre (d’après Ouest-France [1]). En règle générale, une pareille audience est l’apanage d’une superproduction hollywoodienne ou d’une comédie franchouillarde rondement menée, mais pas d’un documentaire de plus de deux heures et demie portant sur un sujet sérieux et alignant les interviews. C’est donc qu’il touche une corde sensible. Est-ce en raison de l’irrationalisme collectif qui accompagne parfois les pandémies ? Ou en raison du sentiment de plus en plus diffus que les classes privilégiées entament une offensive de grande envergure contre les classes populaires, ceci avec le soutien servile, sinon enthousiaste, des puissances publiques ? Quoi qu’il en soit, ce succès inquiète les autorités, qui œuvrent à empêcher la diffusion de Hold-up. Aussi rappelons d’emblée un principe simple : qu’il s’agisse des dessins humoristiques de Charlie Hebdo ou des sketchs de Dieudonné, la liberté d’expression n’est pas négociable.

Produit grâce à un financement participatif, Hold-up s’efforce de mettre au grand jour les incohérences du discours « officiel » au sujet de l’épidémie de Covid 19 et, d’un même pas, de promouvoir un récit et une analyse alternatifs. Ses principales thèses sont les suivantes :

1. L’origine de la pandémie n’est pas une chauve-souris malade qui aurait contaminé un être humain quelque part en Chine, mais un virus transformé au préalable en laboratoire afin de le rendre transmissible à l’homme.

2. Les mesures gouvernementales visant à endiguer l’épidémie – confinement, port obligatoire du masque, etc. – sont bien plus nocives que le virus lui-même.

3. L’efficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine serait démontrée par le docteur Raoult, mais les intérêts du lobby pharmaceutique (« Big Pharma ») aurait primé sur des considérations de santé publique, si bien que les autorités ont fait obstacle à l’usage de ce médicament, l’enjeu étant d’offrir aux laboratoires privés la possibilité de commercialiser bientôt un vaccin, avec à la clé un marché de milliards d’êtres humains, éventuellement contraints de se faire vacciner.

4. Les acteurs de la santé qui ont tenté de remettre en cause le discours « officiel » ont été victimes de pressions diverses, de censures, voire de vexations, de manière à tuer dans l’œuf toute alternative et toute contestation.

5. Des quatre thèses précédentes suit une cinquième thèse, à savoir que l’enjeu véritable de l’épidémie de Covid 19 et des politiques qu’elle a occasionnées n’est pas une question de santé publique mais l’enrichissement d’une poignée d’hommes d’affaires et, au-delà, l’expérience grandeur nature d’une incarcération massive (confinement), d’une déshumanisation des rapports sociaux (port du masque, isolement des personnes âgées) et d’un conditionnement à l’obéissance absolue.

5 bis. Cette poignée d’hommes d’affaires à la manoeuvre est identifiable : elle est l’architecte d’un projet appelé « Great Reset », qui vise à créer les conditions d’une dictature mondiale fondée sur la division entre les « dieux » et les « inutiles ». Et leur idéologie n’est pas tant le capitalisme que le transhumanisme.

6. La sixième et dernière thèse est que l’alternative à cette infernale machination « libérale » et « transhumaniste » est un retour aux valeurs fondamentales, principalement l’amour et la nature.

Ainsi résumé, le propos de ce documentaire ne pouvait que séduire nombre de ceux qui savent que les intérêts des laboratoires pharmaceutiques divergent de ceux des gens, que les conséquences du confinement, en termes économiques et sociaux, ne seront pas égales pour tous, et qu’un pouvoir qui étend son dispositif policier n’augure rien de bon. Et le crédit qu’ils sont d’emblée portés à accorder à Hold-up est renforcé par le discours médiatique qui en dénonce le caractère « complotiste ». Les médias sont en effet unanimes. Et à ce sujet, la palme revient à l’historienne Marie Peltier, « spécialiste du complotisme » interrogée par France-Info :

« France-Info : Ce film a été financé grâce au financement participatif. Ça veut donc dire que les gens payent pour voir ce qu’ils veulent voir, c’est cela ? Marie Peltier : Encore une fois, ça repose sur l’idée que le ’système’ serait corrompu et que donc, pour avoir des contenus qui nous arrangent ou qui vont plus dans le sens de notre vision du monde, on est prêts à payer. On est prêts à participer. En fait, les médias conspirationnistes et alternatifs ont beaucoup procédé ces dernières années avec des appels aux dons. Et ça marche, parce que les gens sont en demande d’un récit alternatif. Et donc, forcément, pour aller chercher la vérité - il faut rappeler que le conspirationniste est obsédé par la recherche de la vérité - et bien il va devoir aller chercher l’information vers d’autres sources, et c’est en cela que d’autres personnes peuvent se présenter comme des sources alternatives [2] ».

L’historienne, après avoir d’abord expliqué que Hold-up est un documentaire complotiste et que « le conspirationnisme est foncièrement hostile à l’émancipation et est antisémite, notamment », observe donc que « les médias conspirationnistes et alternatifs ont beaucoup procédé ces dernières années avec des appels aux dons ». Le « conspirationnisme » (en effet volontiers antisémite) et le média alternatif sont ainsi, au fil de l’interview, lentement, mais sûrement, rangés dans la même case. Conclusion : l’auditeur de France-info est sommé de s’en remettre aux médias dominants (France-Info, BFM-TV, etc.), à moins de sombrer dans le « conspirationnisme ». Quant à « la recherche de la vérité », ce n’est plus le titre d’un livre de Malebranche, c’est dorénavant, à en croire l’historienne, une obsession conspirationniste. On ne saurait mieux exprimer les préoccupations des médias dominants en termes d’information : « ne conspirons pas », c’est-à-dire : ne recherchons pas trop la vérité. On ne s’en laissera cependant pas compter : Hold-up contre BFM-TV, c’est le règne des fausses contradictions. Ceci posé, laissons France-Info et BFM-TV de côté et restons-en à l’ordre du jour : le documentaire Hold-up. Retour sur un chaos.

*

J’ai ci-dessus ramené le documentaire à six thèses. L’ossature de son propos, présenté sous cette forme, paraît cohérente. Voyons maintenant les choses d’un peu plus près.

Thèse n°1. L’origine artificielle du virus. À première vue, la thèse « officielle », celle des principaux médias, paraît être la plus vraisemblable : l’origine du virus est naturelle. Certes, Trump a qualifié la chose de « virus chinois ». Mais il semble que ce soit une chauve-souris chinoise qui ait contaminé l’humanité, plutôt que les Chinois n’ont contaminé le monde. La thèse du documentaire est pourtant que l’origine artificielle du virus est sinon totalement avérée, du moins fortement probable, et il présente un faisceau d’indices convergents, assurant par exemple que la nature pandémique du Covid 19 est inexplicable si l’on part de l’hypothèse que le virus provient d’un animal et qu’il a été accidentellement transmis à l’homme : seul un virus modifié par des laboratoires compétents, de sorte qu’il soit transmissible à l’homme, pourrait expliquer une telle pandémie. Mais ce n’est pas la Chine qui est dans le viseur de Hold-up. Nous savons en effet que c’est non seulement en Chine mais également en Europe et aux États-Unis que des laboratoires de recherche mènent des expériences biologiques sur des virus. Et la voix off qui oriente le spectateur tout au long de cette enquête s’interroge : « Pourquoi manipulent-ils la nature ? ». L’idée que ce soit pour mieux connaître les maladies virales et les soigner n’est pas même envisagée. Une autre réponse se dessine peu à peu : c’est une machination de « Big Pharma ». Comme la plupart des millions de gens qui ont visionné le documentaire, je ne suis pas immédiatement en mesure de vérifier cette thèse comme il le conviendrait. Je dois donc me fier à ce que m’en dit Hold-up, ou m’en défier : quelle est l’origine du Covid 19 et qu’est-ce qui explique sa virulence pandémique ? En attendant d’être mieux informé, je peux toutefois discerner, parmi les informations que véhiculent le documentaire, celles qui me paraissent les plus vraisemblables. Or il se trouve qu’un intervenant, Mickael Levitt, prix Nobel de Chimie en 2013, explique, lors de sa seconde apparition (1h54) : « La question de savoir si le virus vient d’une source naturelle ou non, je ne sais pas, je pense qu’il est très peu probable que ce soit un virus manufacturé, mais je pense que la peur, elle, a été créé ». Levitt ne peut pas certifier que l’origine du virus est naturel. Il manque d’informations. Mais en l’état de ses connaissances, il juge que c’est la thèse la plus vraisemblable : une transmission accidentelle de l’animal à l’homme, autrement dit une origine naturelle. Mais le documentaire a pourtant suivi une autre piste : des indices ont été accumulés visant à prouver l’origine artificielle du virus. Pourquoi, en effet, des scientifiques entreprennent-ils de « manipuler la nature » dans des laboratoires, sinon pour paver la route du transhumanisme ? Je reste sceptique. Levitt, s’il désavoue les confinements imposés par les puissances publiques, ne croit cependant pas à l’origine « manufacturée » du virus. Et les réalisateurs n’ont pas soumis à son appréciation les preuves ou indices du contraire qu’ils ont pour leur part soigneusement réunis. Il est vrai que chimiste de renommée internationale, Levitt sait que les scientifiques manipulent la nature pour la connaître, non pour vouer un culte au diable. Mais les réalisateurs du documentaire n’en ont cure : ils retiennent de ce qu’il a dit que « la peur, elle, a été créée », et ils maintiennent par ailleurs que l’origine du virus est vraisemblablement manufacturée, sinon « pourquoi manipulent-ils la nature ? » L’un des réalisateurs de Hold-up, Pierre Barnérias, est un fervent partisan de la « Manif pour tous » et un amoureux de la nature. Mais de là à conclure qu’il serait prêt à accuser Pasteur de sorcellerie, ce serait exagéré, d’autant qu’on ne peut décemment envisager, ne serait-ce qu’un instant, que les médias « mainstream » dans lesquels ce journaliste a longtemps exercé (France-Info, TF1, etc.) abritent de tels énergumènes.

Thèse n°2. Les mesures gouvernementales visant à endiguer l’épidémie – confinement, port obligatoire du masque, etc. – sont plus nocives que le virus lui-même. C’est une question qui a été abordée dans tous les médias, concernant au moins le confinement. Personne n’ignore en effet que pour la majorité des gens les conséquences économiques du confinement sont désastreuses et qu’on est aujourd’hui incapable de les estimer ; ce à quoi s’ajoutent d’autres conséquences désastreuses, psychologiques, affectives, mentales, etc. Mais sur ce point, le documentaire n’apporte rien de bien nouveau et surtout, du fait qu’il anéantit délibérément la contradiction, à savoir les arguments de ceux qui évoquent les conséquences désastreuses qu’aurait pu engendrer l’absence de confinement, il ne permet pas au spectateur de se faire une idée adéquate du problème posé. Il le conduit plutôt à s’en faire une idée inadéquate. Hold-up prétend que le Covid 19 est une grippe bénigne que le traitement du professeur Raoult peut soigner. Mais en temps normaux, les urgences et les services de réanimation ne connaissent pas les afflux de malades graves qu’ils ont connus durant l’épidémie de Covid 19. Et Hold-up ne prétend pas que les informations diffusées à ce sujet par les médias en France, en Italie, en Espagne, aux États-Unis, au Brésil, etc., sont le fruit d’une vaste campagne de désinformation. Il préfère les passer sous silence. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans la construction de ce documentaire, car si, comme il l’assure, la pandémie de Covid 19 est l’infernale machination d’une poignée d’hommes d’affaires s’employant à prendre la tête d’une « dictature mondiale », alors rien ne les empêchait de diffuser de fausses images de services de réanimations engorgées. Des campagnes de désinformation massive ont déjà eu lieu par le passé. Mais à l’évidence, les réalisateurs de Hold-up savaient que tourner en ridicule les applaudissements des Français honorant les soldats de la médecine durant la première vague de la pandémie, cela ne plairait pas. Ils ont donc esquivé. C’est pourtant le principal problème qui est posé par cette pandémie : faut-il confiner, au risque de ruiner l’existence matérielle, psychologique, affective, de millions de gens dont les conditions de vie économique et sociale « en temps normaux » sont trop précaires pour supporter les conséquences d’un confinement ? Ou ne faut-il pas confiner, au risque que la propagation exponentielle du virus décime les organismes les plus faibles, personnes âgées, malades chroniques, etc., et désorganise possiblement toute l’économie, si de jour en jour des centaines de milliers de gens viennent accroître le nombre des travailleurs alités ? Pour se faire une idée de ce qu’est une croissance exponentielle, recourons à un fait de l’histoire universelle des mathématiques, tel que le rapporte David Berlinski dans La Vie rêvée des maths (chapitre 11) :

L’historien arabe al-Ishaqui raconte que le calife al-Mamun, souhaitant récompenser un fidèle serviteur, invita le vieil homme à faire un vœu. […] Il écarta l’or et l’argent : de simples choses auxquelles il n’attachait aucune valeur. Avec un sourire énigmatique, il demanda enfin qu’un seul grain de blé soit placé sur la première case d’un échiquier, puis doublé chaque jour à compter de ce jour jusqu’à ce que la dernière case soit remplie. […] Forcé de se débrouiller seul, le calife ne peut qu’essayer de deviner, incorrectement, la nature de la croissance. La fonction f(t) = 2^(t-1), elle, décrit précisément le processus. À nouveau forcé de se débrouiller seul, le calife ne peut qu’estimer, incorrectement, le nombre de grains qu’il faudra au soixante-quatrième jour. La fonction, elle, donne précisément le nombre 2^63.

Le nombre des grains de blé devant au terme du processus recouvrir l’échiquier est donc 2^63, soit, si mes calculs sont bons : 9 223 372 036 854 775 808. Le calife est sorti ruiné, et endetté, incapable qu’il est de remettre au mathématicien ce qu’il doit. Cela représente en effet une quantité de blé astronomique. Transposez maintenant les grains de blé en malades du Covid, et vous avez une idée de ce que représente une courbe exponentielle de rapport « un malade contamine deux personnes en moyenne », soit la fonction f(t) = 2^(t-1). « C’est cette fonction qui décrit ce qui se passe sur l’échiquier ployant sous le poids du blé. Tout d’abord, 2^(t-1) vaut 1. Le premier jour, il y a un grain de blé sur l’échiquier. Ensuite, 2^(t-1) vaut 2. Fructifiant en accord avec les ordres du calife, les grains ont doublé, et ainsi de suite jusqu’au moment où l’échiquier se casse ». Car aucun échiquier au monde ne peut supporter le poids de milliards de milliards de grains de blé, soit 2^63. Autrement dit, à mesure que les quantités sont doublées, elles croissent, et à mesure qu’elles croissent, leur doublement devient gigantesque, et le calife perd le contrôle.

Pour ou contre le confinement, le port du masque, etc., ce n’est donc pas une question simple. Or dans ce documentaire qui prétend traiter de la pandémie, la question des conséquences possibles d’une croissance non maîtrisée de la maladie virale n’est jamais abordée, et le mot « exponentiel » pas seulement prononcé. Mickael Levitt, qui m’a paru être quelqu’un de sérieux, explique que dans le bateau de croisière au large de l’Asie, il y avait 3 000 personnes, soit une densité de 250 000 personnes au km2, 40 fois plus que dans la ville la plus dense du monde, Hong Kong, et sur ce bateau 20% des gens ont été infectés, et 7 sont morts. Rapporté à la population de la Grande Bretagne, cela laissait augurer 55 000 décès du Covid, et rapporté aux États-Unis 220 000 décès. Et Levitt d’observer que c’est en effet ce qu’il s’est passé. Il était donc possible d’avoir ces estimations dès le départ, en projetant sur la population mondiale le taux de mortalité sur le bateau de croisière. Et selon Levitt, cela prouve que le confinement était une aberration, puisqu’il n’a pas modifié le nombre de victimes, mais seulement ajouté un second désastre, plus désastreux encore que le premier. Le raisonnement de Levitt comporte toutefois une faille, qui est que dans le bateau de croisière en question, les gens ont été confinés. Combien de morts aurait-on déploré s’ils ne l’avaient pas été ? Je ne sais pas répondre à cette question. Et n’ayant pas l’adresse e.mail de Levitt, je ne suis pas en mesure de la lui poser. Quant à attendre des réalisateurs de Hold-up qu’ils posent ce genre de question aux différents intervenants, c’est comme attendre d’un chimpanzé qu’il vous récite un sonnet de Shakespeare au clair de lune.

Thèse n°3. L’efficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine. C’est un chaînon crucial de l’argumentation de Hold-up, car s’il existe un traitement qui rend inutile les mesures de confinement, voire la découverte puis la commercialisation d’un vaccin, alors, de fait, des centaines de milliers de vie auront été sacrifiées aux intérêts privés de laboratoires pharmaceutiques (« Big Pharma »). Ce n’est pas invraisemblable. L’histoire regorge de faits de cette nature, lorsque les exigences des intérêts privés priment sur la santé publique ou plus largement sur les conditions de vie des masses populaires. Mais qu’en est-il, en l’occurrence, de l’efficacité thérapeutique de ce médicament, l’hydroxychloroquine, utilisé dans le traitement d’autres maladies virales comme la malaria ? Est-elle suffisamment probante pour rendre inutile le confinement, le port du masque et à terme une vaccination généralisée ? Le spectateur n’en sait vraisemblablement pas plus que moi. S’il est normalement constitué, il est donc en désir de savoir, c’est-à-dire de se faire une idée. Or, pour se faire une idée, le mieux est encore d’entendre les arguments contradictoires de gens réfléchis qui ont pris connaissance des faits et de leurs interprétations, autrement dit qui ont enquêté, « à la recherche de la vérité ». Hold-up procède autrement : c’est un documentaire qui soutient une thèse et ne retient que ce qui vient à l’appui de sa thèse, que ce soit un argument sérieux ou farfelu, noble ou répugnant. (J’y reviendrai). Et l’un des éléments cruciaux de sa thèse, c’est que le protocole du docteur Raoult rend non seulement inutile mais criminelle la politique des pouvoirs publics. Comme je vous l’ai dit, je ne sais pas évaluer l’efficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine. Je suis donc contraint de faire confiance aux réalisateurs de Hold-up, dont les procédés, précisément, ne m’inspirent aucune confiance. Ainsi, pour m’en tenir à ce que je suis en mesure d’évaluer, je n’ai vraiment pas le sentiment que les réalisateurs se sont penchés ne serait-ce qu’un tout petit peu sur la question de l’hydroxychloroquine. En effet, après un quart d’heure de recherche sur le net, si je n’en sais guère plus quant à la fiabilité du protocole du Dr Raoult, je sais au moins me souvenir du nom du médicament en question : hydroxychloroquine. Bon, il est vrai que j’ai fait des études. Donc les mots savants, je les apprends vite. Mais enfin, les réalisateurs de ce documentaire sont censés avoir travaillé plus d’un quart d’heure sur cette question. De fait, ils auraient reçu près de 200 000 euros, via un financement participatif, afin de mener une recherche approfondie. Ce qu’ils ont apparemment fait. Pour preuve : leur recherche fut si approfondie qu’ils ont découvert qu’un des principaux responsables du rejet de l’hydroxychloroquine dans le traitement des malades du Covid, c’est un homme aux ordres de « Big Pharma », un américain, Anthony Fauci, dont la fiche signalétique est déclinée en ces termes à 1h39mn et 36 secondes : « Anthony Fauci. Immunologue. Directeur de l’Institut National des Allergies et Maladies Infectieuses. Age : 79 ans. Nationalité : Américain. Signe particulier : refuse l’hydroxychlortoquine et prône le vaccin généralisé. Il est déclaré l’homme le plus corrompu des États-Unis par Vétérans Today ». Découvrant la fiche de cet individu suspect, je m’interroge : c’est quoi « l’hydroxychlortoquine » ? Je vérifie sur le net : ça n’existe pas. Pourquoi Anthony Fauci, l’homme de « Big Pharma », s’opposerait-il à l’usage d’un médicament qui n’existe pas ? Je décide d’interroger le chauffeur de taxi qui me conduit à la Bibliothèque Nationale. Il s’appelle Mamadou, il est d’origine malienne. Il devrait pouvoir éclairer ma lanterne : « Dis-moi Mamadou, tu as entendu parler de l’hydroxychlortoquine ? ». Il me répond tout de go : « Cher Monsieur, ce n’est pas l’hydroxychlortoquine, c’est l’hydroxychloroquine, un médicament que les médecins utilisent dans le traitement de certaines maladies virales et dont le protocole du docteur Raoult assure qu’il obtient d’excellents résultats dans le cas du Covid 19. Mais la fiabilité de ce protocole est très discutée. Comme je travaille dix heures par jour et que lorsque je rentre à la maison ma femme, qui exerce de nuit - elle est infirmière à l’hôpital – s’en va, je dois m’occuper des enfants, leur faire prendre le bain, leur donner à manger, leur raconter une histoire et les coucher, je vous avoue que les moments que j’ai pour moi, avant de prendre mes cinq heures de sommeil, je les consacre à autre chose, à écouter de la musique ou à lire le Coran, donc je ne peux pas vous dire si le protocole du Dr Raoult est fiable ou non. » Je me dis que Mamadou ne connaît sûrement pas grand-chose au football. Donc j’enchaîne : « Et tu as entendu parler de Veterans Today ? » - « Oui, c’est un site d’information nord-américain, créé par des vétérans de l’armée, ça ne vole pas très haut, pour dire le moins. Imaginez d’anciens paras à moitié beurrés discutant de géopolitique dans un Mac Donald, au fin-fond d’un coin paumé du Middle-West. C’est un peu le tableau… ». « Mamadou », lui dis-je alors, « ramène-moi à la maison. Je n’ai plus besoin d’aller à Bibliothèque nationale ». Tandis que Mamadou me reconduit, me vient à l’esprit l’observation suivante : tout de même, l’élément crucial de leur argumentation, c’est ce médicament, l’hydroxychloroquine, et ils ne font pas seulement l’effort de l’écrire convenablement l’unique fois qu’il apparaît à l’écran. C’est à croire que de l’hydroxychloroquine, au fond, ils se contrefoutent royalement, les réalisateurs de Hold-up. Mais en ce cas, qu’est-ce qui les préoccupe ?

Thèse n°4. Les pressions des pouvoirs publics. Ce qui concerne le fonctionnement de l’administration, dans Hold-up, paraît convaincant : des gens qui sont sages-femmes, médecins, ou scientifiques, décrivent une sorte d’enrôlement contraire aux valeurs de la médecine et de la science. Ainsi la sage-femme évoque des mères qui accouchent avec un masque sur le visage, si bien que leur enfant, à peine venu au jour, découvre une femme masquée en guise de mère. Les directives administratives, les enrôlements, les obéissances massives, en effet, grandissent rarement l’humain. Mais précisément, c’est aussi bien le problème que me pose ce documentaire : il paraît, en ses fondamentaux esthétiques et politiques, partager les principes et les procédés qu’il prétend combattre, autrement dit organiser le même type de décervelage.

Thèse n°5. L’enrichissement d’une poignée d’hommes d’affaires et, au-delà, l’expérience grandeur nature d’une incarcération massive (confinement), d’une déshumanisation des rapports sociaux (port du masque, isolement des personnes âgées) et d’un conditionnement à l’obéissance absolue. Un documentaire comme Hold-up, du fait qu’il mobilise plus ou moins clairement cette cinquième thèse, permet au discours « officiel », celui de la classe dominante, d’imposer l’alternative suivante : ou bien vous niez le bien-fondé de cette thèse, ou bien vous êtes un adepte de Hold-up, autrement dit un « conspirationniste », virtuellement, sinon effectivement antisémite. Or, nous partageons bien évidemment cette cinquième thèse, au moins en ce sens que l’Histoire, que nous connaissons, en témoigne suffisamment. Songez, par exemple, à la Traite dite « négrière ». Ou au fait, souligné par Thomas Picketty dans ses deux derniers opus, que les inégalités à la veille de la Révolution française étaient certes prononcées, mais moindres qu’à la veille de la guerre de 1914. Autrement dit, la question de savoir si ce qui a rendu possible durant des siècles un phénomène comme la Traite, ou des organisations sociales comme celles qui prévalaient durant l’Ancien Régime, est encore actif aujourd’hui, dans le monde du XXIe siècle, est une vraie question.

Le problème de Hold-up, si je poursuis ma comparaison, c’est qu’il fait de la Traite le produit d’une machination libérale fomentée par une poignée d’oligarques tout-puissants, et non une systématicité d’ordre social, économique, politique. Et surtout, il procède à un déplacement tangible, soigneusement machiné tout au long et de plus en plus grossier à mesure que « libéral » ne désigne pas un autoritarisme social et économique, voir racial, mais un rationalisme technoscientifique. La Thèse n°5 n’a en effet d’autre enjeu, dans Hold-up, que d’introduire à la Thèse n°5 bis : Une poignée d’hommes d’affaire est l’architecte d’un projet appelé « Great Reset », qui vise à créer les conditions d’une dictature mondiale fondée sur la division entre les « dieux » et les « inutiles », et leur idéologie n’est pas tant le capitalisme que le transhumanisme. Hélas, ce ne sont pas quelques élites libérales transhumanistes qui ont fomenté les entreprises esclavagistes dans l’Histoire, mais de puissantes logiques, esthétiques non moins qu’économiques, idéologiques non moins que matérielles. Et nous n’avons pas vu que l’Ancien Régime ait été moins esclavagiste que la bourgeoisie libérale. (Le « Code noir » a été rédigé sous Louis XIV). L’OPA féodale sur l’organisation des résistances populaires est donc grossière, mais apparemment efficace. Pourtant, il est parfaitement clair, à mesure que le documentaire avance, que son enjeu n’est pas de démonter les logiques aliénantes du système capitalo-parlementariste, il est d’opposer aux arguments du libéralisme technophile une vision simple, celle d’une nature idéalisée dont la manipulation par des scientifiques ne viserait pas à mieux connaître mais à vouer un culte au diable. Pour ce qui me concerne, je vois les choses un peu autrement, du fait de mon histoire personnelle : j’ai eu l’appendicite à dix ans et j’en garde le souvenir d’une semaine de vacances. Mais jusqu’à il n’y a pas si longtemps, 99% des appendicites étaient mortelles. Je dois mon existence aux progrès de la science.

Laissons mon appendicite et revenons au Covid 19 : la question posée par la pandémie n’est pas d’abord celle d’un complot d’oligarques pour gouverner le monde, elle est d’abord celle de l’équilibre à trouver entre le fait de la pandémie, l’exercice du pouvoir d’État et la liberté des gens. Car le fait est là, nommé Covid 19. Et la peste, qui a décimé au minimum un quart de la population européenne au XIVe siècle, comme la grippe espagnole qui il y a un siècle a tué davantage en quelques semaines que la guerre de 14-18, n’étaient pas, jusqu’à nouvel ordre, le fruit d’une manipulation satanique orchestrée par Anthony Fauci. Il faut donc s’y résoudre : parfois, des pandémies surgissent. Et concernant la pandémie du Covid 19, il me semble qu’il n’y a guère d’autre option que de se réjouir à la fois que les pouvoirs publics prennent des mesures pour endiguer la contagion (comme elle se doit de réparer une route ou d’assurer le bon fonctionnement des hôpitaux), et à la fois que des gens bravent les mesures de confinement, l’obligation de porter le masque ou l’interdit d’embrasser sa mère. Hold-up, à l’inverse, ne s’intéresse pas à la complexité de la question. Ce qui me conduit à discerner toujours davantage, dépassant sous la robe de chambre de la gentille grand-mère du conte pour enfant, la queue d’un loup… Car à l’évidence ce n’est ni la machinerie des oppressions, celle du capitalisme ou de l’État, ni la complexité de la question posée par la pandémie actuelle, qui intéresse les réalisateurs de Hold-up. Mais en ce cas, qu’est-ce donc qui les intéresse ?

Thèse n°6. La seule alternative à cette infernale machination d’hommes d’affaires transhumanistes et de décideurs politiques corrompus est un retour aux valeurs fondamentales, principalement l’amour et la nature. Pour ce qui est de l’amour, c’est l’objet de l’intervention d’une femme à la toute fin du documentaire :

« La tactique n°1 est de retourner les gens les uns contre les autres, les hommes contre les femmes, les générations les unes contre les autres. C’est le principal facteur de division pour vaincre. Et nous avons le pouvoir de changer cela. Parce que le ciment qui crée la civilisation est l’amour, l’amour d’une femme pour son enfant, l’amour d’un homme pour une femme, tous ces différents amours ».

Puis intervient le générique de fin : « Un film de Pierre Barnérias ». C’est donc « l’amour », le mot de la fin. Et à moins d’être fortement impliqué dans les Genders studies, on concèdera bien volontiers que l’amour d’une femme pour son enfant, l’amour d’un homme pour une femme, cimentent une civilisation, si tant est, du moins, que l’amour en question n’est pas, après analyse, rigoureusement équivalent à celui d’une guenon pour son petit et d’un lion pour sa lionne, et sans prétendre en outre (cela va de soi mais c’est toujours mieux de le dire) interner les femmes qui ne souhaitent pas être mère, non plus que les homosexuels. Ce qui est plus suspect, c’est que la femme en question est intervenue deux minutes auparavant et qu’un sous-titre en a décliné l’identité en ces termes : « Catherine Fitts. Commissaire de l’administration Georges H. W. Bush ». J’espère donc que les Irakiens, entre autres, auront su apprécier les traitements de faveur que leur ont réservé les administrations Bush successives. Il n’empêche : l’amour d’une femme pour son enfant, l’amour d’un homme pour une femme, c’est beau. Certes. Mais bien que profondément attendri par ces paroles, je me dis que tout de même, pour parler d’amour, les réalisateurs de Hold-up auraient pu trouver mieux qu’une « Commissaire » de telle ou telle administration nord-américaine. Je songe par exemple à l’amour de Mamadou pour son épouse infirmière. Et je l’imagine intervenant à la fin de Hold-up, avec pour sous-titre : « Mamadou, chauffeur de taxi d’origine malienne ». Et une question lui est posée : « Mamadou, c’est quoi le ciment d’une civilisation ? » Mais les réalisateurs de Hold-up ont préféré interrogé une « Commissaire de l’administration G. H. W. Bush », à qui ils ont laissé le mot de la fin. En effet, comme je vous l’ai dit, ils ne sont pas du genre à réciter un vers de poésie chinoise taquin au clair de lune. L’esthétique de Hold-up, c’est plutôt celle d’un vétéran de l’armée américaine cuvant sa bière devant Fox News, mais cependant prêt à reprendre les armes si un chaos quelconque menace le ciment de la civilisation, ou ce qu’il se représente comme tel.

Quant au retour à la nature, c’est un leitmotiv du documentaire : les images d’un homme qui court durant 3 500 kilomètres, de la France profonde jusqu’à l’Europe de l’Est, comme pour refonder l’union européenne sur la simplicité d’un retour à la nature et la beauté d’un exploit physique, ceci afin de parer au développement de l’intelligence artificielle et du transhumanisme. On se retrouve donc bien en paysage connu : d’un côté la nature, la famille et l’exploit physique, de l’autre des élites scientifiques et économiques corrompues, soumises à une finance internationale technophile et destructrice de nos valeurs communes, celles qu’a si bien résumées la « Commissaire » d’une administration Bush.

*

Il est sûr que l’épidémie de Covid 19 et les politiques qu’elle a occasionné sont un obstacle au développement des résistances sociales qui ont nourri, par exemple, le mouvement des Gilets jaunes ; de même qu’il est sûr que des laboratoires pharmaceutiques tireront profit de la situation sanitaire issue de la pandémie ; de même qu’il est sûr que les effets économiques et sociaux des confinements frapperont principalement les gens qui n’ont pas de capital, etc. Faut-il pour autant se fier à Hold-up ? Découvrant l’horrible complot de « Great Reset », la voix off commente : « J’ai le vertige, comment des hommes peuvent-ils imaginer des scénarios aussi tordus, et en réussissant à corrompre toutes nos élites ». C’est l’imaginaire qui structure ce documentaire : il y a une nature bonne, une société réglée, avec des élites, un peuple qui aime ses élites et des élites qui aiment leur peuple, jusqu’à ce que surgisse un élément corrupteur. Dans Mein Kampf de Hitler, l’élément corrupteur, ce sont les Juifs. Dans l’imaginaire féodal de Hold-up, ce sont les libéraux technophiles qui manipulent la nature, changent les lois éternelles. Le progrès est donc sensible : Hold-up a au moins le mérite de ne pas être antisémite. Cela dit, il ne m’a donc pas échappé que l’amour qui porte ce documentaire quasi-évangélique n’est pas exactement pacifique. L’administration Bush et Veterans Today, en effet, ce n’est pas la fondation de l’Abbé Pierre, ni mère Theresa soignant les lépreux. Lorsque la « Commissaire de l’administration G. H. W. Bush » a expliqué que « nous avons le pouvoir de changer cela », j’ai donc eu comme un frisson dans le dos, allez savoir pourquoi…

*

La structure idéologique du documentaire étant clarifiée dans ses grandes lignes, analysons maintenant une séquence particulièrement significative. Elle apparaît dans la partie finale, autour de 2h15. Jusque-là, tous les interviews n’ont pas duré plus de deux minutes sans qu’intervienne une coupe. Or cette séquence dure plus de cinq minutes sans qu’intervienne la moindre coupe, donc sans montage. Elle est ainsi singularisée. On soumet à une intervenante, présentée auparavant comme « sage-femme », un court extrait d’une conférence de Laurent Alexandre à des étudiants de Polytechnique et de Centralsupelec, dans laquelle l’orateur, s’adressant à l’assistance, explique :

Je suis un horrible élitiste, je pense que le monde complexe de demain ne peut être géré que par des intellectuels. Vous dans cette salle, vous allez vivre un âge d’or. Et nous devons créer une société inclusive et trouver le moyen d’éviter qu’il y ait un gigantesque gap. Ceux que Harari, dans Homo Deus, appelle des dieux et des inutiles, les dieux - vous ! – qui maîtrisez, contrôlez, managerez les technologies NBIC [Nanotechnologie, Biotechnologie, Technologie de l’Information], les nouvelles technologies transhumanistes, et les inutiles, les gens moins favorisés, qui auront du mal dans le monde compliqué dans lequel nous rentrons. Et les Gilets jaunes, c’est la première manifestation de ce gap intellectuel insupportable que nous sommes en train de créer, entre les winners, les dieux d’Harari, et les loosers, les inutiles.

La sage-femme est invitée à commenter ce court extrait. Elle dit : « Mais c’est effrayant ». Et une voix d’homme, l’interviewer, aussitôt renchérit : « Médecin, et énarque ». Laurent Alexandre est en effet médecin et énarque. Conforté dans son sentiment, et incitée à parler, la sage-femme poursuit : « Ben je pense que Hitler ne disait peut-être pas les choses aussi directement ». Et elle va continuer ainsi durant cinq minutes. Cinq longues minutes, sans la moindre coupe, pour ne rien perdre de l’émotion qui la gagne, à mesure qu’on la presse de dire ce qu’elle a sur le cœur. Elle finit par fondre en larmes, évoque ses deux grands-mères qui, déjà, savaient pertinemment qu’on envoyait les Juifs à la mort, « alors qu’on ne dise pas, après, qu’on ne savait pas ». Elle demande : « Que va-t-on dire à nos enfants ? ». Car nous savons, à présent, ce que Laurent Alexandre et ses amis préparent. C’est le documentaire Hold-up qui a le courage de nous le mettre sous les yeux, pour tenter d’enrayer l’infernale machination. Car « nous avons le pouvoir de changer cela ».

Ce conférencier, Laurent Alexandre, est-ce donc un Hitler en herbe, ou un Saddam Hussein bis qui développe ses théories nazies devant des élèves de Polytechnique et de Centralsupelec vraisemblablement acquis à sa cause ? À s’en tenir au court extrait que soumet Hold-up à la sage-femme, on hésite : s’il décrit en effet un monde divisé en deux classes, celle des « dieux » d’un côté, des « inutiles » de l’autre, c’est apparemment pour s’en inquiéter puisqu’il explique aux étudiants : « nous devons créer une société inclusive et trouver le moyen d’éviter qu’il y ait un gigantesque gap ». Hitler, lui, ne se proposait pas de résorber le fossé entre « dieux » d’un côté, « inutiles » ou « nuisibles » de l’autre, il se proposait d’exterminer les « nuisibles » et de laisser périr les « inutiles ». À condition de n’être pas, après 2h15 de Hold-up, complètement laminé, quelque chose, décidément, cloche. Qui est ce Laurent Alexandre ? Et que dit-il aux étudiants de Polytechnique et de Centralsupelec ? Certes, il dit : « Je suis un horrible élitiste, je pense que le monde complexe de demain ne peut être géré que par des intellectuels. Vous dans cette salle, vous allez vivre un âge d’or ». C’est un « horrible élitiste », en effet, car en ce qui me concerne, je suis convaincu que bien des chauffeurs de Taxi, par exemple Mamadou, sont bien plus intellectuels que bien des étudiants de Polytechnique. Pour preuve, ces étudiants ont subi durant des décennies l’enseignement « philosophique » d’Alain Finkielkraut sans qu’à ma connaissance un seul polytechnicien ait jamais entamé une grève de la faim pour dénoncer de tels sévices. Et plus généralement, je ne pense pas que l’intellectualité d’un être humain s’évalue à ses diplômes. Donc je ne partage pas l’opinion de Laurent Alexandre. Mais je me demande par ailleurs ce que les réalisateurs de Hold-up lui reprochent, dès lors qu’à l’évidence ils partagent les mêmes prémisses que lui. En effet, le documentaire ne cesse d’aligner les titres des intervenants. Et parfois, c’est franchement comique. Prenons pour exemple la voix off citée plus haut, dont je restitue maintenant l’intégralité du propos : « J’ai le vertige, comment des hommes peuvent-ils imaginer des scénarios aussi tordus, et en réussissant à corrompre toutes nos élites. Je décide de joindre une spécialiste des pathologies du pouvoir, elle vit en Colombie, collectionne les doctorats, ça devrait aider à éclairer ma lanterne ». La femme en question, après avoir déroulé son C.V. devant la caméra, explique que dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu des privilégiés et des sans privilèges et que les machinations des privilégiés ont toujours visé à préserver ou accroître leurs privilèges. Nous sommes bien d’accord. Mais faut-il aller chercher en Colombie « une spécialiste des pathologies du pouvoir » qui « collectionne les doctorats » pour apprendre que les sociétés humaines, depuis le néolithique, sont divisées en deux classes principales, les privilégiés et les non privilégiés ? Et quitte à s’en remettre à une « spécialiste », pourquoi interroger une spécialiste des « pathologies » du pouvoir plutôt qu’une spécialiste des structurations normales du pouvoir ? Enfin, cet étalage de diplômes, apparemment nécessaire avant d’enfoncer quelques portes ouvertes, n’est-ce pas une manière de dire que le monde, la vérité ou le pouvoir « ne peut être géré que par des intellectuels », c’est-à-dire des gens diplômés ? Quelle différence y-a-t-il donc, sur ce point précis, entre le propos de Laurent Alexandre et celui de Hold-up ? Je décide d’éclairer ma lanterne. Et avec quoi éclairer une lanterne, sinon avec une autre lanterne ? Je mets donc pause et cherche cette conférence du néo-nazi Laurent Alexandre. Je la trouve sur Youtube et la visionne, elle dure une quarantaine de minutes. Je me fais ainsi une idée. Pour l’affiner, je regarde d’autres extraits de vidéos de Laurent Alexandre. J’en arrive vite à la conclusion que c’est un libéral, économiquement et idéologiquement : il est pour le mariage gay et la PMA ; il souscrit aux thèses de Harari sur l’intelligence artificielle, à savoir que d’ici quelques années, une large part des forces productives humaines pourrait connaître le sort des chevaux il y a un siècle, lorsque l’automobile a remplacé le carrosse et la charrette ; il ne croit pas en la décroissance mais au progrès technologique, et il pense que la marche du progrès technologique doit consonner avec celle du marché libéral et de la démocratie parlementaire ; et il a d’autres idées dans cette veine. Mais il est clair et net, dans tous ses propos, qu’il appelle, comme Harari, à « créer une société inclusive et trouver le moyen d’éviter qu’il y ait un gigantesque gap » entre ceux qui auront la maîtrise et le contrôle des nouvelles technologies, les « winners », et ceux qui en subiront les conséquences négatives, les « loosers ». Et il prévient : c’est le « populisme » qui tirera parti d’un appauvrissement massif de la classe moyenne. Cet homme n’est donc pas un néo-nazi, c’est un libéral et un démocrate. Dans cette même conférence, il explique :

L’intelligence artificielle est une machine à produire des inégalités si nous n’y prenons pas garde, au niveau des individus, des métropoles, des pays, avec les conséquences populistes que vous connaissez et qui ne font que commencer. […] Les innovateurs ont un rôle immense dans ce monde qui vient, pour lutter contre la concentration des richesses, pour réduire les inégalités, pour éviter la marchandisation des territoires, et donc pour freiner le populisme et sauver la démocratie, car ma conviction, c’est qu’à l’ère du capitalisme cognitif, la démocratie ne peut pas survivre si nous maintenons des inégalités intellectuelles aussi forte qu’aujourd’hui.

Le procédé qui consiste à présenter Laurent Alexandre comme un néo-nazi est donc d’une grossièreté significative : les réalisateurs de Hold-up ne sont absolument pas obsédés par la recherche de la vérité, contrairement à ce que soutient l’historienne de France-Info. Seul leur importe la désignation d’un coupable, à savoir une poignée de « libéraux » sataniques et technophiles qui tirent les ficelles de la pandémie, Laurent Alexandre en tête. C’est avec ce genre d’argumentaire que les idéologues de la « Manif pour tous » s’emploient donc à noyauter une contestation sociale convoitée. Mais quiconque est minimalement lucide ne manquera pas d’observer ceci : lorsque le seul argument dont on dispose contre Laurent Alexandre, c’est de lui faire dire ce qu’il ne dit pas, alors, pour sûr, c’est qu’on prépare bien pire que lui…

*

Que prépare Laurent Alexandre ? À mon sens il ne prépare rien, il diagnostique. Et selon lui, l’Europe est en train de rester sur le quai, en matière de NBIC. Or, prévient-il, si nous voulons que les valeurs européennes, celles des Droits de l’homme et de la démocratie, prennent le contrôle du développement des nouvelles technologies, il faut que nous soyons les plus performants. Sans quoi c’est la Californie et la Chine qui vont légiférer. Et si seulement 13% des Français sont favorables à l’eugénie positive (soit une sélection prénatale visant à optimiser le capital génétique de l’embryon), 50% des Chinois y seraient d’ores et déjà favorables, assure-t-il. Pour pouvoir imposer des normes dans un domaine quelconque, rappelle donc Laurent Alexandre, il faut y être dominant. Et dans le cas des nouvelles technologies, l’enjeu est vraisemblablement le plus crucial que l’humanité ait jamais connu.

Laurent Alexandre est manifestement un homme de conviction, qui a étudié les sujets dont il parle, à savoir principalement, outre la médecine, les nouvelles technologies et leurs probables conséquences sociales, économiques, politiques et éthiques. Et pour ma part, je préfère de loin visionner 2h30 de conférences de Laurent Alexandre plutôt que Hold-up. Parce que j’apprends des choses dans les conférences de Laurent Alexandre, tandis que dans Hold-up tout est construit de sorte que je ne puisse rien apprendre, mais seulement croire. Et je n’aime pas qu’on s’efforce de me pousser à croire plutôt qu’à apprendre. Est-ce à dire que je suis un adepte du « capitalisme cognitif » ? Certainement pas, car je pense que Laurent Alexandre commet une erreur politique, non moins que métaphysique. Mais avant d’exposer ma critique, je tenais à être clair : si vous voulez apprendre quelque chose, regardez les vidéos de Laurent Alexandre plutôt que Hold-up, et j’insiste d’autant plus que Hold-up a donc fait deux millions et demi de vues en seulement quelques jours, tandis que la conférence de ce pauvre Laurent Alexandre n’atteint pas 25 000 vues depuis janvier 2019. (Je mets en note [3] le lien Youtube vers sa conférence).

J’en viens maintenant à l’erreur que commet selon moi Laurent Alexandre. Je prendrai pour exemple l’une de ses observations au sujet des biotechnologies : si demain des générations de chinois « transhumanisés » entrent sur le marché du travail, tandis qu’en Europe la force de travail est demeurée humaine, trop humaine, qu’adviendra-t-il ? Il n’appelle pas à l’eugénisme positif et au transhumanisme, il anticipe le monde de demain et prévient que si les choses suivent le cours qu’elles sont en train de prendre sous nos yeux, l’Europe va devenir technologiquement arriérée. Il appelle donc à ce que l’Europe soit à la pointe du capitalisme cognitif, seule manière de pouvoir espérer normer, suivant des valeurs démocratiques et libérales, l’émergence des nouvelles technologies. Ma vision est radicalement autre, inspirée d’écrits très antiques aussi bien que très modernes : il ne s’agit pas de prendre la tête du capitalisme cognitif, il s’agit de se soustraire à son pouvoir. Cela ne veut surtout pas dire ignorer les nouvelles technologies (et c’est pourquoi je vous invite à regarder les conférences de Laurent Alexandre), cela veut dire que si demain des hommes et des femmes sont bio-formatés par les exigences du capitalisme, cela ne nous fera ni plus ni moins d’effet que de les avoir vu spirituellement formatés par le même capitalisme aujourd’hui ou, hier, par l’Inquisition. Autrement dit, Laurent Alexandre veut démocratiser et moraliser l’Inquisition, tandis que nous voulons nous soustraire à son pouvoir. Quant aux réalisateurs de Hold-up, je ne remettrais pas Giordano Bruno entre leurs mains… Pas plus que Julien Assange.

*

Qu’il existe un discours « officiel » qui consiste à relayer celui de la classe dominante, et donc à valider une vision du monde qui conforte ses intérêts au détriment de ceux des masses populaires, c’est certain. Mais ce n’est pas en interrogeant une « Commissaire de l’administration de G. H. W. Bush » qu’on se donnera les moyens de « changer cela ». C’est davantage en se posant par exemple la question suivante : pourquoi existe-t-il en France un tel consensus des autorités publiques et médiatiques au sujet des caricatures de Mahomet, véritable union sacrée pour défendre la liberté d’expression contre la dictature de l’Inquisition islamiste, quand dans le même temps on juge un homme au cœur de l’Occident, Julien Assange, reclus des années durant dans une ambassade à Londres avant d’être lâché par ses hôtes et remis aux autorités judiciaires britanniques afin d’examiner la demande d’extradition de l’administration nord-américaine, qui lui promet la prison à vie dans un quartier de haute sécurité, sans qu’une union sacrée similaire pour défendre la liberté d’informer n’ait vu le jour ? Est-ce à dire que pour les « intellectuels » qui nous gouvernent, la liberté de représenter un musulman sodomisant une chèvre est sacrée, celle d’informer l’est moins ? Voilà une question qui n’intéressera guère les réalisateurs de Hold-up. Leur propos, en effet, n’est pas de vous informer, il est de vous convertir à l’évangile d’une « Commissaire de l’administration G. H. W. Bush ».

*

C’est toujours à la fin qu’intervient le dénouement des films haletants. Et c’est admirablement le cas dans Hold-up, à condition de visionner le final des deux versions. Car au moins deux versions circulent. Elles sont apparemment équivalentes jusqu’à l’intervention de la « Commissaire », donc jusqu’à la fin. Mais leur épilogue diverge : celui de l’une est bon enfant, celui de l’autre l’est beaucoup moins.

Dans la version bon enfant, accessible sur ce lien Youtube [4], le narrateur évoque in extremis, après que soit apparue l’annonce du générique final, une lettre, dont nous découvrons l’image : « Alors que je boucle mon enquête au pied levé, je découvre cette lettre du président de Sanofi au ministre de la santé ». Dans cette lettre, le président de l’entreprise pharmaceutique dénonce le fait que des médecins demandent de l’hydroxychloroquine afin de soigner des malades du Covid. Puis la parole est donnée à des médecins qui expliquent que l’État à chercher à les rendre impuissants, alors qu’ils peuvent soigner. Est également expliqué que le vaccin qui demain sera imposé à la population modifiera l’ADN de chacun. Une vaccination généralisée serait donc une sorte de mini-transhumanisme… Mais la dernière parole, c’est celle d’une femme médecin qui appelle les spectateurs à se fier à leur médecin traitant plutôt qu’à ce qui est dit à la télévision. Ce n’est pas d’une extraordinaire portée politique, mais cela a le mérite d’être de bon sens. Soigner sa grippe en regardant BFM-TV, en effet, ce n’est vraiment pas malin. Cette version, sur le lien Youtube, a été vu 1 760 fois au moment où j’écris.

L’autre version présente un épilogue d’une tout autre facture. Sur un lien Youtube, elle a été visionnée 1 800 000 fois [5]. C’est donc apparemment la version qui est diffusée massivement. Est-ce la version « officielle » ? J’ignore les raisons pour lesquelles deux versions circulent. Quoi qu’il en soit, prenons connaissance de ce qui a été vu tant de fois. Après l’évangile de la « Commissaire » Catherine Fitts et le premier panneau du générique, « Un film de Pierre Barnérias », intervient cette fois, in extremis, une lettre ouverte de l’ambassadeur du Vatican aux États-Unis. La voix off explique en effet : « Alors que je boucle mon enquête au pied levé, je découvre une lettre du 25 octobre [2020] écrite par un des représentants du plus grand gouvernement mondial qu’est le Vatican, et dont on connaît l’influence diplomatique. La lettre est signée par l’ancien ambassadeur du Vatican aux États-Unis. Ses propos me glacent : le président Trump comme ultime recours face à une élite mondialiste qui agit dans l’ombre. Il est temps que je m’arrête ». Une autre voix off lit alors des extraits de la lettre au président des États-Unis : « Je vous écris au milieu du silence des autorités civiles et religieuses. Un plan global, appelé Great Reset, est en cours. Son architecte est une élite mondiale qui veut soumettre toute l’humanité. Derrière les dirigeants du monde, qui sont complices, et les exécuteurs de ce projet infernal, il y a des personnes sans scrupules qui financent le forum économique et mondial ». Suit la description d’un complot d’oligarques malins, les puissances publiques n’étant que des exécutants corrompus ou inconscients. Mais les peuples se dresseront pour défendre leurs enfants et petits-enfants, assure l’ancien ambassadeur du Vatican. Puis intervient le générique final. C’est donc Trump prêtant l’oreille aux recommandations du Vatican qui nous sauvera du chaos libéral…

Après la défaite électorale de Trump, un tel final avait-il perdu de sa pertinence ? Ou à l’inverse, est-ce la découverte impromptue de cette lettre du 25 octobre qui a bouleversé l’épilogue d’abord envisagé ? Je l’ignore. Toujours est-il qu’il y a donc deux versions : celle où le narrateur découvre in extremis la lettre du président de Sanofi au ministre de la santé, avec ses 1800 vues sur Youtube, et celle où il découvre in extremis la lettre de l’ancien ambassadeur du Vatican à Donal Trump, avec ses 1 800 000 vues sur Youtube. Fallait-il boucler l’enquête avec l’hydro-machin ou le « Great Reset » ? La version marginale a le mérite de conclure sur la parole de médecins traitants, soucieux du bien-être de leurs patients. La version diffusée massivement, en revanche, après l’évangile de « l’administration G. H. W. Bush », enchaîne donc sur l’appel au secours du Vatican à Donald Trump. La voix off, dès lors, peut s’arrêter là, le spectateur est en mesure de conclure : l’alternative au « capitalisme cognitif » de Laurent Alexandre, c’est un magnat de l’immobilier conseillé par le Vatican.

Mais pour que l’évangile des réalisateurs de Hold-up pénètre jusqu’à l’os du cerveau d’ores et déjà laminé du spectateur, il fallait encore peaufiner jusqu’à l’ultime note finale. Tandis que le générique de fin déroule, une femme apparaît dans un encadré qui se présente comme « profiler » (prononcer en anglais). C’est la cerise sur le gâteau. Elle explique : « Je suis profiler, net profiler, chercheur en comportement des cyber criminels, j’ai développé des théories scientifiques et cinq sont étudiées dans pas mal de pays du monde entier ». Les présentations faites, une main tend à madame la « profiler » la photographie d’un homme. C’est une photographie de Laurent Alexandre. Elle explique :

C’est vrai que je suis connue pour la particularité de savoir faire des profils sur image, donc je montre la photo [elle montre la photo à la caméra], je ne sais pas qui c’est, je ne connais pas son nom parce que je ne suis pas très média, je suis désolé, je m’instruis autrement que par les médias mainstreams, donc peut-être qu’il est passé à la télé, tant pis pour lui. [Elle rit, puis regarde la photo]. C’est une personne qui est extrêmement fausse. Et ça se voit au niveau des commissures de lèvres, et au niveau de son regard, et au niveau des yeux. C’est une personne qui est très fausse et très secrète également, on le voit également à ce niveau-là [elle désigne le nez], et au niveau de certains traits ici [elle désigne les pommettes], on appelle ça des signes dans notre métier. Il est scrutateur, il a un côté très méfiant, il fait attention, c’est quelqu’un qui est dans une espèce de self-control, il fait attention à ce qu’il dit, à ce qu’il va faire, à qui il voit, à qui il peut parler, etc. C’est une personne qui ne manque pas vraiment de confiance, mais qui n’est pas non plus trop confiante en elle.

Il ne lui pas fallu une minute, montre en main, pour dresser le profil psychologique du bonhomme dont on lui a présenté le visage en photo. Et à l’évidence, elle est compétente : on croirait découvrir un rapport de la DCRI décrivant Julien Coupat. Ou encore une Directrice des Ressources Humaines décrivant un employé de France-Télécom au temps des plans NExT et ACT, l’époque de l’épidémie de suicides dans le personnel [6]. Bref, en pleine crise du Covid, le générique final de Hold-up fait tomber les masques : c’est bel et bien l’imaginaire des experts « profiler », des reconnaissances faciales et du fichage policier qui organise la vision politique et cinématographique de ce documentaire prétendument « alternatif », par ailleurs volontiers fleurs bleues et petits oiseaux, comme pour mieux endormir l’enfant qui s’inquiète de découvrir les bras velus de mère-grand sous la couette.

Mais regardons jusqu’au bout. Une main velue présente aussitôt à la sorcière une seconde photographie : celle d’Anthony Fauci, l’immunologue qui a instillé dans les médias américains une représentation catastrophiste de ce qui n’est somme toute qu’une épidémie de grippe, et qui s’est opposé à l’usage du médicament truc-machin. Elle explique, après avoir précisé qu’elle ne connaît pas non plus cet homme : « C’est le genre de personne, on appelle ça un suiveur dans notre métier, c’est-à-dire je fais ce qu’on me dit, puis je réfléchis pas, c’est aussi simple que ça, s’il faut le faire, ben je le fais, tant que c’est dans mes intérêts. C’est pas un décideur dans le sens propre du terme, c’est un suiveur ». De nouveau, il lui faut moins d’une minute, montre en main, pour dresser le profil psychologique d’un individu X sur la base d’une photographie. Et elle nous fournit cette fois une description probante du spectateur-type que les réalisateurs de Hold-up souhaitent conquérir : « c’est pas un décideur dans le sens propre du terme, c’est un suiveur ». J’ajouterais : et un amateur de fiches.

*

C’est ainsi que parvenu au terme de Hold-up, via sa version massivement diffusée, on se dit finalement que l’usage du masque n’a pas que des inconvénients, du moins si l’on est de ceux qui ne souhaitent pas offrir la nudité de leur visage aux évaluations d’un capitalisme en l’occurrence féodale et stupide plutôt que bourgeois et cognitif. Du reste, les premiers de la classe, dans les manifestations chaotiques, s’y sont astreints bien avant les recommandations de l’État, au port du masque. Aussi, à tout prendre, et quitte à embrasser l’imaginaire complotiste, plutôt que de s’en remettre à Hold-up et à son naturalisme ringard plus ou moins domestiqué par le Vatican, on s’émerveillera de l’ironie surnaturelle de l’Histoire : hier, la puissance publique interdisait les voiles et les bandanas des musulmanes dans les lycées, elle mesurait la longueur de leurs jupes à l’entrée des collèges (pour s’assurer qu’elles ne soient pas trop longues), et elle verbalisait les femmes endormies vêtues sur la plage. Aujourd’hui, le président de la République enfile sa burka lorsqu’il s’adresse aux Français. Concluons : Allah hou akbar !

*

Je suis devenu ami avec Mamadou. Il m’a invité chez lui et nous avons bu le thé. Nous avons échangé. Je lui ai fait découvrir l’équipe de France de la demi-finale du Mondial espagnol de 1982, puis celle de l’Euro 1984, le carré magique « Platini-Giresse-Tigana-Fernandez ». Il m’a fait découvrir le jazz africain et la poésie coranique. Et nous avons aussi discuté de mathématiques. Il connaissait l’histoire du calife, de l’échiquier et du grain de blé. Il m’expliqua : « C’est la revanche d’Archimède contre le soldat romain. Comprends bien cela : la fonction f(t) = 2^(t-1), c’est la ruine du pouvoir imbécile, l’ascension des rationalités populaires, et du blé pour tous ». Ayant à l’esprit l’article que je devais écrire pour LM, je lui ai projeté Hold-up, pour avoir le sentiment d’un sage. Mais comme c’est le moment de conclure, je vous rapporterai seulement une remarque qu’il a faite à haute voix durant le documentaire, vers la toute fin, juste après la voix off qui explique :

« Alors que je boucle mon enquête au pied levé, je découvre une lettre du 25 octobre [2020] écrite par un des représentants du plus grand gouvernement mondial qu’est le Vatican, et dont on connaît l’influence diplomatique. La lettre est signée par l’ancien ambassadeur du Vatican aux Etats-Unis. Ses propos me glacent : le président Trump comme ultime recours face à une élite mondialiste qui agit dans l’ombre. Il est temps que je m’arrête ».

— « Ouais mec », a dit alors Mamadou, « il est vraiment temps que tu t’arrêtes ».

Ivan Segré est philosophe et talmudiste
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