Le flou comme stratégie politique
Il est difficile de comprendre la « pensée-Trump » parce qu’elle est… floue. Il est impossible d’avoir un avis définitif sur un président qui affirme vouloir restaurer la puissance américaine par le biais de taxations aux taux parfois stratosphériques (200 % sur les vins français) et qui se ravise quelques jours plus tard. Ou encore qui attaque frontalement le principal fleuron de l’intellocratie états-unienne, Harvard, qui forme la plupart des dirigeants des plus importantes entreprises américaines et globales… dont, a priori, il aura besoin pour « Make America Great Again » !
Ces volte-face supposées ont été théorisées par l’un des principaux inspirateurs de Trump, Curtis Yarvin [1]. Il s’agit, par une « stratégie du choc » psychosociale, d’anéantir, au moins pour un moment, la réflexion et les réactions potentielles des adversaires, non seulement parce que les décisions prises semblent – ou sont – irrationnelles, mais aussi parce qu’elles sont contradictoires entre elles, ou entre le jour J et J + 2. La cascade de décrets présidentiels [2] depuis le 20 janvier 2025 a certes pour but d’asseoir le pouvoir de Trump, mais aussi et surtout de produire un effet de sidération tel que beaucoup d’entre nous devenons incapables de démêler les fils de sa stratégie. Le flou s’impose comme un atout politique majeur.
L’équipe Trump utilise sans limite et simultanément plusieurs registres : politique, économie et finances « pures » (qui, de fait, ne le sont plus puisque le discours de Trump ne peut être analysé à l’aune de ses trois aspects uniquement, qui sont toujours mêlés à des considérations relevant d’autres domaines) ; psychopathologie (rendre « les gens » « dingues » et faire glisser l’analyse de sa politique vers le domaine psycho ou sociopathologique [3], au détriment de la stratégie de domination, politique et militaire) ; théâtre de boulevard (ses prestations scéniques d’ex-star de téléréalité) ; science de la manipulation (Propaganda [4] doit être l’un de ses livres de chevet). Sa stratégie du choc ne se limite donc pas aux domaines économique et militaire, comme cela a pu être le cas lors des années 1970-1980 avec la stratégie du choc mise en œuvre par la CIA et les dictateurs que l’agence contrôlait en Amérique du Sud [5]. Trump et son équipe y ajoutent bien d’autres épices, qui rendent le plat fort complexe et l’analyse précise tout à fait hasardeuse.
Cependant, lorsque des actes suivent les déclarations du président, nous constatons l’extrémisme de ses orientations politiques et leur brutalité concrète, par exemple lors de la suppression de l’US-AID, l’Agence fédérale américaine d’aide aux pays du Sud. La note envoyée au personnel de l’Agence afin de vider leurs bureaux était rédigée en des termes humiliants, leur accordant quinze minutes, pas une de plus, pour effacer toute trace de leur activité durant des années [6]. Certes, l’US-AID a souvent été un moyen de camoufler, par le biais d’une aide humanitaire, une politique impérialiste, en fournissant par exemple de la nourriture venue des États-Unis, alors que les pays « aidés » pouvaient la produire eux-mêmes. Dans certains cas pourtant, il est indéniable que l’US-AID a participé au soutien à des populations démunies, et la manière dont ces fonctionnaires ont été renvoyés en dit long sur la volonté de la nouvelle équipe au pouvoir d’utiliser une violence symbolique et réelle du moment qu’elle estime que cela sert ses intérêts. Dans le même ordre d’idées, le 30 avril, aucun représentant républicain ne vote contre l’expulsion d’enfants immigrés mais résidents légaux américains atteints de cancer [7]…
Début mai, l’équipe Trump annonce son intention (ou l’a déjà réalisé ?) de fusionner les fichiers informatiques sur la population américaine, et se dote ainsi d’un outil « numérique-totalitaire » de premier ordre, au-delà de ce que Edward Snowden a dénoncé en 2013. Là encore, le processus d’imposition de sa politique par Trump n’est pas anodin : il révèle en soi une politique de caractère dictatorial et fondamentalement anti-démocratique [8].
Quant au langage tenu aux Palestiniens de Gaza par Trump sur son réseau Truth Social, il annonce une violence sans limite. Le président des États-Unis leur a promis l’« enfer » si les Gazaouis ne libéraient pas les otages – entretenant bien entendu à dessein la confusion entre le Hamas et la population de Gaza [9]…
Le but : en finir avec la démocratie
Une fois l’effet de sidération dissipé, à nous de nous atteler à comprendre le fond de cette politique. Gageons que le flou de la pensée-Trump ne disparaîtra pas et persistera durant les premiers mois de son mandat, ou même durant la totalité de son passage au pouvoir. Car ses sources d’inspiration sont à l’évidence multiples et, si elles convergent vers un but absolu – en finir avec la démocratie –, les voies que Trump et son équipe suivent pour y parvenir sont parfois contradictoires. Leur ajustement sera laborieux, ou ne se fera pas tant que ces voies antidémocratiques resteront à peu près compatibles entre elles.
Nous ne sommes plus, en 2025, dans la situation de 1981-1993 avec Ronald Reagan et George Bush, dont les mandats ont été largement inspirés par la Fondation Heritage. Ce think tank très conservateur avait publié, lors de la campagne pour la première élection de Ronald Reagan, un ouvrage volumineux, Mandate for Leadership [10] (« Mandat pour le leadership »), qui traçait rien moins qu’un programme « prêt à l’emploi » pour l’administration nouvellement élue. Après avoir œuvré à l’élection de Ronald Reagan (1981-1989) puis celle de George Bush (1989-1993), la Fondation Heritage a pris part à la mise en pratique de leur politique, à tel point que, selon le Washington Post, Mandate for leadership était devenu « une sorte de manuel pour la nouvelle administration [11] ».
Trump et son équipe ne puisent pas à une seule source, sans doute parce que les théoriciens anti-démocrates explorent de nombreuses pistes pour en finir avec la démocratie [12]. Car il n’est pas si simple d’en finir avec le système actuel, même s’il est à l’évidence très loin d’une démocratie absolue. La démocratie par représentation telle que nous la connaissons est tellement imparfaite que nous aussi souhaitons passer à autre chose. Certains d’entre nous parleront d’utopie, ou d’anarchie. D’ailleurs, si la pensée-Trump attire tant de nos « camarades », c’est d’abord parce qu’elle attaque un système que nous critiquons nous aussi. Mais les motifs pour lesquels Trump est un adversaire résolu de la démocratie et les fins qu’ils visent n’ont strictement rien à voir avec l’émancipation, l’humanisme, la fin de la domination/soumission, ni même avec l’avenir de cette planète. Ce n’est pas sans raison que, dès son arrivée au pouvoir, Trump a dénoncé l’accord sur le climat, pour ne prendre que ce seul exemple du caractère fascistoïde et anti-écologique du nouveau pouvoir outre-Atlantique.
Quant au principe « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », nous ne pouvons que nous étonner de son retour en force : ce qui compte, en politique, n’est pas tant de savoir qui est ennemi de qui [13], que d’analyser pourquoi et dans quelle perspective. Toute action politique qui se préoccupe d’alliances de circonstance ne peut que tomber dans l’errance de l’opportunisme et favoriser les plus puissants du moment. Aujourd’hui, Trump et les partisans d’un système renforcé de domination et de soumission sont les plus forts, au point qu’il s’attaquent à un système qui perdure depuis deux siècles et quelque dans plusieurs pays du monde. Ne leur servons surtout pas de supplétifs !
De plus, le dynamisme théorique, si l’on peut dire, des inspirateurs de Trump et leur acharnement à penser la mort de la démocratie sont grandement facilités par les soutiens financiers très importants dont ils bénéficient, ce qui leur permet de passer du temps à étudier le fonctionnement de Singapour, de Hong Kong ou de Dubaï afin d’en tirer des idées antidémocratiques structurées – donc parfois difficiles à combattre alors que leur fond de commerce est toujours le même : la fin de la démocratie.
Le rôle particulier de la star Trump
Leurs idées et leurs utopies antidémocratiques s’appuient le plus souvent sur des conceptions tellement éloignées du terrain qu’elles semblent peu crédibles. La force de Trump et le danger qu’il représente repose d’abord sur sa capacité, en tant qu’acteur de son propre rôle, de mettre à exécution des décisions qui auraient dû nous sembler incompatibles avec nos souhaits les plus profonds, mais qui, d’un coup, apparaissent comme aussi crédibles que le reste du système, voire plus crédibles que le néolibéralisme en voie d’effondrement accéléré [14].
« Acteur de son propre rôle » car Trump incarne un personnage, une sorte de rebelle réactionnaire, proche du peuple des machistes suprémacistes racistes qui ont voté pour lui, mais c’est bien un rôle qu’il joue là. Car si Trump est à coup sûr une star de la télévision, un masculiniste homophobe xénophobe et suprémaciste, etc., il est avant tout un multimilliardaire qui compte bien continuer à amasser des milliards de dollars à titre personnel. Trump est un président richissime, capitaliste, impérialiste, aux idées fascistoïdes, qui incarne paradoxalement un rebelle « issu du peuple ».
« Mettre à exécution des décisions qui auraient dû nous sembler incompatibles avec nos souhaits » est le fond théorique de la stratégie du choc politique, psychologique et sociale, qui déconcerte celles et ceux qui s’intéressent encore à l’avenir. Cette mise à exécution quotidienne de décisions politiques qu’on aurait crues impossibles n’était incompatible qu’avec les idées fausses que certain.e.s d’entre nous se faisaient de la démocratie. Si l’on croit que la démocratie est l’aboutissement logique de siècles et même de millénaires de vie politique, alors on est forcément très déçu et même effrayé par la pensée-Trump au pouvoir. Mais ce système est, de par ses nombreuses contradictions (politiques, écologiques, économiques et financières, sociale y compris sur les terrains de la santé et de l’éducation, culturelles…) au bord de l’effondrement, du moins si l’on en juge par le peu d’enthousiasme que soulèvent la défense de la démocratie ou celle du système productiviste.
Tout se passe comme s’il était quasiment acté que ce système démocratique et néolibéral vit ses dernières années… sans alternative émancipatrice à l’horizon. La pensée-Trump participe à cet hypothétique effondrement prochain, mais pour proposer une politique que nous tâchons de dénoncer ici car elle ne constitue, pas davantage que le système précédent, une voie vers l’émancipation pour laquelle nous luttons.
La technologie et le cybermonde à venir
Les inspirateurs de la pensée-Trump partagent tous la haine de la démocratie et de l’État-providence, mais leurs visions divergent parfois sur quelques points moins essentiels. Cependant, ils se retrouvent sur un axe concret, qui réalise leur unité stratégique : l’avènement d’un cybermonde. L’arrivée de Musk au pouvoir n’est pas anecdotique puisqu’il possède plusieurs des sociétés phares du « Nouvel Âge Digital », comme l’appellent Eric Schmidt et Jared Cohen [15], ou de « l’Âge de l’Information », selon les termes de James Dale Davidson et lord William Rees-Mogg [16], les auteurs de The Sovereign Individual, ouvrage préfacé par Peter Thiel, l’un des deux ou trois plus proches conseillers de Trump. Pour les uns comme pour les autres, le monde digital présente une caractérisque déterminante : il permet de s’« émanciper » du monde physique, à commencer par les États-nations et leurs lois bien trop contraignantes à leurs yeux. « Au prochain millénaire [le xxie siècle], avec une part de plus en plus importante des transactions financières se déroulant dans le cyberespace, les individus auront le choix des juridictions où ils s’inscriront. Cela créera une compétition intense pour les tarifs des services gouvernementaux (les taxes qu’ils imposent) sur une base non monopolistique. C’est révolutionnaire [17] », selon Davidson et Rees-Mogg. Il s’agit de choisir l’espace « digital » auquel nous accepterons, individus souverains que nous serons, de nous affilier. Pour eux, il s’agit d’un « royaume non pas imaginaire, mais réel [18] ».
Schmidt et Cohen s’attaquent eux aussi au rôle des États [19], avec l’argument étrange et pourtant central dans leur ouvrage selon lequel la « révolution » et le « terrorisme » pourraient bien avoir raison des États actuels et qu’il faudra donc en venir à un « combat », qu’il faudra gagner, pour la « reconstruction ». Il faut donc créer un monde digital sûr pour les opérations financières et commerciales, et prendre le contrôle de ce cybermonde. Or, ce ne seront pas les États qui devront diriger cet outil de contrôle que constitue l’internet, mais des sociétés privées. Google est bien entendu en première ligne dans cet ordre de bataille du millénaire : « De sérieuses questions subsistent pour des États responsables. Le potentiel de mauvais emploi de ce pouvoir [digital] est terriblement élevé, pour ne rien dire des dangers introduits par l’erreur humaine, les mauvaises données et la simple curiosité. Un système d’information totalement intégré, comportant toutes sortes de données, avec un logiciel interprétant et prévoyant le comportement, et avec des humains qui le contrôlent est peut-être tout simplement trop puissant pour quiconque voudrait le manœuvrer de façon responsable [20]. » La question est amenée d’une manière très habile : ce sont aux « États responsables » que se pose la question du contrôle du web, donc de l’information, donc de la forme de démocratie qui subsisterait (ou pas) sur le web, et pas à Google ; c’est néanmoins l’entreprise qui a la réponse ! Car les États responsables peuvent, eux, abuser de leur pouvoir, ne serait-ce que du fait d’« erreurs humaines », de « mauvaises données », ou même de la « simple curiosité » d’un fonctionnaire très zélé… L’argument est navrant, mais il fonctionne : nous comprenons que les fonctionnaires sont « en trop », et Trump a commencé à les éliminer.
Tous les inspirateurs de Trump insistent sur l’efficacité du cybermonde, et ils en sont déjà, si l’on peut dire, à chipoter sur des « détails » : qui contrôlera les outils de contrôle ? Les déclarations de l’équipe Trump sur le fichage massif des Américains et le procès intenté à Google en avril 2025 [21] laissent penser qu’une bataille pour le contrôle de l’outil de contrôle ( ! ) est en cours, et sera féroce. Musk l’emportera-t-il ? Ou Google ? Ou un troisième larron ? Quoi qu’il en soit, la nécessité de rendre le monde « efficient » tel que nous annonce l’équipe Trump passe par le web et, donc, par son contrôle absolu. S’échapper du monde physique est déjà une réalité, et la lutte est désormais engagée dans ce cybermonde. Elle ne fait pas de morts comme les guerres terrestres, se réjouissent les auteurs de The Sovereign Individual, mais est-ce pour autant que la « cyberguerre » actuelle n’a pas de traduction « sur terre » ? Bien sûr que oui, répondent Davidson et Rees-Mogg : nous allons connaître une croissance du chômage exponentielle et une concentration de la richesse encore plus forte, tandis que les emplois intéressants se réduiront comme peau de chagrin, la masse de la population n’étant de toute façon constituée, selon eux, que de « losers [22] ». Une vision de l’avenir parfaitement intolérable.
Vers l’État « minimal » ?
Même s’il n’est jamais cité, c’est un économiste de Harvard, Robert Nozick, qui semble le théoricien du système le plus proche de ce que Trump met en place depuis son accession au pouvoir : aller vers l’État « minimal », car réduit à ses forces de répression. En effet, Trump et Musk, à travers notamment le Department Of Government Efficiency, le DOGE [23], visent à abaisser le plus possible le nombre de fonctionnaires fédéraux, sauf dans les domaines militaire (armée, CIA…) et policier (FBI et autres « forces de l’ordre », y compris milices privées…). C’est exactement le système que préconise Nozick dans son ouvrage phare, Anarchie, État et utopie [24]. « Mon point de départ, écrit Nozick, étant une défense vigoureuse des droits de l’individu, je prends au sérieux l’idée anarchiste que voici : en gardant le monopole de l’usage de la force et en protégeant tous les ressortissants qui peuplent son territoire, l’État empiète nécessairement sur les droits de l’individu et, à ce titre, il est intrinsèquement immoral [25]. » Nozick met donc en avant un point de vue moral qui respecte l’individu pour aboutir à un État réduit à sa plus simple expression : la répression. L’individu est au centre, avec pour seul garde-fou ce qu’il faut de maintien de l’ordre pour l’empêcher de violer les droits de quiconque. N’est-ce pas ce qui apparaît comme le plus juste résumé des premiers mois de la présidence Trump ?
Nous ne naviguons plus dans les sphères politiques et économiques du xixe siècle, que ce soit avec le libéralisme d’Adam Smith et sa continuation néolibérale, ou avec le marxisme, ou encore l’anarchisme, même si le terme d’« anarcho-capitalisme » entretient le confusion, alors que l’anarchisme n’a rien à voir avec ces théories qui reposent toutes, d’une manière ou d’une autre, sur un système de domination et d’aliénation [26].
Nous voguons désormais au cœur de mix théoriques parfois étranges [27], mais qui « fonctionnent » politiquement parce qu’ils vont forcément apparaître comme séduisants à une part des « déçus de l’État-providence ». Ces déçus sont le principal terreau électoral et, au-delà, populaire, des trumpistes. Ainsi, Davidson et Rees-Mogg écrivent, dans The Sovereign Individual : « Le nouvel individu souverain agira comme les dieux du mythe dans le même environnement physique que le citoyen ordinaire, mais dans un domaine politique distinct. Disposant de ressources beaucoup plus importantes et hors de portée de toute forme de contrainte, l’individu souverain redessinera les gouvernements et reconfigurera les économies au cours du nouveau millénaire. Les implications de ce changement sont pratiquement inimaginables [28]. » Ce qui, en langage clair et ordinaire, signifie que les États et même les nations vont disparaître au profit d’un cybermonde marqué par la technologie de l’internet, lequel permettra à chacun d’entre nous de « choisir » le mode de gouvernement auquel il voudra s’affilier. Le citoyen deviendra un consommateur d’une politique précise, un peu comme si nous allions au supermarché des systèmes de pouvoir et qu’au rayon « Gouvernement », nous ayons le choix entre plusieurs modèles, comme aujourd’hui, à l’Âge Industriel, nous pouvons choisir notre yaourt au rayon « Produits laitiers »… Ainsi, « … les citoyens dénationalisés ne seront plus des citoyens tels que nous les connaissons aujourd’hui [avant l’an 2000], mais des consommateurs [29] ».
Contre la modération et le compromis
L’extrémisme de leurs théories est ouvertement revendiqué par certains d’entre eux, comme Yarvin, pour qui « la modération n’est pas une idéologie. Ce n’est pas une opinion. Ce n’est pas une pensée. C’est une absence de pensée [30] ». Cet extrémisme jusque dans le vocabulaire est une part de la stratégie de déstabilisation et de décrédibilisation des idéologies traditionnelles, notamment du progressisme et du conservatisme, deux familles très larges et unanimement haïes par les inspirateurs de la pensée-Trump. Notons que c’est bien parce que Trump est parvenu à faire croire qu’il n’était pas du tout conservateur qu’il a gagné de larges couches populaires américaines à sa cause. Pourtant, selon des critères politiques standard, la politique de Trump sera rangée du côté réactionnaire et conservateur, mais pour l’électeur moyen, dont le jugement compte seul en l’occurrence, cette politique est surtout en rupture, tant avec le conservatisme qu’avec le progressisme [31].
Yarvin a aussi l’habileté d’employer un langage adapté à la violence que subissent ou estiment subir les couches populaires trumpistes, lesquelles veulent prendre leur revanche contre, pêle-mêle, les Chicanos, les Noirs, les homosexuels, les personnes trans ou l’establishment. Yarvin déclare par exemple : « … si vous aviez une armée, une armée avec le personnel et l’énergie nécessaires pour parcourir le département d’histoire de Harvard, et tous les autres départements de sciences humaines, et tous les autres départements de sciences humaines dans toutes les universités américaines, et éradiquer le virus de l’esprit communiste progressiste, comme autant d’anticorps, c’est formidable. Ce serait comme du maccarthysme turbo. Ce serait le maccarthysme sous stéroïdes. Imaginez la grandeur de l’Amérique si McCarthy ne s’en prenait pas seulement aux communistes, mais aussi aux libéraux. La Californie serait entièrement composée de surfeuses mariées à des agents de change [32]. »
Ce lexique, violent et à la limite de la vulgarité, fait écho à des haines tenaces contre Harvard et l’intellocratie, et trouve une prolongation concrète dans la pensée-Trump et, désormais, dans la politique intérieure états-unienne. Mais la brutalité concrète est masquée par une pensée totalement capitaliste, à l’aspect parfaitement logique et qui connaît un développement idéologique majeur avec la pensée-Trump : la nécessité d’accroître les rendements – du capital comme du travail – est en effet d’une logique imparable en système capitaliste. Avec l’apparition de l’« efficiency gouvernementale », la nécessité de la croissance de la rentabilité tous azimuts acquiert une importance cruciale et devient un levier du pouvoir trumpien, au même titre que l’industrie ou l’armée.
Ce qu’est l’« efficiency »
Avant même que Trump arrive au pouvoir, sa réforme la plus médiatisée, outre-Atlantique comme en Europe, a été l’apparition d’un « ministère de l’efficiency gouvernementale », le DOGE, confié à Elon Musk. Les médias le présentent comme l’homme le plus riche du monde, mais là n’est pas l’essentiel pour comprendre son rôle dans la galaxie trumpienne. Avant tout, Musk est un technophile extrémiste, un ultra qui veut conquérir Mars (Space X) et relier la machine à l’humain (Neuralink). Cette « efficience » qu’il met en œuvre est purement technologique et repose sur un projet politique d’asservissement de l’humain à la machine, à laquelle seront confiées nos (anciennes) capacités de décision. À ce niveau, il y a communion parfaite entre les idées des théoriciens de « l’individu souverain » et celles de Musk ou de Yarvin – mais pas de Nozick, ni même de Google qui vise un contrôle absolu des impulsions humaines par le biais de ses algorithmes et de diverses procédures de suggestions de réponses, alors que Musk est adepte d’une sorte de dérive techniciste quasi « psychédélique [33] ».
« Efficience » et non simple « efficacité », car il ne s’agit pas uniquement d’atteindre un résultat du type « améliorer l’efficacité des services de l’État fédéral » (ou de ce qu’il en restera !), mais plutôt de donner une nouvelle force idéologique au capitalisme. Le but du capitalisme ne doit pas être seulement la production/consommation de biens et de services, ou l’exploitation des ressources et des travailleurs ; le système cherche à rompre avec l’Âge Industriel précédent afin de faire éclore un nouveau monde, un nouvel « Âge », d’après Yarvin et les auteurs de The Sovereign Individual ou de The New Digital Age. Ce monde sera marqué par l’efficience plutôt que la puissance, et sera guidé par cette recherche d’un résultat facilité par la technologie plutôt que par les humains. Seuls les humains parfaitement adaptés au cybermonde et au maniement des écrans, des ordinateurs et des réseaux seront les « élus » du nouvel Âge. Ils représenteraient 5 % de l’humanité selon Davidson et Rees-Mogg : « Au sommet de la société, un petit groupe, peut-être 5 %, composé de travailleurs d’un haut niveau d’éducation et de propriétaires capitalistes, sera l’équivalent, à l’Âge de l’Information, de l’aristocratie terrienne des temps féodaux [34]. » Cette faible proportion de personnes avantagées par la politique de Trump explique à elle seule pourquoi il peut augmenter les taxes douanières qui vont créer des difficultés pour les Américains les plus pauvres : il ne s’en soucie tout simplement pas. Ce qu’il vise, c’est « libérer » les personnes efficientes des carcans que leur imposait l’État fédéral en tant qu’État-providence.
Cette montée de l’efficience à tous les niveaux est censée compensée la perte de puissance qui n’était due, selon Trump, qu’au nombre trop élevé de fonctionnaires et de personnes sans qualification qui gâchent le travail des 5 % d’entrepreneurs et de travailleurs efficients. Moins de puissance, davantage d’efficience ! Peu importe le sort des fonctionnaires renvoyés dans leurs foyers, du moment que l’efficience de celles et ceux qui travaillent à l’édification du nouveau monde est maximale selon les réalités technologiques du moment.
Bien sûr, il faudra augmenter sans cesse la part de ces conquêtes technologiques et consentir à l’invasion du monde humai, trop humain, par les machines, les écrans, les smartphones, le cloud et les réseaux virtuels ; tous les idéologues de la pensée-Trump convergent sur ce point. Cela va de la capacité offerte par l’« intelligence » artificielle de mener une conversation en chinois sans connaître le moindre mot de cette langue (traduite simultanément à l’oral par des outils technologiques) à la « cyberchirurgie » (des robots remplaçant les chirurgiens humains), des distractions multiples et sans cesse nouvelles proposées sur le web (pour distraire les humains ramenés au rang de serviteurs des robots producteurs) aux nouveaux produits de la cyberfinance, que l’on peut imaginer à l’infini… Il s’agit de penser une nouvelle idéologie « construite par des geeks pour d’autres geeks [35] », d’après Yarvin.
L’efficience se veut également un mode de protection contre les déviants. Rendre les systèmes inattaquables : tel est le premier palier de l’efficience. Puis empêcher les opposants de nuire en les annihilant purement et simplement. Selon Yarvin, la « monarchie technologique » est la solution [36]. Ce qui est visé est donc l’abandon total de l’« ancien régime », celui de la production industrielle, pour « l’Âge de l’Information » ou du « capitalisme de surveillance », dirait Shoshana Zuboff [37], dans lequel chacun étant surveillé et surveillant ses collègues et ses voisins, l’efficience sera le maître mot. Tout devra être pensé en fonction du résultat visé, et ne pas nuire à la collectivité… que chacun se sera choisie.
Là est la pirouette extraordinaire de ces théories « cyber » : c’est grâce au cybermonde, donc au monde virtuel détaché des contraintes terrestres, que chacun pourra être efficient à tout moment, puisqu’ayant fait le libre choix du « type de société », du type de gouvernance, auquel il se sera affilié, comme un consommateur pour une voiture ou un soda, puisque les citoyens dénationalisés seront devenus entre-temps des consommateurs.
Pourtant, l’idée de nation persiste très largement chez Trump, ne serait-ce qu’à travers le slogan qui figure sur l’ouverture du site de la Maison blanche : « America is back ». Nous pouvons supposer qu’il se livre actuellement une lutte entre les diverses théories qui forment le substrat de la pensée-Trump sur ce qu’il faudrait conserver de l’État et, surtout, de la nation. Le modèle de Singapour n’est pas le même que celui des gated communities, par exemple, lesquelles « mitent » un État en créant des zones échappant au droit national et dont les habitants définissent leurs propres droits et devoirs. Et Trump a sans doute conscience qu’il ne peut pas afficher ouvertement qu’il mène une politique pour un clan, les 5 %, et pas pour tous les Américains.
La peur comme moteur politique
La pensée-Trump, dans tous ses avatars, repose largement sur une forme de peur sociale : peur des exclus du nouveau monde qui pourraient pénétrer dans les gated communities (ces quartiers résidentiels sont fort heureusement surveillés et défendus par des milices privées et armées !), peur des gens qui peuvent saboter le web pour les dirigeants de Google, peur des ouvriers qui exploitent les capitalistes ( ! ) pour Davidson et Rees-Mogg [38].
L’État-providence nous avait assurés que nous n’allions plus mourir de faim [39] ; au Nouvel Âge digital, ce qui compte est que nous soyons toujours reliés à l’internet – donc à notre capacité à travailler, nous « informer », parler, discuter, faire des rencontres [40]… Les services secrets de pays étrangers ou les anarchistes comme ceux des Anonymous dans les années 2000 ne veulent que saboter les efforts des dirigeants [41]… Il faut donc agir contre ces subversifs. Enfin, exit les migrants, boucs émissaires pratiques puisque, s’ils parvenaient jusqu’à nous dans le monde physique, ce ne pourrait être que pour voler, violer et tuer…
La fréquentation des écrits théoriques et la lecture des textes publiés par Trump sur le site de la Maison blanche ou sur son propre réseau social, Truth Social, laisse apparaître le caractère coupé du réel de la pensée-Trump. Si les élucubrations théoriques de tous ces auteurs – qui sont parfois des chefs d’entreprises, comme Eric Schmidt et Jared Cohen, Elon Musk ou Mark Zuckerberg, lui aussi soutien indéfectible de Trump – peuvent sembler un moment crédibles (et effrayantes !), leur réalisation ne résiste pas à l’analyse. Il y a toujours un élément qui ne tient pas, à commencer par cette simple question : que feront-ils de tous ces individus, travailleurs ou pas, qui ne participeront pas à ce cybermonde « efficient », soit parce qu’ils en auront été exclus, soit parce qu’ils ne voudront pas le vivre ? Seront-ils éliminés, comme le souhaitent certains de ces « néofascistes » d’un nouveau type [42] ? Ou pourront-ils continuer à vivre du moment qu’ils ne troublent ni le cybermonde virtuel, ni les gated communities bien réelles et concrètes et ancrées dans le sol dans lesquelles ces adeptes du nouvel âge du capitalisme se seront réfugiés ?
La politique de Trump à l’égard de la population de Gaza illustre le type d’ultimatum qu’il nous lance – non seulement aux Palestiniens mais aussi à l’ensemble de celles et de ceux qui n’obtempéreraient pas à ses visions d’ordre et de cauchemar : « Si vous ne voulez pas de mon ordre du monde, foutez le camp ! J’ai le pouvoir de vous faire décamper… » C’est le sens profond du message aux Groenlandais : soit ils acceptent d’être achetés par les États-Unis, soit Trump ne répond de rien en ce qui concerne leur avenir… puisque le Groenland est désormais jugé comme une pièce stratégique dans l’échiquier politique nord-américain du fait de la richesse de son sous-sol. Ce type de menace a cependant fait basculer l’élection au Canada fin avril… dans le sens opposé à celui que souhaitait Trump !
Vers la guerre ?
Alors que, dans de nombreux domaines de la politique, la pensée-Trump est suffisamment floue pour bercer d’illusions des foules qui s’informent via les réseaux sociaux ou les ouï-dire, il en est un dans lequel le crash à venir est évident : le ralentissement de l’économie mondiale. Les prévisions du premier organisme mondial de notation financière, Standard & Poors, sont, depuis le mois de mars, alarmistes [43]. La logique est incontestable : consacrer de plus en plus d’argent à l’armement, comme le demande Trump, aboutira très rapidement à un ralentissement de l’économie capitaliste. D’ailleurs, l’un des historiens de l’économie les plus influents de la pensée-Trump, Frederic C. Lane (1900-1984), affirme dans son article « Economic Consequences of Organized Violence [44] » que le facteur qui favorise le mieux les performances d’une économie en période de croissance « est la réduction de la proportion des ressources consacrées à l’armée et à la police ».
Paradoxalement, Trump agit dans l’autre direction. Il tente d’imposer aux États de doubler la part de leurs budgets allouée à l’armée : de 2,3 % du PIB mondial à 5 %. Or, ces dépenses sont strictement improductives. Plus exactement, elles ne sont bénéfiques que pour les employés de ces industries, qui ne sont que quelques milliers en France par exemple. Quoi qu’il en soit, les marchandises produites, des armes, n’ont rien à voir avec les autres productions du capitalisme. L’armement n’induit pas d’effets positifs – pour le capitalisme – dans d’autres domaines, comme par exemple un hôpital public de qualité qui soignera plus vite et mieux les travailleurs blessés ou malades qui pourront rejoindre leur poste, ou un réseau ferroviaire efficace et régulier, qui facilitera le transport des marchandises, des travailleurs et des touristes qui vont dépenser leur argent dans les lieux de villégiatures, etc. Les armes, elles, ne font que détruire lorsqu’on s’en sert et deviennent obsolètes très vite si on ne s’en sert pas, car les progrès technologiques en matière d’armement sont extrêmement rapides. Les armes sont donc, comme le pensait Lane, un gouffre économique, qui n’est nécessaire que pour les États qui veulent posséder le monopole de la violence légale sur leur propre sol. Une aberration économique, en réalité, aux conséquences dévastatrices, comme nous le savons.
Ce ralentissement attendu de l’économie mondiale en 2025 et 2026 entraînera une augmentation importante voire énorme du nombre de chômeurs dans le monde entier, et notamment aux États-Unis et dans les pays qui accroîtront considérablement leurs dépenses en armements, comme veut le faire la France. Ces pays se trouveront dans une situation de moins en moins « gérable » : un nombre de chômeurs accru d’un côté (avec l’idée qu’ils ne doivent être indemnisés que le moins possible puisqu’il faut consacrer de l’argent aux armements), donc une baisse de la consommation, donc une contestation sociale à laquelle il sera de plus en plus difficile de mettre un terme, à moins d’aller vers la guerre. Ce sera d’autant plus logique que, précisément, les États auront destiné de plus en plus de fonds à l’achat d’armements. Autant s’en servir, se diront certains…
Une autre composante de la pensée-Trump apparaît ici : son suprémacisme états-unien le conduit à ne pas adopter les « conseils » que lui procurent des organismes typiques du capitalisme néolibéral, comme Standard & Poors. À l’inverse, il s’engage dans une diplomatie qui ressemble davantage à celle des Compagnies des Indes, hollandaise, anglaise et française, à l’âge classique, ou à la politique de la canonière des puissances coloniales en Chine au xixe siècle [45], qu’aux souhaits des théoriciens du cybermonde ubiquitaire. Ce qui augure de luttes internes dans les cercles dirigeants, lesquelles vont entraîner des secousses sociales, politiques et économiques dans le monde réel qui est le nôtre !
Comment réagir ?
La réaction la plus courante face aux mesures prises par Trump depuis janvier 2025 est de ne pas chercher à comprendre, pour éviter de reconnaître que l’on s’est trompé sur le caractère populaire de ce milliardaire aux cheveux caroténisés. Combien parmi nos « camarades » pensaient que Trump allait arrêter toutes les guerres une fois au pouvoir ? Il devait également abolir la censure afin que nous puissions nous exprimer en toute liberté… mais s’il supprime le déjà maigre pouvoir des fact checkers, c’est pour faciliter la propagande de l’extrême et de l’ultra droites sur les réseaux sociaux [46] ! Trump fait retirer des bibliothèques publiques des centaines de titres ; il ampute les universités américaines de milliards de dollars de dotations fédérales ; il publie une liste de mots interdits ayant trait à la DEI : « diversité, équité et inclusion » – le premier mot de cette liste est « abortion », « avortement [47] »…
Une autre réaction consiste à éviter de penser l’avenir : ne surtout pas accepter que la démocratie soit morte – c’est pourtant une évidence si nous considérons la démocratie comme devant aller beaucoup plus loin que la simple délégation de pouvoir lors des élections, même si celles-ci sont tenues régulièrement. De même, la réalité de la folle croissance des budgets militaires mondiaux, + 9,4 % entre 2023 et 2024 [48], devrait nous alerter sur la possibilité réelle d’une guerre prochaine, que les « démocraties » seront incapables d’empêcher puisque voilà bien longtemps que ces régimes n’expriment plus ce qu’est la volonté réelle des citoyens…
Ce « choc Trump » produit également un renouveau dans l’invention et la propagation de théories « subversives » s’appuyant sur des élucubrations pseudo-théoriques subtiles et extrémistes telle que celle qui consiste à dire qu’en attaquant les médias traditionnels, Trump nous libère de leur emprise et que cela nous ouvre la voie pour diffuser nos propres idées, alors que nos moyens de diffusion d’idées émancipatrices et subversives sont, hélas, sans commune mesure avec les appareils adverses (en termes de grands journaux, de chaînes de télévision, de maisons d’édition, de réseaux sociaux…).
Enfin, certains estiment que le trumpisme ne relève que du complot, que le conspirationnisme est la véritable politique de notre temps et Trump le simple avatar d’une antique manière de mener le monde : en cachette ! Pourtant, comme nous le démontrons ici, les sources idéologiques de la pensée-Trump sont parfaitement accessibles et documentées sur le web ; cette simple constatation suffit pour exclure l’idée de quelque complot que ce soit. Tout est documenté ; tout se joue cartes sur table. Nous avons montré ici quelques-uns des conflits qui se déroulent dans le cercle dirigeant états-unien, à travers les errements de la pensée-Trump et l’application, désormais nécessaire puisque leur héraut est le locataire de la Maison blanche, de théories très abstraites à la réalité concrète et quotidienne du pouvoir.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas pris la peine de mesurer la puissance idéologique et politique concrète que des moyens financiers extravagants donnent à des individus ultrariches, de Trump et Buffett à Musk, de Schmidt à la famille Rees-Mogg ou à Zuckerberg. Grâce aux finances dont ils disposent, Musk, Trump, Bezos, ou encore les fondateurs de Google, Brin et Page, ont la capacité d’appliquer des théories aussi fumeuses que celles de Yarvin ou d’autres inspirateurs de l’équipe Trump.
Ce rouleau compresseur est peut-être d’une puissance formidable, mais il n’est pas invincible. Comme l’écrit le New York Times : « Imaginez que vous soyez l’employé d’une institution, d’une agence gouvernementale ou d’un cabinet d’avocats qui n’a pas survécu aux décisions de l’administration Trump. Vous n’êtes pas content et devez décider quoi faire. Démissionner en signe de protestation ou par acquis de conscience ? Rester en poste, tête baissée, avec peut-être un emprunt à rembourser ? Ou rester, avec l’intention de lutter de l’intérieur [49] ? » Ce sont là, exposées brièvement, certaines de solutions qu’il nous reste…
Quelles que soient nos décisions personnelles pour notre propre avenir, nous savons désormais que la pensée-Trump et les orientations actuelles du président des États-Unis reposent sur des visions du monde et du cybermonde tellement détachées du réel qu’elles impliquent de laisser en chemin une part croissante de l’humanité. Dont… nous, sans guère de doute – et nous ne voulons pas de leur monde ! Si leur scénario d’apocalypse [50] reste certes plausible, il implique cependant des décisions « complémentaires » pour que le cœur de leur projet, son axe principal, vive. Les théoriciens de la pensée-Trump ne sont que de purs théoriciens, et même si certains d’entre eux traduisent leurs visions stratégiques dans les entreprises qu’ils dirigent, la tâche assignée à Trump est d’une autre ampleur. Il ne s’agit plus de mener une entreprise globale dans le cybermonde et de la détacher de toute entrave terrestre – ce qu’Amazon, Uber et Facebook ont réussi dans leurs propres domaines, et que Google était en passe d’accomplir dans le sien avant les nouveaux rebondissements liés à son procès. De même, Tesla et Space X, malgré tous leurs atouts, n’ont peut-être pas gagné leurs paris… Il s’agit de se détacher des liens simplement terrestres tout en… restant humains, trop humains.
En dernière analyse, ni Musk ni Trump ne sont des cybernanthropes, et nous pouvons être certains qu’ils ne le deviendront pas. Seules restent alors l’oppression et la violence dont ils ont besoin pour croire encore en leurs délires de mégalomanes fascistes. À nous de les expliciter, de les dénoncer, et de faire valoir nos utopies comme seules solutions pour un avenir non oppressif, libre et émancipé. Loin de tous les fascismes, et où le soleil, au lieu d’être vert, réchauffera juste ce qu’il faut cette planète…
Élisée Personne
groupe.huko at autistici.org
7 mai 2025